L’Abbé Paul Aulagnier, qui n’a jamais
caché qu’il aurait aimé que la Fraternité Saint-Pie-X signât avec Rome un
accord destiné à la faire participer à part entière aux reconstructions à
venir, a adressé à Mgr Jean-Louis Tauran, Secrétaire des Rapports avec les
États à la Secrétairerie d’État, la lettre ouverte que nous publions ici.
L’Abbé Paul Aulagnier critique les fondements de la doctrine conciliaire de la
liberté religieuse et ses conséquences. C’est aussi pour lui l’occasion de
revendiquer une place officielle pour la critique franche et constructive des
doctrines conciliaires les plus funestes.
Lettre
ouverte
à
son
Excellence
Monseigneur
Tauran (bras droit du
pape)
Cher
Monseigneur,
A la fin du mois
de mai 2003, du 23 au 24 mai, à l’occasion du 40ième anniversaire de
l’Encyclique Pacem in terris, s’est
tenu à Rome, à l’Université Pontificale Grégorienne que vous connaissez bien
pour y avoir été étudiant, un Congrès ayant eu pour thème :
« L’Église et l’ordre international ». Vous y avez donné la
conférence de clôture. Cela vous revenait étant donné votre rôle important de
secrétaire pour les relations de l’Église avec les États.
Votre conférence
fut donc publique et fut suivie, vraisemblablement, d’un débat. C’est l’usage.
Si la Providence
avait conduit mes pas ce jour-là, à Rome, nul doute que je serais venu vous
entendre. Le sujet m’intéresse. Vous revoir, dans l’exercice de vos fonctions,
m’aurait plu puisque nous nous sommes connus à Santa Chiara, au séminaire
français. Vous étiez en licence de Théologie. Moi, en licence de Philosophie.
Le Concile Vatican II terminait ses travaux. Vous écoutez m’aurait
plu.Vraiment.
A défaut d’avoir
pu vous écouter, Monseigneur, je vous ai lu, dans L’Osservatore Romano, en langue française, du 10 juin 2003. J’ai pu
même tirer le texte de votre communication sur le site du Vatican. Votre texte
figure en bonne place. C’est bien normal vu vos fonctions. J’en ai fait une
analyse pour la Chronique romaine de mes amis d’ITEM, site catholique d’Entraide
et Tradition.
Puisque que je
n’ai pu participer, non plus au débat, vous accepterez certainement que je vous
pose quelques questions. Permettez que je le fasse de cette manière, dans cette
lettre ouverte, sur Internet.
Vous expliquez,
à votre auditoire, le rôle du Saint-Siège dans ses relations internationales,
les raisons de ce rôle et vous vous arrêtez longuement sur les thèmes
« politiques » qui retiennent actuellement son attention. Vous les
réunissez sous trois grandes rubriques. Vous attirez l’attention des États,
dans leurs actions politiques et sociales, sur la place centrale de la personne
humaine et de ses droits, sur l’importance de la paix entre les Nations qui ne
peut avoir pour fondement que le respect du droit et de la justice. Et vous
concluez votre intervention sur l’estime que l’Église porte à la démocratie.
Mon attention a
été, Monseigneur, plus particulièrement attirée par votre exposé sur les droits
de la personne humaine et sur l’estime que l’Église porte à la démocratie.
C’est sur ces deux sujets que je voudrais vous interroger. Poursuivre le débat,
en quelque sorte. Internet peut remplacer bien des tables rondes. Et c’est
moins coûteux que les voyages intercontinentaux.
A) sur le premier point : les droits de l’homme.
a)
leur
reconnaissance par l’Église.
Après un long et
bel exposé sur la défense du droit de la vie - droit de la vie que le
Saint-Siège défend avec une énergie merveilleuse - vous dites, Monseigneur:
« Vous connaissez bien l’insistance
avec laquelle le Saint-Siège a toujours défendu la liberté de conscience et de
religion….en tant que liberté de culte ».
Vous faites de
ce droit à la liberté de conscience, de religion et de culte, un droit naturel,
un droit dépendant de la nature humaine elle-même, à l’exemple du droit à la
vie, du droit à l’éducation, du droit au travail. Et parce que ces droits
dépendent de la nature humaine, nullement des États, vous en faites des droits
absolus, inaliénables et sacrés. Ainsi du droit à la liberté de conscience, de
religion et de culte. Et vous concluez votre exposé, Monseigneur, par cette
phrase :
« Pour résumer, on peut affirmer
que le Saint-Siège s’oppose à toute vision unidimensionnelle de l’homme et en
propose une conception ouverte à sa dimension individuelle, sociale et
transcendante ».
Ma question,
Monseigneur, est simple : est-ce que tout cela est vrai et juste ?
Êtes-vous bien
sur que l’Église ait toujours défendu le droit de la liberté de conscience, de
religion et de culte, comme droit naturel, absolu, inaliénable et sacré ?
Êtes-vous bien
sur, également, que le seul respect de la dimension individuelle, sociale et
transcendante de la personne humaine fonde absolument, sans autres
discernements et considérations, le droit à la liberté de conscience, de
religion et de culte ?
Je n’en suis pas
certain… Mais vous m’éclairerez !
Si je m’attarde
seulement à l’encyclique de Léon XIII, Libertas
praestantissimum, je vois, au contraire, qu’il semble condamner ce que vous
affirmez. Vous parlez, de plus, d’une manière absolue, sans nuance, là où Léon
XIII distingue et précise.
Vous me
demanderez certainement des preuves. Les voilà, Monseigneur.
Le Pape Léon
XIII condamne, dans cette encyclique Libertas,
la liberté des cultes. Il écrit : « La liberté des cultes, comme
on l’appelle, liberté qui repose sur ce principe qu’il est loisible à chacun de
professer telle religion qu’il lui plaît, ou même de n’en professer aucune.
Mais, tout au contraire, c’est bien là sans nul doute, parmi les devoirs de
l’homme, le plus grand et le plus saint, celui qui ordonne à l’homme de rendre
à Dieu un culte de piété et de religion. Et ce devoir n’est qu’une conséquence
de ce fait que nous sommes perpétuellement sous la dépendance de Dieu, et que,
sortis de lui, nous devons retourner à lui ».
Ce n’est pas,
Monseigneur, ce que l’on peut appeler une approbation.
Un peu plus
loin, Léon XIII condamnera également, la liberté de conscience. Mais, il
distinguera, ce que vous ne faites pas. Il écrit : « Une autre
liberté que l’on proclame aussi bien haut est celle qu’on nomme liberté de
conscience. Que si l’on entend par-là… Vous voyez, Monseigneur, que le pape
distingue. Que si l’on entend par-là que chacun peut indifféremment, à son gré,
rendre ou ne pas rendre un culte à Dieu, les arguments qui ont été donnés plus
haut suffisent à le réfuter ».
Ce n’est pas non
plus, Monseigneur, ce qu’on peut appeler une approbation !
Et s’il en est
ainsi, c’est que l’homme doit « nécessairement rester tout entier dans une
dépendance réelle et incessante à l’égard de Dieu et que, par conséquent, il
est absolument impossible de comprendre la liberté de l’homme sans la
soumission à Dieu et l’assujettissement à sa volonté. Nier cette souveraineté
de Dieu et refuser de s’y soumettre, ce n’est pas la liberté, c’est abus de la
liberté et révolte ».(Libertas)
Et le Pape de
conclure qu’il n’est « aucunement permis de demander, de défendre ou
d’accorder sans discernement la liberté de la pensée…et la liberté des
religions, comme autant de droits que la nature a conférés à l’homme. Si
vraiment la nature les avait conférés, on aurait le droit de se soustraire à la
souveraineté de Dieu, et nulle loi ne pourrait modérer la liberté
humaine ».
Vous voyez qu’il
n’est pas vrai de dire purement et simplement, Monseigneur, et d’une manière
absolue, que « le Saint-Siège ait toujours défendu la liberté de
conscience, de religion…en tant que liberté de culte ».
Mais il faut
distinguer.
C’est ce que
fait le Pape Léon XIII.
En effet, après
avoir réfuté la liberté de conscience comme profession d’indifférentisme
religieux, « chacun pouvant indifféremment, à son gré rendre ou ne pas
rendre un culte à Dieu, le Pape précise : si l’on entend liberté de
conscience « en ce sens que l’homme a dans l’État le droit de suivre, d’après
la conscience de son devoir, la volonté de Dieu, et d’accomplir ses préceptes
sans que rien puisse l’en empêcher » alors là, oui, Monseigneur, l’Église
approuve cette façon de voir les choses et elle soutient et argumente : «
Cette liberté, écrit Léon XIII, la vraie liberté, la liberté digne des enfants
de Dieu, qui protège si glorieusement la dignité de la personne humaine, est
au-dessus de toute violence et de toute oppression, elle a toujours été l’objet
des vœux de l’Église et de sa particulière affection. C’est cette liberté que
les Apôtres ont revendiquée avec tant de constance…. Et ils ont eu raison, car
la grande et la suprême puissance de Dieu sur les hommes et, d’autre part, le
grand et le suprême devoir des hommes envers Dieu trouvent l’un et l’autre dans
cette liberté chrétienne un éclatant témoignage ».
Qui ne voit,
Monseigneur, que cette liberté de conscience, ici expliquée par Léon XIII est
la liberté de conscience pour la vraie religion, pour le vrai et le bien.
Alors. Oui, le Saint-Siège à toujours défendu cette liberté de conscience,
cette liberté de la religion catholique, cette liberté de culte du au vrai
Dieu.
Mais,
Monseigneur, cela n’est pas explicité dans votre conférence. Vous parlez d’une
manière absolue, sans nuance, sans distinction. On peut comprendre, dans votre
exposé, que vous laissez et confessez le droit à la liberté pour toutes
religions, vraies ou fausses. C’est l’interprétation actuelle du Libéralisme
politique. Votre texte entretient l’équivoque. Pourtant vous savez bien que
l’Église « n’accorde de droit qu’à ce qui est vrai et honnête ».
Ils sont
nombreux, aujourd’hui, Monseigneur, ceux qui refusent une telle sentence.
Il faut donc
préciser. Ce que vous auriez du faire davantage devant votre auditoire.
Si, en effet,
l’Église n’accorde de droit qu’à ce qui est vrai et honnête et ne reconnaît pas
de liberté à l’erreur et au faux, elle ne s’oppose pas, cependant, à la
tolérance du mal et de l’erreur.
Vous savez la
doctrine, Monseigneur. : si l’Église n’accorde de droit qu’à ce qui est
honnête et ne reconnaît pas de liberté à l’erreur et au faux, elle accepte,
elle tolère, pourtant, le mal et l’erreur. Léon XIII le dit clairement. Les
États doivent imiter le gouvernement de Dieu qui « permet l’existence
de certains maux dans le monde » « pour ne pas empêcher des biens
plus grands » « ou pour empêcher de plus grands maux » Et
c’est ainsi que l’État peut tolérer le mal et laisser une certaine marge aux
erreurs, aux fausses religions. Mais faire cela, n’est pas approuver, ni
vouloir le mal en lui-même. Car le mal est opposé au bien commun que le
législateur doit vouloir et doit défendre du mieux qu’il peut.
Ainsi il est
clair que jamais l’Église « ne donne au bien et au mal les mêmes
droits ». De ce fait, elle n’a jamais pu défendre, purement et simplement,
ni toujours ni un jour, la liberté de conscience et de religion…en tant que
liberté de culte », comme votre conférence le laisse entendre
b) leur fondement
De plus,
Monseigneur, vous semblez vouloir fonder ce droit à la liberté de conscience,
de religion et de culte sur la seule dignité de la personne humaine. C’est ce
que je comprends quand je lis votre phrase conclusive : « Pour résumer (ce sujet des
droits de la liberté de conscience et
autres), on peut affirmer, dites-vous,
que le Saint-Siège s’oppose à toute vision unidimensionnelle de l’homme et en
propose une conception ouverte à sa dimension individuelle, sociale et
transcendante ».
Une philosophie réductrice de l’homme
Vous critiquez
ainsi à juste titre toute pensée philosophique et politique n’ayant de l’homme
qu’une vision unidimensionnelle. Qui ne vous donnerait raison. Vous refusez
toute philosophique « réductrice » de l’homme. L’homme n’est pas
qu’une unité de production. Et vous renvoyez dos à dos et le marxisme-léninisme
et le capitalisme libéral. L’homme n’est pas non plus que
« citoyen », il ne peut pas être seulement considéré comme « une
partie du tout qu’est l’État », oubliant sa dimension transcendante. Vous
refusez ainsi tout totalitarisme philosophique et politique, quelle que soit sa
justification. Vous le redirez en fin de conférence. Et c’est très bien.
Qui, vous dis-je, ne serait pas d’accord avec vous ? Vous exprimez, même,
joliment la doctrine de l’Église. L’Église a une autre perspective, une autre
vue de la personne humaine. Une vue autrement ouverte, ouverte à la totalité de
la personne humaine. L’Église considère la personne humaine dans toutes ses
dimensions. Elle va considérer son aspect individuel de personne, sui juris, son aspect social :
l’homme est un animal social et politique. Il fait parti d’une cité. Mais il
n’est pas non plus que cela : il a une dimension transcendante. Créature
de Dieu, il vient de Dieu pour retourner à Dieu. La personne humaine ne peut pas
être considérée uniquement dans l’ordre matériel. On ne peut ignorer son aspect
transcendant. Tout cela est très juste. Et vous l’exprimer clairement dans
votre phrase : « le Saint-Siège s’oppose à une conception
unidimensionnelle de l’homme et en propose une conception ouverte à sa
dimension individuelle, sociale, transcendante ».
Je suis d’accord
Dignité « ontologique » de la
personne humaine.
Mais là où je me
séparerais de vous - vous me direz si je me trompe- c’est lorsque vous voulez
faire de la dignité de la personne humaine, considérée dans ces trois
dimensions rappelées plus haut, c’est-à-dire individuelle, sociale et
transcendante, c’est-à-dire, considérée dans son aspect ontologique, le seul
fondement, le fondement absolu du droit à la liberté de conscience, de religion
et de culte.
On retrouve ici
dans votre exposé la doctrine de Dignitatis
humanae : les fameux article 2 et 3. Faut-il rappeler cette doctrine.
Une brève citation du paragraphe 2 y suffira :
« Le Concile de Vatican (…)déclare
en outre que le droit à la liberté religieuse a son fondement dans la dignité
même de la personne humaine. (…)En vertu de leur dignité, tous les hommes,
parce qu’ils sont des personnes, c’est à dire doués de raison et de volonté
libre (…). Ce n’est donc pas sur une disposition subjective de la personne,
mais sur sa nature même, qu’est fondé le droit à la liberté religieuse. C’est
pourquoi le droit à cette immunité persiste en ceux-là mêmes qui ne satisfont
pas à l’obligation de chercher la vérité et d’y adhérer ».(DH 2)
Voilà exprimée
votre pensée, celle où vous dites que l’Église, à la différence de toute
philosophie totalitaire, exprime « une conception ouverte à la dimension
individuelle, sociale et transcendante » de la personne humaine.
Il est heureux, Monseigneur, que vous nous
rappeliez la doctrine sur la personne humaine. Mais, là aussi, il aurait fallu
tenir compte de tout le réel, de l’aspect ontologique, mais aussi de l’aspect
intentionnel - des actes posés par la personne humaine. Vous insistez à juste
titre sur la dignité de la personne humaine. Vous la considérez dans sa
« radicalité », dans sa racine. Il est vrai que la personne humaine
est digne parce que douée de raison et de volonté libre. Saint Bernard a, sur
ce sujet, dans son Traité de l’amour
de Dieu, en son chapitre 2, de bien belles considérations : « J’appelle dignité de l’homme
le libre arbitre, qui lui vaut d’être non seulement placé au-dessus des autres
créatures vivantes, mais encore d’avoir sur elles le droit de commander »(St
Bernard, Traité de l’amour de Dieu,
Seuil, p.31). Mais il aurait fallu aussi considérer que « la dignité de la
personne humaine adéquatement considérée exige que l’on tienne compte de ses
actes ». « Car de toute évidence la liberté religieuse convient à la
personne humaine non pas suivant sa dignité radicale, mais suivant sa dignité
opérative ». Et c’est ainsi que « la liberté ne peut pas être la même
chez l’enfant et chez l’adulte, chez le sot et chez l’esprit pénétrant, chez
l’ignorant et chez l’homme cultivé »(Abbé Berto)
Or, Monseigneur,
cette dignité qu’avec l’abbé Berto, j’appelle « opérative »,
n’appartient pas à l’être physique de la personne, mais relève, c’est évident,
de l’ordre intentionnel. La négligence de cet élément intentionnel, à savoir «
la science et la vertu », est dans votre pensée, Monseigneur, ainsi que
dans la pensée de Dignitatis humanae,
une erreur grave.
Je vous
reproche, à vous, Monseigneur et à Dignitatis
humanae- mais vous me direz si je me trompe- de considérer « à
tort » « la liberté psychologique(…) comme l’élément constitutif de
la dignité de la personne humaine ». J’insisterais, Monseigneur, c’est
tellement important, et vous dirais, avec l’Abbé Berto, « le libre
arbitre est certainement une dignité de la nature humaine ». Saint Bernard
nous l’a dit. « Mais par rapport à
la personne qui subsiste en cette nature, il (le libre arbitre) fait
indifféremment sa dignité ou son indignité, selon qu’elle fait des choix libres
bons ou mauvais. (…) Nuance ? C’est une nuance qui met un abîme entre le
thomisme et le kantisme(…)(Abbé Berto, in Sel de la terre n. 45 p.33).
Cette nuance,
qui est de taille, Monseigneur, mine, en réalité, votre raisonnement ainsi que
l’édifice de Dignitatis humanae. Pour
vous, Monseigneur, c’est parce que le droit à la liberté religieuse est fondé
sur une dignité inamissible qu’il est absolu et « persiste même en ceux qui ne
satisfont pas à l’obligation de chercher la vérité et d’y adhérer ». Et c’est
pour la même raison qu’il est valable même pour les propagandistes des fausses
religions. Car, pour vous, comme pour le Concile, le fondement propre et
prochain de cette liberté est dans la qualité ontologique de la personne
humaine….alors qu’il faudrait la situer dans les actes que va poser la
personne, donc, dans l’ordre intentionnel. Saint Bernard le dit très
clairement, dans son petit traité dont j’ai fait allusion plus haut : « La dignité ne sert à rien sans la
science, et celle-ci sans la vertu va jusqu’à devenir néfaste ». C’est
également affirmer : autre la dignité ontologiquement considérée, dans son
libre arbitre, autre la dignité intentionnellement considérée dans ses actes.
Et Saint Bernard ira jusqu’à dire que la personne peut ne plus être digne du
tout : si elle ignore ce qu’elle est grâce à la raison, elle peut être
« ravalée au rang des bêtes » ; si elle « s’attribue à tort le bien qui peut être en (elle) - le libre arbitre
- au détriment de Dieu », auteur de tout bien, « elle peut alors
nous introduire dans le monde des démons. User des biens reçus comme s’ils
étaient inhérents à notre nature, et accepter des bienfaits en s’arrogeant un
mérite qui appartient au bienfaiteur, c’est l’orgueil, le plus grand des
péchés ». (Ibid. p 34)
Ainsi,
Monseigneur, je ne serais pas loin de vous dire que vous avez bâti votre pensée
sur « une notion inadéquate de la dignité de la personne
humaine » ne distinguant pas en elle, l’ordre ontologique et l’ordre
intentionnel. Et mon trouble est intense lorsque je pense que vous et vos
collaborateurs préparaient une grande partie des discours du Pape, ceux qui
relèvent davantage de la Secrétairerie d’État, et plus particulièrement de vos
services.
B) de l’estime que l’Église porte à la démocratie.
Vous avez conclu
votre exposé, Monseigneur, sur l’estime que l’Église porte à la démocratie.
Vous écrivez : « Dans un
monde mondialisé… où la solidarité et le principe de subsidiarité sont à
l’ordre du jour, personne ne s’étonnera que l’Église catholique nourrisse une estime
pour la démocratie ».
Vous faites
remarquer, à juste titre, le travail important qu’a joué le Souverain Pontife
dans l’écroulement des régimes totalitaires du siècle précédent., dans les pays
d’Europe centrale et orientale. Sans nul doute, les régimes totalitaires ne
jouissent pas de l’agrément de l’Église. Elle ne les apprécie pas, quels que
soient leurs fondements idéologiques : « l’obsession de la
sécurité », dites-vous, « l’idéologie » ou « la recherche de
privilèges pour certaines catégories de citoyens ». Qui n’approuverait vos
paroles, Monseigneur ?
Mais, faut-il
pour autant affirmer que l’Église choisit le régime démocratique comme le
régime estimé par excellence ? C’est ce que vous laissez entendre. Et vous
le démontrez en nous donnant deux principales raisons tirées, dites-vous, « du magistère de Jean-Paul II » : « Son magistère a montré que ce système politique répond au désir
des individus de participer à la vie politique et sociale de leur pays ». Première
raison.
« Ce
système de gouvernement oblige également les responsables politiques à
répondre, face à leurs concitoyens, de ce qu’ils disent et ce qu’ils font.
Démocratie signifie toujours participation et responsabilité, droits et
devoirs »(2d) Deuxième raison
Vraiment, l’Église « nourrit une estime pour la
démocratie ».
Est-ce bien
certain ? Les raisons que vous nous indiquez, sont-ce bien les raisons de
son choix ?
La pensée de
l’Église me semble, là encore, plus nuancée et subtile.
Les vrais raisons de l’estime d’un
régime politique.
En me limitant à
l’étude de Léon XIII et à son encyclique Libertas,
je reconnais, volontiers, que l’Église approuve les régimes où « tous
(les citoyens) peuvent unir leurs efforts pour le bien commun ».
« C’est louable, dira Léon XIII, de prendre part à la gestion des
affaires publiques ».
« L’Église
même approuve que (…) chacun, selon son pouvoir, travaille à la défense, à la
conservation et à l’accroissement de la chose publique ». Je veux bien
retrouver là la première raison exprimée par le Pape Jean-Paul II. Mais Léon
XIII n’en tire pas, pour autant, un estime particulière pour la démocratie. Et
de fait, cette participation à la chose publique n’est pas l’apanage du seul régime
démocratique. Cela se retrouve et c’est retrouvé historiquement dans beaucoup
d’autres régimes politiques, les régimes monarchiques, aristocratiques etc. Et
Léon XIII va même jusqu’à donner l’exemple des États Pontificaux où
« les cités italiennes trouvèrent (…) la prospérité, la puissance et la
gloire ». Et ce régime pontifical était loin d’être un régime
démocratique, au sens moderne du mot. C’était un régime monarchique dans toute
sa force. C’est pourquoi loin de manifester sa grande estime pour la démocratie,
l’Église dira, au contraire, ne rejeter aucune des formes de gouvernement. -
C’est mieux dit. C’est plus réaliste, plus prudent et politique – Ce que
l’Église prend surtout en compte en cette affaire de régime politique, c’est «
l’aptitude »du pouvoir « à procurer le bien des citoyens ». Et
cela est réalisé seulement si le pouvoir «
ne viole le droit de personne et respecte particulièrement les droits de
l’Église ». Voilà le bon critère pour juger de la matière, de l’estime
que l’on doit porter à telle ou telle forme de régime et de gouvernement.
Monseigneur, vous qui êtes français soutiendriez vous que la République
française procure parfaitement le bien de vos concitoyens, en ce sens qu’elle
ne viole le droit de personne et respecte particulièrement les droits de
l’Église ! C’est pourtant le vrai critère que nous donne l’Église pour
juger de cette affaire. Votre estime est-elle si grande pour la Démocratie
française ?
Estime,
dites-vous, de la démocratie ! Soit. Mais ce n’est pas tant la démocratie,
la forme du régime, que l’Église considère. Elle considère surtout si le
régime, quel qu’il soit, respecte la doctrine de l’Église catholique sur
« l’origine et l’exercice du pouvoir public ». Monseigneur,
prétendriez vous que la Démocratie française respecte particulièrement la
doctrine catholique sur l’origine du pouvoir et de son exercice. D’une part la
doctrine de l’Église enseigne que tout pouvoir vient de Dieu et nullement du
peuple. Le peuple peut désigner celui qui prendra le pouvoir. Ce pouvoir n’en
dépendra pas, cependant, ni dans son essence, ni, du reste, dans son exercice.
Ni dans son exercice, par exemple, législatif. La loi qu’il promulguera,
respectera l’ordre naturel et donc l’ordre divin. Le pouvoir politique en
France, pour démocratique qu’il soit, vous affirmera que la loi est simplement
« l’expression de la volonté générale », nullement l’expression de la
volonté de Dieu.. Et ce serait ce régime que vous nous diriez particulièrement
estimé par L’Église ! Il me semble bien que vous falsifiez la pensée de
l’Église. Qu’elle est tout autre. Et que pour juger, en cette matière, vous ne
nous indiquez pas les bons critères, ceux exprimés par Léon XIII, par exemple,
que je viens de rappeler.
Voilà,
Monseigneur, les remarques que je vous aurais posées, si j’avais pu assister à
votre conférence du 24 mai dernier, à Rome, à la PUG, comme nous le disions,
vous et moi, lorsque chaque matin, nous partions suivre nos cours de
Philosophie et de Théologie, après avoir salué, avec piété, la « Tutela
Domus ».
Ce ne sont là,
Monseigneur, bien évidemment, que de simples questions, de simples
interrogations.
Je crois
qu’elles sont de nature à faire l’objet d’un débat. Elles intéressent
particulièrement les fidèles de la Tradition. Ils souhaitent vivement entrer en
contact doctrinal avec la hiérarchie catholique, et avec vous particulièrement.
Internet pourrait nêtre un moyen moderne, peu coûteux, facile et publique
puisque publique fut votre conférence, publique l’affaire de notre désaccord avec
Rome. Au fait, vous ou nous. Monseigneur !
Veuillez voir
dans cette lettre ouverte, Monseigneur, que le souci exprimé d’une fidélité à
l’Église et un amour de sa doctrine. Daignez, Monseigneur, recevoir et accepter
l’expression de mon filial respect, en Notre Seigneur Jésus-Christ.
Abbé Paul
Aulagnier. Le 22 juillet 2003.