« Les Nouvelles de Chrétienté »

n°3

                   

Le mardi 26 avril 2005

Varia sur Benoit XVI

1. l’homme

De trois ans l'aîné du nouveau pape et prêtre à la retraite, Georg Ratzinger évoque ses souvenirs d'enfance avec le Souverain Pontife
«Mon frère, Benoît XVI»
Georg Ratzinger, 81 ans, prêtre à la retraite et ancien dirigeant du choeur de la cathédrale de Ratisbonne, en Bavière, accepte pour LeFigaro de commenter l'élection de son frère cadet Joseph Ratzinger, devenu le pape Benoît XVI mardi dernier. Dans sa maison, située dans la vieille ville, il évoque leurs souvenirs communs de jeunesse.

Propos recueillis par Cécile Calla
[Figaro 22 avril 2005]


Georg Ratzinger :«La mort de notre soeur Maria en 1991 a beaucoup affecté Joseph.» (Photo F. Krug/Action Press/Visual.)
 

LE FIGARO. – Comment avez-vous réagi après la nouvelle de son élection ?


Georg RATZINGER. – J'étais complètement sonné. J'ai pensé à la charge qu'il devait désormais assumer alors qu'il n'est plus tout jeune. Pour être pape, il faut avoir une bonne santé physique afin que le pontificat puisse durer le plus longtemps possible. J'étais d'autant plus étonné que nous n'avions jamais parlé de l'éventualité qu'il devienne pape, même après la mort de Jean-Paul II. J'ai néanmoins éprouvé une grande joie mardi soir.

Mercredi matin, vous lui avez parlé pour la première fois depuis son élection. Comment s'est déroulée la conversation ?

Nous n'avons pas parlé très longtemps, il avait très peu de temps. De toute manière, je n'aime pas trop le téléphone. Nous avons essentiellement discuté de choses pratiques, notamment de mon voyage à Rome pour son intronisation.

L'annonce de son élection a suscité un certain scepticisme en Allemagne. Cela vous a-t-il surpris ?

Pas vraiment. Ceux qui le critiquent ont des souhaits de changement auxquels il ne peut pas répondre. Le pape ne peut pas complètement transformer l'Eglise.

Vous souvenez-vous de la naissance de votre frère et de ses premières années ?

C'était un matin dans notre maison de Marktl am Inn (sud de la Bavière). Je me souviens d'avoir demandé à mon père si je pouvais me lever. Il m'a dit de continuer à dormir, m'expliquant que ma mère venait de mettre un petit garçon au monde. Ensuite, je me souviens que, tout petit enfant, mes parents n'arrivaient pas à lui faire avaler quoi que ce soit, à part une soupe de flocons d'avoine. A l'âge de 5ans, après avoir aperçu le cardinal qui m'ordonnera prêtre plus tard, il annonçait vouloir suivre la même voie. De mon côté, je rêvais d'associer la musique à la prêtrise.

Racontez-nous quel genre d'enfant il était.

C'était un enfant très joyeux, et très proche de la nature. Il adorait les fleurs et les animaux, particulièrement les chats. Il y a d'ailleurs un chat dans sa maison de Ratisbonne. Il n'a pas pu l'emmener au Vatican car les animaux y sont interdits.


Quelle relation avez-vous avec votre frère ?

Même si nous sommes différents, nous avons toujours été très proches l'un de l'autre. J'estime particulièrement sa bonté, son intelligence et sa disponibilité. Enfant, nous avons beaucoup joué ensemble. Nous allions cueillir des baies ou des champignons dans la forêt voisine de notre maison. La Seconde Guerre mondiale nous a ensuite séparés pendant quelques années. Nous nous sommes retrouvés et avons effectué ensemble notre séminaire. Une fois nommés prêtres, nous avons régulièrement continué à nous voir. Et jusqu'à son élection, nous avions l'habitude de nous voir quatre à cinq fois par an. Le plus souvent, il venait à Ratisbonne, où il possède lui-même une maison, non loin du centre-ville. Pendant ses séjours, il travaillait la majeure partie de la journée, mais nous pouvions tout de même déjeuner ensemble et aller nous promener si la météo le permettait. Nous écoutions aussi de la musique classique, particulièrement Mozart, son compositeur préféré. Sa dernière visite remonte au 29 décembre dernier. Nous avons alors passé quelques jours ensemble à Traunstein (Bavière), où nous avons effectué notre séminaire. Dorénavant, il lui sera très difficile de me rendre visite. Cela, je le regrette beaucoup.

Qu'est-ce qui pouvait attrister votre frère ?

La mort de notre soeur Maria en 1991 l'a beaucoup affecté. Plus généralement, il supporte mal qu'on l'enferme dans des clichés, qu'on le présente si facilement comme un conservateur.

Selon vous, quelle relation entretenait-il avec le pape Jean-Paul II ?

Mon frère l'admirait énormément et avait une excellente relation avec lui. Jean-Paul II a d'ailleurs écrit, dans un livre, combien mon frère lui était d'une précieuse aide. Logiquement, il va donc poursuivre la voie de Jean-Paul II, mais dans un autre style. Mon frère n'est pas aussi spontané et direct que le précédent pape, il est bien plus discret.

Que lui souhaitez-vous pour son pontificat ?

Avant tout une santé de fer.

 

Rome (Agence Fides) - Dom Notker Wolf, Abbé Primat des Bénédictins Confédérés depuis 2000, se trouvait au Mexique quand le Cardinal Ratzinger a été élu Pape. Il a été frappé par le choix du nom de Benoît. « Etonné, mais content, dit-il à l’Agence Fides, et, dès que je l’ai su, je m’en suis réjoui ». Pour l’Abbé, le choix du nom de Benoît indique un amour particulier du nouveau Pape pour les Bénédictins, qui a une racine lointaine. « En Bavière, dit-il, il y a 17 Abbayes bénédictines. Evidemment, Joseph Ratzinger, dès son enfance a respiré un ‘air bénédictin’, et le choix du nom est un geste d’amour. Certes, le nom de benoît évoque les racines chrétiennes de l’Europe. Benoît est patron de l’Europe, et, choisir son non nom signifie mettre au centre de son propre Pontificat l’intention de ré-évangéliser le vieux continent ».

« Je partage entièrement l’homélie que le Cardinal Ratzinger a faite le jour de l’ouverture du Conclave, quand il a dit que le danger le plus grand que courait l’Eglise était la dictature du relativisme. Cela est vrai en Europe surtout, et le Pape Benoît XVI est bien conscient que le premier continent qui a besoin d’une véritable et propre évangélisation, est l’Europe».

Santa Cruz (Agence Fides) - Au moment de l’élection et de la première Bénédiction « Urbi et Orbi » du Pape Benoît XVI, Mgr Winfried Pilz, Président de l’Enfance Missionnaire d’Allemagne, se trouvait à Santa Cruz en Bolivie, où il a pu suivre ces événements à la télévision. Il décrit à l’agence Fides sa réaction et ses sentiments à ce moment : « Pendant quelques minutes, il m’est apparu inconcevable de voir le Cardinal Ratzinger apparaître à la Loggia de Saint-Pierre pour sa présentation et la Bénédiction. Ceci, pour un motif très personnel : le professeur alors âgé de 33 ans dont j'avais suivi les cours à Bonn en 1960, se présentait maintenant comme Pape, âgé de 78 ans, pour saluer les foules qui exultaient de joie ! ».

Sur les rapports qu’aura le Pape Benoît XVI avec les enfants, Mgr Pilz est assuré : « A sa première apparition en public, il a ouvert à plusieurs reprises les bras en saluant le monde entier avec un sourire libérateur. Un tel sourire gagne la confiance d’un enfant dès le premier moment, et je suis certain que le nouveau Pape, comme son prédécesseur, aime les enfants, et qu’il le montrera. Avec l’Enfance Missionnaire dans le monde entier, je souhaite qu’il encourage et soutienne l’œuvre missionnaire des enfants ». (M.S.)
(Agence Fides, 21 avril 2005, 19 lignes, 249 mots


2. la reception du st pere, barometre de la realite

 

FRANCE Le différend avec les évêques remonte à 1983, quand le cardinal était venu à Lyon et à Paris pour dénoncer le catéchisme que l'on enseignait dans l'Hexagone

 

L'accueil plutôt tiède de l'Eglise de France

Elie Maréchal           [Figaro 21 avril 2005]

L'arrivée de Benoît XVI sur le trône de Pierre suscite chez nombre de représentants de l'Eglise de France un certain scepticisme, voire de la déception. Avant même que le nouveau Pape apparaisse dimanche devant la foule avec sa soutane blanche, les catholiques progressistes et des médias assombrissent déjà son image : «intransigeant»,«conservateur», «doctrinaire»... Lui-même con naît l'assaut des «vagues de la mode», selon son expression au début du conclave. L'évêque de Nancy, Jean-Louis Papin, vice-président de la Conférence épiscopale, l'a qualifié de «personnalité contestée» sur la radio France Bleu Lorraine. Fidèle à son atavisme gallican, notre pays ne le ménage pas.

Le différend avec les évêques remonte au début des années 80. En janvier 1983, dans des conférences prononcées à Lyon et à Paris, Mgr Ratzinger vient donner un coup de pied dans la fourmilière de la catéchèse en France, alors même que l'appareil ecclésiastique en est si fier *. Il dénonce alors la prépondérance donnée aux méthodes catéchétiques sur le contenu même de la foi à transmettre. Les évêques sont donc invités à revoir leur dispositif et cette brouille mettra dix ans à s'apaiser entre le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi et le cortège des quelque 220 000 catéchistes. La méfiance s'est ainsi diffusée dans les paroisses.

Nouvelle pomme de discorde entre le prélat et la France en 1985. Mgr Ratzinger prononce le mot malheureux de «restauration», qui évoque la monarchie dans l'inconscient collectif français. Les esprits attachés à Vatican II pensent aussitôt que la parenthèse conciliaire va se fermer et que le cardinal allemand pousse l'offensive rétrograde. Voilà désormais son image figée dans le rôle de «chef de file des conservateurs».

Une telle appréciation ressort aujourd'hui, une fois Benoît XVI élu. C'est à présent que commence le vrai travail de deuil à l'égard de Jean-Paul II. Le tempérament de son successeur est autre, assurément. Si l'histoire ne se répète pas, les schémas de pensée ont la vie dure. Cette élection n'est «manifestement pas un signe d'ouverture», commente Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale. L'appui immédiat d'un George Bush, qui voit dans le nouveau Pape «un homme d'une grande sagesse et culture», ne peut que conforter une part de l'opinion française dans son jugement négatif. Tout comme les applaudissements de l'Opus Dei et a fortiori ceux de l'extrême droite.

Prudemment, l'abbé Pierre avance que «les hommes changent avec les fonctions qu'ils occupent» et qu'on ne peut «pas prévoir ce que sera ce pape». Le père Daniel Duigou, prêtre journaliste et psychanalyste, cache moins ses réserves, craignant «que l'on s'oriente vers une Eglise de combat, avec un retour au fondamentalisme et au dogmatisme dans un besoin urgent de se rassurer face à une société moderne qui fait peur». Quant à Mgr Jacques Gaillot, il se dit «déçu, abattu» : «Les cardinaux ont manqué d'audace», ajoute-t-il.

Christian Terras, directeur de Golias, «l'empêcheur de croire en rond» autoproclamé, commence par une révérence devant «ce grand serviteur de l'Eglise» qui «va peut-être donner plus de marge de manoeuvre aux conférences épiscopales». Puis la critique fuse : «Les carottes sont cuites, poursuit-il. Ce pape, homme rigide, ne va pas faire sauter les verrous. Il ne va pas se déjuger sur son oeuvre de vingt-cinq ans en parfaite complicité avec Jean-Paul II. Sur ce point, je ne crois pas au miracle.»

A l'exception des scouts et guides de France, les divers mouvements catholiques de notre pays ne se bousculaient pas hier pour saluer l'élection de Benoît XVI. Un tel silence marque au moins l'attentisme, sinon la crainte de se faire taper sur les doigts par l'expression d'une franche déception.

* pour connaître la pensée de Benoit XVI sur la ‘nouvelle évangélisation’, lire plus bas son exposé à des catéchistes du 10 décembre 2000 pendant l’année Sainte du Jubilé.

VATICAN Progressistes et conservateurs ont exprimé des réactions contrastées à l'arrivée de Joseph Ratzinger sur le trône de saint Pierre

La planète catholique divisée sur Benoît XVI

Alain Barluet  [Figaro 21 avril 2005]


Des voix discordantes ont accueilli l'arrivée sur le trône de Pierre de l'ancien préfet la Congrégation pour la doctrine de la foi. 
(Photo AFP.) 

L'élection de Benoît XVI a suscité des réactions contrastées dans le monde. C'est que s'il a été mardi, au deuxième jour du conclave, l'homme du compromis, l'ex-cardinal Joseph Ratzinger ne s'annonce pas comme un pape de consensus. Sa première homélie, hier matin, en insistant sur «la reconstitution de l'unité pleine et visible de tous les chrétiens» l'inscrit sur une ligne de continuité par rapport à Jean-Paul II. Tout comme son intention – proclamée hier – de promouvoir le dialogue interreligieux. La fidélité au grand prédécesseur a été largement saluée parmi les catholiques et bien au-delà. Musulmans, juifs et orthodoxes ont émis des réactions marquées par la prudence mais aussi par l'intention de voir se poursuivre les échanges. En Israël, le chef de la diplomatie, Sylvan Shalom, a exprimé l'espoir que le Pape continuera à «lutter fermement contre l'antisémitisme sous toutes ses formes».

Des voix discordantes ont néanmoins accueilli l'arrivée sur le trône de Pierre de l'ancien préfet la Congrégation pour la doctrine de la foi – théologien réputé pour sa fermeté doctrinale. Sans surprise, les partisans d'une réforme en profondeur de l'Église, les militants anti-sida, des droits des femmes ou des homosexuels ont, un peu partout, fustigé le nouveau Pape, pour son «conservatisme». Mais les réactions dubitatives – et parfois franchement hostiles – sont surtout venues d'Europe et d'Amérique latine. Par contre, l'Afrique et l'Asie se sont montrées beaucoup plus satisfaites – à l'exception notable de la Chine qui a réitéré sa demande d'une rupture des relations diplomatiques entre le Vatican et Taïwan. Aux Philippines, le plus grand pays catholique d'Asie où Jean-Paul II était immensément populaire, la présidente Gloria Arroyo a qualifié le nouveau Pape de «phare» pour les fidèles. Sur le continent noir, le président sud-africain s'est félicité de l'élection de Benoît XVI, en déclarant que l'Afrique voyait en lui un «allié potentiel» pour lutter contre le racisme et créer un monde «plus équitable».

En Europe, des voix nettement plus critiques se sont fait entendre. Le président Jacques Chirac, le chancelier allemand Gerhard Schröder – qui a souligné «l'honneur fait à l'Allemagne» – le chef du gouvernement italien Silvio Berlusconi et le premier ministre britannique Tony Blair ont fait assaut de félicitations. Mais la presse des pays du sud du continent, majoritairement catholiques, – Espagne, Portugal et même Italie – n'a parfois pas caché sa déception pour un choix qui «montre de manière flagrante l'incapacité de prendre des risques et d'innover» de l'Eglise catholique, selon le Diario de noticias, principal journal portugais.

En Amérique latine, l'élection d'un pape allemand, dont l'image est, par ailleurs, celle d'un grand pourfendeur de la «théologie de la libération», a suscité des réactions mitigées. Côté éloges, le président brésilien Lula da Silva s'est dit convaincu que Benoît XVI «défendra avec force la paix et la justice sociale». Le Mexicain Vicente Fox a adressé au nouveau Souverain Pontife une «invitation ouverte et permanente» à se rendre en visite dans son pays. Et l'Argentin Nestor Kirchner, absent des funérailles de Jean-Paul II, a fait part de sa volonté de se rendre au Vatican. Mais le continent, qui regroupe désormais la moitié des 1,1 milliard de catholiques de la planète, attendait de toute évidence «son» pape. Cette déception a fait chorus avec la franche hostilité des milieux progressistes de l'Église, au Brésil en particulier. En Amérique latine, «l'image d'homme de l'Occident (de Ratzinger) va lui rendre la tâche plus difficile», a estimé hier le jésuite allemand Wolfgang Seibel.

Le géant et les nains [www.libertepolitique.com – Décryptage]

Thierry-Dominique Humbrecht op*

La déferlante médiatique sur le nouveau Pape, en une semaine, donne à réfléchir. Le risque que prend la presse, sans le mesurer, est celui de l'effet boomerang. La presse profane exprime les critères de la société hédoniste et libertaire, et la presse chrétienne fait elle aussi étalage de ses réflexes et de ses étroitesses. Tout le monde montre son flanc.

Que constate-t-on ? Les critères sont surtout sociologiques, par exemple les consternantes étiquettes de "conservateur" ou bien de "progressiste". Outre le fait que l'on se trompe souvent, au début d'un pontificat, sur les orientations du nouvel élu, il faut rappeler que les critères sociologiques ne sont pas les bons pour juger d'un tel événement. On souhaiterait chez les élites chrétiennes qui se donnent la peine de parler un peu plus de hauteur spirituelle et de pénétration intellectuelle. Celles-ci, en France, déçoivent assez souvent pour se souvenir d'être prudentes à l'égard de leur propre discours.

Surtout, faisant ainsi, les grincheux prennent le risque de passer ensuite pour des petits messieurs. Il en fut de même pendant tout le pontificat de Jean-PauI II, ne l'oublions pas trop vite. J'ai souvent été témoin, indirect ou direct, de critiques au sujet de ce dernier. On a le droit de parler, de discuter, d'argumenter ; mais cela doit se faire, à tout le moins, en vertu d'une réception filiale préalable. Mon impression ne fut pas rare d'avoir affaire à des nains critiquant un géant. J'en avais honte pour eux, pour le manque de profondeur de leur discours et, le cas échéant, pour la dignité de leur fonction. Certes, n'ayons pas peur, mais il faudrait au moins avoir peur du ridicule.

La dimension de celui qui n'est plus le cardinal Joseph Ratzinger va vite apparaître aux yeux de tous, dimension intellectuelle d'exception bien sûr, mais aussi charité et volonté de mener l'Église comme elle doit l'être. Que cela ne corresponde pas toujours à nos critères préconçus, ou plutôt à notre foi en peau de chagrin et à nos prétentions mondaines, est chose possible. Le fait que, dès le troisième jour de l'élection, le Pape apparaisse aux yeux des médias "plus ouvert" que prévu en dit long sur ceux qui ont préparé les critères d'appréciation.

Benoît XVI, en vertu de l'assistance de l'Esprit-Saint, saura quoi dire et comment le dire. Lui montrons-nous l'exemple ? Lui donnons-nous envie de gouverner de tels chrétiens ? Saurons-nous l'aider ? Si nous sommes nous-mêmes des bâtisseurs, et reconnus tels autrement que par le miroir de ceux qui nous entourent, l'Église avancera. Le moment est venu pour chacun de s'interroger sur sa propre fécondité apostolique. Ne manquons pas le rendez-vous de la vertu d'admiration, elle témoigne de la qualité de cœur de celui qui en fait montre. Un nain ne se rapetisse pas à témoigner de la grandeur d'un autre. Surtout, ne livrons ni notre âme ni notre jugement aux médias, même chrétiens.

*Le frère Thierry-Dominique Humbrecht est dominicain de la province de Toulouse

VATICAN Le parcours de ce pape intellectuel permet d'éclairer sa pensée

Une théologie qui veut concilier la foi et la raison

Gérard Leclerc [Figaro 21 avril 2005]


A 36 ans, Joseph Ratzinger (à gauche) était professeur de théologie quand il devint secrétaire du cardinal Frings, archevêque de Cologne (à droite). A ce titre, il rédigea des textes qui provoquèrent des incidents pendant le concile Vatican II.
(Photo Ho-Ho/AFP.) 

Benoît XVI sera un pape intellectuel. Tout son passé témoigne en ce sens. Faut-il rappeler son brillant parcours de théologien qui commence avec sa thèse sur l'ecclésiologie de saint Augustin, suivie d'un autre travail sur saint Bonaventure ? Celui qui fut professeur de dogmatique successivement à Münster, Tübingen puis Ratisbonne aurait pu continuer jusqu'à la fin de ses jours sa mission d'universitaire dans le cadre très particulier des facultés de théologie allemandes. C'est par la volonté de Paul VI qu'il dut abandonner cette carrière pour devenir archevêque de Munich en 1977. Jean-Paul II devait l'appeler quatre ans plus tard à Rome pour être son collaborateur direct à la Congrégation pour la doctrine de la foi. Ainsi, son magistère exercé auprès du pape lui permettait-il d'utiliser son vaste savoir théologique pour éclairer la foi des catholiques.

Le fait que Joseph Ratzinger soit issu de la Bavière catholique n'est pas anodin. Cette citadelle au coeur d'une Allemagne profondément marquée par la Réforme du XVIe siècle est tout à la fois un lieu de résistance et d'observation. Jamais le futur pape ne fut tenté par Luther. Mais la confrontation avec le protestantisme allemand fut pour lui l'occasion d'un discernement constant des lignes de force à l'intérieur d'un christianisme divisé. Par ailleurs, l'Allemagne est depuis le XVIIIe siècle la patrie des philosophes de la modernité, pour le meilleur et pour le pire. D'Emmanuel Kant à Martin Heidegger, la philosophie contemporaine n'a cessé d'être inspirée par des penseurs allemands, qu'ils soient inspirateurs ou adversaires de la modernité. Joseph Ratzinger a vécu dans ce climat intellectuel où sa foi était sans cesse en tension avec la raison issue des Lumières.

Récemment, il y a quelques mois, le cardinal Ratzinger était revenu dans sa chère capitale bavaroise pour une confrontation mémorable. En effet, un débat avait été organisé qui mettait face à face le cardinal venu de Rome et Jürgen Habermas, le théoricien de «l'agir communicationnel». Ce dernier est la grande figure d'un pays voulant exorciser la tragédie du nazisme. Avec son «patriotisme constitutionnel», Habermas a ouvert les chemins d'une démocratie fondée sur l'échange des opinions dans le cadre d'une procédure rigoureuse. Le maître mot d'Habermas est la raison qui exclut toute référence à une tradition ou à un dogme religieux. Cependant, le philosophe s'est montré soucieux, ces dernières années, des conséquences du pouvoir de la science sur l'intégrité humaine. Il n'a pas hésité à recourir au domaine de la révélation biblique afin de mieux éclairer son anthropologie. Dans son débat avec Ratzinger, il était donc conscient d'avoir un interlocuteur particulièrement attentif et bienveillant. L'opinion allemande reçut cette confrontation avec beaucoup d'attention. Il semblait en effet que le champion de la raison s'inclinait devant l'autorité du cardinal, tandis que ce dernier entendait ne pas déserter le terrain rationnel. Il se montrait ainsi fidèle à la célèbre encyclique de Jean-Paul II, Sides et Ratio, dont la rédaction ne lui était nullement étrangère. Il insistait sur cette idée que, selon saint Thomas d'Aquin, la nature humaine ne renvoyait pas d'abord à un concept biologique mais à une réalité spirituelle.

Cette rencontre de Munich constitue un événement à méditer. Si les cardinaux réunis en conclave se sont si rapidement accordés sur le nom du cardinal Ratzinger, c'est, sans aucun doute, à cause de son intelligence de premier ordre qui lui permet de dialoguer avec des représentants de la modernité la plus aiguë. On peut donc évoquer une «centralité de l'intelligence de la foi». Pourquoi, en effet, avoir choisi cet homme de 78 ans alors que d'autres cardinaux plus jeunes auraient peut-être incarné plus de dynamisme à l'image de ce que fut la première partie du pontificat de Jean-Paul II ? Mais l'urgence des temps imposait cet homme précis qui avait tenu fermement la barre aux côtés du pape polonais et se trouvait capable de répondre, avec toutes les ressources de la foi et de la raison, aux défis dont est l'objet notre humanité même. N'est-ce pas Malraux qui posait la question : «Pourquoi aller sur la lune, si c'est pour s'y suicider ?»

Des adversaires accusent férocement : Ratzinger serait passé du libéralisme conciliaire au conservatisme le plus obtus. Il est vrai qu'au moment du concile Vatican II, l'abbé Ratzinger, âgé de 36 ans, fut comme secrétaire de l'archevêque de Cologne, le cardinal Frings, le rédacteur d'un certain nombre de textes qui provoquèrent de sérieux incidents. Le plus célèbre d'entre eux concerne le fonctionnement du Saint Office – qui avait la haute main sur la théologie – alors dirigé par le cardinal Ottaviani. Ce dernier fut blessé par l'algarade. Mais le Saint Office fut profondément remanié et ses méthodes changées. Est-ce à dire que Ratzinger était à ce moment progressiste et qu'il se renia par la suite ?

La question fut posée notamment en 1985 lorsque, aidé par le journaliste Vittorio Messori, le responsable de la Congrégation pour la doctrine de la foi publia un ouvrage qui fit presque scandale. Cet Entretien sur la foi consistait en une très vive contestation des dérives de l'Eglise postconciliaire. Dès lors, Ratzinger fut considéré comme le premier agent d'une Restauration qui voulait liquider Vatican II. A l'époque, il fut défendu par le cardinal Henri de Lubac, un des plus grands théologiens du XXe siècle, qui reconnaissait en Ratzinger un de ses pairs. Pour de Lubac, c'est l'héritage conciliaire que Ratzinger défendait contre des dérives gravissimes.

Devenu le représentant du conservatisme, Ratzinger était le bouc émissaire de la fin du pontificat de Jean-Paul II. Son texte intitulé Dominus Iesus – qui opérait des distinctions entre le christianisme et les autres confessions chrétiennes, et plus encore les religions non chrétiennes – fut considéré comme un coup d'arrêt à la dynamique du dialogue. Mais à examiner les choses plus sereinement, il apparaît que la rigueur doctrinale de Ratzinger est de nature déontologique. Il s'agit d'abord de reconnaître la spécificité de chaque tradition propre, sans vouloir tomber dans les travers du confusionnisme et du syncrétisme. La mondialisation qui génère des phénomènes de rencontres des cultures constitue un défi non seulement pour l'intégrité de la foi chrétienne, mais aussi pour l'authenticité d'un débat honnête. Toutes les confessions religieuses ne se reconnaissent pas dans une conception commune de l'Eglise. Il est donc, selon Ratzinger, périlleux de faire comme si toutes les différences avaient été gommées. Le dialogue doit bien avoir lieu, mais il ne se conçoit que dans la reconnaissance rigoureuse des héritages particuliers.

S'il est incontestable que Benoît XVI est un théologien rigoureux, il est abusif d'en déduire qu'il est enfermé dans une Eglise forteresse, indifférent au progrès de la compréhension entre les religions et les civilisations. Son premier discours programme signifie bien la continuité avec les grands chantiers de Jean-Paul II. Mais la condition de réussite du dialogue oecuménique et du débat interreligieux passe par une rencontre dans la vérité et la reconnaissance des différences. Le cardinal théologien est devenu pasteur universel. Il ne se contentera plus de mises au point doctrinales, il se lancera lui aussi dans les grands chantiers d'une Eglise en mouvement. Du moins, peut-on le présumer, avant que les faits ne l'attestent ou ne l'infirment.

Le débat entre le cardinal Ratzinger et Jürgen Habermas a été publié dans la revue Esprit, juillet 2004.

VATICAN Le nouveau Souverain Pontife parle parfaitement le français et a souvent séjourné dans l'Hexagone

Le nouveau Souverain Pontife est un grand ami de la France

Saluant hier l'élection du Pape, l'archevêque de Paris, Mgr Vingt-Trois, a confié que Benoît XVI avait «des qualités éminentes qui vont se développer dans sa nouvelle mission pontificale». MgrJean-Pierre Ricard, archevêque de Bordeaux et président de la Conférence des évêques de France, a remercié «de tout coeur la terre d'Allemagne qui donne l'un de ses fils à Rome et au monde entier». «Le monde est devenu un village global, a-t-il souligné, jamais nous n'avons eu autant besoin du successeur de Pierre pour bâtir une fraternité universelle dans la vérité pour ouvrir l'Eglise sur le monde.» Le nouveau Pape connaît bien la France et saura apprécier ces messages.

Jean Chichizola  [20 avril 2005]

Benoît XVI a déjà visité la France à plusieurs reprises et parle un français excellent. En avril 2001, le cardinal, préfet de la Congrégation romaine pour la doctrine de la foi, avait été l'un des six conférenciers pour le carême à Notre-Dame de Paris. Des conférences placées par le cardinal Jean-Marie Lustiger sous le signe de «la situation spirituelle de l'Eglise et du monde au seuil du IIIe millénaire». Devant 1 500 fidèles, le prélat allemand avait évoqué dans la langue de Molière les atrocités du XXe siècle. «Là où Dieu n'est pas, avait-il affirmé, là où ne pénètre plus aucune lueur de sa présence, voilà l'enfer.» Le futur Benoît XVI avait mis son auditoire en garde contre les «formes subtiles» que pouvait prendre l'enfer, et ce «presque toujours en disant vouloir le bien des hommes». «Quand, aujourd'hui, on fait du commerce avec les organes humains, avait-il souligné, quand on fabrique des foetus pour avoir des organes en réserve ou pour avancer la recherche médicale et préventive, bon nombre considèrent comme allant de soi le contenu humain de ces pratiques, mais le mépris de l'homme qui est sous-jacent quand on use et abuse de l'homme ramène, qu'on le veuille ou non, à la descente aux enfers.»

Trois ans après son prêche parisien, Joseph Ratzinger était le représentant du Vatican aux célébrations du soixantième anniversaire du Débarquement en Normandie. Le 5 juin 2004, il avait prononcé à l'abbatiale Saint-Etienne de Caen un discours remarqué sur l'état du monde, la guerre, le terrorisme et les atteintes à la démocratie et à la liberté, en dénonçant le «criminel» Adolf Hitler.

 «Quand le droit est détruit, quand l'injustice prend le pouvoir, avait-il déclaré, c'est toujours la paix qui est menacée et déjà, pour une part, brisée. Se préoccuper de la paix est en ce sens avant tout une préoccupation pour une forme du droit qui garantit la justice à l'individu et à la communauté dans son ensemble.» Il avait rendu hommage à Churchill, Adenauer et Schuman pour leurs valeurs morales et leur idée de l'Etat et de la paix puisées dans leur foi chrétienne et dénonçant par ailleurs la domination du mensonge exercée par le Parti communiste à l'époque de la guerre froide et les «immenses dégâts économiques, idéologiques et spirituels» qu'il a provoqués.

Le cardinal avait à l'époque évoqué la terreur islamiste, «nouvelle espèce de guerre mondiale», qui «ne connaît plus la distinction entre combattants et population civile, entre coupables et innocents». Il avait appelé à la quête d'un juste rapport entre la raison et la religion, le chemin de la paix n'étant accessible qu'à ceux qui «font mémoire du Dieu de la Bible, qui s'est fait proche en Jésus-Christ».

Le cardinal bavarois a eu d'autres occasions de montrer son intérêt pour les relations entre son pays natal et la France. Le 11 mai 1998, l'ambassadeur de France au Vatican lui remettait les insignes de commandeur de la Légion d'honneur. Son discours ne portait pas sur des questions religieuses ou sur les relations entre le Saint-Siège et la fille aînée de l'Eglise mais bien sûr la réconciliation franco-allemande. Une réconciliation qui lui tiendrait particulièrement à coeur. Il aurait également soutenu le développement des relations trilatérales entre la France, l'Allemagne et une troisième nation chère à Jean-Paul II : la Pologne.

La nouvelle évangélisation, selon le card. Ratzinger, nouveau pape Benoît XVI

Conférence prononcée lors du Jubilé des catéchistes

CITE DU VATICAN, Mardi 10 avril 2005 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte d’une conférence donnée par le cardinal Joseph Ratzinger sur le thème de la nouvelle évangélisation, le 10 décembre 2000, lors du jubilé des catéchistes. Une vision, un programme.

Evangéliser signifie « apprendre l’art de vivre », affirme-t-il. « Cet art ne peut être communiqué que par celui qui a la vie - celui qui est l'Evangile en personne ».

* * *

CONFÉRENCE DE S. Em. LE CARD. JOSEPH RATZINGER SUR LE THÈME DE LA NOUVELLE ÉVANGÉLISATION

JUBILÉ DES CATÉCHISTES

Dimanche 10 décembre

La vie humaine ne se réalise pas d'elle-même. Notre vie est une question ouverte, un projet incomplet qu'il nous reste à achever et à réaliser. La question fondamentale de tout homme est: comment cela se réalise-t-il - devenir un homme? Comment apprend-t-on l'art de vivre? Quel est le chemin du bonheur?

Evangéliser signifie: montrer ce chemin - apprendre l'art de vivre. Jésus a dit au début de sa vie publique: Je suis venu pour évangéliser les pauvres (Lc 4, 18); ce qui signifie: j'ai la réponse à votre question fondamentale; je vous montre le chemin de la vie, le chemin du bonheur - mieux: je suis ce chemin. La pauvreté la plus profonde est l'incapacité d'éprouver la joie, le dégoût de la vie, considérée comme absurde et contradictoire. Cette pauvreté est aujourd'hui très répandue, sous diverses formes, tant dans les sociétés matériellement riches que dans les pays pauvres.

L'incapacité à la joie suppose et produit l'incapacité d'aimer, elle produit l'envie, l'avarice - tous les vices qui dévastent la vie des individus et du monde. C'est pourquoi nous avons besoin d'une nouvelle évangélisation - si l'art de vivre demeure inconnu, tout le reste ne fonctionne plus. Mais cet art n'est pas un objet de la science - cet art ne peut être communiqué que par celui qui a la vie - celui qui est l'Evangile en personne.

I. Structure et méthode de la nouvelle évangélisation

1. La structure

Avant de parler des contenus fondamentaux de la nouvelle évangélisation, je voudrais dire un mot à propos de sa structure et de la méthode appropriée. L'Eglise évangélise toujours et n'a jamais interrompu le cours de l'évangélisation. Elle célèbre chaque jour le mystère eucharistique, administre les sacrements, annonce la parole de vie - la Parole de Dieu, s'engage pour la justice et la charité. Et cette évangélisation porte ses fruits: elle donne la lumière et la joie, elle donne un chemin de vie à tant de personnes; et beaucoup d'autres vivent, souvent même sans le savoir, de la lumière et de la chaleur resplendissantes de cette évangélisation permanente. Cependant, nous observons un processus progressif de déchristianisation et de perte des valeurs humaines essentielles qui est préoccupant. Une grande partie de l'humanité d'aujourd'hui ne trouve plus, dans l'évangélisation permanente de l'Eglise, l'Evangile, c'est-à-dire une réponse convaincante à la question: Comment vivre?

C'est pourquoi nous cherchons, outre l'évangélisation permanente, jamais interrompue, et à ne jamais interrompre, une nouvelle évangélisation, capable de se faire entendre de ce monde qui ne trouve pas l'accès à l'évangélisation "classique". Tous ont besoin de l'Evangile; l'Evangile est destiné à tous, et pas seulement à un cercle déterminé, et nous sommes donc obligés de chercher de nouvelles voies pour porter l'Evangile à tous.

Mais ici se cache également une tentation - la tentation de l'impatience, la tentation de chercher tout de suite le grand succès, de chercher les grands nombres. Ce n'est pas la méthode de Dieu. Pour le Royaume de Dieu, comme pour l'évangélisation, instrument et véhicule du Royaume de Dieu, est toujours valable la parabole du grain de sénevé (cf. Mc 4, 31-32). Le Royaume de Dieu recommence toujours de nouveau sous ce signe. La nouvelle évangélisation ne peut pas signifier: attirer tout de suite par de nouvelles méthodes plus raffinées les grandes masses qui se sont éloignées de l'Eglise. Non - ce n'est pas cela la promesse de la nouvelle évangélisation. La nouvelle évangélisation signifie: ne pas se contenter du fait que du grain de sénevé a poussé le grand arbre de l'Eglise universelle, ne pas penser que le fait que dans ses branches toutes sortes d'oiseaux peuvent y trouver place suffit - mais oser de nouveau avec l'humilité du petit grain, en laissant Dieu choisir quand et comment il grandira (Mc 4, 26-29). Toutes les grandes choses commencent toujours par un petit grain et les mouvements de masse sont toujours éphémères. Dans sa vision du processus de l'évolution, Teilhard de Chardin parle du "blanc des origines": Le début des nouvelles espèces est invisible et introuvable pour la recherche scientifique. Les sources sont cachées - trop petites. Autrement dit: Les grandes réalités commencent dans l'humilité. Ne nous inquiétons pas de savoir si, et jusqu'à quel point, Teilhard a raison avec ses théories évolutionnistes; la loi des origines invisibles dit une vérité - une vérité présente précisément dans l'agir de Dieu dans l'histoire: "Ce n'est pas parce que tu es grand que je t'ai élu, bien au contraire - tu es le plus petit des peuples; je t'ai élu parce que je t'aime... " dit Dieu au peuple d'Israël dans l'Ancien Testament, et il exprime ainsi le paradoxe fondamental de l'histoire du salut: Certes, Dieu ne compte pas avec les grands nombres; le pouvoir extérieur n'est pas le signe de sa présence. Une grande partie des paraboles de Jésus indiquent cette structure de l'agir divin et répondent ainsi aux préoccupations des disciples, qui attendaient du Messie bien d'autres succès et signes - des succès du genre de ceux offerts par Satan au Seigneur: Tout cela - tous les royaumes du monde - je te le donnerai... (Mt 4, 9). Certes, Paul à la fin de sa vie a eu l'impression d'avoir porté l'Evangile jusqu'aux extrémités de la terre, mais les chrétiens étaient de petites communautés dispersées dans le monde, insignifiantes selon des critères séculiers.

En réalité, elles furent le levain qui pénètre de l'intérieur la pâte et portèrent en elles l'avenir du monde (cf. Mt 13, 33). Un vieux proverbe dit: "Le succès n'est pas un nom de Dieu". La nouvelle évangélisation doit se soumettre au mystère du grain de sénevé, et ne doit pas prétendre produire tout de suite un grand arbre. Nous vivons tantôt dans la trop grande sécurité du grand arbre déjà existant, tantôt dans l'impatience d'avoir un arbre plus grand, plus vigoureux - nous devons au contraire accepter le mystère que l'Eglise est à la fois le grand arbre et le grain minuscule. Dans l'histoire du salut, c'est toujours en même temps Vendredi saint et Dimanche de Pâque...

2. La méthode

De cette structure de la nouvelle évangélisation découle aussi la méthode appropriée. Certes, nous devons utiliser de manière raisonnable les méthodes modernes pour nous faire entendre - mieux: pour rendre la voix du Seigneur accessible et compréhensible... Nous ne cherchons pas seulement l'écoute pour nous - nous ne voulons pas augmenter le pouvoir et l'extension de nos institutions, mais nous voulons nous mettre au service du bien des personnes et de l'humanité en faisant place à Celui qui est la Vie. Cette expropriation de soi-même, en l'offrant au Christ pour le salut des hommes, est la condition fondamentale d'un authentique engagement pour l'Evangile. "Je suis venu au nom de mon Père et vous ne m'accueillez pas"; qu'un autre vienne en son propre nom, celui-là vous l'accueillez" dit le Seigneur (Jn 5, 43). Le signe distinctif de l'antéchrist est de parler en son nom propre. Le signe du Fils est sa communion avec le Père. Le Fils nous introduit dans la communion trinitaire, dans le cercle de l'amour éternel, dont les personnes sont des "relations pures", l'acte pur de se donner et de se recevoir. Le dessein trinitaire - visible dans le Fils, qui ne parle pas en son nom - montre la forme de vie du véritable évangélisateur - mieux encore, évangéliser n'est pas uniquement une façon de parler, mais une façon de vivre: vivre dans l'écoute et se faire la voix du Père. "Car il ne parlera pas de lui-même, mais ce qu'il entendra, il le dira" dit le Seigneur à propos de l'Esprit Saint (Jn 16, 13). Cette forme christologique et pneumatologique de l'évangélisation est en même temps une forme ecclésiologique: le Seigneur et l'Esprit construisent l'Eglise, se communiquent dans l'Eglise. L'annonce du Christ, l'annonce du Royaume de Dieu suppose l'écoute de sa voix dans la voix de l'Eglise. "Ne pas parler en son propre nom" signifie: parler dans la mission de l'Eglise...

De cette loi de l'expropriation découlent des conséquences très pratiques. Toutes les méthodes raisonnables et moralement acceptables doivent être étudiées - c'est un devoir d'utiliser ces possibilités de communication. Mais les paroles et tout l'art de la communication ne peuvent atteindre la personne humaine à la profondeur à laquelle doit arriver l'Evangile. Il y a quelques années, je lisais la biographie d'un excellent prêtre de notre siècle, Dom Didimo, curé de Bassano del Grappa. Dans ses notes, on trouve des paroles précieuses, fruit d'une vie de prière et de méditation. A ce propos, Dom Didimo dit par exemple: "Jésus prêchait le jour, la nuit il priait". Par cette brève remarque il voulait dire: Jésus devait acquérir ses disciples de Dieu. Cela toujours valable. Nous ne pouvons pas gagner, nous, les hommes. Nous devons les obtenir de Dieu pour Dieu. Toutes les méthodes sont vides sans le fondement de la prière. La parole de l'annonce doit toujours baigner dans une intense vie de prière.

Nous devons y ajouter un élément supplémentaire. Jésus prêchait le jour, la nuit il priait - mais ce n'est pas tout. Sa vie tout entière fut - comme le montre de façon très belle l'Evangile de saint Luc - un chemin vers la croix, une ascension vers Jérusalem. Jésus n'a pas racheté le monde par de belles paroles, mais par sa souffrance et sa mort. Sa passion est une source de vie intarissable pour le monde; sa passion donne force à sa parole.

Le Seigneur lui-même - en étendant et en élargissant la parabole du grain de sénevé - a formulé cette loi de fécondité dans la parole du grain de blé qui meurt, tombé en terre (Jn 12, 24). Cette loi est valable elle aussi jusqu'à la fin du monde, et - avec le mystère du grain de sénevé - elle est fondamentale pour la nouvelle évangélisation. Toute l'histoire le prouve. Il serait facile de le démontrer dans l'histoire du christianisme. Je me bornerai à rappeler ici le début de l'évangélisation dans la vie de saint Paul. Le succès de sa mission ne fut pas le fruit d'une grande habileté rhétorique ou de la prudence pastorale; sa fécondité fut liée à sa souffrance, à sa communion dans la passion avec le Christ (cf. 1 Co 2, 1-5; 2 Co 5, 7; 11, 10 sq; 11,30; Ga 4, 12-14). "Il ne lui sera donné que le signe du prophète Jonas" a dit le Seigneur. Le signe de Jonas est le Christ crucifié - ce sont les témoins, qui complètent "ce qui manque aux tribulations du Christ" (Col 1, 24). Dans toutes les périodes de l'histoire, se sont chaque fois de nouveau confirmés ces mots de Tertullien: Le sang des martyrs est une semence.

Saint Augustin dit la même chose d'une façon plus belle, en interprétant Jn 21, où la prophétie du martyre de Pierre et le mandat de paître les brebis, c'est-à-dire l'institution de son primat, sont intimement liés. Saint Augustin commente ainsi le texte Jn 21, 16: "Pais mes brebis", c'est-à-dire souffres pour mes brebis (Sermo Guelf. 32 PLS 2, 640). Une mère ne peut donner la vie à un enfant sans souffrir. Tout accouchement implique la souffrance, est souffrance, et le devenir chrétien est un accouchement. Ou pour le dire avec les paroles du Seigneur: le Royaume de Dieu souffre violence (Mt 11, 12; Lc 16, 16), mais la violence de Dieu est la souffrance, est la croix. Nous ne pouvons donner vie aux autres sans donner notre vie. Le processus d'expropriation cité plus haut est la façon concrète (exprimée sous tant de formes diverses) de donner sa propre vie. Rappelons-nous la parole du Sauveur: "...Qui perdra sa vie à cause de moi et de l'Evangile la sauvera... " (Mc 8, 35).

II. Les contenus essentiels de la nouvelle évangélisation

1. Conversion

Pour ce qui est des contenus de la nouvelle évangélisation, il faut avant tout garder à l'esprit que l'Ancien et le Nouveau Testament sont inséparables. Le contenu fondamental de l'Ancien Testament est résumé dans le message de Jean Baptiste: Convertissez-vous! Il n'y a pas d'accès à Jésus sans le Baptiste; il n'est pas possible d'arriver à Jésus sans avoir répondu à l'appel de son précurseur, mieux encore: Jésus a fait sien le message de Jean dans la synthèse de sa propre prédication: Repentez-vous et croyez à l'Evangile (Mc 1, 15). Le mot grec pour se convertir signifie: repenser - remettre en question son propre mode de vie et le mode de vie ordinaire; laisser entrer Dieu dans les critères de sa propre vie; ne plus juger uniquement selon les opinions courantes. Se convertir signifie par conséquent: ne pas vivre comme tout le monde vit, ne pas faire ce que tout le monde fait, ne pas se sentir justifié en accomplissant des actions douteuses, ambiguës ou mauvaises par le fait que les autres font de même; commencer à regarder sa propre vie avec les yeux de Dieu; donc, chercher le bien, même s'il est dérangeant: ne pas s'en remettre au jugement des multitudes, des hommes, mais au jugement de Dieu - autrement dit: chercher un nouveau style de vie, une vie nouvelle. Tout cela n'implique pas de moralisme; en réduisant le christianisme à la moralité, on perd de vue l'essence du message du Christ: Le don d'une nouvelle amitié, le don de la communion avec Jésus, et par la suite avec Dieu. Celui qui se convertit au Christ n'entend pas se créer une autarchie morale bien à lui, il ne prétend pas construire sa propre bonté par ses propres forces. La "Conversion" (métanoia) signifie précisément l'opposé: sortir de l'autosuffisance, découvrir et accepter son indigence - une indigence des autres et de l'Autre, de son pardon, de son amitié. La vie non-convertie est autojustification (je ne suis pas pire que les autres); la conversion est l'humilité de s'en remettre à l'amour de l'Autre, un amour qui devient mesure et critère de ma propre vie.

Ici nous devons également garder à l'esprit l'aspect social de la conversion. Certes, la conversion est avant tout un acte éminemment personnel, elle est personnalisation. Je me sépare de la formule "vivre comme tout le monde" (je ne me sens plus justifié par le fait que tous font ce que je fais) et je trouve devant Dieu mon propre moi, ma responsabilité personnelle. Mais la vraie personnalisation est également toujours une nouvelle et plus profonde socialisation. Le moi s'ouvre de nouveau au toi, dans toute sa profondeur, en donnant naissance à un nouveau Nous. Si le style de vie répandu dans le monde comporte un risque de dépersonnalisation, de vivre non pas sa propre vie, mais la vie de tous les autres, dans la conversion doit se réaliser le nouveau Nous du cheminement commun avec Dieu. En annonçant la conversion, nous devons aussi offrir un parcours de vie, un espace commun du nouveau style de vie. On ne peut pas évangéliser uniquement par des paroles; l'Evangile crée la vie, il crée une communauté de parcours; une conversion purement individuelle n'a pas de consistance...

2. Le Royaume de Dieu

Dans l'appel à la conversion est implicite - c'est même sa condition fondamentale - l'annonce du Dieu vivant. Le théocentrisme est fondamental dans le message de Jésus, et il doit être aussi au coeur de la nouvelle évangélisation. La parole clef de l'annonce de Jésus est: le Royaume de Dieu. Or le Royaume de Dieu n'est pas une chose, une structure sociale ou politique, une utopie. Le Royaume de Dieu est Dieu. Le Royaume de Dieu signifie: Dieu existe. Dieu vit. Dieu est présent et agit dans le monde, dans notre vie - dans ma vie. Dieu n'est pas une lointaine "cause ultime", Dieu n'est pas le "grand architecte" du déisme, qui a monté la machine du monde et qui se trouverait maintenant en dehors - bien au contraire: Dieu est la réalité la plus présente et décisive dans chaque acte de ma vie, à chaque moment de l'histoire. Dans son discours d'adieu, en quittant sa chaire à l'université de Münster, le théologien J.B. Metz a dit des choses inattendues de sa part. Metz, dans le passé, nous avait appris l'anthropocentrisme - le véritable avènement du christianisme aurait été le tournant anthropologique, la sécularisation, la découverte de la sécularité du monde. Puis il nous a appris la théologie politique - le caractère politique de la foi; puis encore la "mémoire dangereuse"; et enfin la théologie narrative. Après ce cheminement long et ardu, il nous dit aujourd'hui: le vrai problème de notre temps est la "Crise de Dieu", l'absence de Dieu camouflée par une religiosité vide. La théologie doit redevenir réellement theologia, un discours sur Dieu et avec Dieu. Metz a raison: L'unum necessarium pour l'homme est Dieu. Tout change, selon le fait que Dieu existe ou qu'il n'existe pas. Mais hélas! - même nous, les chrétiens, nous vivons souvent comme si Dieu n'existait pas (si Deus non daretur). Nous vivons selon le slogan: Dieu n'existe pas, et s'il existe, il n'a rien à voir. C'est pourquoi l'évangélisation doit avant tout parler de Dieu, annoncer l'unique vrai Dieu: le Créateur - le Sanctificateur - Le Juge (cf. le Catéchisme de l'Eglise catholique).

Encore une fois, il faut garder à l'esprit l'aspect pratique. On ne peut pas faire connaître Dieu uniquement avec des paroles. On ne connaît pas une personne si on ne la connaît que par ouï-dire. Annoncer Dieu signifie introduire à la relation à Dieu: Enseigner à prier. La prière est la foi en acte. Et ce n'est que dans l'expérience de la vie avec Dieu qu'apparaît aussi l'évidence de son existence. C'est pour cette raison que sont si importantes les écoles de prière, de communauté de prière. Il y a complémentarité entre la prière personnelle ("dans sa propre chambre", seul devant les yeux de Dieu), la prière commune "para-liturgique" ("religiosité populaire") et la prière liturgique. Oui, la liturgie est avant tout prière; sa spécificité consiste dans le fait que son sujet primaire, ce n'est pas nous (comme dans la prière privée ou dans la religiosité populaire), mais Dieu lui-même - la liturgie est actio divina, Dieu agit et nous répondons à l'action divine.

Parler de Dieu et parler avec Dieu doivent toujours aller de pair. L'annonce de Dieu nous guide à la communion avec Dieu dans la communion fraternelle, fondée et vivifiée par Jésus-Christ. C'est pourquoi la liturgie (les sacrements) n'est pas un thème secondaire par rapport à la prédication du Dieu vivant, mais la concrétisation de notre relation à Dieu. Dans ce contexte, qu'on me permette une observation générale sur la question liturgique. Notre manière de célébrer la liturgie est souvent trop rationaliste. La liturgie devient enseignement; son critère est: se faire comprendre - ce qui aboutit bien souvent à la banalisation du mystère, à la prévalence de nos paroles, à la répétition de phraséologies qui semblent plus accessibles et plus agréables aux gens. Mais il s'agit d'une erreur non seulement théologique, mais aussi psychologique et pastorale. La vague d'ésotérisme, la diffusion des techniques asiatiques de relaxation et de vide mental montrent qu'il manque quelque chose dans nos liturgies. C'est justement dans notre monde d'aujourd'hui que nous avons besoin du silence, du mystère supra-individuel, de la beauté. La liturgie n'est pas l'invention du prêtre célébrant ou d'un groupe de spécialistes; la liturgie (le "rite") a grandi selon un processus organique au cours des siècles, elle porte en elle le fruit de l'expérience de foi de toutes les générations précédentes. Même si les participants ne comprennent probablement pas toutes les paroles, ils perçoivent leur signification profonde, la présence du mystère qui transcende toutes les paroles. Le centre de l'action liturgique n'est pas le célébrant; le célébrant n'est pas devant le peuple en son nom propre - il ne parle pas de lui-même et pour lui-même, mais in persona Cristi. Ce ne sont pas les capacités personnelles du célébrant qui comptent, mais uniquement sa foi, dans laquelle transparaît Jésus-Christ. "Il faut que lui grandisse et que moi je décroisse" (Jn 3, 30).

3. Jésus-Christ

Par cette réflexion, le thème de Dieu s'est déjà étendu, et il s'est concrétisé dans le thème de Jésus-Christ: C'est seulement dans le Christ et par le Christ que le thème de Dieu devient réellement concret: le Christ est l'Emmanuel, le Dieu-avec-nous - la concrétisation du "Je suis", la réponse au déisme. Aujourd'hui la tentation est grande de réduire Jésus-Christ, le Fils de Dieu, à un simple Jésus historique, à un homme pur. On ne nie pas nécessairement la divinité de Jésus, mais au moyen de certaines méthodes on distille dans la Bible un Jésus à notre mesure, un Jésus possible et compréhensible d'après les paramètres de notre historiographie. Mais ce "Jésus historique" est un artefact, il est l'image de ses auteurs, et non l'image du Dieu vivant (cf. 2 Co 4, 4s; Col 1, 15). Ce n'est pas le Christ de la foi qui est un mythe, mais le Jésus historique, qui est une figure mythologique auto-inventée par les divers interprètes. Les deux cents ans d'histoire du "Jésus historique" reflètent fidèlement l'histoire des philosophies et des idéologies de cette période.

Je ne peux pas, dans le cadre de cette conférence, développer les contenus de l'annonce du Sauveur. Je voudrais seulement citer brièvement deux aspects importants. Le premier est la suite du Christ - le Christ s'offre comme chemin de ma vie. Suivre le Christ ne signifie pas: imiter l'homme Jésus. Une tentative de ce genre échoue nécessairement - ce serait un anachronisme. Suivre le Christ a un but beaucoup plus élevé: ne faire qu'un avec le Christ, et arriver ainsi à l'union avec Dieu. Ce discours peut sembler étrange aux oreilles de l'homme moderne. Mais en réalité, nous avons tous soif d'infini: d'une liberté infinie, d'un bonheur sans limites. Toute l'histoire des révolutions des deux siècles passés ne s'explique que de cette façon. La drogue ne s'explique que de cette façon. L'homme ne se contente pas de solutions en de-çà du niveau de la divinisation. Et tous les chemins proposés par le "serpent" (Gn 3, 5), c'est-à-dire par le savoir du monde, échouent. Le seul chemin est la communion avec Jésus-Christ, réalisable dans la vie sacramentelle. Suivre le Christ n'est pas une question de moralité, mais un thème "mystérique" - un ensemble fait d'action divine et de réponse de notre part.

Nous rencontrons ainsi, dans le thème de la suite, l'autre centre de la christologie auquel je voulais faire allusion: le mystère pascal - la croix et la résurrection. Dans les reconstructions du "Jésus historique", le thème de la croix est en général dépourvu de signification. Selon une interprétation "bourgeoise", c'est un incident en soi évitable, sans valeur théologique; selon une interprétation révolutionnaire, c'est la mort héroïque d'un rebelle. La vérité est tout autre. La croix appartient au mystère divin - elle est l'expression de son amour jusqu'à la fin (Jn 13, 1). Suivre le Christ est participer à sa croix, s'unir à son amour, transformer notre vie, en donnant naissance à l'homme nouveau, créé selon Dieu (cf. Ep 4, 24). Celui qui oublie la croix oublie l'essence du christianisme (cf. 1 Co 2, 2).

4. La vie éternelle

Le dernier élément central de toute véritable évangélisation est la vie éternelle. Aujourd'hui, nous devons annoncer notre foi avec une nouvelle vigueur, dans la vie quotidienne. Je me bornerai à ne citer ici qu'un aspect de la prédication de Jésus, qui est souvent négligé aujourd'hui: l'annonce du Royaume de Dieu est l'annonce d'un Dieu présent, d'un Dieu qui nous connaît et nous écoute; d'un Dieu qui entre dans l'histoire pour faire justice. Cette prédication est donc aussi l'annonce du jugement, l'annonce de notre responsabilité. L'homme ne peut pas faire uniquement ce qu'il veut. Il sera jugé. Il doit rendre compte. Cette certitude vaut pour les puissants comme pour les simples.

Lorsqu'elle est acceptée, les limites de chaque pouvoir de ce monde sont tracées. Dieu fait justice, et lui seul peut la faire en dernier. Nous y réussirons d'autant mieux, si nous sommes capables de vivre sous le regard de Dieu et de communiquer au monde la vérité du jugement. Ainsi l'article de foi du jugement, sa puissance formatrice pour les consciences, est un contenu central de l'Evangile, qui est vraiment une bonne nouvelle. Cela l'est pour tous ceux qui subissent l'injustice du monde et cherchent la justice. De cette manière, on comprend aussi la connexion entre le Royaume de Dieu et les "pauvres", ceux qui souffrent et tous ceux dont parlent les béatitudes du discours de la montagne. Ils sont protégés par la certitude du jugement, par la certitude qu'il y a une justice. Tel est le véritable contenu de l'article sur le jugement, sur Dieu-juge: Il y a une justice. Les injustices du monde ne sont pas le dernier mot de l'histoire. Il y a une justice. Seul celui qui refuse qu'il y ait une justice peut s'opposer à cette vérité. Si nous prenons au sérieux le jugement et la gravité de la responsabilité qui en découle pour nous, nous comprenons bien l'autre aspect de cette annonce, à savoir la rédemption, le fait que par la croix, Jésus a assumé nos péchés; que Dieu lui-même, dans la passion de son Fils, se fait l'avocat de nos péchés, en rendant ainsi possible la pénitence, l'espérance pour le pécheur repenti, une espérance merveilleusement exprimée dans les paroles de saint Jean: devant Dieu, nous réconforterons notre coeur, quoi qu'il nous reproche. Dieu est plus grand que notre coeur, et il connaît toute chose (1 Jn 3, 19s). La bonté de Dieu est infinie, mais nous ne devons pas réduire cette bonté à une mièvrerie édulcorée et privée de vérité. Ce n'est qu'en croyant au juste jugement de Dieu, en ayant faim et soif de la justice (cf. Mt 5, 6) que nous ouvrons notre coeur et notre vie à la miséricorde divine. On le voit: la foi dans la vie éternelle ne rend pas la vie terrestre insignifiante. Bien au contraire: Ce n'est que si la mesure de notre vie est l'éternité, que notre vie sur terre est grande elle aussi, et qu'elle possède une valeur immense. Dieu n'est pas le concurrent de notre vie, mais le garant de notre grandeur. Ainsi, nous revenons à notre point de départ: Dieu. Lorsque nous considérons bien le message chrétien, nous ne parlons pas de beaucoup de choses. Le message chrétien est en réalité très simple. Nous parlons de Dieu et de l'homme, et ce faisant, nous disons tout. ZF05041912

 

Exposé du Cardinal Ratzinger sur « la guerre juste » le 5 juin 2004 à Caen

Extraits de « A la recherche de la paix » Conférence donnée le samedi 5 juin 2004, pour le 60e anniversaire du Débarquement, pendant le TE DEUM, prière pour les victimes, pour la paix et action de grâce pour la libération

La guerre juste

Un criminel et ses comparses avaient réussi à prendre le pouvoir de l'État en Allemagne. Et cela créa une situation où, sous la domination du Parti, le droit et l'injustice s'imbriquaient l'un dans l'autre et souvent passaient, presque inséparablement, l'un dans l'autre. Car le régime conduit par un criminel exerçait aussi les fonctions classiques de l'État et de ses ordonnances. Il put ainsi, en un certain sens, exiger l'obéissance de droit des citoyens et le respect vis-à-vis de l'autorité de l'État (Rm 12,1ss), mais il utilisait en même temps les instruments du droit comme instruments de ses buts criminels.

S'il y a eu jamais, dans l'histoire, un bellum justum (une guerre juste), c'est bien ici, dans l'engagement des Alliés, car l'intervention servait finalement aussi au bien de ceux contre le pays desquels a été menée la guerre. Une telle constatation me paraît importante, car elle montre, sur la base d'un événement historique, le caractère insoutenable d'un pacifisme absolu. Cela n'ôte rien, bien sûr, au devoir de poser très soigneusement la question si et à quelles conditions est possible encore aujourd'hui quelque chose comme une guerre juste, c'est-à-dire une intervention militaire, mise au service de la paix et obéissant à ses critères moraux, contre des régimes injustes établis.

Surtout, ce qu'on a dit fait mieux comprendre, espérons-le, que la paix et le droit, la paix et la justice sont inséparablement liés l'un à l'autre. Quand le droit est détruit, quand l'injustice prend le pouvoir, c'est toujours la paix qui est menacée et déjà, pour une part, brisée. La préoccupation pour la paix est en ce sens avant tout la préoccupation pour une forme du droit qui garantit la justice à l'individu et à la communauté dans son ensemble.

La raison éclairée

En Europe, après la fin des hostilités, en mai 1945, il nous a été donné de vivre une période de paix comme notre continent ne l'a guère connue dans toute son histoire pour un temps aussi long. C'est là en grande partie le mérite de la première génération de politiciens après la guerre - Churchill, Adenauer, Schumann, De Gasperi, qu'il nous faut remercier en cette heure : nous devons remercier de ce que l'élément déterminant ne fut pas l'idée de revanche ou même de vengeance et d'humiliation des vaincus, mais le devoir de garantir à tous leur droit ; qu'à la place de la concurrence s'introduisit la collaboration, l'échange des dons offerts et acceptés, la connaissance et l'amitié mutuelles, précisément dans une diversité où chaque nation conserve son identité, et la conserve dans une commune responsabilité pour le droit, après la précédente perversion du droit.

Le centre moteur de cette politique de paix fut le lien de l'agir politique avec la morale. Le critérium intérieur de toute politique, ce sont les valeurs morales que nous n'inventons pas mais qui sont présentes et qui sont les mêmes pour tous les hommes.

Disons-le ouvertement : ces hommes politiques ont puisé leur idée morale de l'État, de la paix et de la responsabilité dans leur foi chrétienne qui avait surmonté les épreuves des Lumières et qui s'était largement purifiée dans la confrontation avec la distorsion du droit et de la morale opérée par le Parti nazi. Ils ne voulaient pas construire un État confessionnel, mais un État formé par la raison éthique ; cependant leur foi les avait aidés à rétablir et à remettre en vie la raison asservie et dénaturée par la tyrannie idéologique. Ils ont fait une politique de la raison - de la raison morale ; leur christianisme ne les avait pas éloignés de la raison, mais il avait plutôt éclairé leur raison.

Le pacifisme absolu

Un pacifisme absolu qui dénie au droit tout moyen coercitif, serait la capitulation devant l'iniquité, sanctionnerait sa prise de pouvoir et livrerait le monde au diktat de la violence, ainsi que nous l'avons déjà brièvement mentionné au début. Mais pour que la force du droit ne devienne pas elle-même iniquité, il faut qu'elle se soumette à des critères stricts qui doivent être reconnus comme tels par tous. Elle doit interroger les causes de la terreur qui prend très souvent sa source dans une situation d'injustice à laquelle ne s'opposent pas des mesures efficaces. Surtout il est important d'accorder toujours à nouveau une caution de pardon, afin de briser le cercle de la violence.

Là où l'« oeil pour oeil » est pratiqué sans merci, on ne peut trouver d'issue à la violence Des gestes d'humanité qui, rompant avec la violence, cherchent l'homme en l'autre et en appellent à sa propre humanité, sont nécessaires, là même où ils paraissent à première vue du temps perdu. Dans tous ces cas, il est important que ce ne soit pas seulement une puissance déterminée qui maintienne le droit. Trop facilement s'immiscent ensuite, dans l'intervention, des intérêts particuliers, qui altèrent la claire vision de la justice. Il est urgent d'avoir un véritable ius gentium (droit des peuples) sans une prépondérance hégémonique et des interventions correspondantes : seulement ainsi peut apparaître clairement qu'il s'agit là de la protection du droit commun de tous, même ceux qui se trouvent, comme on dit, de l'autre côté de la barrière.

L'occident et l'islam

Mais dans la collusion actuelle entre les grandes démocraties et la terreur à motivation islamique entrent en jeu des questions dont les racines sont plus profondes encore. Il semble qu'on assiste ici à la collusion entre deux grands systèmes culturels possédant, du reste, des formes très différentes de puissance et d'orientation morale – l’« Occident » et l'Islam. Cependant, qu'est l'Occident ? Et qui est l'Islam ? L’un et l’autre sont des mondes polymorphes incluant de grandes différences internes - des mondes qui sont aussi, à bien des égards, en interaction mutuelle.

Dans cette mesure, il est faux d'opposer ainsi globalement l'Occident et l'Islam. Certains tendent cependant à creuser plus profondément l'opposition : la raison éclairée ferait face ici à une forme de religion fondamentaliste-fanatique. Il s'agirait alors d'abattre avant tout le fondamentalisme sous toutes ses formes et de promouvoir la victoire de la raison pour laisser le champ libre aux formes éclairées de la religion, mais en les qualifiant bien d'éclairées, parce que soumises en tout aux critères de cette raison.

La religion, la raison et la paix

Il est vrai que, dans cette situation, le rapport entre la raison et la religion est d'une importance décisive et que la recherche du juste rapport entre elles est au cœur de nos efforts en matière de paix. Modifiant une affirmation de Hans Küng, je voudrais dire qu'il ne peut y avoir non plus de paix dans le monde sans la véritable paix entre la raison et la foi, parce que sans la paix entre la raison et la religion, les sources de la morale et du droit tarissent. Pour expliquer le sens de ce que j'affirme, je voudrais formuler la même pensée de façon négative : il existe des pathologies de la religion - nous le voyons, et il existe des pathologies de la raison - et cela aussi nous le voyons ; et les deux pathologies constituent des dangers mortels pour la paix, et je dirais même, à l'époque de nos structures globales de puissance, pour l'humanité dans son ensemble.

Regardons-y de plus près. Dieu ou la divinité peut être transformé en une absolutisation de la puissance particulière, des intérêts particuliers. Une image de Dieu devenue ainsi partisane, qui identifie l'absoluité de Dieu avec la communauté particulière ou ses zones d'intérêts, et élève par là en absolu des choses empiriques, relatives, dissout le droit et la morale : le bien est alors ce qui sert ma propre puissance ; la différence effective entre le bien et le mal s'effondre. La morale et le droit deviennent partisans. Cela empire encore lorsque la volonté d'engagement pour des fins particulières acquiert tout le poids du fanatisme de l'absolu, du fanatisme religieux, et devient par là parfaitement brutal et aveugle. Dieu est transformé en une idole dans laquelle l'homme adore sa propre volonté.

Nous voyons une chose de ce genre chez les terroristes et leur idéologie du martyre, une idéologie qui, à vrai dire, dans les cas particuliers, peut être aussi tout simplement une expression du désespoir face à l'injustice du monde. Nous avons du reste devant nous, dans les sectes du monde occidental, des exemples d'un irrationalisme et d'une déviation de la dimension religieuse, qui montrent combien dangereuse devient une religion qui perd son orientation.

Mais il y a aussi la pathologie de la raison entièrement coupée de Dieu. Nous l'avons vu dans les idéologies totalitaires qui s'étaient coupées de Dieu et voulaient désormais construire l'homme nouveau, le monde nouveau.

Hitler doit sans doute être qualifié d'irrationaliste. Toutefois les grands prophètes et réalisateurs du Marxisme ne se comprenaient pas moins comme des constructeurs du monde animés seulement par la raison. Peut-être l'expression la plus dramatique de cette pathologie de la raison est-elle Pol Pot, en qui se manifeste de façon immédiate la cruauté d'une telle reconstruction du monde.

Quand, avec la recherche du code génétique, la raison se saisit des racines de la vie, elle tend toujours davantage à ne plus voir dans l'homme un don du Créateur (ou de « la Nature »), mais à en faire un produit. L'homme est « fait », et ce qu'on peut « faire », on peut aussi le détruire. La dignité humaine disparaît. Où donc les droits de l'homme devraient-ils encore trouver un ancrage ? Comment pourrait encore résister le respect de l'homme, même vaincu, faible, souffrant, handicapé ? En tout cela, la notion de raison s'aplatit toujours plus. Les Anciens faisaient encore, par exemple, la distinction entre la ratio et l'intellectus, entre la raison dans son rapport à la réalité empirique et manufacturable, et la raison pénétrant les couches les plus profondes de l'être, mais il ne subsiste plus, désormais, que la ratio au sens très étroit du terme. Seul ce qui est vérifiable, ou plus exactement ce qui est falsifiable, vaut encore comme rationnel : la raison se réduit à ce qui est contrôlable au niveau expérimental.

Tout le secteur de la morale et de la religion fait alors partie du domaine de ce qui est « subjectif » - il tombe en dehors de la raison commune. La religion et la morale n'appartiennent plus alors à la raison ; il n'y a plus de critères communs, « objectifs », de la moralité. Pour la religion, on ne considère pas cela de façon trop tragique - chacun doit trouver la sienne, ce qui veut dire qu'on la regarde en tout état de cause comme une sorte d'ornement subjectif, doté éventuellement de motivations utiles.

Bien sûr - si la réalité n'est que le produit de processus mécaniques, elle ne comporte comme telle aucune morale. Le bien en soi, qui tenait encore tant à cœur à Kant, n'existe plus. Bien signifie simplement « meilleur que », a dit un jour un théologien moraliste décédé depuis lors. S'il en est ainsi, il n'existe pas non plus ce qui est en soi, et toujours, mal. Le bien et le mal dépendent alors du calcul des conséquences. Et c'est ainsi du reste qu'ont agi de fait les dictatures idéologiques : dans un cas donné, si cela sert la construction du monde futur de la raison, il peut être éventuellement bon de tuer des innocents. De toute façon leur dignité absolue n'existe plus. La raison malade et la religion manipulée se rencontrent finalement dans le même résultat.

La foi en Dieu, la notion de Dieu peut être manipulée et elle devient alors destructrice : telle est la menace qui pèse sur la religion. Mais une raison qui se coupe entièrement de Dieu et qui veut le confiner tout simplement dans le domaine de la subjectivité, perd le Nord et ouvre ainsi de soi la porte aux forces de destruction.

Comme chrétiens, nous sommes aujourd'hui appelés, non pas certes à poser des limites à la raison et à nous opposer à elle, mais à refuser de la réduire à une raison du faire, et à lutter pour sa faculté de perception du bien et du bon, du sacré et du saint. C'est alors que nous mènerons le vrai combat pour l'homme et contre l'inhumanité. Seule une raison qui est également ouverte à Dieu - seule une raison qui ne bannit pas la morale dans la sphère subjective ou l'abaisse en un calcul, peut parer la manipulation de la notion de Dieu et les maladies de la religion, et offrir des remèdes.

C'est ici qu'apparaît le grand défi que les chrétiens d'aujourd'hui devraient relever. Leur tâche, notre tâche est d'amener la raison à fonctionner intégralement, non seulement dans le domaine de la technique et du développement matériel du monde, mais aussi et avant tout en tant que faculté de vérité, promouvant sa capacité de reconnaître le bien, condition du droit et par là également présupposé de la paix dans le monde.

Qui est Dieu ?

Notre tâche à nous, chrétiens du temps présent, est d'insérer notre notion de Dieu dans le combat pour l'homme. Deux choses caractérisent cette notion de Dieu : Dieu lui-même est Logos - sens, raison, parole, et c'est pourquoi l'homme lui correspond par l'ouverture de la raison et la défense d'une raison qui ne soit pas aveugle aux dimensions morales de l'être. Car « logos » signifie une raison qui n'est pas simplement mathématique, mais qui est en même temps le fondement du bien et qui en garantit la dignité. La foi dans le Dieu-Logos est en même temps foi en la force créatrice de la raison ; c'est la foi dans le Dieu créateur, ce qui signifie croire que l'homme est créé à l'image de Dieu et qu'il participe donc de la dignité inviolable de Dieu lui-même. L'idée des droits de l'homme possède ici son fondement le plus profond, même si son développement et ses vicissitudes historiques ont parcouru des voies diverses.

Dieu est Logos. À cela s'ajoute un second élément. La foi chrétienne en Dieu nous dit aussi que Dieu - la Raison éternelle - est Amour. Elle nous dit qu'il ne constitue pas un être axé sur lui-même, sans relation. Justement parce qu'il est souverain, parce qu'il est Créateur, parce qu'il embrasse tout, il est Relation et il est Amour. La foi en l'incarnation de Dieu en Jésus Christ, et en sa souffrance et mort pour l'homme, est l'expression suprême d'une conviction : que le cœur de toute morale, le cœur de l'être lui-même et son origine la plus intime est l'amour.

Cette affirmation est le refus le plus fort de toute idéologie de la violence, elle est la vraie apologie de l'homme et de Dieu. Pour autant, n'oublions pas que le Dieu de la raison et de l'amour est aussi le Juge du monde et des hommes - le garant de la justice, à laquelle tous les hommes devront rendre compte. Maintenir actuelle la vérité du jugement est, face aux tentations du pouvoir, une mission fondamentale : chacun doit rendre compte. Il y a une justice qui n'est pas abolie par l'amour.

Je voudrais mentionner encore un troisième élément de la Tradition chrétienne qui est de fondamentale importance pour les adversités de notre temps. La foi chrétienne a supprimé - sur la base du chemin de Jésus - l'idée de la théocratie politique. Elle a - en termes modernes - établi la sécularité d'un État dans lequel les chrétiens cohabitent, dans la liberté, avec des tenants d'autres convictions, une cohabitation ayant pour base, du reste, la responsabilité morale commune qui est donnée par la nature de l'homme, par la nature de la justice. De ceci, la foi chrétienne distingue le Royaume de Dieu, qui n'existe pas en ce monde en tant que réalité politique et ne peut exister comme tel, mais advient par la foi, l'espérance et la charité, et doit transformer le monde de l'intérieur. Dans les conditions actuelles du monde, le Royaume de Dieu n'est pas un royaume du monde ; il est plutôt un appel à la liberté de l'homme et pour la raison, un appui pour que celle-ci puisse accomplir sa propre tâche. Les tentations de Jésus ont finalement pour motif cette distinction, le rejet de la théocratie politique, la relativité de l'État et le droit propre de la raison, en même temps que la liberté de choix, qui est garantie à tout homme.

En ce sens, l'État laïc est un résultat de la décision chrétienne fondamentale, même s'il a fallu une longue lutte pour en comprendre toutes les conséquences. Ce caractère séculier, « laïc », de l'État inclut en son essence cet équilibre entre raison et religion que j'ai essayé de montrer auparavant.

Par là il s'oppose aussi au laïcisme idéologique qui voudrait en quelque sorte établir un État de la pure raison, un État qui est coupé de toutes les racines historiques et ne connaît plus, dès lors, les fondements moraux s'imposant à cette raison. Ainsi ne lui reste-t-il, à la fin, que le positivisme du principe de la majorité, et la décadence du droit qu'il entraîne, autant que celui-ci, au bout du compte, est régi par la statistique.

Si les États de l'Occident s'engageaient tout entiers sur cette voie, ils ne pourraient à la longue résister à la pression des idéologies et des théocraties politiques. Un État, même laïc, a le droit, et même l'obligation de trouver son support dans les racines morales marquantes qui l'ont construit ; il peut et il doit reconnaître les valeurs fondamentales sans lesquelles il ne serait pas devenu ce qu'il est et sans lesquelles il ne peut survivre. Un État de la raison abstraite, anhistorique, ne saurait subsister.

Conclusion

Il importe que nous vivions avec énergie et pureté notre propre héritage, afin qu'il soit rendu visible et efficace, avec toute sa force intérieure de persuasion, dans l'ensemble de la société...

C'est un fait : si nous ne faisons pas mémoire du Dieu de la Bible, du Dieu qui s'est fait proche en Jésus Christ, nous ne trouverons pas le chemin de la paix.