«PIERRE ANGULAIRE DU
PACTE RÉPUBLICAIN»
Pendant
les premières semaines de décembre 2003, la laïcité a été le sujet favori du
gouvernement et de ses caisses de résonance médiatiques. Et le peuple français
fut rassasié de grands mots, de belles expressions : «les valeurs de
On sait
que derrière ces évocations se profilent des lois persécutrices et ce que le
rapport Stasi appelle «une religion
civile républicaine» non affichée comme telle, mais très réelle. D'où l'intérêt d'avoir des idées
claires sur le sujet; ce qui conduit à préciser les points suivants :
- Théorie de la laïcité
- Pratique de la laïcité
- Église et laïcité
- La laïcité selon le rapport Stasi : du
neuf et de l'ancien
- Le discours de Jacques Chirac (17
décembre 2003)
- Les réactions épiscopales
- Laïcité et liberté religieuse
1. THÉORIE DE
• Sens du mot "laïcité"
Le mot
"laïcité", dans son sens habituel, implique une rupture entre le
domaine religieux et le domaine politique et social; c'est le sens retenu par
le dictionnaire Le Robert; c'est le sens adopté aussi bien par la
grande presse que par les hommes politiques.
En
1958, le pape Pie XII a utilisé l'expression «saine laïcité de l'État» (3),
désignant par là un principe de la doctrine catholique sur les rapports entre
l'Église et l'État (4), le principe d'un État autonome dans ses activités
spécifiques et soumis à l'Église en matière de doctrine et de morale. C'est une
tout autre idée.
Si l'on
adopte l'usage de cette expression, il faudra distinguer entre deux laïcités :
- la laïcité au sens habituel, qui est
malsaine parce que séparant radicalement politique et religion;
- la saine laïcité de l'État, qui se
traduit par l'union harmonieuse de l'Église et de l'État sans confusion des
domaines.
Cette
question de vocabulaire doit être précisée au départ pour éviter toute
ambiguïté.
Sauf
indication contraire, nous prendrons, au cours de cet article, le mot
"laïcité" dans le premier de ces sens :
• Énoncé de la théorie : un principe et trois
corollaires
La
théorie de la laïcité se réduit à quatre éléments simples : un principe-clef et
trois propositions qui en découlent :
Le principe : la
religion est une affaire strictement privée
1° corollaire :
neutralité de l'État; séparation de
l'Église et de
l'État
La
religion étant affaire strictement privée, l'État n'a pas à prendre parti en
matière religieuse (et philosophique); il se conduit sans avoir recours à des
repères religieux et philosophiques; bref il est neutre. Cette neutralité
s'étend évidemment à tous les services que l'État considère (de façon légitime
ou non) comme services publics.
La neutralité de l'État implique, sur le plan
juridique, la séparation des Églises et de l'État, «principe d'après lequel les organisations religieuses (Églises, etc.)
sont considérées comme des groupements de droit privé» (Dictionnaire Le Robert).
2° corollaire
: la souveraineté populaire
A
défaut d'un ordre religieux transcendant, les lois et institutions de la vie
politique doivent reposer sur un autre fondement. Celui qui paraît s'imposer,
c'est l'homme considéré collectivement, le peuple; d'où la thèse de la
souveraineté populaire.
3° corollaire : la
neutralité de la vie sociale (en dehors du domaine politique): vie
économique, culturelle, associative, activités éducatives. C'est un complément
du premier corollaire: tout ce qui n'est pas vie privée se situe en dehors du
domaine de la religion.
• Textes accréditant la théorie :
- Texte mettant en évidence le principe
La laïcité reste (...) au coeur de la pensée
et de l'action des francs-maçons (...).
L'ensemble des maçons, quelle que
soit leur obédience, s'accordent pour condamner toute immixtion d'une religion dans la vie politique,
économique, sociale, culturelle et en particulier dans le domaine
de l'éducation. «L'Église est une affaire privée, pas une affaire
publique». (P. Burnat et C. de
Villeneuve,Les francs-maçons des années
Mitterrand, p.63-64).
- Texte insistant sur la neutralité de l'État
(...)
la laïcité, c'est-à-dire (...) l'État
neutre entre les religions, tolérant pour tous les cultes et forçant
l'Église à lui obéir en ce point capital.
(E. Renan, cité par le dictionnaire Le Robert)
- Texte insistant sur la séparation
Texte du juriste Capitant définissant la
laïcité:
Conception
politique impliquant la séparation de la société civile et de la société religieuse,
l'État n'exerçant aucun pouvoir religieux et les Églises aucun pouvoir
politique.
(cité
par le dictionnaire Le Robert)
- Textes insistant sur la souveraineté
populaire
Nos
lois, nos institutions ne sont pas fondées sur les droits de Dieu mais bien sur
les droits de l'homme (...). Elles n'agissent pas (...) par la grâce de Dieu
mais au nom de la nation et avec une autorité purement humaine.
La
laïcité est le corollaire de la souveraineté populaire.
L'homme
citoyen est dieu; et il n'y a pas d'autre dieu que l'homme-citoyen. (5)
[Remarquons que, pour rester en conformité
avec la théorie exposée ci-dessus, il faudrait dire "la souveraineté
populaire est le corollaire de la laïcité" et non l'inverse. Quoi qu'il en
soit, l'étroite liaison entre les deux est ici bien affirmée] :
Le
principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation.
(article
3 de
La
volonté du peuple est le fondement de l'autorité des pouvoirs publics.
(article
21 de
La
souveraineté nationale appartient au peuple.
(article
3 de
• Commentaire
Tant
qu'il y eut en France un certain degré de pratique religieuse, le principe de
laïcité [la religion est affaire
strictement privée; ce qui entraîne l'interdiction de toute forme de culte
public et de propagande religieuse (6)] ne pouvait pas être affiché
officiellement; il ne se trouvait guère exprimé que dans des propos maçonniques.
Les partisans de la laïcité se contentaient de mettre en évidence les deux
premiers corollaires (neutralité de l'État et séparation Église-État d'une
part; souveraineté populaire d'autre part).
Il en
résulte deux théories de la laïcité (7) :
- la théorie
de la laïcité radicale, celle qui
vient d'être décrite: elle affiche le principe; elle exige la neutralité pour
tout "l'espace public" (8) et pas seulement pour l'État et ses
services;
- la
théorie de la laïcité limitée: elle n'affiche pas le principe; elle
n'exige la neutralité que pour l'État et ses services; elle correspond à la loi
de séparation de 1905. (9)
Jusqu'ici,
nous n'avons eu affaire qu'à la laïcité limitée. Les récentes prises de
position (rapport Stasi, discours de Jacques Chirac du 17 décembre 2003)
montrent qu'il n'en va plus de même aujourd'hui (voir les § IV et V, page 21 et
25 ci-dessous).
II - PRATIQUE DE
Théorie
simple à formuler, la laïcité, qu'elle soit radicale ou limitée, s'avère
impossible à mettre en pratique sur deux points : la neutralité de l'État et sa
séparation d'avec tout pouvoir spirituel. Elle sert par ailleurs à cacher une
sorte de religion de l'homme, non affichée comme telle.
• Une théorie partiellement inapplicable :
- l'impossibilité de la neutralité scolaire
L'expression
même de "neutralité scolaire" se présente comme une contradiction
dans les termes. Tout éducation, même dite "nationale", transmet une
certaine vision du monde, un système de valeurs.
L'impossibilité
de la neutralité scolaire était déjà reconnue, au début du siècle dernier, par
de grands promoteurs de la laïcité :
- Quand Ferdinand Buisson, l'un des
créateurs de l'école laïque, déclarait en 1908 (au Congrès international
d'éducation morale):
(Notre République laïque) ne
songe qu'à faire de l'enfant un honnête homme, rien de plus. Et pour cela, elle
s'efforce de développer son coeur, son caractère en lui faisant aimer le vrai,
le beau, le bien (10).
ne
sortait-il pas de la neutralité en faisant référence au bien, ce qui suppose
une morale, elle-même essentiellement fondée sur une religion?
- Alphonse Aulard (cité par E. Barbier dans Histoire du catholi-cisme libéral et
social, T.V.p.153), célèbre
professeur d'histoire à
« Il
aurait fallu définir la neutralité scolaire, et je défie bien le plus ingénieux
de nos philosophes politiques de formuler une définition, même médiocre, d'un
mot qui, si peu qu'on y réfléchisse, n'offre aucun sens, ou n'offre qu'un sens
absurde ».
- la neutralité de l'État moins crédible
encore aujourd'hui qu'en 1906
Il ne
peut y avoir neutralité là où il y a action directe sur la pensée la plus
générale. Or, depuis plus d'un siècle, l'État a accru ses moyens d'action sur la pensée des citoyens : à l'Éducation
nationale devenue une gigantesque entreprise (plus
de 1 100 000 fonctionnaires) sont
venus s'ajouter la radio-télévision d'État, les théâtres nationaux, les maisons
de la culture... Comment pourrait être neutre en matière religieuse, morale,
philosophique un pouvoir disposant d'instruments aussi puissants d'action
idéologique qui ne peuvent être utilisés de façon "neutre"?
L'impossible séparation de l'État à l'égard de
tout pouvoir spirituel
Il est
dans l'ordre des choses que la force obéisse toujours à un certain esprit, que
la politique en acte corresponde à une certaine conception de l'homme et de sa
destinée, autrement dit à une certaine philosophie politique; il est dans
l'ordre des choses qu'il y ait toujours un ou plusieurs pouvoirs spirituels
pour inspirer l'action de l'État. Quand l'Église catholique se voit cantonnée
dans ses sacristies et dépouillée de son rôle de pouvoir spirituel, elle se
voit aussitôt remplacée par telle ou telle religion ou idéologie, elle-même
soutenue par tel ou tel appareil. Proudhon l'avait déjà constaté :
La
papauté abolie, vingt pontificats pour un vont surgir, depuis celui du père
Enfantin (11) jusqu'à celui du grand-maître des francs-maçons (12)
• Une théorie qui sert de paravent
A quoi
sert la théorie de la laïcité si elle s'avère partiellement inapplicable?
Essentiellement à masquer la domination sur l'État de religions ou d'idéologies
en partie occultes... principalement maçon-niques. C'est en ce sens qu'il faut
comprendre la célèbre déclaration de René Viviani, l'un des chefs francs-maçons
de la 3ème République (13), déclaration faite en 1906 :
Il faut
en finir avec la neutralité scolaire et user de contrainte légale à l'égard des
familles. On vous parle de neutralité scolaire,
mais il est temps de dire que la neutralité scolaire n'a jamais été
qu'un mensonge diplomatique et une tartuferie de circonstance. Nous
l'invoquions pour endormir les scrupuleux et les timorés, mais, maintenant, il
ne s'agit plus de cela, jouons franc-jeu. Nous n'avons jamais eu d'autre
dessein que de faire une Université anti-religieuse et anti-religieuse d'une
façon active, militante, belliqueuse. (14)
• Ce que recouvre réellement la laïcité
En fait, que trouvons-nous sous couvert de
laïcité? Des hommes et des institutions qui ont pour objectif de séculariser
toutes les activités sociales et politiques et de les faire passer sous la
domi-nation de la religion de l'homme qui s'est fait dieu.
Écoutons
sur ce point les déclarations de personnalités, de "droite" comme de
gauche, mais qui toutes sont adeptes de la laïcité fondamentalement nocive que
nous décrivons :
- Michel Poniatowski
Alors
qu'il était ministre de l'Intérieur, Michel Poniatowski, ami politique de
Valery Giscard d'Estaing, publia un livre intitulé «Conduire le changement». En voici deux passages :
Nous
représentons, nous avons été élus sur une certaine conception de l'homme et de
la société. (p.14)
L'homme
(...) sait qu'aujourd'hui il n'existe pas de certitude absolue en dehors de sa
propre réalité et des vérités provisoires qu'il tente de définir pour répondre,
à chaque époque de l'histoire, à des problèmes imprévus et nouveaux. Il lui
faut trouver en lui-même et ses lois et ses doctrines et ses volontés d'avenir.
(p. 244)
- Jean Andrieu (15)
Il n'y
a pas de Cité de Dieu à attendre ou à ériger (...). Le modèle de l'homme
laïque, c'est lui-même avec ses lâchetés, ses héroïsmes, ses craintes et ses
audaces, ses recherches et ses doutes.
(Vous avez dit laïque, p.109)
- Jean Jaurès
Le
mouvement socialiste exclut l'idée chrétienne qui subor-donne l'humanité aux
fins de Dieu, à sa gloire, à ses mystérieux des-seins. (Pages choisies, p.224 - Revue
de Paris, 1er décembre 1898)
Le
socialisme, étant l'affirmation du droit humain et la substitution de la
justice à la charité, est, par là-même, la négation de l'Église. (Action socialiste, p.125 - Article dans
- Léon Blum
Nous
prétendons, nous aussi, à la domination spirituelle (...). Nous essayons de
créer quelque chose qui ressemble à une foi, une foi qui repose sur la justice
humaine et non pas sur la révélation divine.
- Pierre Mauroy
Il y a
effectivement une valeur essentielle qui nous est commune : l'homme doit
devenir la mesure de toute chose. Ce message qui est celui du judaïsme est
aussi celui de
(Déclaration
à Tribune juive, n°800).
Ainsi
comprise (et c'est ainsi qu'elle est effectivement vécue), la laïcité comporte
la définition d'une véritable "religion". C'est contre cette
"religion" que protestait l'Assemblée des cardinaux et archevêques de
France dans sa Déclaration du 13 novembre 1945 :
Si la
laïcité de l'État est une doctrine philosophique qui contient toute une
conception matérialiste et athée de la vie humaine et de la société, si ces
mots veulent définir un système de gouvernement politique, qui impose cette
conception aux fonctionnaires jusque dans leur vie privée, aux écoles de
l'État, à la nation tout entière, nous nous élevons de toutes nos forces contre
cette doctrine; nous la condamnons au nom même de la vraie mission de l'État et
de la mission de l'Église. (16)
III - ÉGLISE ET LAÏCITÉ
•
Rappel de la doctrine de l'Église sur les rapports entre
pouvoirs spirituel et temporel, entre l'Église et l'État
Voici, en résumé, quelques points importants
de cette doctrine : (17)
1. Distinction du naturel et du surnaturel
Le
droit divin - qui vient de la grâce - ne détruit pas le droit humain qui vient
de la raison naturelle.
2. Indépendance de l'Église dans son ordre
L'Église
(la société religieuse) est fondée sur le droit divin; elle constitue une
société parfaite (18); elle vit de son droit propre et non de privilèges; elle
doit rester indépendante dans sa sphère.
3. Indépendance de l'État dans son ordre
L'État
(la société civile) est fondée sur le droit humain; il constitue une société
parfaite; il agit dans sa sphère en vertu de droits qui lui sont propres.
4. Union de l'Église et de l'État
«Il est nécessaire qu'il y ait entre eux un
système de rapports bien ordonné, non sans analogie avec celui qui, dans
l'homme, constitue l'union de l'âme et du corps».
(Léon
XIII, encyclique Immortale Dei).
5. Subordination du
temporel au spirituel,
de l' État
à l'Église
"Le
pouvoir temporel est subordonné au spirituel en tant que ce dernier est tel :
gardien des principes, maître de la doctrine, de la morale, de la foi;
magistère suprême en tout ce qui est substance, orthodoxie de l'enseignement.
Et nullement un spirituel érigé en recteur, organisateur, gouverneur, défenseur
DIRECT du temporel" (19).
Les
pouvoirs spirituel et temporel sont donc distincts, souverains dans leur ordre,
ordonnés l'un par rapport à l'autre.
Le
Christ est chef de l'un et de l'autre : il est à la fois chef de l'Église et
roi des nations.
Nous
avons mentionné ci-dessus (page 6) l'expression "saine laïcité de
l'État" utilisée en 1958 par Pie XII. Elle correspond aux points 3. et 5.
du résumé ci-dessus.
• Textes du Magistère condamnant la laïcité
Il est
bien évident qu'une théorie faisant de la religion une affaire strictement
privée ne peut être acceptée par l'Église. Comme l'expliquait le cardinal Pie :
Dire
que Jésus-Christ est le Dieu des individus et des familles et n'est pas le Dieu
des peuples et des sociétés, c'est dire qu'Il n'est pas Dieu. Dire que le
christianisme est la loi de l'homme individuel et n'est pas la loi de l'homme
collectif, c'est dire que le christianisme n'est pas divin. Dire que l'Église
est juge de la morale privée et qu'elle n'a rien à voir à la morale publique,
c'est dire que l'Église n'est pas divine. (20)
Il est
encore plus évident qu'une "doctrine philosophique qui contient toute une
conception matérialiste et athée de la vie humaine et de la société..."
est incompatible avec l'enseignement de l'Église (cf. le texte des cardinaux et
archevêques français cité ci-dessus).
On
comprend donc la condamnation par l'Église de la laïcité sous l'une ou l'autre des formes précédemment évoquées.
Condamnation que Pie XI formulait ainsi dans son encyclique Maximam gravissimamque du 18 janvier 1924 :
Toutes
les fois que par "laïcité" on entend un sentiment ou une intention
contraires ou étrangers à Dieu et à la religion, Nous réprouvons entièrement
cette laïcité et Nous déclarons ouvertement qu'elle doit être réprouvée.
La
séparation de l'Église et de l'État, partie intégrante de la laïcité, a fait
l'objet d'une condamnation
particulièrement solennelle par saint Pie X (dans l'encycliqueVehementer
publiée le 11 février 1906, soit deux mois après le vote de la loi
de séparation de 1905) :
Cette thèse (de la séparation de l'Église et
de l'État) est la négation très claire
de l'ordre surna-turel
(*). Elle limite en effet l'action de l'État à la seule poursuite de la
prospérité publique durant cette vie, qui n'est que la raison prochaine des
sociétés politiques; et elle ne s'occupe en aucune façon, comme lui étant
étrangère, de leur raison dernière, qui est la béatitude éternelle proposée à
l'homme quand cette vie si courte aura pris fin. Et pourtant l'ordre présent
des choses, qui se déroule dans le temps, se trouvant surbordonné à la conquête
de ce bien suprême et absolu, non seulement le pouvoir civil ne doit pas faire
obstacle à cette conquête, mais il doit encore nous y aider.
(*) (Souligné par nous)
Il
faudra se rappeler ce texte lors du centenaire de la loi de séparation en 2005.
Voici
quelques autres textes portant condamnation implicite ou explicite de la
laïcité :
- La religion, seul lien social
Dans
son encyclique Au milieu des
sollicitudes (16 février 1892), Léon
XIII affirmait cette :
vérité
notoire, souscrite par tout homme de bon sens et hautement proclamée par
l'histoire de tous les peuples : savoir que la religion, et la religion seule,
peut créer le lien social.
Idée
ainsi reprise par Pie XII dans son allocution aux cardinaux du 24 décembre 1945
:
Un
libéralisme suranné voulut créer l'unité sans l'Église et contre l'Église au
moyen de la culture laïque et d'un humanisme sécularisé. Cà et là, comme un
fruit de son action dissolvante, en même temps que comme son ennemi, lui
succéda le totalitarisme. En somme, quel fut, après un peu plus d'un siècle, le
résultat de tous ces efforts exercés sans et souvent même contre l'Église? La tombe
de la saine liberté humaine; les organisations forcées; un monde qui, pour les
brutalités et la barbarie, pour les destructions et les ruines, mais surtout
pour la désunion funeste et pour le manque de sécurité, n'avait pas connu son
pareil.
- Le cas des lois françaises dites "de
laïcité"
En
1925, lors d'une offensive laïque particulièrement intense, l'Assemblée des
cardinaux et archevêques de France fit une Déclaration
sur les lois dites de laïcité et sur les mesures à prendre pour les
combattre :
Les
lois de laïcité sont injustes, d'abord, parce qu'elles sont contraires aux
droits formels de Dieu. Elles procèdent de l'athéisme et y conduisent, dans
l'ordre individuel, familial, social, politique, national, international. Elles
supposent la méconnaissance totale de notre Seigneur Jésus-Christ et de son
Evangile. Elles tendent à substituer au vrai Dieu des idoles (la liberté, la
solidarité, l'humanité, la science, etc.), à déchristianiser toutes les vies et
toutes les institutions. Ceux qui en ont inauguré le règne, ceux qui l'ont
affermi, étendu, imposé n'ont pas eu d'autre but. De ce fait, elles sont
l'oeuvre de l'impiété, qui est l'expression de la plus coupable des injustices,
comme la religion catholique est l'expression de la plus haute justice.
Elles
sont injustes ensuite, parce qu'elles sont contraires à nos intérêts temporels
et spirituels. Qu'on les examine, il n'en est pas une qui ne nous atteigne à la
fois dans nos biens terrestres et dans nos biens surnaturels. La loi scolaire
enlève aux parents la liberté qui leur appartient, les oblige à payer deux
impôts: l'un pour l'enseignement of-ficiel, l'autre pour l'enseignement
chrétien; en même temps, elle trom-pe l'intelligence des enfants, elle
pervertit leur volonté, elle fausse leur conscience. La loi de séparation...
entraîne la rupture officielle, publique, scandaleuse de la société avec
l'Église, la religion et Dieu.
...
Comme les lois de laïcité attentent aux droits de Dieu, comme elles nous
atteignent dans nos intérêts spirituels,
comme, après avoir ruiné les principes essentiels sur lesquels repose la
société, elles sont ennemies de la vraie religion qui nous ordonne de
reconnaître et d'adorer, dans tous les domaines, Dieu et son Christ, d'adhérer
à leur enseignement, de nous soumettre à leurs commandements, de sauver à tout
prix nos âmes, il ne nous est pas per-mis de leur obéir, nous avons le droit et
le devoir de les combattre et d'en exiger, par tous les moyens honnêtes,
l'abrogation. (21)
La
laïcité en France n'ayant guère fait que progresser depuis 1925, un tel texte
peut être considéré comme s'appliquant à la situation d'aujourd'hui.
• L'attitude du Magistère depuis Vatican II :
L'attitude
du Magistère à l'égard de la laïcité a changé, aussi bien sur le plan doctrinal
que sur le plan pastoral.
- Aspect doctrinal
La
déclaration conciliaire sur la liberté religieuse oblige l'État à accorder la
liberté des cultes à toutes les religions (sous réserve que l'ordre public
juste soit sauf); elle lui interdit toute discrimination pour motif religieux;
elle déclare solennellement que l'État dépasse ses limites s'il s'arroge le
droit d'empêcher les actes religieux (articles 3 et 6). Elle introduit ainsi
une doctrine nouvelle qui, dans la pratique, conduit à la neutralité de l'État
et à son apostasie de fait. Comment pourrait-il en être autrement, à partir du
moment où l'État n'a plus l'obligation d'adhérer à la vraie religion et de se
soumettre à l'Église en matière de morale et de doctrine? (22).
- Aspect pastoral
On se
rappelle la déclaration célèbre de Paul VI sur la "religion de l'homme qui
se fait Dieu", figurant dans son discours de clôture du concile Vatican II
(7 décembre 1965) :
L'humanisme
laïque et profane enfin est apparu dans sa terrible stature et a, en un certain
sens, défié le Concile. La religion du Dieu qui s'est fait homme s'est
rencontrée avec la religion - car c'en est une - de l'homme qui se fait dieu.
Qu'est-il
arrivé? Un choc, une lutte, un anathème? Cela pou-vait arriver; mais cela n'a
pas eu lieu. La vieille histoire du Samari-tain a été le modèle de la
spiritualité du Concile. Une sympathie sans bornes envers les hommes l'a envahi
tout entier. La découverte des besoins humains - et ils sont d'autant plus
grands que le fils de la terre (sic) se
fait plus grand - a absorbé l'attention de notre Synode.
Reconnaissez-lui
au moins ce mérite, vous, humanistes modernes,
qui renoncez à la transcendance des choses suprêmes, et sachez
reconnaître notre nouvel humanisme : nous aussi, nous plus que quiconque, nous
avons le culte de l'homme.
Ainsi,
emporté par sa "sympathie sans borne envers les hommes", le
Concile représentant la
religion du Dieu
qui s'est fait homme aurait cessé de lutter contre la
religion de l'homme qui se fait Dieu. La charité pour l'homme dans l'erreur se
traduirait aujourd'hui par l'arrêt du combat contre l'erreur... Entre les
religions catholique et maçonnique, il n'y aurait plus de choc, plus de lutte,
plus d'anathème de l'une à l'autre!
Étonnante
déclaration. Elle définissait une ligne de conduite qui n'a été que trop suivie
depuis lors. (23)
• Les déclarations de certains évêques
français
Nous
nous limiterons à trois prises de position émanant de Mgr Etchegaray (devenu
depuis cardinal), du cardinal Poupard et de feu Mgr Pierre Eyt, archevêque de
Bordeaux (devenu, lui aussi, cardinal) :
- Mgr Etchegaray
L'État
neutre, c'est bien; mais ce n'est pas encore l'idéal... Après l'État chrétien,
dont
(Intervention
devant
l'Assemblée
nationale, texte reproduit dans le n°36
de
Enseignement catholique documents, p.33)
- Cardinal Poupard
Pour ma
part, la laïcité est la garantie juridique de la liberté de conscience de tous
les citoyens, face aux tentatives de toute contrainte étatique. Loin d'être
un plus petit dénominateur, auquel chacun devrait sacrifier une part de ses croyances et de ses
convictions pour se réfugier dans un vide spirituel et culturel aseptisé, la
laïcité est l'aveu de l'incompétence de l'État dans le domaine des valeurs et
l'affirmation de la volonté de la puissance publique d'en respecter - je ne dis
pas tolérer - l'expression privée et publique.
(Conférence
du 1er février 1992 aux mille par-
ticipants
de la journée nationale de
- Mgr Pierre Eyt
La laïcité
apparaît désormais comme l'expression commune d'une exigence civique liée au
respect des consciences dans une société pluraliste. En effet, si, depuis 1958,
(Conférence
donnée à Artigues, Documen-
tation catholique du 5 juin 1994)
On
trouvera d'autres prises de position épiscopales allant malheureusement dans le
même sens :
- dans
l'article de Rémi Fontaine «La laïcité
ouverte (suite)» du N°87 de l'AFS
(février 1990);
- dans
le rapport de Mgr Dagens «La proposition
de la foi dans la société actuelle» (
Les
évêques que nous venons de citer ne reconnaissent pas le principe-clef de la
laïcité (la religion est affaire strictement privée) mais ils en acceptent le
corollaire sur la neutralité de l'État et la séparation de l'Église et de
l'État; ils admettent ainsi que l'État n'ait plus à se soumettre à l'Église en
matière de doctrine et de morale et puisse véritablement être neutre à l'égard
de tout pouvoir spirituel... hypothèse que vient contredire la réalité des
faits (25).
De
telles déclarations peuvent être qualifiées d'irréalistes; elles se situent par
ailleurs en opposition avec la doctrine sur la royauté sociale de Notre
Seigneur (encyclique Quas Primas, de Pie XI).
IV -
NEUF ET DE L'ANCIEN
Le 3 juillet
Le
texte est bien composé, clair, assez long (huit pages dans Le Monde du 12 décembre
2003) (27). Il est divisé en quatre parties et une conclusion (correspondant en
gros à la théorie de la laïcité, à sa pratique en France, aux difficultés
actuelles, aux orientations et solutions proposées) :
1. «La
laïcité, principe universel, valeur républicaine»;
2. «La
laïcité à la française, un principe juridique appliqué avec
empirisme»;
3. «Le
défi de la laïcité»;
4. «Affirmer
une laïcité ferme qui rassemble».
• Le rappel du principe de laïcité
On
retrouve, en première page du rapport Stasi, le principe et deux des
corollaires qui caractérisent la laïcité :
- Le principe : la religion est affaire exclusivement privée.
Texte du rapport :
Le
spirituel et la religion doivent s'interdire toute emprise sur l'État et
renoncer à leur dimension politique. La laïcité est incompatible avec toute
conception de la religion qui souhaiterait régenter, au nom des principes
supposés de celle-ci, le système social ou l'ordre politique. (§ 1.2.1)
Commentaire : Le rapport Stasi affirme que la religion ne
doit régenter ni l'ordre politique ni le "système social"; il ne dit
pas que la religion doit être exclue de l'ordre politique et du
système social mais il se rapproche de
cette dernière idée; il comporte
donc une affirmation atténuée du principe de laïcité.
- Premier corollaire : neutralité de l'État - séparation de
l'Église et de l'État
Textes du rapport
L'État
n'impose ni ne contraint; il n'y a ni credo obligé ni credo interdit. La
laïcité implique la neutralité de l'État. (§ 1.2.1)
La
laïcité suppose l'indépendance du
pouvoir politique et des différentes options spirituelles ou
religieuses. Celles-ci n'ont pas d'emprise sur l'État et ce dernier n'en a pas
sur elles. (§ 1.2.1)
L'objectif
prioritaire d'égalité entre toutes les options représente un processus de
longue durée, encore inachevé. (§ 3.1)
Commentaire : séparées de l'État,
la vraie religion et les fausses, baptisées "options", sont placées,
en principe, sur un pied de stricte égalité. Égalité scandaleuse qui n'est pas
encore réalisée totalement en France (la religion catholique y bénéficiant
encore de certains privilèges) mais qui constitue "un objectif
prioritaire".
Voici
une proposition de
Textes du rapport
C'est
pourquoi la commission propose d'insérer dans un texte de loi portant sur la
laïcité la disposition suivante : «Dans
le respect de la liberté de conscience et
du caractère propre des établissements privés sous contrat, sont
interdits dans les écoles, collèges et lycées les tenues et signes manifestant
une appartenance religieuse ou politique. Toute sanction est proportionnée et
prise après que l'élève a été invité à se conformer à ses obligations».
Cette
disposition serait inséparable de l'exposé des motifs suivants : «Les tenues et signes religieux interdits
sont les signes ostensibles, tels que grande croix, voile ou kippa» (§ 4.2.1)
- Troisième corollaire : la
neutralité de la vie sociale (en dehors
du domaine politique)
Texte du rapport :
L'État
laïque, garant de la liberté de conscience, outre la liberté de culte ou
d'expression, protège l'individu.
(...).
Il
protège chacune et chacun contre toute pression, physique ou morale, exercée
sous couvert de telle ou telle prescription spirituelle ou religieuse.
La
défense de la liberté de conscience individuelle contre tout prosélytisme vient
aujourd'hui compléter les notions de séparation et de neutralité centrales dans
la loi de 1905. (§ 1.2.3)
Commentaire
La liberté de conscience (au sens libéral,
celle dont il est question ici) se définit ainsi :
Le
prétendu droit :
a.) de
penser et de croire ce qu'on veut, même en religion et en morale;
b.) de
répandre à son gré ses opinions dans la foule par la parole ou par la presse ou
par tout autre moyen. (28)
Dans
cette définition sont distinguées la liberté de conscience au for interne
(ligne a.) et la liberté de conscience au for externe (ligne b.)
L'exercice
de la liberté de conscience au for externe (la seule dont l'État puisse s'occuper)
comporte nécessairement une certaine dose de propagande, de prosélytisme. (29)
Le §
1.2.3. précité du rapport Stasi, où il est question de «défendre la liberté de conscience contre tout prosélytisme» présente de ce fait une contradiction.
Bienheureuse contradiction qui permettra à l'État (si
les idées du rapport Stasi se traduisent un jour en loi) de jouer sur
l'un ou l'autre des termes de la contradiction. Au nom de la liberté de
conscience garantie par
l'État laïque, on permettra
aux homosexuels de propager leurs idées sans restriction aucune. Au nom
de la défense des citoyens contre tout prosélytisme, on pourra interdire toute
forme de propagande catholique.
• Un
élément nouveau : l'apparition officielle
de la laïcité
radicale
Rappelons
deux passages déjà cités du rapport Stasi :
§ 1.2.1 - La laïcité est incompatible avec
toute conception de la religion qui souhaiterait régenter, au nom des principes
supposés de celle-ci, le système social ou
l'ordre
(souligné par nous).
§ 1.2.3 - La défense de la liberté de
conscience individuelle contre tout prosélytisme vient aujourd'hui compléter
les notions de séparation et de neutralité centrales dans la loi de 1905.
Ces
deux passages marquent un début de passage de la laïcité limitée (neutralité de
l'État) à la laïcité radicale (neutralité de l'État et du "système social").
Les
considérations sur la neutralité dans les entreprises (§ 4.2.3) se rattachent à
cette nouvelle orientation.
Mais
n'allons pas trop vite! Après avoir affiché (de façon atténuée) le principe de
laïcité, le rapport Stasi apporte un accommodement en laissant une porte
ouverte à une «capacité d'expression publique» de la religion :
Dans le
cadre laïque, les choix spirituels ou religieux relèvent de la liberté
individuelle : cela ne signifie pas pour autant que ces questions soient
confinées à l'intimité de la conscience, «privatisées», et que leur soient
déniées toute dimension sociale ou capacité d'expression publique. La laïcité
distingue la libre expression spirituelle
ou religieuse dans l'espace public, légitime et essentielle au débat
démocratique, de l'emprise sur
celui-ci, qui est illégitime. Les représentants des différentes options
spirituelles sont fondés à intervenir à ce titre dans le débat public, comme
toute composante de la société (§ 1.2.1.( souligné par nous).
Subtile
distinction entre «libre expression dans
l'espace public» et «emprise sur le
débat démocratique». Il suffira
qu'une libre expression soit considérée comme emprise pour être interdite...
En
définitive, retenons que, lorsqu'on parle de laïcité, il
faudra désormais distinguer deux étapes dans sa mise en oeuvre :
- la
première (codifiée en 1905) se traduit par la neutralité de l'ordre politique;
nous l'avons appelée laïcité limitée.
- la
seconde (introduite aujourd'hui) se traduit par la neutralité de l'ordre
politique et du "système social"; nous l'avons appelée laïcité
radicale.
• Impression générale sur le rapport Stasi
Le
rapport définit clairement ce que l'État français entend par laïcité.
Il
paraît particulièrement nocif sur quatre points :
- le mépris souverain avec lequel il traite
la religion catholique qualifiée d'option et à laquelle il ne concède même pas
le minimum de considération justifié par son rôle dans l'histoire de France;
-
l"objectif prioritaire" de
rendre égales toutes les options, autrement dit toutes les religions; ce qui
pourrait conduire, à court terme, à supprimer une partie des privilèges dont
bénéficie encore chez nous la religion catholique (par exemple : jours fériés,
statut de l'Alsace-Lorraine) et à donner de nouveaux privilèges à l'islam.
- la
"défense de la liberté de
conscience individuelle contre tout prosélytisme", formule ambiguë se
prêtant à une exploitation totalitaire.
-
l'introduction officielle de la laïcité
radicale.
V
- LE DISCOURS
DE JACQUES CHIRAC
DU
17 DÉCEMBRE 2003
Ayant
reçu le rapport Stasi le 11 décembre, Jacques Chirac prononça le 17 du même
mois un discours «relatif au respect du
principe de laïcité dans
C'est
avec une certaine solennité qu'a été ainsi réaffirmé, par le Président de
Insistons
sur une phrase de ce discours : «C'est la
neutralité de l'espace public qui permet la coexistence harmonieuse des
différentes religions». Il ne s'agit
plus seulement de la neutralité de l'État mais de la neutralité de tout ce qui
est public, de ce que le rapport Stasi appelle «l'ordre politique et le système social».
Par
cette phrase confirmant le rapport Stasi, Jacques Chirac amorce le passage à la
laïcité radicale.
VI - LES RÉACTIONS ÉPISCOPALES
Voici
trois réactions qui ont été rendues publiques le lendemain du discours de
Jacques Chirac :
Texte de Mgr Stanislas Lalanne, secrétaire général de
Après
les débats et les diverses prises de position qui ont eu lieu ces dernières
semaines, nous avons entendu un discours plus mesuré qui situe les grands
enjeux et les défis du vivre ensemble. L'Église catholique peut apporter sa
contribution. Plus qu'un principe, la laïcité est une pratique en vue d'assurer
la liberté des cultes et l'expression sociale des religions.
(Le Figaro, 18 décembre 2003).
Texte de Mgr Ricard, président de la conférence des évêques de
France. Extrait de son communiqué du 18 décembre faisant suite au discours de
Jacques Chirac (source : Zenit) :
Le
projet de société pour
Le code
de la laïcité, prévu par le Président de
L'État
est laïc. Cette neutralité en matière religieuse est l'un des fondements de la
démocratie moderne. Elle s'accompagne d'une vigilance pour assurer la liberté
de conscience et pour garantir le libre exercice des cultes. Cette vigilance va
plus loin que le simple fait de permettre à chacun d'exprimer et de pratiquer
sa foi. Elle implique la prise en compte de la dimension sociale et
institutionnelle des religions dans la société. Il est de la responsabilité de
l'État d'assurer "le même respect, la même considération à toutes les
grandes familles spirituelles". Il le fera en tenant compte de la
diversité de ces familles religieuses qui n'ont pas toutes la même histoire, la
même conception de Dieu, de l'homme et de la femme, la même façon de vivre les
rapports entre les lois religieuses et les lois de la société. Il ne saurait y avoir
un traitement indifférencié du "religieux", pas plus d'ailleurs qu'un
front commun de défense des religions.
Texte de Mgr Joseph Doré, archevêque de Strasbourg (extrait de sa
déclaration)
Je suis
heureux que le président de
La
laïcité telle qu'elle est présentée par Jacques Chirac et le rapport Stasi,
semble acceptée comme chose normale dans l'une ou l'autre de ces déclarations.
A noter
cependant que Mgr Ricard, dans une déclaration à la récente assemblée de
l'Épiscopat à Lourdes, a condamné la laïcité radicale en affirmant : «Si l'État est laïque, la société civile,
elle, ne l'est pas» (l'expression
"société civile" étant prise au sens courant aujourd'hui : la
société dans ses activités non politiques - Cf. Présent du 13 novembre
2003).
En
revanche, le communiqué du 17 décembre 2003 de Mgr Brincard, évêque du Puy, publié sur
son site internet, souligne la nocivité du rapport Stasi. En voici la
conclusion :
Enfin,
je tiens à dire ceci : si les principales conclusions du rapport Stasi devaient
être entérinées par l'autorité législative de notre pays, une nouvelle étape
serait franchie, celle d'une progressive mise hors la loi de la
tradition chrétienne qui contribue aujourd'hui, comme elle l'a fait, au cours
des siècles écoulés, à la vraie grandeur de
VII - LAÏCITÉ ET LIBERTÉ RELIGIEUSE
Comment expliquer que l'épiscopat français qui, en
1925 en particulier, avait réagi vigoureusement contre la laïcité, semble,
depuis quarante ans, l'accepter de plus en plus facilement (cf. textes
ci-dessus )?
Y
aurait-il une explication doctrinale à une telle acceptation?
Sur le
tableau ci-contre ont été comparées, sur huit points importants, la doctrine
traditionnelle des rapports Église-État (31), la doctrine conciliaire sur la
liberté religieuse (telle qu'elle a été interprétée et appliquée depuis le
Concile Vatican II) (32) et la théorie de la laïcité (33).
On
constate une opposition très nette entre laïcité radicale et doctrine
conciliaire (dans son interprétation post-conciliaire) : elles s'opposent sur
tous les points évoqués sauf les points 3 et 6.
On
constate une grande parenté entre laïcité limitée et doctrine conciliaire (dans
son interprétation post-conciliaire) : elles sont identiques sur tous les
points évoqués, sauf les points 4 et 8; et leurs mises en pratique aboutissent
au même résultat.
---------------------------------------------------------------------------------------------
Doctrine traditionnelle Doctrine conciliaire Laïcité dans son
application
post-conciliaire
---------------------------------------------------------------------------------------------
1 La liberté de
conscience - Oui pour la vraie Oui - Laïcité limitée: oui
au for externe et la liber-
religion
té des cultes doivent- - Non pour les faus- -
Laïcité radicale: non
elles être
autorisées? ses (avec possibi-
lité
de tolérance)
_____________---------------------------------------
2 L'État est-il compé- Oui Non
- Laïcité limitée: non
tent pour réprimer
(l'ordre public -
Laïcité radicale: oui
le culte public d'
juste étant sauf)
une fausse religion? ______
3 L'État peut-il légitime-
ment établir des discrimi- Oui Non Non
nations entre citoyens
pour motif religieux? _________________________________________________
4 Devoirs de l'État en- - Hommage pu-
- Devoirs ni réaf-
vers la vraie religion blic de l'État firmés ni niés
-
Inspiration chré- - La règle de non- Aucun
tienne de la lé-
discrimination
gislation
pour motif reli-
-
Protection de gieux en rend
l'e-
l'Église xercice pratique-
ment impossible _______
5 Coexistence entre Fausses religions Liberté de culte -
Laïcité limitée: li-
vraie et
fausses reli- exclues de la
cité, pour toutes les berté de culte pour
gions sauf si la
prudence religions, l'ordre toutes les religions
politique justifie une
public étant sauf -
Laïcité radicale :
certaine
tolérance
neutralité de l'es-
pace public ______
6 Neutralité de l'État et
Non Oui Oui
des services publics _______
7 Neutralité de l'espace - Laïcité limitée: non
public (au-delà de l'É-
Non
Non (34) - Laïcité radicale: oui
tat et de ses services) _________________________________________________
8 Royauté sociale de Fondement de
Rendue pratique- Niée
Notre Seigneur J.C.
l'ordre social ment irréalisable
------------------------------------------------------------------------
On
comprend que des évêques, adhérant à cette doctrine conciliaire, acceptent la
laïcité limitée (35) et puissent élever une protestation contre la laïcité radicale
(36).
CONCLUSION
•
Résumons deux points essentiels qui
caractérisent le rapport Stasi et le discours de Jacques Chirac :
On
trouve dans ces textes un mépris souverain pour la vérité (la religion catholique, la seule vraie, est considérée
comme une option) et pour l'histoire
(l'identité catholique de
L'avantage
- le seul - du rapport Stasi et du discours de Jacques Chirac est d'avoir
clarifié les idées sur la laïcité : ce qu'elle est et comment progresse sa mise
en application. «Plus on emploie ce terme
(de laïcité), moins on sait de quoi on parle»,
disait récemment Emile Poulat (38). Ce n'est plus vrai aujourd’hui.
•
• Cette
laïcité est maçonnique dans son essence,
comme le reconnaissait en juin
Engagé,
dans la deuxième moitié du XIXème siècle, dans un combat contre tous les
despotismes, politiques ou religieux, l'ordre maçonnique s'identifiera, en
France et dans tous les pays d'Europe sur qui s'étendra son influence, au
combat pour l'établissement des libertés publiques et de la laïcité. Ce sont
encore de nos jours les valeurs fondamentales de
• En matière d'application, nous passons
d'une première étape (neutralité de l'État et des services publics) à une
deuxième («neutralité
de l'espace public» selon la formule de Jacques Chirac). Évolution progressive : nos
adversaires ne manquent pas de prudence politique et ne brûlent pas les étapes.
Mais la laïcité progresse; et la franc-maçonnerie triomphe.
• Que
les francs-maçons et les hommes politiques qu'ils inspirent fasse progresser la
laïcité, la chose est normale. Ce qui l'est moins, c'est l'acceptation de la
laïcité limitée par les autorités religieuses et la faiblesse de réaction
contre la laïcité radicale :
L'Église
catholique accepte ouvertement les valeurs de
• La laïcité est une question politique; elle
est donc, au premier chef, une affaire de laïcs.
Que
peuvent faire les laïcs dans un pays comme le nôtre, qui reste majoritairement
d'appartenance catholique? (41). En attendant une étude sur ce sujet, voici
trois indications :
- Avoir recours à la prière : la menace
étant d'ordre satanique, les moyens surnaturels doivent être mis en oeuvre en
priorité. C'est à ce titre qu'a été reproduite dans le n°170 (décembre 2003) de
l'AFS (p. 5), la très belle prière à Notre-Dame des Anges qui fut dictée par
-
Connaître les doctrines en cause : la doctrine traditionnelle sur les rapports
entre l'Église et l'État, la doctrine
conciliaire sur la liberté religieuse (telle qu'elle a été interprétée et
appliquée dans la période postconciliaire), l'idéologie maçonnique de la
laïcité. La nocivité de la doctrine conciliaire doit être bien comprise : elle
désarme les catholiques, car elle s'apparente étonnamment à la laïcité limitée.
- Ce qui conduit à retrouver le sens de la doctrine (pour ceux chez qui il se serait
atténué); la doctrine ne change pas et n'est jamais caduque (42). Car, comme
l'a remarqué Bossuet, dans un texte fréquemment cité :
Lorsqu'il
s'agit d'expliquer les principes de la morale chrétienne et les dogmes
essentiels de l'Église, tout ce qui ne paraît point dans la tradition de tous
les siècles et principalement dans l'antiquité, est dès là non seulement
suspect, mais mauvais et condamnable; et c'est le principal fondement sur
lequel tous les saints Pères - et les papes plus que les autres - ont condamné
les fausses doctrines, n'y ayant jamais eu rien de plus odieux à l'Église
romaine que les nouveautés. (43)
- Réaffirmer
----------------------------------------------
(3)
Voici le texte contenant cette expression :
"Que vos cités soient une partie vivante de l'Église. Il y a des gens, en
Italie, qui s'agitent parce qu'il craignent que le christianisme enlève à César
ce qui est à César. Comme si donner à César ce qui lui appartient n'était pas
un commandement de Jésus; comme si la légitime et saine laïcité de l'État
n'était pas un des principes de la doctrine catholique; comme si ce n'était pas
une tradition de l'Église, de s'efforcer continuellement à maintenir distincts,
mais aussi toujours unis, selon les justes principes, les deux Pouvoirs; comme
si, au contraire, le mélange entre le sacré et le profane ne s'était pas plus
fortement vérifié dans l'histoire quand une portion de fidèles s'était détachée
de l'Église" (Allocution à
A notre connaissance, c'est la seule fois
où cette expression a été utilisée dans un texte pontifical.
(4)
Voir un résumé de cette doctrine page 13 ci-dessous.
(5) Ferdinand Buisson, La foi laïque; cité par Paul
Courcoural, La fin de la querelle.
Ferdinand
Buisson (1841-1932), protestant, fut l'un des pères de l'école laïque; il
dirigea l'enseignement primaire de 1880 à 1896 sous vingt-sept ministres
successifs.
(6) La
constitution de
(7)
Nous continuons à ne parler ici que de la laïcité au sens habituel du mot,
celle qui fut qualifiée de malsaine (par opposition à la "saine laïcité de
l'État" définie par Pie XII).
(8)
Expression de Jacques Chirac dans son discours du 17 décembre 2003.
(9)
Cette distinction entre ce que nous appelons "laïcité limitée" et
"laïcité radicale" (caractérisant deux étapes dans le progrès de la
laïcité) est ainsi présentée par Claude Polin dans le chapitre «La laïcité est-elle une neutralité?» du livre collectif Christia-nisme et laïcité (Éd.
Certitudes, 2000): «La même dynamique qui
portait la laïcité à contester le catholicisme après avoir prétendu protéger
toutes les religions doit encore la porter à se faire laïcisme, c'est-à-dire à
combattre franchement toute foi religieuse : y étant inscrite dès l'origine,
pourquoi aurait-elle cessé de tendre vers sa fin naturelle? Vouloir la laïcité
de la société, quand ce serait au nom de la liberté de la foi, c'est en réalité
ôter tout droit de cité à proprement parler à toute religion. Un point c'est
tout.»
(10) Cité par Michel Creuzet dans le livre Enseignement-Éducation, p.12, édit.CLC.
(11) Prosper Barthélémy Enfantin (1796-1864), ingénieur et socialiste français, princi-pal propagateur de l'école socialiste
saint-simonienne qui prit l'allure d'une véritable religion.
(12)
Texte du 7 septembre 1862 cité par Charles Maurras, La démocratie religieuse, p.480.
Proudhon (1796-1864) fut socialiste et hostile à la lutte des classes. Sur
l'intérêt de certaines de ses idées et constatations, voir le chapitre «Proudhon»
du livre précité de Charles Maurras.
(13)
René Viviani (1863-1925). Dirigeant du parti socialiste. Premier titulaire du
Ministère du Travail (1906). Ministre de l'Instruction publique, Président du
Conseil.
(14)
Cité par E. Barbier, Histoire du
catholicisme libéral et social, t.V,
p.117.
(15) J.Andrieu, membre du CNAL (Comité
national d'action laïque) fut, dans les années 80, président de
(16)
Cité par Michel Creuzet, «Laïcisme
cléricalisme et action des catholiques dans la cité», p.134 et dans Documents Épiscopat, n°1,
janvier 1989.
(17)
Pour un exposé plus complet, voir la brochure AFS Politique et Religion
(18) Une société spirituelle ou temporelle
est dite "parfaite" quand elle dispose par elle-même des moyens
nécessaires pour atteindre sa fin. Selon cette définition, seule l'Église et
l'État peuvent être dits "sociétés parfaites".
(19) Jean Ousset, Mission politique des laïcs.
(20) Oeuvres,
t.VI, p.434.
(21) Déclaration de l'Assemblée des cardinaux
et archevêques de France, 10 mars 1925, extraits. Cité par Michel Creuzet,
op.cit., p.133.
(22)
Cf. la brochure AFS «La liberté
religieuse trente ans après Vatican II»;
bon de commande en dernière page.
(23) C'est ainsi
que nombre de catholiques ont adopté une attitude irréaliste à l'égard des
adeptes de la religion de l'homme, francs-maçons, socialistes... Ils n'ont vu
chez eux que des personnes libérales et bienveillantes et non plus des ennemis
de l'Église.
(24) Mgr Etchegaray reconnaît que le concile Vatican II, par sa
déclaration sur la liberté religieuse, a discrédité la notion d'État chrétien
et pris ainsi le contre-pied de la doctrine traditionnelle sur l'État, si
magnifiquement réaffirmée par tous les papes, de Pie IX à Pie XII.
(25) On constate en effet que l'État prétendu
neutre est soumis au pouvoir spirituel des francs-maçons. Cf. la brochure AFS Connaissance élémentaire de la
franc-maçonnerie.
.
(26) «Bernard
Stasi est médiateur de
(27)
Texte sur internet à l'adresse :
http://lesrapports.ladocumentationfrançaise.fr/BRP/03400725.
(28) Henri Hello, Les libertés modernes d'après les encycliques, p.13
(29) Prosélytisme : «zèle déployé pour répandre la foi, et, par extension, pour faire des
prosélytes, recruter des adeptes» (Dictionnaire
Le Robert). Normalement, le mot ne comporte aucune connotation négative.
(30)
http://catholique.lepuy.cef.fr/evek/index.htm
Texte
publié intégralement dans "
(31)
Cf. la brochure AFS Politique et
religion.
(32)
Cette doctrine peut être ainsi résumée : «Il
est normal que devant les lois de l'État toutes les religions aient les mêmes
droits et soient soumises aux mêmes obligations. L'État doit accorder un statut
socio-politique égal à toutes les religions, qui corresponde à toute l'ampleur
de ce droit fondamental de l'homme» (Cardinal Jérôme Hamer, interview
donnée au journal 30 Jours (janvier 1993). Cf. la brochure AFS La liberté religieuse trente ans après
Vatican II.
(33)
Cf. la brochure AFS Une nouvelle religion
: la laïcité
(34)
Cf. Jean-Paul II (15 juin 1993): «Ce qui
est inacceptable, c'est la prétention de
réduire la religion au domaine strictement privé»; voir aussi la déclaration de Mgr Ricard, à
Lourdes, citée page 27 ci-dessus, en bas de page : «Si l'État est laïque...».
-(35)
Cf. le texte de Mgr Pierre Eyt, p. 20 ci-dessus.
(36)
Cf. la remarque de Mgr Ricard et le texte de Mgr Brincard cités p.27-28
ci-dessus.
(37)
Quand il laisse entendre que la diversité des croyances est au coeur de notre
identité et qu'il met en parallèle 2000 ans de christianisme et 2000 ans
d'enracinement juif en France...
(38)
(39)
Article «1728-2003 - 275 ans de
maçonnerie française» publié en juin
2003 sur le site www.fm.org de l'Institut maçonnique de France. Cf. l'éditorial
du N°168 (août 2003) de l'AFS «
(40) Jean Madiran, La laïcité selon Stasi, Présent,
13 décembre 2003.
(41)
D'après l'Annuaire statistique de l'Église pour l'année 2001 (édité par le
Saint-Siège en 2003), la population habitant en France comptait, en cette
année, 46 434 000 baptisés catholiques sur un total de 59 190 000 habitants,
soit une proportion de 78,5% de baptisés catholiques.