Passio Domini Nostri Jesu Christi secundum

Mel Gibson

III.

 

Les lecteurs de Légitimiste (n° 365 A) savent donc, désormais, qui est le rabbin Marvin Hier, et il est à craindre qu'il soient les seuls, de tous les lecteurs de la presse française, à en savoir autant sur ce personnage de la côte Ouest qui, avec son compère de la côte Est, Abraham H. Foxman (dit Abe Foxman, ou encore Abe « Twentieth Century » Foxman), président de l'Anti-Defamation League of B'nai B'rith, vont, alternativement et méthodiquement, s'efforcer de ruiner la réputation de Mel Gibson et d'en discréditer La Passion. Tout commence à Los Angeles, sur la côte Ouest, par des déclarations du rabbin Hier recueillies dans un communiqué de presse du Simon Wiesenthal Center, reprises immédiatement par des agences de presse (notamment Reuters), puis par un nombre incalculable de médias nord-américains. En voici l'essentiel : 7 mars 2003. Le Centre Wiesenthal sur le film de Gibson : retourner à l'avant-Vatican II pourrait faire naître l'antisémitisme. En réaction à l'article du magazine du dimanche du New York Times, « Le Pape est-il catholique… assez ? » 1, le rabbin Marvin Hier, fondateur et doyen du Simon Wiesenthal Center, a déclaré : « Évidemment, personne n'a vu La Passion, et, certes, le droit de Mel Gibson de croire ce qui lui convient ou de faire les films qu'il veut, ne me posent pas de problème. Cependant, ce qui m'inquiète c'est de lire que l'intention du film est de détruire les changements opérés par Vatican II. Cette réunion historique du Vatican a été convoquée, pas seulement pour changer la langue dans laquelle la Messe était célébrée, mais pour traiter de plusieurs questions décisives, y compris celle du rejet de l'idée que les Juifs furent collectivement responsables de la mort de Jésus. La simple vérité c'est que la crucifixion était un châtiment romain, pas juif, que c'est Rome qui contrôlait Jérusalem, pas les Juifs ». Comme l'indique Nostra Ætate « […] ce qui a été commis durant sa Passion ne peut être imputé ni indistinctement à tous les Juifs vivant alors ni aux Juifs de notre temps ». « Si le film cherche à détruire cela, déclare Hier, il ne dévoilerait pas la vérité. Il donnerait plutôt davantage libre cours aux injurieuses accusations de déicide contre le peuple juif, accusations que l'Église catholique a finalement répudiées après vingt siècles. L'idée que les Juifs tuèrent le Christ a attisé les flammes de l'antisémitisme depuis 2 000 ans, et a pavé le chemin à l'injuste massacre de Juifs ». Quel aveu ! Encore une fois, le rabbin parle trop vite et de ce qu'il ne connaît pas ou mal. Tentons une rapide analyse du texte. Reconnaître, d'emblée, qu'on n'a « évidemment » pas vu un film n'autorise pas, en bonne logique, à en parler, ni, a fortiori, à en suspecter l'intention ou à en dénigrer le contenu. C'est ce qu'on peut qualifier de « jugement téméraire », ou de « préjugé ». Prompt à dénoncer les préjugés des autres, le rabbin Hier ne se prive pas d'énoncer les siens… Éternelle vérité de la parabole de la paille et de la poutre ! Admettre, ensuite, que l'on fonde un jugement aussi téméraire sur la foi d'un article non encore disponible dans les kiosques (il ne le sera que deux jours plus tard), article qui se révélera être un véritable pamphlet (dont la nature et la technique rédactionnelles sont assez proches de celles de notre « quotidien de référence » vespéral), ne laisse pas de nous interroger. Il est évident que le rabbin Hier a reçu, et lui seul, par avance, communication de cet article soit directement de son auteur, le pigiste Christopher Nox, soit de la rédaction du New York Times, soit de quelque « honorable correspondant » de cette « publication réputée » (comme la qualifie Gibson, non sans humour) de la côte Est. Accessoirement, le tapage médiatique qu'initie Marvin Hier, ne pourra que profiter à la diffusion de cette livraison : l'intérêt politico-économique est, dans ce cas, réciproque. Pour ce qui est du service de la vérité, de la probité professionnelle, de la déontologie journaliste, c'est là une toute autre affaire… Mais, avec les jugements du rabbin sur le Concile Vatican II, on atteint des sommets dans l'à-peu-près et l'ignorance. Sans doute, la citation que donne Marvin Hier de la déclaration Nostra Ætate (promulguée le 18 octobre 1965, après treize mois de discussions des pères conciliaires et trois votes), est conforme au texte, mais… amputée de sa première phrase. La déclaration dit en effet : « Encore que des autorités juives, avec leurs partisans, aient poussé à la mort du Christ, ce qui a été commis… », etc. Le rabbin voudrait bien laisser entendre que, puisque la Passion du Seigneur ne « saurait être imputé[e] ni indistinctement à tous les Juifs vivant alors, ni aux Juifs de notre temps », ce qui est une proposition vraie (encore qu'elle n'est pas professée, dans l'Église catholique, que depuis 1965 !), la mort du Christ ne saurait être imputée à aucun Juif, ce qui est une proposition fausse, et ce que ne soutient pas Nostra Ætate. Mel Gibson disait-il autre chose dans son entretien avec O'Reilly, sur les vrais responsables de la mort du Christ : « vraiment, tout pécheur [tout pécheur, Juif ou non-Juif, d'hier, d'aujourd'hui et de demain] doit considérer sa propre responsabilité, considérer sa propre culpabilité » ? Il déclarait cela dès le 14 janvier (cf. Légitimiste n° 364). Comment le rabbin Hier, si scrupuleusement attentif au moindre bruissement relatif à l'antisémitisme, a-t-il pu ignorer cette déclaration faite publiquement par un cinéaste très populaire dans un très populaire programme de la télévision américaine? Mais l'ignorait-il vraiment ? Ou a-t-il préféré l'oublier pour les besoins de sa thèse, à savoir : La Passion est un film antisémite, et Mel Gibson est un antisémite. Certes, la « crucifixion était un châtiment romain, pas juif », le rabbin Hier a sans doute raison de souligner ce point historique, encore qu'il lui faudrait nous expliquer, entre autres passages de l'Ancien Testament, II Rois, 6 et 9 : « Qu'on nous donne au moins sept de ses enfants, afin que nous les mettions en croix [crucifigamus eos, Vulgate] 2, pour satisfaire le Seigneur […] Et ils les mirent dans les mains des Gabaonites, qui les crucifièrent [crucifixerunt illos, Vulgate] 3 sur une montagne devant le Seigneur. Ansi moururent ces sept hommes […] ». Mais qui donc a exigé de l'occupant romain que Jésus soit crucifié pour ajouter, à la souffrance extrême de cette mise à mort, l'infamie d'être exposé suspendu sur une potence au mépris public : « celui qui est pendu au bois est maudit de Dieu » (Deutéronome, XXI, 23) ? Qui donc sinon les « Juifs », terme qui désigne, en particulier chez saint Jean, non pas tout le peuple d'Israël, évidemment, mais leurs autorités religieuses, autrement dit le Sanhédrin qui, contrairement à ce qu'affirme Hier, n'était pas sans pouvoir car il était, et en toute liberté, habilité à connaître des affaires religieuses juives et à en juger. Toutefois, les sentences de mort ne pouvaient être appliquées que par la puissance occupante qui détenait le jus gladii. D'où la demande d'une sorte d'exequatur faite à Pilate par le Sanhédrin. On pourrait disputer, à la manière talmudique, avec le rabbin Hier, jusqu'à la consommation des siècles, de ses demi-vérités, de ses demi-citations, de sa mémoire sélective. Mais une question nous brûle les lèvres : nous nous accordons, nous catholiques sur la foi du Nouveau Testament, et vous, Juifs, sur la foi du Talmud, à admettre que Jésus à été condamné à mort pour péché de blasphème. Or, le judaïsme, depuis l'avènement de Notre-Seigneur, se refusant à considérer Jésus comme le Messie annoncé par l'Écriture vétérotestamentaire, n'a-t-il pas souscrit depuis 2 000 ans, et ne souscrit-il pas encore aujourd'hui logiquement au jugement qui a motivé la condamnation de Jésus par le Sanhédrin ? 4 N'y a-t-il pas là, de manière assurément non volontaire, de la part des Juifs pieux, depuis 2 000 ans, une forme de solidarité objective avec la condamnation à mort prononcée dans la nuit du 14 nisan 4034 ? Il y a là de quoi réfléchir sérieusement et, pour le rabbin Hier et ses confrères l'occasion d'une amorce de… repentance à saisir. Brisons-la ces commentaires en nous rappelant que c'est librement de Jésus-Christ est entré dans sa Passion, que la vie du Prince de la Vie ne lui fut pas arrachée, mais que c'est Lui qui l'a donnée.

 

Daniel Hamiche

daniel.hamiche@free.fr

 

1. Traduction du titre original de l'article de Christopher Noxon « Is the Pope CatholicEnough ? », allusion à un ouvrage du père de Mel, Hutton Gibson, Is the ope catholic ?, publié en 1978. Nous traiterons de cela dans un prochain article…

2. & 3. La version de la Septante donne respectivement exêliasan et exêliaômen, ce ui signifie exposer au soleil, brûler ou faire périr en exposant au soleil. La version ébraïque dite des « Massorètes » donne pour signification écarteler, pendre ou empaler, mais ces sens ne sont pas certains, et il convient de rappeler que la Bible des Massorètes a été compilée sur des « originaux » qui datent des IXe et Xe siècles après Jésus-Christ… On peut préférer la version grecque des Septante, plus ancienne de mille ans que celle utilisée par le judaïsme contemporain.

4. Voir sur ce sujet l'excellente étude de Ansgar Santogrossi, o.s.b., L'Évangile prêché à Israël, éd. Clovis, 2003, p. 48.