L’Abbé Paul Aulagnier, qui n’a jamais caché qu’il aurait aimé que la Fraternité Saint-Pie-X signât avec Rome un accord destiné à la faire participer à part entière aux reconstructions à venir, a adressé à Mgr Jean-Louis Tauran, Secrétaire des Rapports avec les États à la Secrétairerie d’État, la lettre ouverte que nous publions ici. L’Abbé Paul Aulagnier critique les fondements de la doctrine conciliaire de la liberté religieuse et ses conséquences. C’est aussi pour lui l’occasion de revendiquer une place officielle pour la critique franche et constructive des doctrines conciliaires les plus funestes.

 

 

 

Lettre ouverte

à

son Excellence

Monseigneur Tauran (bras droit du pape)

 

 

Cher Monseigneur,

 

A la fin du mois de mai 2003, du 23 au 24 mai, à l’occasion du 40ième anniversaire de l’Encyclique Pacem in terris, s’est tenu à Rome, à l’Université Pontificale Grégorienne que vous connaissez bien pour y avoir été étudiant, un Congrès ayant eu pour thème : « L’Église et l’ordre international ». Vous y avez donné la conférence de clôture. Cela vous revenait étant donné votre rôle important de secrétaire pour les relations de l’Église avec les États.

Votre conférence fut donc publique et fut suivie, vraisemblablement, d’un débat. C’est l’usage.

 

 

Si la Providence avait conduit mes pas ce jour-là, à Rome, nul doute que je serais venu vous entendre. Le sujet m’intéresse. Vous revoir, dans l’exercice de vos fonctions, m’aurait plu puisque nous nous sommes connus à Santa Chiara, au séminaire français. Vous étiez en licence de Théologie. Moi, en licence de Philosophie. Le Concile Vatican II terminait ses travaux. Vous écoutez m’aurait plu.Vraiment.

 

A défaut d’avoir pu vous écouter, Monseigneur, je vous ai lu, dans L’Osservatore Romano, en langue française, du 10 juin 2003. J’ai pu même tirer le texte de votre communication sur le site du Vatican. Votre texte figure en bonne place. C’est bien normal vu vos fonctions. J’en ai fait une analyse pour la Chronique romaine de mes amis d’ITEM, site catholique d’Entraide et Tradition.

 

Puisque que je n’ai pu participer, non plus au débat, vous accepterez certainement que je vous pose quelques questions. Permettez que je le fasse de cette manière, dans cette lettre ouverte, sur Internet.

 

Vous expliquez, à votre auditoire, le rôle du Saint-Siège dans ses relations internationales, les raisons de ce rôle et vous vous arrêtez longuement sur les thèmes « politiques » qui retiennent actuellement son attention. Vous les réunissez sous trois grandes rubriques. Vous attirez l’attention des États, dans leurs actions politiques et sociales, sur la place centrale de la personne humaine et de ses droits, sur l’importance de la paix entre les Nations qui ne peut avoir pour fondement que le respect du droit et de la justice. Et vous concluez votre intervention sur l’estime que l’Église porte à la démocratie.

 

Mon attention a été, Monseigneur, plus particulièrement attirée par votre exposé sur les droits de la personne humaine et sur l’estime que l’Église porte à la démocratie. C’est sur ces deux sujets que je voudrais vous interroger. Poursuivre le débat, en quelque sorte. Internet peut remplacer bien des tables rondes. Et c’est moins coûteux que les voyages intercontinentaux.

 

A)   sur le premier point : les droits de l’homme.

 

a)    leur reconnaissance par l’Église.

 

Après un long et bel exposé sur la défense du droit de la vie - droit de la vie que le Saint-Siège défend avec une énergie merveilleuse - vous dites, Monseigneur:

« Vous connaissez bien l’insistance avec laquelle le Saint-Siège a toujours défendu la liberté de conscience et de religion….en tant que liberté de culte ».

Vous faites de ce droit à la liberté de conscience, de religion et de culte, un droit naturel, un droit dépendant de la nature humaine elle-même, à l’exemple du droit à la vie, du droit à l’éducation, du droit au travail. Et parce que ces droits dépendent de la nature humaine, nullement des États, vous en faites des droits absolus, inaliénables et sacrés. Ainsi du droit à la liberté de conscience, de religion et de culte. Et vous concluez votre exposé, Monseigneur, par cette phrase :

« Pour résumer, on peut affirmer que le Saint-Siège s’oppose à toute vision unidimensionnelle de l’homme et en propose une conception ouverte à sa dimension individuelle, sociale et transcendante ».

 

Ma question, Monseigneur, est simple : est-ce que tout cela est vrai et juste ?

 

Êtes-vous bien sur que l’Église ait toujours défendu le droit de la liberté de conscience, de religion et de culte, comme droit naturel, absolu, inaliénable et sacré ?

 

Êtes-vous bien sur, également, que le seul respect de la dimension individuelle, sociale et transcendante de la personne humaine fonde absolument, sans autres discernements et considérations, le droit à la liberté de conscience, de religion et de culte ?

 

Je n’en suis pas certain… Mais vous m’éclairerez !

 

Si je m’attarde seulement à l’encyclique de Léon XIII, Libertas praestantissimum, je vois, au contraire, qu’il semble condamner ce que vous affirmez. Vous parlez, de plus, d’une manière absolue, sans nuance, là où Léon XIII distingue et précise.

 

Vous me demanderez certainement des preuves. Les voilà, Monseigneur.

 

La liberté de culte

 

Le Pape Léon XIII condamne, dans cette encyclique Libertas, la liberté des cultes. Il écrit : « La liberté des cultes, comme on l’appelle, liberté qui repose sur ce principe qu’il est loisible à chacun de professer telle religion qu’il lui plaît, ou même de n’en professer aucune. Mais, tout au contraire, c’est bien là sans nul doute, parmi les devoirs de l’homme, le plus grand et le plus saint, celui qui ordonne à l’homme de rendre à Dieu un culte de piété et de religion. Et ce devoir n’est qu’une conséquence de ce fait que nous sommes perpétuellement sous la dépendance de Dieu, et que, sortis de lui, nous devons retourner à lui ».

 

Ce n’est pas, Monseigneur, ce que l’on peut appeler une approbation.

 

La liberté de conscience

 

Un peu plus loin, Léon XIII condamnera également, la liberté de conscience. Mais, il distinguera, ce que vous ne faites pas. Il écrit : « Une autre liberté que l’on proclame aussi bien haut est celle qu’on nomme liberté de conscience. Que si l’on entend par-là… Vous voyez, Monseigneur, que le pape distingue. Que si l’on entend par-là que chacun peut indifféremment, à son gré, rendre ou ne pas rendre un culte à Dieu, les arguments qui ont été donnés plus haut suffisent à le réfuter ».

Ce n’est pas non plus, Monseigneur, ce qu’on peut appeler une approbation !

 

Et s’il en est ainsi, c’est que l’homme doit « nécessairement rester tout entier dans une dépendance réelle et incessante à l’égard de Dieu et que, par conséquent, il est absolument impossible de comprendre la liberté de l’homme sans la soumission à Dieu et l’assujettissement à sa volonté. Nier cette souveraineté de Dieu et refuser de s’y soumettre, ce n’est pas la liberté, c’est abus de la liberté et révolte ».(Libertas)

 

Et le Pape de conclure qu’il n’est « aucunement permis de demander, de défendre ou d’accorder sans discernement la liberté de la pensée…et la liberté des religions, comme autant de droits que la nature a conférés à l’homme. Si vraiment la nature les avait conférés, on aurait le droit de se soustraire à la souveraineté de Dieu, et nulle loi ne pourrait modérer la liberté humaine ».

 

Vous voyez qu’il n’est pas vrai de dire purement et simplement, Monseigneur, et d’une manière absolue, que « le Saint-Siège ait toujours défendu la liberté de conscience, de religion…en tant que liberté de culte ».

 

Mais il faut distinguer.

 

C’est ce que fait le Pape Léon XIII.

 

En effet, après avoir réfuté la liberté de conscience comme profession d’indifférentisme religieux, « chacun pouvant indifféremment, à son gré rendre ou ne pas rendre un culte à Dieu, le Pape précise : si l’on entend liberté de conscience « en ce sens que l’homme a dans l’État le droit de suivre, d’après la conscience de son devoir, la volonté de Dieu, et d’accomplir ses préceptes sans que rien puisse l’en empêcher » alors là, oui, Monseigneur, l’Église approuve cette façon de voir les choses et elle soutient et argumente : « Cette liberté, écrit Léon XIII, la vraie liberté, la liberté digne des enfants de Dieu, qui protège si glorieusement la dignité de la personne humaine, est au-dessus de toute violence et de toute oppression, elle a toujours été l’objet des vœux de l’Église et de sa particulière affection. C’est cette liberté que les Apôtres ont revendiquée avec tant de constance…. Et ils ont eu raison, car la grande et la suprême puissance de Dieu sur les hommes et, d’autre part, le grand et le suprême devoir des hommes envers Dieu trouvent l’un et l’autre dans cette liberté chrétienne un éclatant témoignage ».

 

Qui ne voit, Monseigneur, que cette liberté de conscience, ici expliquée par Léon XIII est la liberté de conscience pour la vraie religion, pour le vrai et le bien. Alors. Oui, le Saint-Siège à toujours défendu cette liberté de conscience, cette liberté de la religion catholique, cette liberté de culte du au vrai Dieu.

Mais, Monseigneur, cela n’est pas explicité dans votre conférence. Vous parlez d’une manière absolue, sans nuance, sans distinction. On peut comprendre, dans votre exposé, que vous laissez et confessez le droit à la liberté pour toutes religions, vraies ou fausses. C’est l’interprétation actuelle du Libéralisme politique. Votre texte entretient l’équivoque. Pourtant vous savez bien que l’Église « n’accorde de droit qu’à ce qui est vrai et honnête ».

 

Ils sont nombreux, aujourd’hui, Monseigneur, ceux qui refusent une telle sentence.

 

Il faut donc préciser. Ce que vous auriez du faire davantage devant votre auditoire.

 

De la tolérance du mal et de l’erreur

 

Si, en effet, l’Église n’accorde de droit qu’à ce qui est vrai et honnête et ne reconnaît pas de liberté à l’erreur et au faux, elle ne s’oppose pas, cependant, à la tolérance du mal et de l’erreur.

 

Vous savez la doctrine, Monseigneur. : si l’Église n’accorde de droit qu’à ce qui est honnête et ne reconnaît pas de liberté à l’erreur et au faux, elle accepte, elle tolère, pourtant, le mal et l’erreur. Léon XIII le dit clairement. Les États doivent imiter le gouvernement de Dieu qui « permet l’existence de certains maux dans le monde » « pour ne pas empêcher des biens plus grands » « ou pour empêcher de plus grands maux » Et c’est ainsi que l’État peut tolérer le mal et laisser une certaine marge aux erreurs, aux fausses religions. Mais faire cela, n’est pas approuver, ni vouloir le mal en lui-même. Car le mal est opposé au bien commun que le législateur doit vouloir et doit défendre du mieux qu’il peut.

 

Ainsi il est clair que jamais l’Église « ne donne au bien et au mal les mêmes droits ». De ce fait, elle n’a jamais pu défendre, purement et simplement, ni toujours ni un jour, la liberté de conscience et de religion…en tant que liberté de culte », comme votre conférence le laisse entendre

 

 

     b) leur fondement

 

De plus, Monseigneur, vous semblez vouloir fonder ce droit à la liberté de conscience, de religion et de culte sur la seule dignité de la personne humaine. C’est ce que je comprends quand je lis votre phrase conclusive : « Pour résumer (ce sujet des droits de la liberté de conscience et autres), on peut affirmer, dites-vous, que le Saint-Siège s’oppose à toute vision unidimensionnelle de l’homme et en propose une conception ouverte à sa dimension individuelle, sociale et transcendante ».

 

Une philosophie réductrice de l’homme

Vous critiquez ainsi à juste titre toute pensée philosophique et politique n’ayant de l’homme qu’une vision unidimensionnelle. Qui ne vous donnerait raison. Vous refusez toute philosophique « réductrice » de l’homme. L’homme n’est pas qu’une unité de production. Et vous renvoyez dos à dos et le marxisme-léninisme et le capitalisme libéral. L’homme n’est pas non plus que « citoyen », il ne peut pas être seulement considéré comme « une partie du tout qu’est l’État », oubliant sa dimension transcendante. Vous refusez ainsi tout totalitarisme philosophique et politique, quelle que soit sa justification. Vous le redirez en fin de conférence. Et c’est très bien. Qui, vous dis-je, ne serait pas d’accord avec vous ? Vous exprimez, même, joliment la doctrine de l’Église. L’Église a une autre perspective, une autre vue de la personne humaine. Une vue autrement ouverte, ouverte à la totalité de la personne humaine. L’Église considère la personne humaine dans toutes ses dimensions. Elle va considérer son aspect individuel de personne, sui juris, son aspect social : l’homme est un animal social et politique. Il fait parti d’une cité. Mais il n’est pas non plus que cela : il a une dimension transcendante. Créature de Dieu, il vient de Dieu pour retourner à Dieu. La personne humaine ne peut pas être considérée uniquement dans l’ordre matériel. On ne peut ignorer son aspect transcendant. Tout cela est très juste. Et vous l’exprimer clairement dans votre phrase : « le Saint-Siège s’oppose à une conception unidimensionnelle de l’homme et en propose une conception ouverte à sa dimension individuelle, sociale, transcendante ».

 

Je suis d’accord

 

Dignité « ontologique » de la personne humaine.

 

Mais là où je me séparerais de vous - vous me direz si je me trompe- c’est lorsque vous voulez faire de la dignité de la personne humaine, considérée dans ces trois dimensions rappelées plus haut, c’est-à-dire individuelle, sociale et transcendante, c’est-à-dire, considérée dans son aspect ontologique, le seul fondement, le fondement absolu du droit à la liberté de conscience, de religion et de culte.

On retrouve ici dans votre exposé la doctrine de Dignitatis humanae : les fameux article 2 et 3. Faut-il rappeler cette doctrine. Une brève citation du paragraphe 2 y suffira :

« Le Concile de Vatican (…)déclare en outre que le droit à la liberté religieuse a son fondement dans la dignité même de la personne humaine. (…)En vertu de leur dignité, tous les hommes, parce qu’ils sont des personnes, c’est à dire doués de raison et de volonté libre (…). Ce n’est donc pas sur une disposition subjective de la personne, mais sur sa nature même, qu’est fondé le droit à la liberté religieuse. C’est pourquoi le droit à cette immunité persiste en ceux-là mêmes qui ne satisfont pas à l’obligation de chercher la vérité et d’y adhérer ».(DH 2)

 

Voilà exprimée votre pensée, celle où vous dites que l’Église, à la différence de toute philosophie totalitaire, exprime « une conception ouverte à la dimension individuelle, sociale et transcendante » de la personne humaine.

 

De l’aspect « intentionnel » de la dignité de la personne humaine

 

 Il est heureux, Monseigneur, que vous nous rappeliez la doctrine sur la personne humaine. Mais, là aussi, il aurait fallu tenir compte de tout le réel, de l’aspect ontologique, mais aussi de l’aspect intentionnel - des actes posés par la personne humaine. Vous insistez à juste titre sur la dignité de la personne humaine. Vous la considérez dans sa « radicalité », dans sa racine. Il est vrai que la personne humaine est digne parce que douée de raison et de volonté libre. Saint Bernard a, sur ce sujet, dans son Traité de l’amour de Dieu, en son chapitre 2, de bien belles considérations : « J’appelle dignité de l’homme le libre arbitre, qui lui vaut d’être non seulement placé au-dessus des autres créatures vivantes, mais encore d’avoir sur elles le droit de commander »(St Bernard, Traité de l’amour de Dieu, Seuil, p.31). Mais il aurait fallu aussi considérer que « la dignité de la personne humaine adéquatement considérée exige que l’on tienne compte de ses actes ». « Car de toute évidence la liberté religieuse convient à la personne humaine non pas suivant sa dignité radicale, mais suivant sa dignité opérative ». Et c’est ainsi que « la liberté ne peut pas être la même chez l’enfant et chez l’adulte, chez le sot et chez l’esprit pénétrant, chez l’ignorant et chez l’homme cultivé »(Abbé Berto)

 

 

Or, Monseigneur, cette dignité qu’avec l’abbé Berto, j’appelle « opérative », n’appartient pas à l’être physique de la personne, mais relève, c’est évident, de l’ordre intentionnel. La négligence de cet élément intentionnel, à savoir « la science et la vertu », est dans votre pensée, Monseigneur, ainsi que dans la pensée de Dignitatis humanae, une erreur grave.

Je vous reproche, à vous, Monseigneur et à Dignitatis humanae- mais vous me direz si je me trompe- de considérer « à tort » « la liberté psychologique(…) comme l’élément constitutif de la dignité de la personne humaine ». J’insisterais, Monseigneur, c’est tellement important, et vous dirais, avec l’Abbé Berto, « le libre arbitre est certainement une dignité de la nature humaine ». Saint Bernard nous l’a dit. « Mais par rapport à la personne qui subsiste en cette nature, il (le libre arbitre) fait indifféremment sa dignité ou son indignité, selon qu’elle fait des choix libres bons ou mauvais. (…) Nuance ? C’est une nuance qui met un abîme entre le thomisme et le kantisme(…)(Abbé Berto, in Sel de la terre n. 45 p.33).

 

Cette nuance, qui est de taille, Monseigneur, mine, en réalité, votre raisonnement ainsi que l’édifice de Dignitatis humanae. Pour vous, Monseigneur, c’est parce que le droit à la liberté religieuse est fondé sur une dignité inamissible qu’il est absolu et « persiste même en ceux qui ne satisfont pas à l’obligation de chercher la vérité et d’y adhérer ». Et c’est pour la même raison qu’il est valable même pour les propagandistes des fausses religions. Car, pour vous, comme pour le Concile, le fondement propre et prochain de cette liberté est dans la qualité ontologique de la personne humaine….alors qu’il faudrait la situer dans les actes que va poser la personne, donc, dans l’ordre intentionnel. Saint Bernard le dit très clairement, dans son petit traité dont j’ai fait allusion plus haut : « La dignité ne sert à rien sans la science, et celle-ci sans la vertu va jusqu’à devenir néfaste ». C’est également affirmer : autre la dignité ontologiquement considérée, dans son libre arbitre, autre la dignité intentionnellement considérée dans ses actes. Et Saint Bernard ira jusqu’à dire que la personne peut ne plus être digne du tout : si elle ignore ce qu’elle est grâce à la raison, elle peut être « ravalée au rang des bêtes » ; si elle « s’attribue à tort le bien qui peut être en (elle) - le libre arbitre - au détriment de Dieu », auteur de tout bien, « elle peut alors nous introduire dans le monde des démons. User des biens reçus comme s’ils étaient inhérents à notre nature, et accepter des bienfaits en s’arrogeant un mérite qui appartient au bienfaiteur, c’est l’orgueil, le plus grand des péchés ». (Ibid. p 34)

 

Ainsi, Monseigneur, je ne serais pas loin de vous dire que vous avez bâti votre pensée sur « une notion inadéquate de la dignité de la personne humaine » ne distinguant pas en elle, l’ordre ontologique et l’ordre intentionnel. Et mon trouble est intense lorsque je pense que vous et vos collaborateurs préparaient une grande partie des discours du Pape, ceux qui relèvent davantage de la Secrétairerie d’État, et plus particulièrement de vos services.

 

 

B)   de l’estime que l’Église porte à la démocratie.

 

 

Vous avez conclu votre exposé, Monseigneur, sur l’estime que l’Église porte à la démocratie. Vous écrivez : « Dans un monde mondialisé… où la solidarité et le principe de subsidiarité sont à l’ordre du jour, personne ne s’étonnera que l’Église catholique nourrisse une estime pour la démocratie ».

 

Jean-Paul II et les régimes totalitaires

 

Vous faites remarquer, à juste titre, le travail important qu’a joué le Souverain Pontife dans l’écroulement des régimes totalitaires du siècle précédent., dans les pays d’Europe centrale et orientale. Sans nul doute, les régimes totalitaires ne jouissent pas de l’agrément de l’Église. Elle ne les apprécie pas, quels que soient leurs fondements idéologiques : « l’obsession de la sécurité », dites-vous, « l’idéologie » ou « la recherche de privilèges pour certaines catégories de citoyens ». Qui n’approuverait vos paroles, Monseigneur ?

 

L’estime du régime démocratique

 

Mais, faut-il pour autant affirmer que l’Église choisit le régime démocratique comme le régime estimé par excellence ? C’est ce que vous laissez entendre. Et vous le démontrez en nous donnant deux principales raisons tirées, dites-vous, « du magistère de Jean-Paul II » : « Son magistère a montré que ce système politique répond au désir des individus de participer à la vie politique et sociale de leur pays ». Première raison.

 

« Ce système de gouvernement oblige également les responsables politiques à répondre, face à leurs concitoyens, de ce qu’ils disent et ce qu’ils font. Démocratie signifie toujours participation et responsabilité, droits et devoirs »(2d) Deuxième raison

 

 Vraiment, l’Église « nourrit une estime pour la démocratie ».

 

Est-ce bien certain ? Les raisons que vous nous indiquez, sont-ce bien les raisons de son choix ?

 

La pensée de l’Église me semble, là encore, plus nuancée et subtile.

 

Les vrais raisons de l’estime d’un régime politique.

 

En me limitant à l’étude de Léon XIII et à son encyclique Libertas, je reconnais, volontiers, que l’Église approuve les régimes où « tous (les citoyens) peuvent unir leurs efforts pour le bien commun ». « C’est louable, dira Léon XIII, de prendre part à la gestion des affaires publiques ».

« L’Église même approuve que (…) chacun, selon son pouvoir, travaille à la défense, à la conservation et à l’accroissement de la chose publique ». Je veux bien retrouver là la première raison exprimée par le Pape Jean-Paul II. Mais Léon XIII n’en tire pas, pour autant, un estime particulière pour la démocratie. Et de fait, cette participation à la chose publique n’est pas l’apanage du seul régime démocratique. Cela se retrouve et c’est retrouvé historiquement dans beaucoup d’autres régimes politiques, les régimes monarchiques, aristocratiques etc. Et Léon XIII va même jusqu’à donner l’exemple des États Pontificaux où « les cités italiennes trouvèrent (…) la prospérité, la puissance et la gloire ». Et ce régime pontifical était loin d’être un régime démocratique, au sens moderne du mot. C’était un régime monarchique dans toute sa force. C’est pourquoi loin de manifester sa grande estime pour la démocratie, l’Église dira, au contraire, ne rejeter aucune des formes de gouvernement. - C’est mieux dit. C’est plus réaliste, plus prudent et politique – Ce que l’Église prend surtout en compte en cette affaire de régime politique, c’est « l’aptitude »du pouvoir « à procurer le bien des citoyens ». Et cela est réalisé seulement si le pouvoir « ne viole le droit de personne et respecte particulièrement les droits de l’Église ». Voilà le bon critère pour juger de la matière, de l’estime que l’on doit porter à telle ou telle forme de régime et de gouvernement. Monseigneur, vous qui êtes français soutiendriez vous que la République française procure parfaitement le bien de vos concitoyens, en ce sens qu’elle ne viole le droit de personne et respecte particulièrement les droits de l’Église ! C’est pourtant le vrai critère que nous donne l’Église pour juger de cette affaire. Votre estime est-elle si grande pour la Démocratie française ?

 

Estime, dites-vous, de la démocratie ! Soit. Mais ce n’est pas tant la démocratie, la forme du régime, que l’Église considère. Elle considère surtout si le régime, quel qu’il soit, respecte la doctrine de l’Église catholique sur « l’origine et l’exercice du pouvoir public ». Monseigneur, prétendriez vous que la Démocratie française respecte particulièrement la doctrine catholique sur l’origine du pouvoir et de son exercice. D’une part la doctrine de l’Église enseigne que tout pouvoir vient de Dieu et nullement du peuple. Le peuple peut désigner celui qui prendra le pouvoir. Ce pouvoir n’en dépendra pas, cependant, ni dans son essence, ni, du reste, dans son exercice. Ni dans son exercice, par exemple, législatif. La loi qu’il promulguera, respectera l’ordre naturel et donc l’ordre divin. Le pouvoir politique en France, pour démocratique qu’il soit, vous affirmera que la loi est simplement « l’expression de la volonté générale », nullement l’expression de la volonté de Dieu.. Et ce serait ce régime que vous nous diriez particulièrement estimé par L’Église ! Il me semble bien que vous falsifiez la pensée de l’Église. Qu’elle est tout autre. Et que pour juger, en cette matière, vous ne nous indiquez pas les bons critères, ceux exprimés par Léon XIII, par exemple, que je viens de rappeler.

 

Conclusion

 

Voilà, Monseigneur, les remarques que je vous aurais posées, si j’avais pu assister à votre conférence du 24 mai dernier, à Rome, à la PUG, comme nous le disions, vous et moi, lorsque chaque matin, nous partions suivre nos cours de Philosophie et de Théologie, après avoir salué, avec piété, la « Tutela Domus ».

Ce ne sont là, Monseigneur, bien évidemment, que de simples questions, de simples interrogations.

Je crois qu’elles sont de nature à faire l’objet d’un débat. Elles intéressent particulièrement les fidèles de la Tradition. Ils souhaitent vivement entrer en contact doctrinal avec la hiérarchie catholique, et avec vous particulièrement. Internet pourrait nêtre un moyen moderne, peu coûteux, facile et publique puisque publique fut votre conférence, publique l’affaire de notre désaccord avec Rome. Au fait, vous ou nous. Monseigneur !

 

Veuillez voir dans cette lettre ouverte, Monseigneur, que le souci exprimé d’une fidélité à l’Église et un amour de sa doctrine. Daignez, Monseigneur, recevoir et accepter l’expression de mon filial respect, en Notre Seigneur Jésus-Christ. 

 

 

Abbé Paul Aulagnier. Le 22 juillet 2003.