COMMENTAIRES DE
JEAN MADIRAN A PROPOS DE LA MESSE DU 24 MAI
Nous avions à
Rome, au lendemain de la messe de Sainte-Marie- Majeure, des quotidiens: en
Italie ils paraissent aussi le dimanche. Comme les journaux français du samedi
Matin, tous en cœur unanime ont présenté l' évènement comme" un geste en
direction des traditionalistes" ; ou même carrément, selon La Stampa et
le Corriere della Sera, comme « la main tendue par le Pape
aux lefebvristes ».
Ce n'est probablement pas faux. C'est important. C'est heureux.
Il y aura des suites. Cela entrouvre davantage la porte à l’espérance de retrouvailles
où l'on verra côte à côte, dans une même assemblée, pour la célébration d'un
même rite traditionnel, Mgr Fellay avec par exemple un Mgr Henri Brincard enfui
décontracté ; et l'abbé Paul Aulagnier, si cher à tant de cœurs intégralement
catholiques, en compagnie du T.R.P. Abbé Dom Gérard, Cela se fera, ce sera
public, ce sont des conséquences naturelles de la messe à Sainte-Marie-Majeure,
cela se fera dans dix jours, dix semaines, dix mois ou davantage. Mais ne voir
que cela dans l'événement historique du 24 mai serait une interprétation
réductrice et finalement une sorte de diversion. Plus qu'un geste, la messe de
Sainte-Marie-Majeure a été un acte.
Avant d'être en direction des traditionalistes, elle a été en
direction de l'être historique de l'Eglise, de son patrimoine sacré reçu en
dépôt, de sa liturgie dont nous sommes les héritiers, et qu'à travers tant
d'incompréhension et d'infidélités les générations actuelles doivent à leur
tour trans- mettre aux générations à venir, au lieu de laisser l'héritage
s'évanouir dans l’abandon.
On réclamait une révision législative, une régularisation
canonique, un processus administratif. On avait raison d~ les réclamer. Et tout
cela viendra à son tour ; viendra ensuite; viendra par surcroît. Mais la
Providence avait une autre priorité.
C'est l'honneur qui est passé le premier.
L'Eglise de Rome, mater et magistra omnium ecclesiarum, mère
et maîtresse de toutes les Eglises diocésaines, a rendu son honneur à LA MESSE
CATHOLIQUE TRADITIONNELLE, LATINE ET GRÉGORIENNE SELON LE MISSEL ROMAIN DE
SAINT PIE V. Par la célébration solennelle du 24 mai, elle a rendu son honneur
à une messe offensée et presque entièrement recouverte par trente- trois années
de dénigrements, de diffamations, de mépris, d'inter dictions
abusives et de persécutions ecclésiastiques.
Et quand on se
place d'abord sur le terrain de l'honneur, on aperçoit aussitôt la primauté
d'honneur qui, dans l'Eglise latine, revient à son rite immémorial.
Avec l'honneur à nouveau rendu, est venue aussi la justice.
C'est dit: la messe traditionnelle a " droit de cité" dans
l'Eglise. Nous le savions. Mais officiellement, dans l'Eglise, on ne le disait
plus depuis trente-trois ans, et les membres de la hiérarchie qui en parlaient,
c'était pour affirmer le contraire, réclamer sa disparition, pousser à son
extinction.
Le pape
Jean-Paul II a envoyé le 24 mai sa bénédiction explicite à l’acte solennel de
Sainte-Marie-Majeure par lequel l'Eglise de Rome rendait honneur à la messe
traditionnelle et reconnaissait son droit de cité. Ite missa est.
Pour la France, ce fut le novembre noir de 1969 qui
supprima la messe traditionnelle.
Par son
ordonnance du 12 novembre, l'épiscopat instituait qu'à partir du 1er janvier
1970 la seule messe licite serait celle du rite nouveau en français.
Cette ordonnance fut publiquement contestée : son
invalidité juridique était manifeste. Elle fut néanmoins appliquée, avec une
brutalité radicale, dans tous les diocèses, à partir du 1er janvier 1970 (et
même avant, par les iconoclastes les plus pressés). Quelques exceptions,
extrêmement rares, furent consenties à quelques curés, généralement chargés de
plusieurs paroisses et ardemment défendus par leurs paroissiens. Le cas le plus
connu est celui de l'abbé Sulmont. Par la suite, à partir de 1984, au compte
gouttes et le plus souvent avec des conditions draconiennes, quelques
situations de fait étaient régularisées, quelques « autorisations »
étaient concédées. De son côté la FSSPX, fondée en 1969 par Mgr Marcel Lefebvre
avec à l'origine neuf séminaristes, développait en France et dans le monde un
mouvement très structuré et admirablement militant.
Plus récents, l'institut du Christ-Roi et la FSSPX contribuent
vivement au renouveau de la doctrine et du rite traditionnels. Mais tout cela à
contre-courant, et dans un climat de suspicion voire, encore aujourd'hui, de
persécution verbale ou administrative.
Pendant trente-trois ans, la messe traditionnelle a été réputée
interdite, abolie, dépassée, elle a été présentée comme la messe des vieux, la
messe des nantis, la messe des nostalgiques et des esthètes, la messe des
réactionnaires et des fachos, la messe de l'extrême droite et des nazis, tout y
est passé, jusqu'aux croix gammées taguées sur les presbytères, les chapelles
ou les églises.
Trente-trois ans, c'est long dans la vie d'un homme. C'est même
toute la durée de la vie terrestre de Notre Seigneur Jésus-Christ, vrai Dieu et
vrai homme. Dans la vie d'un peuple, trente-trois ans cela commence à compter.
La très grande majorité des catholiques français qui ont aujourd'hui moins de
trente-sept trente-huit ans, voire quarante, n ont jamais assisté à une messe
traditionnelle. Ils ont vécu trente-trois ans sous le régime liturgique
français selon lequel on pouvait célébrer la messe de n’importe quelle manière
à la condition que ce, ne soit pas le rite traditionnel ; il y avait du
« digne » mais aussi de l'indigne, de l'inattendu, du créatif, du
grotesque, de l'inconsistant. Et cet état des choses liturgiques continue,
toutefois en diminuant peu à peu.
Je n'imagine pas que le dénigrement et la diffamation de la
messe traditionnelle vont s'arrêter d'un seul coup. il y a tellement
d'ignorance, de parti-pris, de mauvaises habitudes mentales. Combien de
catholiques pratiquants sont-ils capables de faire la distinction entre une
messe traditionnelle et une messe nouvelle célébrée en latin ? Voyez dans
le « journal de référence », le spécialiste du Monde pour
les questions religieuses : pour lui, la « messe solennelle à
l’ancienne » qu'il annonçait le 24 mai devait être une messe « en
latin, dos tourné au peuple », tels sont ses repères, qui évidemment, à ce
niveau, sont repérables par n'importe quel profane, manque de chance, le rite
traditionnel, à Sainte-Marie-Majeure comme à Saint-Pierre de Rome, se célèbre
« face au peuple ». D'accord, à cet égard c'est une exception : mais
traditionnelle.
Je voudrais pourtant attirer l'attention, et même la réflexion,
sur ce simplisme: « dos tourné au peuple ».
C'est un
simplisme génial, il est d'une telle efficacité diffamatrice, d'une telle
efficacité véritablement diabolique, que l'on peut le supposer inventé par le
Père du Mensonge en personne.
Pour l'immense majorité des catholiques de moins de
trente-cinq ou de quarante ans, qui n'ont jamais assisté à une messe
traditionnelle, et de ceux, plus âgés, qui en trente-trois années l'ont plus ou
moins oubliée, cette « messe à l'ancienne », est celle où le prêtre
tournait le dos au peuple. Pendant des siècles - des siècles obscurs,
des siècles d'obscurantisme -les prêtres méprisaient le peuple au point de lui
tourner le dos durant la messe. C'est-à-dire que l'Eglise, complice des tyrans,
des aristocrates et des riches, tournait le dos au peuple des pauvres et
des malheureux. Cela n'est pas toujours dit, mais c'est toujours implicitement
véhiculé ou suggéré par ce célébrant qui « tourne le dos ».
Tardivement, très tardivement, le progrès et la démocratie sont venus. Le
prêtre a enfin cessé d'être hypocrite et méprisant : grâce au concile Vatican
II, il est désormais « face au peuple », la démocratisation avance,
et la transparence ; «face au peuple », c'est plus loyal, c'est plus
honnête, c'est enfin une digne attitude de respect à l'égard de
l'Homme-sans-Dieu et des droits de l'Homme-sans-Dieu (DHSD), seuls repères,
inévitablement, lorsqu'on a laissé s'estomper le sens du sacré et des droits
de Dieu.
Le spécialiste religieux du Monde ne nous pas caché
que « dans l'épiscopat français », (il le sait par confidences ?) « cette
messe dans l'ancien rite, au cœur même du Vatican, est [ressentie comme] une
trahison ».
Au cœur de la Cité du Vatican ? Disons mieux : au cœur de
l'Eglise de Rome, mère et maîtresse. Et l'honneur, la primauté d'honneur passera
outre à tous les interdits.
Jean Madiran