Passio Domini Nostri Jesu
Christi secundum…
Mel Gibson
IV.
À quoi tiennent les choses… Si seulement le rabbin Hier avait été
abonné au Wall Street
Journal (qui est pourtant le grand quotidien du « business », et donc
d'une lecture précieuse, voire… enrichissante pour le président du Simon Wiesenthal Center), nombre de ses
« inquiétudes » eussent, sans doute, été apaisées (du moins affectons-nous de
le croire), car ces dernières auraient été alimentées, comme nous l'avons déjà
écrit, par la lecture de l'article de Christopher Noxon
dans le magazine dominical du New York Times. Nous utilisons le conditionnel, car
nous avons découvert de nouveaux éléments susceptibles de répondre à notre
interrogation (cf. Légitimiste n° 365 B) :
comment le rabbin Hier pouvait-il, dès le 7 mars, avoir eu connaissance d'un
article à paraître le 9 (encore qu'il ait été disponible dès l'après-midi du 8
sur le site internet du New
York Times, mais cela ne change rien) ? Il n'est peut-être pas
nécessaire, comme nous l'avons cru, d'imaginer une transmission, par avance, de
l'article de Noxon au rabbin Hier. Souvent,
l'explication la plus bêtement simple est la plus vraisemblable, et, en l'occurence, la plus navrante. Voici ce qui aurait bien pu se
passer. Dans sa livraison du 6 mars, The
New York Post publie une brève intitulée « Mel
Gibson's Unholy Sunday » (L'affreux
dimanche de Mel Gibson, avec un jeu
de mots intraduisible en français, le Holy
Sunday étant aussi le Dimanche de Pâques outre-Atlantique), qui
annonce, précisément pour le dimanche suivant, la parution de l'article de Noxon, et qui décrit Gibson comme «
haïssant le pape et adepte du conspirationnisme ». Or, comme
on va le voir, Noxon ne parle pas, exactement, en ces
termes de Mel Gibson lui-même, mais plutôt de… son
père, Hutton ! Encore que… mais n'anticipons pas. Ce serait donc bien la
lecture de cette brève (en partie fautive et erronée) du New
York Post qui va provoquer la réaction précipitée et intempestive du
rabbin Hier. À quoi tiennent les choses… Si le rabbin avait bien voulu ne pas
écouter qu'un seul son de cloche (fêlée en l'occurrence), retarder de deux
jours sa violente (et injuste) mise en garde pour prendre le temps de lire le
reportage du Wall Street
Journal puis l'article du New York Times, il aurait
pu juger sereinement et équitablement, en honnête homme et en homme
responsable. Il ne sera ni l'un ni l'autre, allumant la mèche d'une machine infernale
faite d'explosions en série dont le vacarme n'est toujours pas étouffé six mois
plus tard. « La plus grande Histoire, nouvellement racontée » Tel est le
titre du reportage de Raymond Arroyo, publié dans The Wall Street Journal du vendredi 7
mars. L'auteur est directeur de l'information de Eternal
Worl Television Network
(EWTN), le plus grand réseau mondial de télévision religieuse catholique, lancé
en 1981, qui diffuse ses programmes, en anglais et en espagnol, dans 126 pays ou
territoires pour plus de 79 millions de foyers. Arroyo est à Rome, dans la
semaine du 3 au 9 mars, à Cinecitta. Il se
trouve sur le plateau alors que Gibson est en train de tourner la scène de
l'arrestation du Seigneur dans le jardin de Gethsémanie.
Il est attentif à beaucoup de détails (Gibson porte une croix au cou et le
scapulaire du Mont-Carmel), parle avec Jim Caviezel (qui dissimule des reliques dans son costume
pendant le tournage), et obtient de Gibson un entretien télévisé (qui sera
diffusé le 14 mars sur EWTN), assiste à la projection d'une demi-heure du film
(la montée au Golgotha, tournée en novembre/décembre à Matera). Arroyo est
visiblement impressionné par l'aspect de Caviezel : «
Il pourrait être le Jésus le plus ressemblant à un Juif qu'on ait jamais vu à
l'écran », constatation qu'Arroyo renouvellera, quelques jours plus
tard, sur KFUO, une radio luthérienne américaine : «
C'est probablement le Jésus le plus sémite qu'on ait jamais commis dans un film
»,
ajoutant que c'est peut être cela que certains pourront reprocher à Gibson,
d'avoir fait un Jésus trop juif ! Arroyo poursuit : «
Mettre le projecteur sur le jugement et la mort du Christ apportera, inévitablement,
des controverses. “C'est un terrain dangereux, sur lequel nous sommes” admet M.
Gibson. Sur la question de la responsabilité de la crucifixion du Christ – un
sujet fâcheux qui a attisé l'antisémitisme des siècles durant – M. Gibson
répond : “Ce n'est pas une affaire de chrétiens contre les Juifs – Il est venu
dans le monde, et le monde ne l'a pas connu 1. Quand on considère la
crucifixion du Christ, je m'intéresse d'abord à ma propre culpabilité dans
cette affaire”. Si l'on écarte la controverse envisageable, il faut reconnaître
que ce projet a été un défi. “Bien des obstacles ont été semé sur le parcours
de ce film ; c'est plein de désagréments” confie M. Gibson. “Et je comprends
que c'est un autre combat pour le Royaume. Aussi j'ai fait en sorte de passer
une armure”. Un prêtre disait la messe chaque jour sur le tournage […] “Je
m'efforce de rester blanc comme neige” ajoute M. Gibson ». Alors
qu'elle est encore au stade du tournage, La Passion a déjà agité
des… passions. « Des journalistes, confie Arroyo,
tentent de découvrir qui est M. Gibson, s'il ne va pas ajouter un point de vue
excentrique au récit de la Passion, pouvant blesser des gens ou imposer un
programme. M. Gibson est douloureusement conscient qu'on a entrepris de
fouiller tout ce qu'il fait, comme si, avec ce film, il était en train de
prendre une nouvelle direction qui exige une enquête ». Le
témoignage d'Arroyo est primordial. Ne serait-ce que parce qu'il a vu Gibson
travailler et qu'il l'a écouté parler de son film, de sa foi, de «
l'accomplissement de sa vie ». Deux jours plus tard, dans les
kiosques à journaux américains, un tout autre “exercice de style” que celui
d'Arroyo (dont à peu près aucune agence de presse, aucun journal ne fait écho
aux États-Unis…), va déchaîner la meute de tous ceux qui ne veulent entendre
parler ni de Gibson, ni de son film, ni de son Seigneur et Dieu Jésus-Christ. « Le Pape est-il
catholique… assez ? » Christopher Noxon est un
journaliste pigiste. Le New York Times aurait dû, à l'époque, se méfier des
pigistes… Effet de la justice immanente ? Toujours est-il que, moins de deux
mois plus tard, le quotidien new-yorkais allait se retrouver dans une tempête
médiatique sans précédent ni équivalent dans les 152 années d'histoire du «
journal de référence » [« paper of record »], comme il
s'est, lui-même, autoproclamé (ce qui nous renvoie, nous Français, à un autre «
journal de référence », tout aussi autoproclamé, qui a, d'ailleurs, avec son
homologue américain, d'étroits accords rédactionnels…). Le «
scandale Blair », du nom du pigiste Jayson Blair,
contraint à démissionner, le 1er mai 2003, pour avoir “bidonné” des dizaines et
des dizaines de papiers, entraîna dans sa chute Rick
Bragg, un correspondant du quotidien, pourtant lauréat d'un prix Pulitzer, qui
recopiait les papiers d'un autre pigiste, puis celle du directeur de la
rédaction Howell Braines et
de son adjoint Gerald Boyd. Un mois difficile pour Arthur
Ochs Sulzberger Jr, Juif
américain et propriétaire d'un « journal de référence » dont la crédibilité va s’amenuisant aux
États-Unis. Christopher Noxon donc. Contrairement à
Arroyo, il avouait ingénument, sur le site de discussion du LA
Examiner, le 7 mars, que, pour écrire son article, il «
n'avait pas parlé personnellement [à Gibson] » ; il faut
dire que le réalisateur n'avait aucune envie de lui dire quoi que ce soit,
sachant à qui il avait affaire (voyez ce qu'il en dit dans son entretien avec
O'Reilly, cf. Légitimiste
n°
364). Avec deux ou trois lignes de texte, Fouquier-Tinville se faisait fort
d'expédier leur auteur à la guillotine. Sans une seule parole originale de
Gibson, Noxon est capable de “tartiner” un papier de
plus de 18 000 signes (le double de celui que vous lisez présentement). Dans le
métier, on appelle cela : « tirer à la ligne ». Que ne ferait-on pas pour «
trente pièces [deniers] d'argent » 2, et, plus encore, pour la notoriété… Le
long papier de Noxon est une charge furieuse, quoique
peu documentée, sur Gibson fils et « Gibson père » (en français
dans
le texte). Pour ce qui est de « l'esprit »,
on le cherchera
en vain tout au long de l'article. Mel, d'abord.
C'est un bien curieux catholique, insinue Noxon, qui,
après avoir acquis un terrain de 6,5 ha, dans les environs de Malibu, au
nord-ouest de Los Angeles (tout près de la propriété
du propre père de Noxon…), s'est avisé d'y faire
construire une « église », ou plutôt une chapelle avec ses dépendances (2800 m2),
«
qui ne relève pas de l'archidiocèse catholique romain » de la grande
cité californienne. L'achat du terrain et la construction du lieu de culte
auraient nécessité, depuis trois ans, un investissement de 2,8 millions de
dollars, sortis de la poche de Mel Gibson. Pour en
avoir le coeur net, Noxon se rendit le dimanche 9
février, dernier après l'Épiphanie, dans cette « Église de la Sainte-Famille
»,
pour assister à une messe célébrée selon le missel dit de saint Pie V. Ce n'est
pas tant le rit qui semble l'avoir choqué, «
assez semblable à mon souvenir [des messes] de la paroisse de mon école », que
l'homélie du célébrant fustigeant « l'Église moderne ». C'est donc
sur le chemin de Malibu que Noxon va avoir sa
“révélation” : la « théologie » de Mel Gibson «
est une variété de catholicisme qui plonge sesracines
dans les ordres d'un concile papal du XVIe siècle
[celui de Trente], élaboré par un groupe éclaté de catholiques conspirationnistes, de mystiques, de monarchistes, de
conservateurs mécontents – et même d'un ex-séminariste –, et d'un théologien
incitant à la révolte qui se trouve être le père de Mel
Gibson », personnage dont Noxon va
“s'occuper” dans la suite de son article…
Daniel Hamiche
1. Jean, I, 10
2. Matthieu, XXVI, 15