Passio Domini Nostri Jesu Christi secundum

Mel Gibson

VI.

 

Tandis que nous rédigeons ce nouvel épisode (5 septembre 2003), Mel Gibson est à Rome, dans les studios de Cinecitta, pour tourner des plans raccord (« pickup shots ») pour La Passion. L'homme est, on le sait, perfectionniste : s'il lui manque quelques plans pour parfaire le montage de son film, pas question d'en confier le tournage à une seconde équipe ! Et voilà Mel Gibson retraversant l’Atlantique pour quelques minutes de film… Rien, au demeurant, n'interdisant de penser que le réalisateur mettra à profit son nouveau séjour romain pour quelque entretien discret. Ce n'est qu'une spéculation de notre part ; l'avenir nous l'apprendra. Pour en terminer avec Christopher Noxon, nous voudrions commenter l'une de ses dernières insinuations. Il écrit, en effet, dans son article du magazine du New York Times du 9 mars, le commentaire suivant : « Un ami de la famille Gibson a ses propres idées sur la manière dont la pensée traditionaliste a contribué à “La Passion”. Gary Giuffre 1, un fondateur de la chapelle Saint-Jude (Texas), dit, qu'à l'occasion d'une récente visite, Gibson lui a confié ses vues sur “La Passion”. “Cela décrira de manière imagée l'extrême souffrance du Christ, sans doute comme jamais aucun film ne l'a fait avant”. Encore plus important, dit-il, le film fera reposer la responsabilité de la mort du Christ sur ceux à qui elle revient – ce qui, pour certains traditionalistes, signifie les autorités juives qui présidèrent à son jugement et le livrèrent aux Romains pour être crucifié ».

Nous voici au coeur de l'affaire. Noxon cite un commentaire de Gary Giuffré, rapportant des propos de Gibson. De quel Gibson s'agit-il ? Le père (Hutton) ou le fils (Mel) ? L'article est ambigu à cet égard. Il est possible qu'il s'agisse de Mel, mais ce qui est plus probable c'est que ce commentaire vienne de Hutton ? Pourquoi ? Tout simplement parce que Hutton Gibson et Gary Giuffré sont de très proches relations. L'un et l'autre fréquentent la chapelle Saint-Jude (Texas). L'un et l'autre partagent la même conviction religieuse que l'on pourrait qualifier de « sirianisme ». Mais qu'est-ce à dire ? Le « sirianisme » est une des tendances du sédévacantisme, qui tient pour certain que le cardinal Joseph Siri, archevêque de Gênes, arriva en tête du scrutin du conclave lors des élections de Jean XXIII, de Paul VI, de Jean-Paul Ier et de Jean-Paul II. Arriver en tête du scrutin lors du premier tour de l'élection du conclave, n'est pas être élu pape… Toutefois, ces deux personnages, et quelques autres, sont convaincus que Siri fut, légitimement, élu pape, qu'il institua d'autres cardinaux et évêques, et que ceux-ci, quoique secrets, maintiennent l'authentique succession apostolique contre les « hérétiques » et autres « apostats » occupant le Siège de Pierre depuis la mort de Pie XII. Toutefois, la citation de Noxon est difficilement recevable. Faut-il croire l'homme

qui a vu l'homme, qui a vu l'homme, qui a vu l'ours ? Noxon a-t-il eu un contact direct avec Giuffré ? Et que dit exactement Noxon? Il ne dit pas que Giuffré lui a déclaré que

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« les Juifs » sont responsables de la mort du Christ ; il dit que, « pour certains traditionalistes» (ce n'est plus Giuffré qui parle, c'est Noxon qui commente…), la responsabilité des « autorités juives » est patente dans la crucifixion du Christ. « Tous » les traditionalistes ne sont pas « certains » traditionalistes. Premier point. Deuxième point : il est indiscutable que les « autorités juives » (autrement dit le Sanhédrin) sont, historiquement, coresponsables de la mort du Christ. Dans sa passionnante et érudite étude, Un Homme nommé Salut 2, Jacqueline Genot- Bismuth a tenté, avec succès nous semble-t-il, de reconstituer la chronologie des relations conflictuelles entre le Sanhédrin et le Christ, sur la base de l'Évangile de saint Jean.

L'affrontement initial survient (Jean, II, 14-20) lors du pèlerinage (la « montée ») à Jérusalem de Jésus pour Pesah (en araméen Paskha, d'où Pâques), la première année de sa vie publique, probablement en l'an 29. C'est le célèbre épisode des marchands du Temple et des changeurs que le Seigneur chasse à coups de fouet, ce qui Lui vaut un premier interrogatoire de délégués (ou de membres) du Sanhédrin, et d'être, désormais, l'objet d'une enquête attentive sur ses faits et gestes de la part des autorités juives de Jérusalem. À l'automne de cette même année, pour la fête de Sukot, le Seigneur monte en pèlerinage à Jérusalem. Il y guérit le paralytique et l'invite à prendre son grabat (Jean, V, 1 et suivants). Or c'était un jour de shabbat : pour les Pharisiens, le miraculé violait le shabbat, en transportant un objet, quant à Jésus s'arrogeant le droit de délier des obligations de la Tora et appelant Dieu son Père, se faisant ainsi Son égal, il méritait la mort (Jean, V, 17-18). C'est la première proposition de sentence de mort prononcée contre Jésus. Il sait désormais que le Sanhédrin l'a décrété d'arrestation, pour le déférer devant lui et le condamner à mort : il s'enfuit en Galilée. Jésus ne montera pas à Jérusalem pour Pesah de l'an 30, refusera la proposition de ses disciples d'y monter pour Sukot, mais finira par s'y rendre secrètement, vers le quatrième jour de la fête qui en durait huit. Il enseigne dans le Temple et se déclare l'envoyé de Dieu (Jean, VI, 16, 28). Le Sanhédrin tente une première fois, sans succès, de l'arrêter (Jean VI, 30), puis une seconde fois (Jean, VI, 32), sans davantage de succès. Le septième jour de Sukot, le

Sanhédrin se réunit pour débattre de l'affaire et prononcer une sentence de mort par contumace, mais l'intervention juridique du pharisien Naqdimon (Nicomède) empêche le prononcé (Jean, VI, 51). Au dernier jour de la fête, Jésus comparait devant le Sanhédrin, dans l'enceinte du Temple, et se déclare être « Je Suis », c'est-à-dire Dieu (Jean, VIII, 58), et manque d'être lapidé (Jean, VIII, 59) en flagrant délit de blasphème. En décembre, lors de la fête de Hanuka (fête de la Dédicace du Temple), Jésus, qui enseigne sous le Portique Royal du Temple, est pris à partie par des membres du Sanhédrin qui le pressent de dire s'il est le Messie. Sur sa réponse affirmative, ils veulent de nouveau le lapider (Jean, X, 31-33) en flagrant délit de se faire Dieu. Ils tentent une nouvelle fois de l'arrêter (Jean, X, 39), mais Jésus leur échappe et se cache. Sans doute au début de l'an 31, réunion du Sanhédrin, sous la présidence du Grand Prêtre Qayafa (Caïphe), la sentence de mort est prononcée : « C'est ce jour-là donc qu'ils décidèrent de le faire périr », écrit Jean (XI, 53), et que le Sanhédrin donne ordre à tous et à chacun de dénoncer sa cachette afin de l'arrêter (Jean, XI, 57), ce que Judas fera quelques semaines plus tard… On voudra bien nous pardonner ce long exposé, mais il était nécessaire pour rétablir une vérité aujourd'hui contestée : oui, ce sont bien les autorités juives, le

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Sanhédrin, qui ont décrété, à plusieurs reprises, la mort de Jésus et qui ont tenté, à deux reprises, de mettre cette sentence à exécution par lapidation… Ce sont des faits historiques. Toutefois, théologiquement parlant, les choses sont plus complexes. La mort de Notre-Seigneur Jésus-Christ n'est pas uniquement imputable aux « aux autorités juives » : elle l'est à tous les pêcheurs passés, présents et à venir. Ce qui, évidemment, ne veut pas dire que les « autorités juives » n'ait aucune responsabilité ! Une anecdote va vous démontrer qu'elle est la position de Mel Gibson par rapport à ce terrible problème que nous abordons. Mel Gibson a financé, écrit et réalisé La Passion. On nous dit qu'il n'y joue pas, contrairement à L'Homme sans visage (sa première mise en scène) ou à Braveheart. Ce n'est pas tout à fait vrai ! Comme nous l'avons déjà écrit, plus de 300 personnes ont vu une version « brute » de La Passion (et nous avons déjà publié un témoignage dans Légitimiste n° 363). Mais, à la demande de la production, tous ces privilégiés ont dû signer un engagement avant la projection, engagement qui les obligeait à ne pas révéler ce qu'ils avaient vu, sinon leurs sentiments. Certains n'ont pas trahi cet engagement, d'autres en ont dit, peut-être, un peu plus que souhaitable, du point de vue de la production, mais pas du nôtre… Bénis soient-ils ! car, grâce à eux, nous connaissons quelques détails de haute importance sur le film ! Par exemple que Mel Gibson “apparaît” deux fois dans le film… Nous mettons des guillemets, car ces apparitions sont fugaces… Nous en connaissons une : dans la scène de la crucifixion, c'est la main de Gibson qui tient le clou dont on s'apprête à transpercer, par un violent coup de marteau (voir la bande-annonce sur www. hollywoodjesus.com/passion.htm), la paume du Seigneur sur le bois de la Croix 3 ! Ce n'est pas anodin. Par ce petit “détail”, Mel Gibson tient à nous rappeler que, lui comme nous, sommes coresponsables de la crucifixion du Seigneur : ce sont nos péchés qui L'ont fixé au bois de la Croix ! Après cela, comment soutenir que ce sont les « Juifs », en général, qui sont responsables de la mort de Jésus-Christ, et que, par conséquent, Mel Gibson est antisémite ?

C'est pourtant la thèse qui, sans vergogne, va désormais être soutenue, et notamment par une « première gâchette » de toute cette bande qui veut la peau de Gibson : Abraham Foxman, le tout-puissant patron de l'Anti-Defamation League

Daniel Hamiche

daniel.hamiche@ free.fr

1. Il faudrait écrire « Giuffré », car c'est l'exacte orthographe de son nom, même si “é” est très rare en anglais. Nous savons bien peu de choses sur ce personnage, sinon qu'il est un dessinateur de tout premier plan, dont les talents lui ont valu d'être sollicité par le Comité National [du parti] Républicain, pour dessiner, à la mine de plomb, un portrait de l'ancien président Ronald Reagan, lequel a tellement apprécié le travail de l'artiste que cette oeuvre est exposée à la Bibliothèque et Musée présidentiels Ronald Reagan à Simi Valley (Californie). Giuffré a reçu son diplôme des Beaux-Arts à l'Université de Houston (Texas) en 1972, ce qui doit faire de lui un quinquagénaire. Sédévancantiste de tendance « siriste » ou « sirianiste », Giuffré s'est lancé dans une âpre polémique avec le biographe de Malachie Martin. Il y aurait beaucoup à dire, mais ce n'est pas, exactement, le thème principal de cette étude. Giuffré est le fondateur de la chapelle St. Jude Shrine à Stafford (Texas). La messe traditionnelle y est célébrée tous les dimanches par l’abbé Louis Campbell, et c’est un sermon de ce prêtre qu’entendit Noxon, le dimanche 9 février 2003, cinquième et dernier après l’Épiphanie (inutile de préciser que nous en possédons le texte…).

2. Un Homme nommé Salut. Genèse d'une hérésie à Jérusalem. François-Xavier de Guibert, Paris, 1995.

3. Selon Deal W. Hudson, éditeur de la revue Crisis, dans son article « L'Évangile selon Braveheart », The Spectator, 23 août 2003.