Lettre
de Mgr Lefebvre – 17 avril 1985
Eminence,
Dans votre dernière réponse,
datant du 20.7.83, vous envisagez la possibilité de changer les termes de la
Déclaration proposée dans votre lettre du 23 décembre 1982 et éventuellement
d'ajouter à la nouvelle déclaration des suggestions.
La réponse suivante correspond
à cette proposition. Toutefois il me paraît indispensable de ne pas isoler la
Déclaration des remarques qui la suivent, afin de la concrétiser et ainsi de
comprendre notre attitude qui n'a rien d'une dissidence ou d'une rébellion,
mais qui est le fait d'un attachement indéfectible au Magistère de l'Eglise,
qui nous apparaît mis en échec par certains documents conciliaires. C'est
d'ailleurs ce qui a provoqué la « Lettre ouverte » de Monseigneur Antonio
de Castro Mayer et de moi-même du 21 novembre 1983.
Voici donc la Déclaration
projetée :
« Nous avons toujours
accepté et déclarons accepter les textes du Concile selon le critère de la
Tradition c'est à dire selon le Magistère traditionnel de l'Eglise. Nous
n'avons jamais affirmé et n'affirmons pas que le Nouvel Ordo Missae, célébré
selon le rite indiqué dans la publication romaine, est de soi invalide ou
hérétique ».
Qu'on nous permette quelques
remarques découlant de cette Déclaration ou l'explicitant :
1° - Estimant que la
Déclaration sur la Liberté Religieuse est contraire au Magistère de l'Eglise,
nous demandons une révision totale de ce texte.
Nous estimons également
indispensables des révisions notables des documents comme : « L'Eglise dans
le monde », « Les religions non chrétiennes »,
« L'œcuménisme »,, et des clarifications dans de nombreux textes qui
prêtent à confusion.
De même en plusieurs points de
première importance le nouveau Code de Droit canon est inacceptable par son
opposition au Magistère définitif de l'Eglise.
2° - Estimant que la
Réforme liturgique a été influencée par l’œcuménisme avec les Protestants, et
de ce fait est un danger très grave pour la foi catholique, nous demandons que
cette Réforme soit entièrement révisée et remette explicitement en honneur les
dogmes catholiques, selon le modèle de la Messe de toujours.
3° - Devant les progrès
immenses du communisme et du socialisme athées, destructeurs de toutes les
valeurs humaines et chrétiennes, nous demandons avec instance que ces doctrines et ces entreprises
diaboliques soient condamnées publiquement et que soient encouragés les états
catholiques à reconnaître comme seule religion officielle la religion
catholique avec toutes les conséquences salutaires de cette déclaration dans
leur Constitution.
Et dans le but de mettre un
terme à cet assaut infernal, ne conviendrait-il pas d'obtempérer au désir
explicite de la Vierge Marie à Fatima, de consacrer nommément la Russie à son
Cœur Immaculé?
D'autre part, persuadés que
nous rendons un service insigne à l'Eglise et au Successeur de Pierre, par le
maintien de la Tradition doctrinale, pastorale, liturgique de l'Eglise, nous
pensons que ce service serait encore plus efficace, s'il s'accomplissait dans
les conditions suivantes
1° - que nous soit rendue
la reconnaissance officielle qui fut la nôtre de 1970 à 1975 et que la
Fraternité soit reconnue de Droit Pontifical, étant donné son implantation dans
de nombreux diocèses du monde.
2° - que par le fait même
de la reconnaissance, il ne soit plus fait allusion aux sanctions.
3° - que l'usage des
quatre livres liturgiques édités à nouveau par le Pape Jean XXIII nous
soit reconnu.
4° - que pour me remplacer dans mes fonctions épiscopales dans la Fraternité et ses Œuvres, dispersées dans le monde, le Supérieur Général puisse proposer des « Ternae » (1) pour la nomination de deux ou trois Evêques, dès à présent.
5° - que la Fraternité
s'efforcera de répondre à l'appel des Evêques qui apprécient l'apostolat de ses
membres.
Dans l'espoir que cette lettre
sera considérée comme une nouvelle approche pour une heureuse solution, je vous
prie, Eminence, d'agréer mes sentiments très respectueux et fraternels in
Christo et Maria.
Marcel Lefebvre
note 1 - L'expression « ternae » sert à désigner
la « recommandation » ou proposition de trois candidats (choisis en
général parmi des prêtres jugés aptes à l'épiscopat) et que l'on transmet à
Rome pour la désignation d'un évêque diocésain, auxiliaire...
***
Réponse du cardinal Ratzinger – 29 mai 1985
Excellence,
Monseigneur le Nonce Apostolique en Suisse m'a bien fait parvenir votre lettre datée du 17 avril dernier. Je vous en remercie. J'en ai pris connaissance avec la plus grande attention, la considérant comme le prolongement de notre entretien du 20 janvier 1985.
Dans la dernière partie de
cette lettre, vous présentez cinq propositions concrètes pour régulariser la
situation canonique de la Fraternité Saint Pie X. I1 s'agir là assurément d'un
objectif souhaitable et diverses fois envisagé dans le passé. Préalablement, il
serait bon que la situation présente (implantation des ma sons, catégories et
nombre des membres, etc.) soit mieux connue du Saint-Siège, et donc
souhaitable que vous puissiez me faire donner sur ce point des indications précises.
Mais cette régularisation
suppose aussi la condition préalable que vous connaissez bien, d'une
déclaration signée par vous-même et par les membres de votre Fraternité. Dans
votre lettre du 17 avril, page 1, vous en proposez une version extrêmement brève,
qui serait de soi acceptable, mais qui ne l'est malheureusement plus avec
l'adjonction des remarques de la page 2, qui selon vous en découlent et
l'explicitent.
En effet, le premier point déclare « accepter les textes du Concile selon le critère de la
Tradition, c'est-à-dire selon le Magistère traditionnel de
l'Eglise ». Mais les remarques demandent non seulement des révisions
notables de plusieurs documents conciliaires, mais encore une « révision
totale » de la Déclaration sur la liberté religieuse, considérée comme
« contraire au Magistère de l'Eglise ». Je ne puis ici que répéter ce
que je vous écrivais au nom du Saint-Père dans ma lettre du 20 juillet 1983
(page 3) : "vous pouvez exprimer le désir d'une déclaration ou d'un développement
explicatif sur tel ou tel point. Mais vous ne pouvez pas affirmer
l'incompatibilité des textes conciliaires - qui sont des textes
magistériels - avec le Magistère et la Tradition » (1). La même
chose vaut à propos de l'accusation nouvelle et particulièrement grave que vous
portez contre le nouveau Code de Droit Canonique publié dans la plénitude de
son autorité par le Pape Jean-Paul II. (2)
Dans le second point, vous
déclarez ne pas affirmer « que le Nouvel Ordo Missae, célébré selon le
rite indiqué dans la publication romaine, est de soi invalide ou
hérétique ». Néanmoins, votre seconde remarque maintient des accusations
considérables à l'égard de la Réforme liturgique, qui constituerait « un
danger très grave pour la foi catholique ». Là encore, je ne puis que vous
rappeler ce que je vous ai écrit dans la lettre déjà citée (p. 1 et 2), et
notamment ceci : « (...) l'expression du désir d'une nouvelle révision est
possible (...). Mais ceci à condition que la critique n'empêche pas et ne
détruise pas l'obéissance, et qu'elle ne mette pas en discussion la légitimité
de la liturgie de l'Eglise ». (3)
Excellence, j'aurais souhaité
pouvoir vous donner dès maintenant, et de la part du Souverain Pontife, une
réponse plus favorable et envisager sans plus de retard, la mise en œuvre d'un
processus de régularisation bien des fois évoqué entre nous oralement et par
écrit. Avec regret, je constate que ce n'est pas encore possible. En
conscience, je dois vous inviter à une réflexion ultérieure en présence du
Seigneur Jésus et de la Vierge Marie, Mère de l'Eglise.
Soyez du moins assuré qu'à
cette intention toute spéciale, j'unis ma prière à la vôtre. Et veuillez agréer
l'expression de mes sentiments de religieux et très respectueux dévouement.
Joseph
Card. Ratzinger à S.E. Mgr. Marcel LEFEBVRE, Ancien Archevêque-Evêque de
TULLE
note 1 -
A supposer que les textes de Vatican II soient des actes magistériels, trois
faits restent indéniables.
1 - A la différence de tous les conciles oecuméniques antérieurs, Vatican Il s'est voulu « concile pastoral » et n'a défini aucun point de doctrine au sens de définition irréformable et infaillible, par conséquent les documents de ce concile relèvent tout au plus du magistère ordinaire de l'Eglise, dans lequel il n'est pas exclu de rencontrer des erreurs.
2 - La déclaration sur la
liberté religieuse (ce n'est pas une opinion privée mais une évidence
objective) est en opposition avec la doctrine catholique sur le devoir de
l'Etat de confesser la vraie religion et de lui accorder une protection spéciale,
et sur le comportement de l'Etat vis-à-vis des autres religions,
qu'il peut tolérer dans certaines circonstances, mais auxquelles il ne peut
accorder, par principe, aucun droit. L'application de "Dignitatis Humanae" conduit logiquement a la suppression des états catholiques et à la
séparation de l'Eglise et de l'Etat dans les pays même totalement catholiques,
c'est ce qui a été voulu, exécuté et loué, par principe, par le Pape Jean-Paul
II lors de la signature du nouveau concordat entre le Saint-Siège et
l'Italie.
3 - Vingt ans après
Vatican II, l'Eglise est réduite en ruines par ceux-là mêmes qui ont fait le
Concile.
note 2 - Pas plus que l'ancien, le nouveau code de Droit
canon n'est infaillible. Mais en opposition avec l'ancien code et avec la doctrine
et la morale catholiques, le nouveau code attribue le pouvoir suprême dans
l'Eglise, non seulement au Pape, mais encore aux évêques unis au Pape, sans
distinction de droit divin ou humain, ni de statut permanent ou temporaire
(can. 336), il introduit le concept de "peuple de Dieu" comme Super-Eglise
(can. 204§1), il permet à des hérétiques de recevoir la sainte communion des
mains d'un prêtre catholique (can. 8444) et il inverse les deux fins du mariage
(can. 1055).
note 3 -
Ce n'est pas nous, mais les Cardinaux Ottaviani et Bacci qui, le 3 septembre
1969, écrivaient au Pape Paul VI : « le Novus Ordo Missae (...)
s'éloigne de façon impressionnante, dans l'ensemble comme dans le détail, de la
théologie catholique de la sainte messe, telle qu'elle a été formulée à la XXIIème
Session du Concile de Trente... », et ils ajoutaient : « Toujours les
sujets pour le bien desquels est portée une loi ont eu le droit et plus que le
droit, le devoir, si la loi se révèle tout au contraire nocive, de demander au
législateur, avec une confiance filiale, son abrogation ». Nous ne disons
et demandons rien de plus.