Lettre du pape Benoit
XVI aux évêques
Chers frères dans l’Episcopat,
C’est avec beaucoup de confiance et d’espérance que je remets entre vos mains
de Pasteurs le texte d’une nouvelle Lettre Apostolique « Motu Proprio
data », sur l’usage de la liturgie romaine antérieure à la réforme de
1970. Ce document est le fruit de longues réflexions, de multiples
consultations, et de la prière.
Des nouvelles et des jugements formulés sans information suffisante, ont suscité
beaucoup de confusion. On trouve des réactions très diverses les unes des
autres, qui vont de l’acceptation joyeuse à une dure opposition, à propos d’un
projet dont le contenu n’était, en réalité, pas connu.
Deux craintes s’opposaient plus directement à ce document, et je voudrais les
examiner d’un peu plus près dans cette lettre.
En premier lieu il y a la crainte d’amenuiser ainsi l’Autorité du Concile
Vatican II, et de voir mettre en doute une de ses décisions essentielles – la
réforme liturgique.
Cette crainte n’est pas fondée. A ce propos, il faut dire avant tout que le
Missel, publié par Paul VI et réédité ensuite à deux reprises par Jean-Paul II,
est et demeure évidemment
Quant à l’usage du Missel de 1962, comme Forma extraordinaria
de
C’est pour ce motif que le Pape Jean-Paul II s’est vu dans l’obligation de
donner, avec le Motu Proprio « Ecclesia
Dei » du 2 juillet 1988, un cadre normatif pour l’usage du Missel de 1962;
ce cadre ne contenait cependant pas de prescriptions détaillées, mais faisait
appel de manière plus générale à la générosité des Evêques envers les
« justes aspirations » des fidèles qui réclamaient cet usage du Rite
romain. A cette époque, le Pape voulait ainsi aider surtout
En second lieu, au cours des discussions sur ce Motu Proprio attendu, a été
exprimée la crainte qu’une plus large possibilité d’utiliser le Missel de 1962
puisse porter à des désordres, voire à des fractures
dans les communautés paroissiales. Cette crainte ne me paraît pas non plus
réellement fondée. L’usage de l’ancien Missel présuppose un minimum de
formation liturgique et un accès à la langue latine; ni l’un ni l’autre ne sont
tellement fréquents. De ces éléments préalables concrets découle clairement le
fait que le nouveau Missel restera certainement
Il est vrai que les exagérations ne manquent pas, ni parfois des aspects
sociaux indûment liés à l’attitude de certains fidèles liés à l’ancienne
tradition liturgique latine. Votre charité et votre prudence pastorale
serviront de stimulant et de guide pour perfectionner les choses. D’ailleurs,
les deux Formes d’usage du Rite Romain peuvent s’enrichir réciproquement: dans
l’ancien Missel pourront être et devront être insérés les nouveaux saints, et
quelques-unes des nouvelles préfaces.
J’en arrive ainsi à la raison positive qui est le motif qui me fait actualiser
par ce Motu Proprio celui de 1988. Il s’agit de parvenir à une réconciliation
interne au sein de l’Eglise. En regardant le passé, les divisions qui ont
lacéré le corps du Christ au cours des siècles, on a continuellement
l’impression qu’aux moments critiques où la division commençait à naître, les
responsables de l’Eglise n’ont pas fait suffisamment pour conserver ou
conquérir la réconciliation et l’unité ; on a l’impression que les omissions
dans l’Eglise ont eu leur part de culpabilité dans le fait que ces divisions
aient réussi à se consolider. Ce regard vers le passé nous impose aujourd’hui
une obligation : faire tous les efforts afin que tous ceux qui désirent
réellement l’unité aient la possibilité de rester dans cette unité ou de la
retrouver à nouveau. Il me vient à l’esprit une phrase de la seconde épître aux
Corinthiens, où Saint Paul écrit: « Nous vous avons parlé en toute
liberté, Corinthiens; notre cœur s'est grand ouvert. Vous n'êtes pas à l'étroit
chez nous; c'est dans vos cœurs que vous êtes à l'étroit. Payez-nous donc de
retour ; … ouvrez tout grand votre cœur, vous aussi ! » (2Co 6,11-13).
Paul le dit évidemment dans un autre contexte, mais son invitation peut et doit
aussi nous toucher, précisément sur ce thème. Ouvrons généreusement notre cœur
et laissons entrer tout ce à quoi la foi elle-même fait place.
Il n’y a aucune contradiction entre l’une et l’autre édition du Missale Romanum. L’histoire de la
liturgie est faite de croissance et de progrès, jamais de rupture. Ce qui était
sacré pour les générations précédentes reste grand et sacré
pour nous, et ne peut à l’improviste se retrouver totalement interdit, voire
considéré comme néfaste. Il est bon pour nous tous, de conserver les richesses
qui ont grandi dans la foi et dans la prière de l’Eglise, et de leur donner
leur juste place. Evidemment, pour vivre la pleine communion, les prêtres des
communautés qui adhèrent à l’usage ancien ne peuvent pas non plus, par
principe, exclure la célébration selon les nouveaux livres. L’exclusion totale
du nouveau rite ne serait pas cohérente avec la reconnaissance de sa valeur et
de sa sainteté.
Pour conclure, chers Confrères, il me tient à cœur de souligner que ces
nouvelles normes ne diminuent aucunement votre autorité et votre
responsabilité, ni sur la liturgie, ni sur la pastorale de vos fidèles. Chaque
Evêque est en effet le « modérateur » de la liturgie dans son propre
diocèse (cf. Sacrosanctum Concilium,
n. 22 : « Sacrae liturgiae
moderatio ab Ecclesiae auctoritate unice pendet : quae quidem est apud Apostolicam Sedem et, ad normam iuris, apud
Episcopum »).
Rien n’est donc retiré à l’autorité de l’Evêque dont le rôle demeurera de toute
façon celui de veiller à ce que tout se passe dans la paix et la sérénité. Si
quelque problème devait surgir et que le curé ne puisse pas le résoudre,
l’Ordinaire local pourra toujours intervenir, en pleine harmonie cependant avec
ce qu’établissent les nouvelles normes du Motu Proprio.
Je vous invite en outre, chers Confrères, à bien vouloir écrire au Saint-Siège
un compte-rendu de vos expériences, trois ans après l’entrée en vigueur de ce
Motu Proprio. Si de sérieuses difficultés étaient vraiment apparues, on
pourrait alors chercher des voies pour y porter remède.
Chers Frères, c’est en esprit de reconnaissance et de confiance que je confie à
votre cœur de Pasteurs ces pages et les normes du Motu Proprio. Souvenons-nous
toujours des paroles de l’Apôtre Paul, adressées aux prêtres d’Ephèse :
« Soyez attentifs à vous-mêmes, et à tout le troupeau dont l'Esprit-Saint vous a établis gardiens, pour paître l'Eglise
de Dieu, qu'il s'est acquise par le sang de son propre Fils » (Ac 20,28).
Je confie à la puissante intercession de Marie, Mère de l’Eglise, ces nouvelles
normes, et j’accorde de tout mon cœur ma Bénédiction Apostolique à vous, chers
Confrères, aux curés de vos diocèses, et à tous les prêtres vos collaborateurs
ainsi qu’à tous vos fidèles.
Fait auprès de Saint-Pierre, le 7 juillet 2007.
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LETTRE APOSTOLIQUE
EN FORME DE MOTU PROPRIO
Du Souverain Pontife
BENOÎT XVI
Sur l’usage de
Les Souverains Pontifes ont toujours veillé jusqu’à nos jours à ce que l’Église
du Christ offre à la divine Majesté un culte digne, « à la louange et à la
gloire de son nom » et « pour le bien de toute sa sainte Église ».
Depuis des temps immémoriaux et aussi à l’avenir, le principe à observer est
que «chaque Église particulière doit être en accord avec l’Église universelle,
non seulement quant à la doctrine de la foi et aux signes sacramentels, mais
aussi quant aux usages reçus universellement de la tradition apostolique ininterrompue,
qui sont à observer non seulement pour éviter des erreurs, mais pour
transmettre l’intégrité de la foi, parce que la lex orandi de l’Église correspond à sa lex
credendi »1.
Parmi les Pontifes qui ont eu ce soin se distingue le nom de saint Grégoire le
Grand qui fut attentif à transmettre aux nouveaux peuples de l’Europe tant la
foi catholique que les trésors du culte et de la culture accumulés par les
Romains au cours des siècles précédents. Il ordonna de déterminer et de
conserver la forme de la liturgie sacrée, aussi bien du Sacrifice de
Au cours des siècles, beaucoup d’autres Pontifes romains se sont
particulièrement employés à ce que la liturgie accomplisse plus efficacement
cette tâche ; parmi eux se distingue saint Pie V, qui, avec un grand zèle
pastoral, suivant l’exhortation du Concile de Trente, renouvela tout le culte
de l’Église, fit éditer des livres liturgiques corrigés et «réformés selon la
volonté des Pères », et les donna à l’Église latine pour son usage.
Parmi les livres liturgiques du Rite romain, la première place revient
évidemment au Missel romain, qui se répandit dans la ville de Rome puis, les
siècles suivants, prit peu à peu des formes qui ont des similitudes avec la
forme en vigueur dans les générations récentes.
C’est le même objectif qu’ont poursuivi les Pontifes romains au cours des
siècles suivants en assurant la mise à jour des rites et des livres liturgiques
ou en les précisant, et ensuite, depuis le début de ce siècle, en entreprenant
une réforme plus générale »2. Ainsi firent mes prédécesseurs Clément VIII,
Urbain VIII, saint Pie X3, Benoît XV et le bienheureux Jean XXIII.
Plus récemment, le Concile Vatican II exprima le désir que l’observance et le
respect dus au culte divin soient de nouveau réformés et adaptés aux nécessités
de notre temps. Poussé par ce désir, mon prédécesseur le Souverain Pontife Paul
VI approuva en 1970 des livres liturgiques restaurés et partiellement rénovés
de l’Église latine ; ceux-ci, traduits partout dans le monde en de nombreuses
langues modernes, ont été accueillis avec plaisir par les Évêques comme par les
prêtres et les fidèles. Jean-Paul II reconnut la troisième édition type du
Missel romain. Ainsi, les Pontifes romains se sont employés à ce que « cet
édifice liturgique, pour ainsi dire, […] apparaisse de nouveau dans la
splendeur de sa dignité et de son harmonie »4.
Dans certaines régions, toutefois, de nombreux fidèles se sont attachés et
continuent à être attachés avec un tel amour et une telle passion aux formes
liturgiques précédentes, qui avaient profondément imprégné leur culture et leur
esprit, que le Souverain Pontife Jean-Paul II, poussé par la sollicitude
pastorale pour ces fidèles, accorda en 1984, par un indult spécial Quattuor abhinc annos de
Les prières instantes de ces fidèles ayant déjà été longuement pesées par mon
prédécesseur Jean-Paul II, ayant moi-même entendu les Pères Cardinaux au
consistoire qui s’est tenu le 23 mars 2006, tout bien considéré, après avoir
invoqué l’Esprit Saint et l’aide de Dieu, par la présente Lettre apostolique je
décide ce qui suit :
Art. 1. Le Missel romain promulgué par Paul VI est l’expression ordinaire de la
« lex orandi» de l’Église
catholique de rite latin. Le Missel romain promulgué par S. Pie V et réédité
par le B. Jean XXIII doit être considéré comme l’expression extraordinaire de
la même « lex orandi » de
l’Église et être honoré en raison de son usage vénérable et antique. Ces deux
expressions de la « lex orandi
» de l’Église n’induisent aucune division de la « lex
credendi » de l’Église ; ce sont en effet deux mises
en œuvre de l’unique rite romain.
Il est donc permis de célébrer le Sacrifice de
Art. 2. Aux Messes célébrées sans peuple, tout prêtre catholique de rite latin,
qu’il soit séculier ou religieux, peut utiliser le Missel romain publié en 1962
par le bienheureux Pape Jean XXIII ou le Missel romain promulgué en 1970 par le
Souverain Pontife Paul VI, et cela quel que soit le jour, sauf le Triduum
sacré. Pour célébrer ainsi selon l’un ou l’autre Missel, le prêtre n’a besoin
d’aucune autorisation, ni du Siège apostolique ni de son Ordinaire.
Art. 3. Si des communautés d’Instituts de vie consacrée et de Sociétés de vie
apostolique de droit pontifical ou de droit diocésain désirent, pour la
célébration conventuelle ou «communautaire », célébrer dans leurs oratoires
propres
Art. 4. Aux célébrations de
Art. 5, § 1. Dans les paroisses où il existe un groupe stable de fidèles
attachés à la tradition liturgique antérieure, le curé accueillera volontiers
leur demande de célébrer
§ 2. La célébration selon le Missel du bienheureux Jean XXIII peut avoir lieu
les jours ordinaires ; mais les dimanches et les jours de fêtes, une Messe sous
cette forme peut aussi être célébrée.
§ 3. Le curé peut aussi autoriser aux fidèles ou au prêtre qui le demandent, la célébration sous cette forme extraordinaire
dans des cas particuliers comme des mariages, des obsèques ou des célébrations
occasionnelles, par exemple des pèlerinages.
§ 4. Les prêtres utilisant le Missel du bienheureux Jean XXIII doivent être
idoines et non empêchés par le droit.
§ 5. Dans les églises qui ne sont ni paroissiales ni conventuelles, il
appartient au Recteur de l’église d’autoriser ce qui est indiqué ci-dessus.
Art. 6. Dans les Messes selon le Missel du B. Jean XXIII célébrées avec le
peuple, les lectures peuvent aussi être proclamées en langue vernaculaire,
utilisant des éditions reconnues par le Siège apostolique.
Art. 7. Si un groupe de fidèles laïcs dont il est question à l’article 5 § 1
n’obtient pas du curé ce qu’ils lui ont demandé, ils en informeront l’Évêque
diocésain. L’Évêque est instamment prié d’exaucer leur désir. S’il ne peut pas
pourvoir à cette forme de célébration, il en sera référé à
Art. 8. L’Évêque qui souhaite pourvoir à une telle demande de fidèles laïcs,
mais qui, pour différentes raisons, en est empêché, peut en référer à
Art. 9, § 1. De même, le curé, tout bien considéré, peut concéder l’utilisation
du rituel ancien pour l’administration des sacrements du Baptême, du Mariage,
de
§ 2. Aux Ordinaires est accordée la faculté de célébrer le sacrement de
§ 3. Tout clerc dans les ordres sacrés a le droit d’utiliser aussi le Bréviaire
romain promulgué par le bienheureux Pape Jean XXIII en 1962.
Art. 10. S’il le juge opportun, l’Ordinaire du lieu a le droit d’ériger une
paroisse personnelle au titre du canon 518, pour les célébrations selon la
forme ancienne du rite romain, ou de nommer soit un recteur soit un chapelain,
en observant les règles du droit.
Art. 11.
Cette commission aura la forme, la charge et les normes que le Pontife romain
lui-même voudra lui attribuer.
Art. 12. Cette commission, outre les facultés dont elle jouit déjà, exercera
l’autorité du Saint-Siège, veillant à l’observance et à l’application de ces
dispositions.
Tout ce que j’ai établi par la présente Lettre apostolique en forme de Motu
proprio, j’ordonne que cela ait une valeur pleine et stable, et soit observé à
compter du 14 septembre de cette année, nonobstant toutes choses contraires.
Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 7 juillet de l’an du Seigneur 2007, en
la troisième année de mon pontificat.
BENEDICTUS Pp. XVI
1 - Présentation générale du Missel romain, troisième édition, 2002, n. 397.
2 - Jean-Paul II, Lettre ap. Vicesimus
quintus annus (4 décembre
1988), n. 3 : AAS 81 (1989), p. 899 ;
3 - ibidem
4 - Motu proprio Abhinc duos annos
(23 octobre 1913) : AAS 5 (1913), pp. 449-450 ; cf. Jean-Paul II, Lettre ap. Vicesimus quintus
annus, n. 3 : AAS 81 (1989), p. 899;
5 - Cf. Jean-Paul II, Motu proprio Ecclesia Dei adflicta (2 juillet 1988), n. 6 : AAS 80 (1988), p. 1498:
On peut télécharger ces deux documents aux adresses suivantes :
Lettre
du pape Benoit XVI accompagnant le motu proprio
Motu
Proprio Summorum Pontificum