Lettre
de Mgr Benelli à Mgr Lefebvre - 21
Avril 1976
Mgr Benelli,
avec le titre de « substitut » à la secrétairerie d'Etat du Vatican, en
est le personnage le plus considérable après le cardinal Villot.
Sa lettre
est importante parce qu'elle précise pour la première fois par écrit les
conditions réelles de la soumission que l'on veut imposer à Mgr Lefebvre.
Un point
tout à fait capital est celui que souligne notre note 1.
Monseigneur,
II y a maintenant un mois que nous nous sommes rencontrés. En vous présentant
mes vœux à l'occasion des fêtes pascales, je voudrais vous redire combien je
suis heureux de ce que notre rencontre se soit déroulée dans la clarté, et
aussi combien se fait chaque jour plus vive l'attente de votre retour à cette
communion effective avec le Pape Paul VI, que la célébration de la Résurrection
demande et que cet entretien avait laissé espérer.
Vous vous souvenez certainement, en effet, de la démarche envisagée comme la plus propre pour parvenir à cet heureux résultat. Après avoir réfléchi, seul devant Dieu, vous écrivez au Saint-Père pour lui dire votre acceptation du Concile Vatican II et de tous ses documents, affirmer votre plein attachement à la personne de Sa Sainteté Paul VI et à la totalité de son enseignement (1), en vous engageant, comme preuve concrète de votre soumission au Successeur de Pierre, à adopter et à faire adopter dans les maisons qui dépendent de vous, le Missel qu'il a lui-même promulgué en vertu de sa suprême autorité apostolique .
Comment ne comprendrais-je pas ce qu'une telle démarche peut avoir de coûteux ? Peut-être cela explique-t-il que vous hésitiez encore à franchir le pas. Peut-il cependant exister une autre voie ? Je m'adresse à vous comme un frère, avec espoir et confiance : ce pas est possible ; il faut le faire pour le bien de toute l'Eglise et de ceux qui nous regardent de l'extérieur, et je désire tout faire pour vous y aider.
Nous avons fêté Pâques il y a quelques jours. Le Christ Sauveur indique la route. Pour s'unir à Lui, il n'y a pas d'autre chemin que de tout remettre entre ses mains.
Je prie de tout cœur afin que vous y parveniez, et que vous procuriez ainsi, à son Vicaire sur la terre, la joie profonde qu'il attend avec impatience.
Croyez, Monseigneur, à mes sentiments fraternellement dévoués.
(1) Un pape qui veut ainsi
imposer un plein attachement à la totalité de son propre enseignement,
cela fait doublement difficulté. 1 ° Comme on le sait ou comme on devrait le
savoir, la totalité de l'enseignement d'un pape (surtout quand il s'agit d'un
pape moderne, parlant beaucoup et souvent) n'engage pas l'autorité pontificale
au même degré dans toutes ses parties ; il arrive même que cette autorité ne
soit pas du tout engagée, lorsqu'il parle comme docteur privé. Le plein attachement
à la totalité de l'enseignement est une requête exorbitante ; c'est une forme
de soumission inconditionnelle. Première anomalie, donc, et majeure. 2° Seconde
anomalie, non moins majeure : il s'agit uniquement de l'enseignement de
Paul VI tout seul ; de son enseignement personnel. Un chef d'école peut ainsi
parler. Un pape ne parle pas ainsi. Tous les documents pontificaux antérieurs à
Paul VI l'attestent : ils se référent constamment aux enseignements des
prédécesseurs, ils les confirment, les réitèrent, les développent, les
appliquent, et jamais ne cherchent à s'en distinguer individuellement.
Supposera-t-on ici une balourdise de Mgr Benelli ? Non pas. Il
reproduit fidèlement la pensée de Paul VI. Car c'est la même pensée que Paul VI
exprime lui-mëme dans son discours consistorial du 24 mai 1976, marquant
nettement que son propre enseignement a une individualité distincte :
« Personne, pensons-nous, ne saurait avoir de doute sur le sens des
orientations et des encouragements que, au cours de notre pontificat, nous
avons donnés aux pasteurs et au peuple de Dieu, et même au monde entier. Nous
sommes reconnaissant à ceux qui ont pris comme programme ces enseignements
donnés dans une intention qui était toujours soutenue par une vive espérance,
etc. » Là où tous ses prédécesseurs parlaient de l'enseignement des papes,
du Saint-Siège ou de l'Eglise, Paul VI parle de son enseignement
personnel. De même que Vatican II nous est présenté comme « le » concile,
abstraction faite des conciles antérieurs, de même Paul VI présente son enseignement
de manière séparée, particulière : tel qu'on puisse isolément le prendre comme
programme ; et il exprime sa reconnaissance à ceux qui l'ont fait. A ceux qui
ne l'ont pas fait, il veut l'imposer : la phrase de Mgr Benelli sur le plein
attachement à la totalité de l'enseignement de Paul VI est en parfaite
cohérence avec le passage cité du discours consistorial.