Un certain 25 octobre 2003 à Notre Dame du Cap…

 

 

Il existe un très beau lieu de pèlerinage marial au Canada dans la province de Québec. C’est au Cap de la Madeleine. Il porte le nom : Sanctuaire de Notre Dame du Cap, tout près de Trois-Rivières, diocèse de Mgr Martin Veillette. Tout près aussi de Shawinigan-Sud où se trouve le prieuré Saint Pie X dont les Supérieurs de la Fraternité Saint Pie X m’ont donné la charge en septembre dernier.

 

Ce sanctuaire est très connu et aimé des canadiens. C’est même un sanctuaire national.

 

Je suis allé le visiter dès mon installation au prieuré Saint Pie X. Il n’est qu’à 24 km de là.

 

Je fus ravis par la beauté du lieu.

 

Ce petit sanctuaire, dédié à Notre Dame du Rosaire, fut construit en 1714. C’était initialement l’église du village, tout au bord du Saint Laurent, fleuve majestueux. Il se trouve au milieu d’un très beau parc. De nombreux et grands arbres donnent fraîcheur et ombre. Nous étions en fin d’été. Le parc est légèrement vallonné. Il y a de très beaux massifs de fleurs, des bassins d’eau. De magnifiques statues en bronze, grandeur presque nature, représentant  tous les mystères du Rosaire : les mystères joyeux, les mystères douloureux, les mystères glorieux. Un magnifique chemin de croix qui se termine par un majestueux Golgotha. Un Sépulcre. A quelques distances de là, le Pont des Chapelets, commémorant le miracle du pont de glace en 1888. Je vais, un peu plus bas, vous conter l’histoire… Un peu au loin du joli petit sanctuaire, la nouvelle basilique… Construction moins agréable mais, certainement très pratique pour les grandes cérémonies. C’est une immense église  pouvant, certainement, recevoir plus de 3000 pèlerins. Une grande crypte. Pour y arriver, vous devez passer dans un grand hall. Aux murs, de jolies panneaux où sont inscrits le «Je vous salue Marie» et «l’Angelus», en toutes les langues du monde, ou presque…même en breton. C’est  la réalisation et la fierté du Père Lortie, le responsable des pèlerinages, un O.M.I., oblat de Marie Immaculée, à qui le sanctuaire est confié.

 

Je fus conquis par la beauté du sanctuaire et surtout du petit sanctuaire dédié à Notre Dame du Rosaire.

 

C’est  cette petite église paroissiale qui  fut l’objet de l’attention de Notre Dame, grâce à la piété mariale fervente de quelques prêtres. Deux curés : l’abbé Vachon et l’abbé Désilet, à plus de deux siècles de distance et un religieux, le père Frédéric, prêtre franciscain, ami intime du curé Désilet.

 

Voici l’histoire

 

La petite église du Cap de la Madeleine où l’abbé  Vachon est curé dès 1685 devient, en raison de son zèle, trop petite. Il faut démolir pour construire plus grand. Ce fut fait en 1714. C’est l’actuel petit sanctuaire du Cap. Un siècle suit sans grand développement.

 

En 1859, arrive au Cap de la Madeleine, Monsieur l’abbé Désilet. Un sujet d’élite. Il est secrétaire de l’évêque, Mgr Cooke et curé du Cap. Il convertit sa paroisse.

Il faut, là encore, agrandir l’église paroissiale. Le Conseil de fabrique donne son accord. Il faut aller chercher les pierres pour la construction à la carrière de Saint Angèle, de l’autre côté du Saint Laurent. On va attendre l’hiver. Le Saint Laurent, en hiver, est pris dans les glaces. Le transport des pierres en sera facilité. Malheureusement, l’hiver 1878-1879 est très doux. Le curé se désole. Il fait promesse à Notre Dame : «Accordez-nous un pont de glace et nous vous promettons de ne jamais détruire l’édifice de 1714, mais d’en faire pour toujours un lieu consacré à la dévotion du Très Saint Rosaire!»

 

A la mi-mars… les choses changent soudainement. Un vent glacé souffle. Le pont de glace se forme. Il permettra, de fait, le transport des pierres. Dès le 19 mars, fête de Saint Joseph, après la messe, 175 traîneaux transporteront les blocs de pierres sur un pont de glace de 10 à 13 pieds de large. De chaque côté, c’est l’eau vive… Le charriage s’effectue sans arrêt pendant une semaine. Les hommes sont à leurs chariots. Les femmes, à leurs chapelets.  Aussi le pont de glace s’appellera-t-il «le pont des chapelets»

Cet événement du pont des chapelets se raconte partout alentour. Il prouve l’étonnante puissance de la Madone du Cap de la Madeleine. Elle veut manifestement être honorée en ce lieu par le peuple fidèle.

 

Et de fait, cette merveille attire les foules.

 

En septembre 1887, un franciscain arrive. C’est le père Frédéric, aux yeux célestes. Il sympathise avec le curé Désilet. Tous les deux vont animer le sanctuaire de Notre Dame.

 

En 1888, le petit sanctuaire de 1714, non démoli comme s’y était engagé le curé, est rénové. Nouveau parquet. Nouvelles peintures. Autel majestueux. Tout est fin prêt pour la célébration prévue au 22 juin 1888. C’est un vendredi. Une belle statue de Notre Dame, dans la chapelle latérale, est portée au sommet du maître autel. C’est une Vierge qui étend maternellement ses bras vers le bas, près des fidèles. Le tout, la statue de Notre Dame, le bel autel baroque, flamboyant de dorure, a belle allure. Le père Frédéric est dans la joie. Son curé aussi. Notre Dame sera ici, encore et toujours, invoquée. Sa puissance et sa magnificence seront ici reconnues. La cérémonie se termine. La foule se disperse. Le jour décline. Un paroissien invalide arrive au presbytère. Il veut aller au sanctuaire, lui aussi, à son tour. Le curé et le père Frédéric l’y conduisent. Tous les trois sont agenouillés au pied de Notre Dame. Et voilà  que tout à coup, O Merveille! La statue de Notre Dame du Cap ouvre les yeux tout grands. Il n’y a pas d’illusion possible. Les trois l’ont vu. Ils en porteront témoignage devant le tribunal de l’enquête canonique.

 

La statue de Notre Dame du Cap devient ainsi statue miraculeuse. Les foules viennent, depuis, toujours nombreuses, se confier à Marie.

 

Les enfants de la Tradition, depuis la révolution liturgique, en 1969, terrible crise dans l’Église, n’y pouvaient s’y rendre qu’individuellement, discrètement. Jamais de chapelets récités publiquement. Jamais de célébration de messe possible. Ce sanctuaire leur était sinon juridiquement, du moins pratiquement interdit.

 

Et bien! Le 25 octobre 2003, ils y sont venus en corps constitué… avec bannière de Saint Michel et statue pèlerine à bénir… grâce à la protection du père Frédéric, expressément invoqué dans mon cœur. C’est le père Frédéric qui a su toucher et le cœur du responsable des pèlerinages : le père Lortie et le cœur de l’Évêque, Mgr Martin Veillette.

 

Les fidèles étaient bien, en ce jour, le 25 octobre 2003, plus de 130. Ils ont pu réciter le chapelet, les mystères glorieux, tous ensembles, réunis aux pieds de la Madone. Il était exactement 15 heures. Et le matin du même jour, la messe tridentine, latine, grégorienne, dite de Saint Pie V avait pu être célébrée dans la crypte, à la joie de tous, vous l’imaginez, dans la chapelle Notre Dame de la Paix, aux 125 chaises, me disait le père Lortie, alors qu’il me faisait visiter le sanctuaire. Elles étaient bien utilisées, sans compter celles qu’on dut aller chercher.

 

Mais comment cela a-t-il pu se faire?

 

Bien simplement. Grâce à un contact simple, franc, aimable et respectueux, sans parler de la protection du Ciel.

 

Ce sanctuaire, un bijoux de sanctuaire, a, vous dis-je, immédiatement conquis mon cœur. Je l’aime. Je promis à Notre Dame de venir, avec les fidèles de la Fraternité sacerdotale saint Pie X, la vénérer. J’en ai confié le souci au père Frédéric, zélé apôtre de Notre Dame du Cap et que le Pape Jean-Paul II vient de béatifier. Je l’ai prié avec ferveur et confiance. J’en avertis les fidèles dans le premier numéro du Messager, dans l’éditorial. C’est le bulletin, tout neuf, du prieuré Saint Pie X.

 

Sitôt dit, sitôt fait. Me voilà au téléphone. J’ai la secrétaire. Je lui parle de notre pèlerinage, lui dit la date, le 25 octobre 2003, les heures souhaitées. 11 heures. 13 heures. 15 heures. Pour la messe, le repas, le chemin de croix. Elle note tout cela. Je me présente un peu plus. Prieuré Saint Pie X. Je sens une hésitation. Mais êtes-vous bien en communion avec l’Évêque de Trois-Rivières. C’est le nom du diocèse. Certainement, Madame, il est catholique, votre évêque. Elle toussote. J’en parle au père Lortie, responsable actuel des pèlerinages. Il vous rappellera. Merci beaucoup. Nous nous quittons.

 

Deux jours, trois jours passent. Pas de téléphone. Il a peut-être oublié. Il est certainement surchargé. Nous sommes en fin de saison. J’appelle moi-même. J’ai le père Lortie, lui-même, au téléphone. Il se montre très accueillant. Chaleureux même. C’est de fait son caractère. En raccrochant, je pense  que l’affaire est dans le sac. Toujours optimiste. Ça peut servir dans l’action! Je communique en communauté mon espérance. Autour de moi,  on reste sceptique… du moins prudent et réservé. Ça ne s’est jamais fait. Comment cela pourrait-il se faire? Le précédent de Sainte Anne de Beaupré reste toutefois dans les mémoires. C’était le 26 juillet 2003. Ce n’est pas encore très loin. On s’en souvient encore… Et puis il y a eu également le pèlerinage de M l’abbé Rusak, le 1 septembre dernier. Ici et là, la messe tridentine put être célébrée avec le consentement des autorités ecclésiastiques. Pourquoi là? Et Pourquoi pas ici? Pourquoi hier? Pourquoi pas aujourd’hui encore? On reste, cependant, réservé.

 

Le jour du rendez-vous approche. Le lundi 13 octobre. Il faut faire vite.

 

L’accueil du père Lortie est vraiment fraternel, sacerdotal. Comme on les aime. Chaleureux. Ce père a belle allure, clergyman. Il a les 70 ans… Un peu plus. Il a belle chevelure blanche. Souriant. Il me conduit à son bureau. Je salue les secrétaires. Tout le monde est cordial. Se veut cordial. A l’image du père.

 

Là, en son bureau, d’où je peux admirer le Saint Laurent, une franche conversation s’établit. Il ne voit pas franchement de problème pour la célébration de la messe dans le rite demandé. Il est un rite catholique. Certes!. Je lui fais remarquer que le Cardinal Castrillon Hoyos vient de célébrer cette messe, le 24 mai, à Sainte Marie Majeure. Il semblait ne pas le savoir. Il en prit note. La messe dans le rite tridentin ne fait pas de problème, disons plus de problème. J’invoque, en plus, le précédent de Sainte Anne de Beaupré, l’accueil du nouvel archevêque de Québec, son acceptation de la messe pour le 26 juillet, avec l’appui du Cardinal Castrillon Hoyos, l’accueil des frères rédemptoristes chargés du sanctuaire en l’honneur de Sainte Anne. Il ne le savait pas non plus. Il en fut un peu surpris… heureusement surpris. Il me laisse entendre que ce précédent est important. Les évêques se tiennent entre eux. Se soutiennent. Collégialité oblige. Certes!

 

Mais où est donc le problème? Dans votre appartenance à l’Église. Vos liens avec l’Église. Je lui dis que ce point canonique important - O Combien!- est en train d’être examiné, étudié par nous. Que nous sommes «in via», sur le chemin d’une solution. Tôt ou tard. L’expression «in via» lui plaît. La conversation  se détend un peu plus encore. On aborde le Concile. Je donne mes arguments. C’est une œuvre d’église. Il est œcuménique… Il est pastoral. Il s’est dit tel. Il peut être discuté. Ce n’est pas une œuvre absolue, définitive. Le Cardinal Ratzinger accepta cela dans le protocole signé par lui le 5 mai 1988 avec Mgr Lefebvre… Je prends l’exemple du document conciliaire sur la collégialité, sur la «nota praevia», acte du seul pontife Paul VI, pour préciser le langage ambiguë du texte… Bref, le père veut bien accueillir mes fidèles et moi-même. Nous serons peut-être une centaine. Mais il faut voir l’Évêque. C’est lui qui décide. C’est bien normal, dis-je. C’est même mon souhait. Je le vois cette après-midi, me dit-il. Je lui parlerai de notre entretien. Je suis membre du conseil presbytéral. Son avis doit être écouté, pensais-je. Il téléphone même à l’évêque. Personne ne répond. Je téléphonerai moi-même quand je rentrerai au prieuré. Et nous partons visiter le sanctuaire, le nouveau sanctuaire, la crypte, la chapelle de la paix, la cuisine, la salle à manger. C’est là que, passant dans le hall, il me montre les cadres, couleur bleu ciel, jaune, contenant le «Je vous salue Marie», «l’Angelus» en toutes les langues. C’est son œuvre. Il en est fier. A juste titre. C’est là que vous pourrez dire la messe dans la chapelle de la paix…si l’évêque accepte. Oh! J’aimerais dire la messe dans le beau petit sanctuaire de Notre Dame du Rosaire, le lieu précis des manifestations de la Madone. Ah! Nous avons la messe à 11 heures. Je peux la dire à midi. Voyez cela avec l’évêque. On se sépare en bon ami. Il m’invite même un jour à venir parler de notre Fraternité Saint Pie X à la communauté. Ils sont une vingtaine. J’accepte bien volontiers. C’est vous dire que le contact fut  bon.

 

L’après-midi, de fait, il a du parler de notre entretien à l’évêque, Mgr Martin Veillette qu’il rencontrait. Le terrain ainsi était bien préparé.

 

Quelques jours après, je téléphone à l’évêché. L’évêque est absent. J’explique l’objet de mon téléphone. Pas de problème. L’évêque, me dit-on, vous attend et vous rappellera. De fait, il m’appelle. Rendez-vous est pris pour le 17 octobre à 11 heures. Il ne s’éternise pas au téléphone.

 

Je suis à l’heure au rendez-vous, à l’évêché de Trois-Rivières. C’est une belle construction en pierre de taille. Devant, une magnifique statue de Mgr Laflèche, grand évêque ultramontain, le deuxième du diocèse, de Trois-Rivières.

 

J’entre. Une dame m’accueille, prévient l’évêque. Il va venir. Elle me conduit au salon. Sur les murs, les six évêques précédents Mgr Veillette. Ils ont tous, belle allure. En soutane. Anneau. Croix pectorale. Arrive leur successeur. En civil, col roulé. Souriant. L’œil malicieux. Intelligent. Petit de taille. Il me demande d’avoir avec lui le chancelier. Une dame arrive. C’est le chancelier. Étonnement. Deux fauteuils. Je suis en face. Un guéridon à ma droite. Une petite lampe éclaire quelques belles médailles. La conversation s’installe. J’explique l’objet de ma visite. Il le sait. Le père Lortie lui a déjà parlé. Cela me facilite la tache. On parle de la Fraternité sacerdotale Saint Pie X, de la Fraternité saint Pierre, de leur installation à Ottawa, la capitale du Canada. On parle de mon désir de régularisation de notre situation dans l’église. On parle de la messe tridentine, de la messe que Mgr Ouelette, aujourd’hui cardinal, accepta que je  célèbre dans la crypte de Saint Anne de Beaupré, le 26 juillet dernier. Il fut particulièrement attentif aux propos tenus en faveur de la messe tridentine par l’archevêque de Chicago, Mgr Georges. Je lui donne l’article que des amis m’avaient remis la veille et qu’ils avaient trouvé sur Internet. Il le garde. On aborde le problème de la formation  que nous donna  Mgr Lefebvre. J’insiste sur la pensée de Mgr Lefebvre liant le sacerdoce au sacrifice de la Croix, au mystère de la croix. La spiritualité sacerdotale en découle. Cette idée ne lui plaît pas. Il ne la conteste pas cependant. Le Concile de Trente est le Concile de Trente. On met l’accent, aujourd’hui, me dit-il, sur d’autres aspects… Peut-être! Mais les séminaires se vident… Ils n’existent même plus. On juge un arbre à ses fruits.  Je n’insiste pas. Je n’ai pas de leçon à donner à l’évêque. «Aetatem habet». Moi, je ne suis  rien et dans la situation, quémandeur… Enfin, dernière question. Quelle relation  avez-vous avec l’abbé de Nantes? Il y a de fait une communauté à Shawinigan. Ma réponse fut claire. Aucune.

Alors, vous voulez venir faire votre pèlerinage à Notre Dame du Cap. Oui! Mgr. C’est O.K. Vous pourrez dire la messe tridentine à la chapelle de la paix à 11 heures. A votre convenance. J’en avertis le recteur et le père Lortie. J’essaye d’avoir le petit sanctuaire, si beau, lieu des manifestations mariales. Une hésitation. Non. J’accepte et en mon cœur je remercie le père Frédéric et Mgr Veillette. Nous nous quittons. Heureux, lui d’avoir donné. Moi, d’avoir reçu. Il y a plus de joie à donner qu’à refuser. Il y a beaucoup de joie à recevoir un trésor, de la main d’un père.

 

Dans la rue de l’évêché, au sortir, sous la pluie, une dame me félicite de porter la soutane. Et surtout gardez la bien, me dit-elle.

 

Dans ma voiture, j’étais heureux pour les fidèles. Et de trois. La messe à Sainte Anne de Beaupré, le 26 juillet 2003. La messe également le 1 septembre, avec l’abbé Rusak

La messe le 25 octobre à Notre Dame du  Cap.

 

Que Notre Dame du Cap intercède pour nous et tous les fidèles du Canada.

 

 

Abbé Paul Aulagnier