Passio Domini Nostri Jesu Christi secundum

Mel Gibson

V.

 

Quand nous écrivons que ce n'est pas tant le rit de saint Pie V qui choque Noxon, il s'agit là, on l'aura compris, d'une clause de rhétorique. Noxon n'est pas choqué par ce rit : il l'exècre, incluant, dans sa détestation, tous ceux qui le maintiennent, et, notamment, Gibson, dont il a retrouvé (quelle découverte !) une citation dans un numéro de USA Today de décembre 2000 : « Je vais à une messe entièrement d'avant Vatican II ». Dès gens d'un autre âge, des fossiles : « Les traditionalistes s'abstiennent de manger de la viande les vendredis, et les femmes traditionalistes ont la tête couverte à l'église ». Vous imaginez un peu ! Eh! bien imaginons donc que Christopher Noxon ait écrit : « Les Juifs se refusent à manger toute viande non déclarée kasher par le Bet-Din rabbinique, et les femmes juives sont strictement séparées des hommes à la synagogue »… Quel scandale, n'est-ce pas? Mais Noxon a des “fiches”. Quand il traite du traditionalisme, il a des munitions pour la bataille, et de bonnes sources pour sa gourde. Il a retrouvé un bouquin, Les Fumées de Satan (The Smoke of Satan), écrit en 1997, par Michael W. Cuneo, « professeur de sociologie à l'Université de Fordham » 1, l'université jésuite de l'État de New York (c'est sérieux, ça, un professeur…, même s'il a commencé sa carrière comme chauffeur de taxi à Toronto ; ceci dit nous n'avons rien contre cette honorable corporation), pour qui les traditionalistes « ne voudraient rien de plus que d'être transportés dans la France de Louis XIV ou dans l'Espagne de Franco, quand le catholicisme profitait, pour son propre avantage, d'une préséance  hors pair dans la vie culturelle et sur les autres religions existantes ». Après avoir, par téléphone, « harcelé » le père de Mel, Hutton Gibson, pour obtenir un entretien, Christopher Noxon finit, de guerre lasse, par l'obtenir, non pas, comme il a le front de l'écrire « suite à une première conversation téléphonique ». Dans le programme « The O'Reilly Factor », Mel Gibson se plaignait, dès le 14 janvier, que son père était « harcelé » par un journaliste d'une « publication réputée » : aucun doute possible, il s'agissait bien de Noxon et du New York Times. Or, nous avons découvert quand l'entretien entre Noxon et Hutton Gibson s'est déroulé. Noxon écrit : « Vivant désormais dans la banlieue de Houston [Texas], Hutton Gibson, suite une première conversation téléphonique, m'a invité à lui rendre visite pendant un week end. À mon arrivée, il était absorbé par un entretien destiné à un programme syndiqué à plusieurs radios ». Noxon ne donne pas la date de ce week-end, mais comme le seul entretien radiophonique connu de Hutton Gibson pour cette période du premier bimestre 2003, a été diffusé le vendredi 17 janvier au soir dans le « Alex Jones Show » (sur Genesis Communications Network Inc., dont les programmes sont diffusés sur internet en « streaming »), on en conclut que Noxon était chez Gibson père les 17 (jour de l'enregistrement) et 18 du même mois. Noxon a dû s'y reprendre à plusieurs fois avant de « convaincre » Hutton Gibson d'accepter de le recevoir pour cet entretien dont les conséquences seront catastrophiques. C'est d'ailleurs là, nous devons l'avouer, un des nombreux sujets d'étonnement dont cette « affaire » ne manque pas : comment un homme comme Hutton Gibson qui, il faut bien le dire, voit des « complots » partout (ce qui ne veut pas dire, évidemment, qu'il n'y a aucun « complot » nulle part…, ne nous faites pas dire ce que nous ne voulons pas dire), peut-il accepter de recevoir chez lui un pigiste d'un journal dont l'idéologie est aux antipodes des siennes ? Est-ce par excès de confiance en lui ou par naïveté ? Par goût de la disputatio, alors? Mais pour souper chez le diable il faut une très, très longue cuillère… Visiblement, Hutton Gibson n'en possédait pas une de taille convenable. Le père de Mel Gibson est une personnalité que les Anglo-Saxons, avec leur goût de la litote, pourraient qualifier « d'excentrique ». On peut sourire de bien des « excentricités », mais quand elles touchent à des sujets brûlants de politique, d'histoire, de religion, elles peuvent déclencher des réactions de la dernière vigueur. Père de 11 enfants (et non pas de « 10 », comme l'écrit Noxon), de 48 petits-enfants (et non pas de « 49 », comme l'affirme Noxon), et de 15 arrière petits-enfants (au 24 juillet 2003, soyons précis…), ce « Patriarche » de bientôt 85 printemps, est connu d'un public restreint mais fervent, pour ses prises de position tranchées, son goût de l'étude et son érudition. Outre sa lettre C'est la guerre ! (The War Is Now!) diffusée à quelque six cents abonnés sur internet, on connaît de lui deux livres, publiés à compte d'auteur : en 1978, Le Pape est-il catholique ? (Is The Pope Catholic ?, une violente charge contre Paul VI), puis, en 1994, L'Ennemi est ici ! (The Enemy Is Here !, un recueil des 34 premières livraisons de The War Is Now!). « Ici », comme le montre l'illustration de la couverture de l'ouvrage – dessinée, d'ailleurs, par l'un de ses petits-enfants –, c'est Rome, le Saint-Siège. Il ne fait aucun doute, pour Hutton Gibson, que « Roncalli [Jean XXIII], Montini [Paul VI], Luciani [Jean-Paul Ier] et Wojtyla [Jean-Paul II] n'ont jamais été papes » (The War is Now!, n° 43, juillet 1997). Dans la soirée du 17, pendant une conversation de quatre heures, Hutton Gibson développe ses conceptions sédévacantistes : depuis Jean XXIII on à affaire à des « antipapes », et son analyse du concile de Vatican II « un complot maçonnique soutenu par les Juifs ». Le lendemain, après la messe, déjeuner dans l'équivalent local d'un Buffalo Grill. La conversation tourne d'abord sur les événements du 11 septembre 2000, le « 9.11 », comme on dit là-bas. Hutton Gibson « rejette l'idée que des pirates de l'air d'Al Qaida aient quoi que ce soit à voir avec les attaques. “N'importe qui peut sortir une liste de passagers” […] “Ils se sont écrasés par une commande à distance” […]. Il passa ensuite à l'Holocauste, écartant les comptes historiques sur les six millions de Juifs exterminés. “Allez demander à un entrepreneur des pompes funèbres ou au gars qui fait fonctionner un crématorium combien ça prend de temps pour se débarrasser d'un cadavre […] Il faut un litre d'essence et vingt minutes. Alors, six millions ?” ». De telles déclarations sont, pour Noxon, du nanan. Il savait, avant même d'aller chez Hutton Gibson, qu'il obtiendrait ce type de déclarations. Mais il les lui fallait. C'est pourquoi il l'a tant « harcelé » pour les recueillir. Voilà donc Hutton Gibson transformé en boule de bowling, et, au bout de la piste, les quilles attendent le « strike ». Mel, ses associés et ses amis sont les quilles.

 

Daniel Hamiche

daniel.hamiche@free.fr

 

1. Michael W. Cuneo n'est que professeur « associé ». Ce livre (non traduit en français), Les Fumées de Satan. La dissidence conservatrice et traditionaliste dans le catholicisme américain contemporain, a été publié chez Johns Hopkins University Press. Il collabore au New York Times…

2. Noxon écrit « presidency », mot curieux qui ne peut se traduire autrement que par présidence, ce qui ne veut pas dire grand chose ; sans doute a-t-il voulu dire « precedence », préséance, que nous avons choisi pour notre traduction. Coquille ou vocabulaire approximatif ?