Sortir du Concile
Vous me demandez, Madame, une explication juridique et pratique
sur le décret « Animarum bonum, du 18 janvier 2002, érigeant
l'Administration apostolique personnelle Saint Jean Marie Vianney », au diocèse
de Campos, que vous avez publié dans Item, novembre 2002, n° 4, pp.
14-15.
Je préciserai d'abord, d'une part, que je ne suis pas un
professionnel du Droit canonique, et d'autre part, comme vous le savez, qu'il
ne me semble pas que la signature d'accords entre des catholiques critiquant Vatican
II et les autorités qui appliquent Vatican II soit le vrai problème, lequel est
d'abord doctrinal. Mais, il est bien vrai, de fait, que la discussion et la
signature d'accords administratifs ont puissamment aidé à faire « bouger » les
questions en litige, en tout cas les questions liturgiques.
1°/ Remarque
historique :
De tels arrangements administratifs ont été négociés et conclus
depuis environ 1985. On peut observer qu'il y a une progression dans les
concessions accordées par les autorités romaines et une diminution
correspondante dans les « gages » demandés aux communautés traditionnelles (
ou, ce qui revient au même, dans les concessions auxquelles ces communautés se
sont crues elles-mêmes obligées). Ainsi, et sans entrer dans le détail :
- les bénédictins de Flavigny, moyennant abandon du rite St-Pie-
V dans la célébration communautaire, ont été « reconnus » ;
- puis les religieux de Chémeré-le-Roi, en même temps qu'ils
abandonnaient leur opposition à la doctrine de la liberté religieuse, ont obtenu
la célébration du rite Saint pie v ;
les communautés
reconnues après le motu proprio Ecclesia Dei ont obtenu reconnaissance
et rite Saint pie v, mais ont cessé toute opposition aux doctrines conciliaires
et sou- vent se sont employées à les justifier ;
- les prêtres de Campos ont obtenu un évêque propre, mais sous
forme d'un retour « dans la pleine communion » .
Logiquement, le prochain ou les prochains accords devraient
contenir des concessions supplémentaires de la part des autorités romaines: la
reconnaissance qu'il n'y a pas eu de « sortie d'Église » de la part des
opposants à Vatican Il ; la reconnaissance que la messe de Saint- Pie- V n'a
jamais été interdite; voire la possibilité expresse de contester Vatican Il ;
et pour finir -pourquoi pas ? -même si le fait de solliciter des «
reconnaissances » ne va pas dans ce sens, le constat au moins implicite que la
« sortie d'Église » est d'avantage le fait de Vatican Il que des opposants à
Vatican II.
2°/ Eclaircissement juridique :
Le décret de la Congrégation des Évêques érige, c'est-à-dire
crée juridiquement, une
Administration apostolique personnelle.
Il faut savoir que le tout de l'Eglise universelle est divisé en
parties, dites « Eglises particulières », lesquelles sont en principe
circonscrites dans un territoire déterminé, et qui sont de deux sortes :
I -Les diocèses, qui sont les Églises particulières types,
chacun d' eux étant confié à un évêque diocésain. L'évêque gouverne son
diocèse, non comme mandataire du pape, mais comme pasteur propre soumis au
pape.
II -Les Églises particulières assimilées à des diocèses: le
responsable de chacune de ces Églises particulières, qu'il soit évêque ou non,
a un pouvoir « ordinaire » (législatif, exécutif, judiciaire) identique à celui
d'un évêque diocésain. S'il n'est pas évêque, il devra cependant faire appel à
un autre évêque pour faire conférer les ordinations. Ces Églises particulières
assimilées à des diocèses sont de deux catégories :
a) Celles qu'on pourrait appeler des « presque diocèses
», dont les responsables gouvernent comme des pasteurs propres et non pas au
titre de vicaires du pape. Ce sont les prélatures territoriales
(portions de territoire détachées de diocèses) et les abbayes territoriales
(territoires entourant certaines abbayes et indépendants de tout diocèse).
b) Et celles dont les responsables gouvernent au titre de
vicaires du pape, qui sont :
1 -Les préfectures apostoliques et les vicariats
apostoliques: Églises particulières en pays de mission appelées à devenir des
diocèses.
2 -Et les administrations apostoliques, dans
lesquelles rentre celle de Saint Jean Marie Vianney.
NB: il existe en
outre des « ordinariats militaires » (on appelle celui de France : le « diocèse
aux armées » ), qui sont des Églises particulières, dont chacune regroupe les
militaires d'un pays et leurs familles et des prélatures personnelles, qui ne
sont ni Églises particulières, ni instituts religieux, ni associations de
fidèles (et sont une catégorie créée sur mesure pour l'Opus Dei).
L'administration apostolique est donc une portion du peuple de
Dieu qui n'a pas pu être érigée en diocèse proprement dit « pour des raisons
spéciales et particulièrement graves » (canon 371), souvent des raisons
politiques. Elle est confiée à un administrateur apostolique, évêque ou non
évêque, qui a un pouvoir semblable à celui d'un évêque diocésain (mais, s'il
n'est pas évêque, il n'a pas le pouvoir d'ordonner lui-même). Il exerce sa
charge au titre de représentant du pape (techniquement, on dit qu'il a un pouvoir
ordinaire vicaire). L'administration apostolique est une catégorie souple,
dont chaque décret d'érection définit les particularités.
En s'en tenant aux grandes lignes, la combinaison entre le droit
commun et les précisions données par le décret Animarum bonum permet de
brosser ainsi la physionomie propre de l'Administration apostolique Saint Jean
Marie Vianney :
A/ Critères d'appartenance à l'Administration SJMY : deux conditions
doivent être réunies :
1° Avoir son domicile sur le territoire du diocèse de Campos, au
Brésil. L'Administration SJMY, à la manière d'un diocèse aux armées, rassemble
une certaine catégorie de fidèles sur l'espace d'un territoire, qui ont «
double appartenance » : ils dépendent de leur diocèse et de cette Église
particulière.
2° S'agréger volontairement à l'Administration :
- Pour les fidèles, par une inscription (agrégation matérialisée
par l'inscription dans un registre, dans lequel sont inscrites les personnes
faisant partie de l'Union préexistan- te), ou par la réception du baptême dans l'Administration
(de la même manière que l'on entre par le baptême à une Église rituelle,
maronite, copte, etc.).1
- Pour les prêtres et diacres, par une incardination
(c'est-à-dire une agrégation aux ministres sacrés du diocèse qui résultera
normalement de la réception du diaconat dans l'Administration SJMY).
NB: La pratique
du rite Saint-Pie-Y n'est pas à proprement parler un critère d'appartenance :
c'est une faculté dont on jouit dans l'Administration SJMY. Certes,
l'Administration SJMY est essentiellement caractérisée par la faculté de
pratiquer le rite liturgique de Saint-Pie- Y, et il est évident que cette
pratique représente le motif déterminant des fidèles et prêtres qui en font ou
en feront partie. Mais, il n'y a rien de semblable entre l'appartenance à
l'Administration SJMV, qui se cumule avec
l'appartenance au diocèse de Campos, et l'appartenance juridicorituelle à une «
Église rituelle autonome » (à savoir une Église orientale), dans laquelle on
entre et de laquelle on ne sort qu'à des conditions relativement strictes.
B/ Pouvoirs de l'administrateur apostolique :
1° Il a la même juridiction (pouvoir de gouvernement en matière
de discipline, de sacrements, d'enseignement) qu'un évêque sur ses prêtres et
fidèles, mais cette juridiction est « cumulative » avec celle de l'évêque
diocésain de Campos (de la même manière que la juridiction d'un évêque aux
armées est cumulative avec celle des évêques du pays). Concrètement, cela veut
dire que les fidèles de l'Administration SJMV pourront demander la célébration
des sacrements, par exemple celle du mariage, aussi bien auprès de
l'Administration qu'auprès du diocèse de Campos.
2° La juridiction de l'administrateur apostolique est personnelle,
c'est-à-dire qu'elle s'exerce normalement uniquement sur des personnes
déterminées (à la différence d'une juridiction territoriale, qui
s'exerce sur les sujets dans un territoire défini).
3° Il est nommé (et relevé, s'il y a lieu, avec les garanties de
droit) par le pape. Il peut être évêque, comme c'est actuellement le cas, ou ne
pas être évêque. À l'église principale de l'Administration est octroyé le titre
de cathédrale, qui est le titre dont bénéficie l'église principale d'un
diocèse, mais qu'on accorde aussi à la principale église d'autres types
d'Églises particulières (par exemple, Saint-Louis des Invalides est la
cathédrale du diocèse aux armées de France) : les anciens canonistes auraient
parlé en l'espèce de « quasi-cathédrale ».
Cl Institutions internes :
L'Administration
pourra facultativement avoir son séminaire (avec l'accord du Saint- Siège),
créer des paroisses personnelles (c'est-à-dire dont feront partie les personnes
de l'Administration) régies par des prêtres ayant titre de curés, instituer son
tribunal (qui jugera surtout, comme tout tribunal ecclésiastique, des causes de
mariage, dans le cas ou les fidèles de l'Administration voudront s'adresser à
lui), constituer son conseil pastoral, ériger des instituts religieux; elle
devra obligatoirement avoir un conseil de direction d'au moins six prêtres (qui
sera l'équivalent du conseil presbytéral du diocèse, lequel est l'organe
institutionnel principal du diocèse auprès de l'évêque).
D/ La
liturgie :
« La faculté est accordée à l'Administration apostolique de
célébrer la sainte Eucharistie, les autres sacrements, la Liturgie des Heures
et les autres actions liturgiques selon le Rite romain et la discipline
liturgique de Saint-Pie- V, avec les adaptations que ses successeurs ont
introduites jusqu'au bienheureux Jean XXIII » (décret d'érection, n. 3).
C'est, nul ne
l'ignore, le but de la création de l'Administration. Je ne reviendrai pas sur
la signification du mot « faculté », abondamment commenté, sauf à dire qu'en
théorie, s'agissant d'une faculté, tant l'Administration SJMV que les
prêtres de l'Administration auront la possibilité d'en user ou de n'en pas
user. Autrement dit, rien -sauf le bon sens -n'empêche les prêtres de
l'Administration de célébrer selon le rite de Paul VI qui constitue, jusqu'à
nouvel ordre, le droit commun liturgique dans le rite romain.
3°/ Formule d'avenir ?
Ma dernière remarque -toute théorique,
encore une fois -, et plus encore le fait que rien n'assure que
l'administrateur, nommé par le Saint-Siège, sera toujours un évêque, peut
laisser penser que le statut de l'enclave Saint- Pie- V de Campos est fragile.
En fait, elle est fragile comme le sont toutes choses humaines et comme l'est
spécialement toute concession accordée par un pouvoir en charge d'une novation
(celle de Vatican Il et ce qui en découle) à un groupe hostile à cette
novation.
En termes de froide analyse, l'avenir du groupe de Campos
dépendra en réalité du rap- port de forces entre le pouvoir conciliaire en ses
diverses composantes et le groupe Saint-Pie- V en question, lui même adossé au
monde traditionnel et surplombé par la Fraternité Saint- Pie X. On peut penser
que ce rapport restera favorable au groupe de Campos, si la Rome conciliaire
continue de s'affaiblir et si un certain nombre de ses représentants se
montrent de plus en plus favorables au rite Saint-Pie- V. Campos pourrait alors
jouer un rôle de « ver dans le fruit » conciliaire. Mais on peut aussi imaginer
que le groupe de Campos, si la situation « conciliaire » perdure encore
longtemps dans l'Église, verra sa combativité s'user, par le fait même de la concession
qui lui a été accordée et de l'intégration qu'elle entraîne.
Il est cependant vraisemblable que les jours du pouvoir
sans partage de «l'esprit de Vatican II » sont comptés. Si cela est vrai, on
doit penser de plus en plus en termes de transition entre le présent
état post-conciliaire et la réorganisation de l'Église selon un mode
substantiellement traditionnel (qui n'aura certainement pas grand chose à voir,
dans les apparences, avec ce qu'elle était dans les années soixante). Dans
cette mesure, la solution de Campos peut constituer un instrument juridique
extrêmement intéressant.
On ne serait plus alors dans l'actuel cas de figure du
rapport entre forces conciliaires et groupes traditionnels, mais dans le cadre
d'une alliance au sein de laquelle les groupes traditionnels viendraient prêter
main-forte à l'ensemble des conciliaires déçus. Dans cette perspective, pour ne
parler que de la question liturgique, on devrait voir alors les paroisses
ordinaires réintroduire « du sacrificiel » (autel vers l'abside, prières de
l'offertoire romain, etc.) à plus ou moins haute dose dans la célébration de la
messe, sans pour autant reprendre intégralement le rite Saint pie v, ce qui ne
sera ni possible, ni prudemment souhaitable pour les fidèles d'aujourd'hui. Mais
celui-ci devra cependant jouer le rôle de témoin de la tradition liturgique,
d'étalon.
Par ailleurs, la désertification sacerdotale ne peut,
dans un premier temps, que s'accroître, il faudra, par la force des choses,
imaginer des formules autres que l'actuel quadrillage paroissial. Déjà
aujourd'hui, les territoires que desservent les curés deviennent tellement
vastes que les paroisses n'ont plus rien à voir avec ces « cellules d'Église »
qu'étaient jadis les paroisses: lorsque des chrétiens ont aujourd'hui un lien
avec un prêtre semblable à ce qu'il était autrefois entre fidèles et curé, ce
n'est plus dans le cadre paroissial mais selon la formule du « réseau »
unissant prêtres de telle ou telle communauté à un ensemble de fidèles
sympathisants. La remise en valeur du curé de paroisse là où on le pourra,
n'est pas à exclure, mais la mise en place d'associations de prêtres, de
communautés de religieux, d'organisations diverses, mieux à même de prendre en
charge les vastes territoires où sont disséminés les catholiques, est hautement
souhaitable.
À supposer, dans la meilleure hypothèse, que les prêtres
Saint-Pie- V, qui auront cessé d'être traités en parias, dispensent une
pastorale (catéchisme, prédication, oeuvres) d'intelligente reconstruction, la
constitution d'administrations apostoliques de rite Saint-Pie- V pour- rait
être alors une formule, ou l'une des formules souples, bien adaptées à ce que
sera cette période de transition.
En somme, on pourrait envisager des administrations
apostoliques ( ou toute autre solution équivalente), non comme de fragiles
enclaves Saint pie v, mais comme des organes actifs de reconstruction parmi
d'autres.
hhhhhhhhhhh
COURRIER DES LECTEURS...
COURRIER DES LECTEURS... COURRIER
De Monsieur Michel LEFEBVRE,
frère de Mgr. LEFEBVRE :
7
janvier 2003
Cher Monsieur,
A la lecture de votre bulletin du 30 déc., je prends
connaissance de la lettre adressée par le Collectif St Athanase à S; Ex. Mgr
Fellay.
J'ignorais que la Fraternité St Pie X refusait tout contact avec
Rome -Ceci me peine profondément, car aux pires moments de ses rapports avec
Rome, mon frère n'a jamais refusé de s'y rendre, même s'il pensait ce
déplacement inutile etje dirais humiliant pour lui.
Je tenais à
vous le signaler.
Croyez, je vous prie, en mes sincères salutations
18 janvier 2003
Monsieur le Directeur,
Permettez-moi de vous féliciter
pour le n° 6 de votre Bulletin, en particulier pour votre pertinente analyse de
la lettre du 10 juillet 2002 de la S.C. du Clergé à feu Mgr Rangel.
Cela me paraît marqué d'un
esprit d'équilibre et de pénétration qui fait parfois défaut à d'autres
documents de la Tradition, en ce compris -j'espère que vous ne vous formaliserez
pas de ma franchise -dans des numéros précédents d'Item, ceci dit sans nier la
légitimité de certaines divergences d'appréciations tactiques.
J'ai aussi
apprécié que, dans la ligne de M. l' abbé Schmidberger -à l' époque supérieur
général de la Fraternité Saint-Pie X (Fideliter, n° 37, janvier-Février 1984,
p. 47-48), vous souligniez «les dangers que présente (la) mentalité» de ceux
qui oublient que «la situation que nous connaissons n'est pas normale» et qui
«s'(y) installent». Ce rappel est particulièrement opportun au moment où
certains ne voient plus que des «hameçons» dans la perspective tant d'un
«accord pratique» que d'une «étude théologique» avec le Vatican.
Votre bulletin me paraît donc
tenir une place utile dans le concert de la Tradition, raison pour laquelle j'y
souscris par même courrier un abonnement de soutien.
Veuillez agréer, Monsieur le
Directeur, l'assurance de mes sentiments dévoués in Xto Rege per Mariam.
P.S.
: Vous pouvez reproduire la présente avec mon identité...
hhhhhhhhhhhhhhh
1 Concrètement, cette inscription ne sera demandée qu'à
l'occasion de la demande de baptêmes et de mariages. Il faut dire que c'est la
particularité juridique la plus curieuse mais aussi la plus spécifique de cette
administration apostolique. La « juridiction cumulative » la rapproche des
diocèses aux armées. L'intégration par le baptême la rapproche des Églises
rituelles autonomes (Eglises orientales catholiques). Cette adhésion volontaire
avec inscription dans un registre est, en revanche, un processus propre à la
vie associative (confréries, par exemple). Ce qui correspond bien à la réalité:
l'Administration apostolique SJMV est, en somme, une association devenue
diocèse, une Église particulière de type électif.