de
Chrétienté
N° 115
NOTE
DOCTRINALE
SUR CERTAINS ASPECTS DE L'ÉVANGÉLISATION
Texte intégral
Nous reprenons ci-dessous la « Note doctrinale sur certains
aspects de l'évangélisation » publiée par
CONGRÉGATION POUR
NOTE DOCTRINALE
SUR CERTAINS ASPECTS DE L'ÉVANGÉLISATION
I. Introduction
1. Envoyé par le Père pour annoncer l'Évangile, Jésus Christ
invite tous les hommes à la conversion et à la foi (cf. Mc 1, 14-15),
confiant le soin aux Apôtres, après sa résurrection, de poursuivre sa mission
évangélisatrice (cf. Mt 28, 19-20 ; Mc 16, 15 ; Lc 24, 4-7
; Ac 1, 3) : « De même que le Père m'a envoyé, moi aussi, je vous envoie » (Jn
20, 21 ; cf. 17, 18). En effet, à travers l'Église, il veut rejoindre toutes
les époques, tous les lieux et tous les milieux de la société, et atteindre
chacun, pour que tous deviennent un seul troupeau sous un seul Pasteur (cf. Jn
10, 16) : « Allez dans le monde entier, proclamez
Alors, « les Apôtres, poussés par l'Esprit Saint, invitaient tous les hommes à changer de vie, à se convertir et à recevoir le baptême »[1], car « l'Église pérégrinante est nécessaire au salut »[2]. C'est le Seigneur Jésus Christ lui-même qui, présent dans son Église (cf. Mt 28, 20), précède l'œuvre des évangélisateurs, l'accompagne et la conduit, en faisant fructifier leur travail : ce qui s'est passé aux origines se poursuit tout au long de l'histoire.
Au début du troisième millénaire, retentit encore dans le monde l'invitation que Pierre, avec son frère André et les premiers disciples, entendit de Jésus lui-même : « Avance en eau profonde et jetez vos filets pour prendre du poisson (Lc 5, 4)[3]. Après cet épisode de la pêche miraculeuse, le Seigneur annonça à Pierre qu'il deviendrait « pêcheur d'hommes » (Lc 5, 10).
2. Le terme évangélisation a une signification très riche[4]. Au sens large, il résume toute la mission de l'Église, dont la vie, en effet, consiste à réaliser la traditio Evangelii, l'annonce et la transmission de l'Évangile. Cet Évangile est « puissance de Dieu pour le salut de tout homme qui est devenue croyant » (Rm 1, 16) et, en dernière analyse, il s'identifie avec le Christ lui-même (cf. 1 Co 1, 24). C'est pourquoi, ainsi comprise, l'évangélisation a toute l'humanité comme destinataire. Dans tous les cas, évangéliser ne signifie pas seulement enseigner une doctrine mais plutôt annoncer Jésus Christ par la parole et par les actes, c'est-à-dire se faire instrument de sa présence et de son action dans le monde.
« Toute personne a le droit d'entendre la "Bonne Nouvelle" de Dieu, qui se fait connaître et qui se donne dans le Christ, afin de réaliser pleinement sa vocation »[5]. Il s'agit d'un droit conféré par le Seigneur lui-même à toute personne, pour que tous, hommes ou femmes puissent affirmer avec saint Paul : Jésus Christ « m'a aimé et s'est livré pour moi » (Ga 2, 20). À ce droit correspond un devoir, celui d'évangéliser : « En effet, annoncer l'Évangile, ce n'est pas mon motif d'orgueil, c'est une nécessité qui s'impose à moi : malheur à moi si je ne n'annonçais pas l'Évangile!" (1 Co 9,16 ; cf. Rm 10, 14). On comprend alors que toute activité de l'Église a de soi une dimension essentielle d'évangélisation et qu'elle ne doit jamais être séparée de l'engagement qui consiste à aider tous les hommes à rencontrer le Christ dans la foi, ce qui est le premier objectif de l'évangélisation : « Le fait social et l'Évangile sont tout simplement indissociables. Là où nous n'apportons aux hommes que des connaissances, le savoir-faire, des capacités techniques et des instruments, nous apportons trop peu"[6].
3. Toutefois, on note de nos jours une confusion sans cesse grandissante, qui induit beaucoup de personnes à ne pas écouter et à laisser sans suite le commandement missionnaire du Seigneur (cf. Mt 28, 19). Toute tentative de convaincre d'autres personnes sur des questions religieuses est souvent perçue comme une entrave à la liberté. Il serait seulement licite d'exposer ses idées et d'inviter les personnes à agir selon leur conscience, sans favoriser leur conversion au Christ et à la foi catholique : on affirme qu'il suffit d'aider les hommes à être plus hommes, ou plus fidèles à leur religion, ou encore qu'il suffit de former des communautés capables d'œuvrer pour la justice, la liberté, la paix, la solidarité. En outre, certains soutiennent qu'on ne devrait pas annoncer le Christ à celui qui ne le connaît pas, ni favoriser son adhésion à l'Église, puisqu'il serait possible d'être sauvé même sans une connaissance explicite du Christ et sans une incorporation formelle à l'Église.
Face à de telles problématiques,
II. Quelques implications anthropologiques
4. « La vie éternelle c'est de te connaître, toi, le seul Dieu, le vrai Dieu, et de connaître celui que tu as envoyé, Jésus Christ » (Jn 17, 3) : Dieu a donné aux hommes l'intelligence et la volonté, pour qu'ils puissent le chercher librement, le connaître et l'aimer. C'est pourquoi la liberté humaine est une ressource et un défi offerts à l'homme par Celui qui l'a créé. Ce don s'adresse à sa capacité de connaître et d'aimer ce qui est bon et vrai. Il n'y a rien qui mette en jeu la liberté humaine, sollicitant son adhésion de manière à impliquer les aspects fondamentaux de la vie, autant que la recherche du bien et de la vérité. C'est en particulier le cas de la vérité salvifique, qui n'est pas seulement objet de la pensée mais un événement qui mobilise toute la personne - intelligence, volonté, sentiments, activité et projets - lorsqu'elle adhère au Christ. Au cœur de cette recherche du bien et de la vérité, l'Esprit Saint est déjà à l'œuvre, lui qui ouvre les cœurs et les dispose à l'accueil de la vérité évangélique, selon l'affirmation bien connue de saint Thomas d'Aquin : « Omne verum a quocumque dicatur a Spiritu Sanctu est »[7]. Il est donc important de mettre en valeur cette action de l'Esprit, qui crée l'affinité pour la vérité et qui en rapproche les cœurs, aidant la connaissance humaine à mûrir en sagesse et dans l'abandon confiant au vrai[8].
Toutefois, on se pose de plus en plus aujourd'hui des questions sur la légitimité de proposer à d'autres ce qu'on tient vrai pour soi, afin qu'ils puissent eux aussi y adhérer. Une telle proposition est souvent perçue comme une atteinte à la liberté d'autrui. Cette vision de la liberté humaine, privée de l'indissociable référence à la vérité, est une des expressions « de ce relativisme qui, ne reconnaissant rien comme définitif, adopte comme ultime et seule mesure le moi avec ses désirs, et sous l'apparence de la liberté, devient pour chacun une prison »[9]. Dans les différentes formes d'agnosticisme et de relativisme présentes dans la pensée contemporaine, « la pluralité légitime des positions a cédé le pas à un pluralisme indifférencié, fondé sur l'affirmation que toutes les positions se valent: c'est là un des symptômes les plus répandus de la défiance à l'égard de la vérité que l'on peut observer dans le contexte actuel. Certaines conceptions de la vie qui viennent de l'Orient n'échappent pas, elles non plus, à cette réserve; selon elles, en effet, on refuse à la vérité son caractère exclusif, en partant du présupposé qu'elle se manifeste d'une manière égale dans des doctrines différentes, voire contradictoires entre elles »[10]. Lorsque l'homme renie sa capacité fondamentale à la vérité, il devient sceptique sur sa faculté à connaître réellement ce qui est vrai et il finit par perdre ce qui, de manière éminente, peut captiver son intelligence et fasciner son cœur.
5. À ce sujet, il se trompe celui qui pense se fier uniquement à ses propres forces dans la recherche de la vérité, sans reconnaître le besoin que chacun a de l'aide d'autrui. L'homme, « dès sa naissance, se trouve donc intégré dans différentes traditions, dont il reçoit non seulement son langage et sa formation culturelle, mais aussi de multiples vérités auxquelles il croit presque instinctivement [...]. Dans la vie d'un homme, les vérités simplement crues demeurent beaucoup plus nombreuses que celles qu'il acquiert par sa vérification personnelle »[11]. La nécessité de s'en remettre aux connaissances par sa culture acquises par autrui enrichit l'homme à la foi de la vérité à laquelle il ne pourrait accéder tout seul, et de relations interpersonnelles et sociales qu'il développe. À l'inverse, l'individualisme spirituel isole la personne et l'empêche de s'ouvrir avec confiance aux autres, et donc de recevoir et de donner en abondance les biens qui nourrissent sa liberté. Il met aussi en danger le droit de manifester ses convictions et opinions[12] dans la société.
En particulier, la vérité qui est en mesure d'éclairer le
sens de sa vie et de la guider est aussi obtenue grâce à l'abandon confiant à
ceux qui peuvent garantir la certitude et l'authenticité de la liberté
elle-même: « La capacité et le choix de se confier soi-même et sa vie à une
autre personne constituent assurément un des actes anthropologiquement les plus
significatifs et les plus expressifs »[13]. L'accueil de
6. En outre, l'évangélisation offre une possibilité d'enrichissement non seulement pour ses destinataires, mais aussi pour celui qui en est l'acteur et pour toute l'Église. Par exemple, dans le processus d'inculturation, « l'Église universelle elle-même s'enrichit d'expressions et de valeurs nouvelles dans les divers secteurs de la vie chrétienne, [...]; elle connaît et exprime mieux le mystère du Christ, et elle est incitée à se renouveler constamment »[17]. En effet, l'Église, qui, depuis le jour de Pentecôte, a manifesté l'universalité de sa mission, assume dans le Christ les innombrables richesses des hommes de tous les temps et de tous les lieux de l'histoire humaine[18]. Outre sa valeur anthropologique intrinsèque, toute rencontre avec une personne ou une culture concrète peut dévoiler des potentialités de l'Évangile auparavant peu explicites, qui enrichiront la vie concrète des chrétiens et de l'Église. C'est aussi grâce à ce dynamisme que la « Tradition qui vient des Apôtres se développe dans l'Église sous l'assistance du Saint-Esprit »[19].
En réalité, c'est l'Esprit qui, après avoir réalisé
l'Incarnation de Jésus Christ dans le sein virginal de Marie, vivifie l'action
maternelle de l'Église dans l'évangélisation des cultures. Bien que l'Évangile
soit indépendant de toutes les cultures, il est capable de les imprégner
toutes, sans toutefois se laisser asservir à aucune[20]. En ce sens, l'Esprit
Saint est aussi le protagoniste de l'inculturation de l'Évangile ; c'est lui
qui préside de manière féconde au dialogue entre le Parole de Dieu, qui s'est
révélée dans le Christ, et les requêtes les plus profondes qui jaillissent de
la multiplicité des hommes et des cultures. Ainsi se poursuit dans l'histoire,
dans l'unité d'une même et unique foi, l'événement de
Même si les non-chrétiens peuvent se sauver au moyen de la
grâce que Dieu donne « par des voies connues de lui »[21], l'Église ne peut pas
ne pas tenir compte du fait qu'en ce monde, il leur manque un très grand bien :
connaître le vrai visage de Dieu et l'amitié avec Jésus Christ, Dieu avec nous.
En effet, « il n'y a rien de plus beau que d'être rejoints, surpris par
l'Évangile, par le Christ. Il n'y a rien de plus beau que de Le connaître et de
communiquer aux autres l'amitié avec lui »[22]. Pour tout homme, la révélation
des vérités fondamentales[23] sur Dieu, sur soi-même et sur le monde est un
grand bien; par contre, vivre dans l'obscurité, sans la vérité sur les
questions ultimes, est un mal, souvent à l'origine de souffrances et
d'esclavages parfois dramatiques. Voilà pourquoi saint Paul n'hésite pas à
décrire la conversion à la foi chrétienne comme une libération "du règne
des ténèbres" et une entrée « dans le royaume de son Fils bien-aimé, par
qui nous sommes rachetés et par qui nos fautes sont pardonnées » (Col 1,
13-14). Ainsi, la pleine adhésion au Christ, qui est
Comme dans tous les domaines de l'activité humaine, le péché peut aussi s'immiscer dans le dialogue en matière religieuse. Parfois, il arrive que ce dialogue ne soit pas guidé par son but naturel, mais qu'il cède plutôt au mensonge, aux intérêts égoïstes ou à l'arrogance, manquant ainsi de respect à la dignité et à la liberté religieuse des interlocuteurs. C'est pourquoi « l'Église interdit sévèrement de forcer qui que ce soit à embrasser la foi, ou de l'y amener ou attirer par des pratiques indiscrètes, tout comme elle revendique avec force le droit pour qui que ce soit de n'être pas détourné de la foi par des vexations injustes »[24].
Le motif initial de l'évangélisation est l'amour du Christ pour le salut éternel des hommes. Les vrais évangélisateurs veulent seulement offrir gratuitement ce qu'ils ont eux-mêmes reçu gratuitement: « Aux origines de l'Église, ce n'est pas par la contrainte ni par des habiletés indignes de l'Évangile que les disciples du Christ s'employèrent à amener les hommes à confesser le Christ comme Seigneur, mais avant tout par la puissance de la parole de Dieu »[25]. La mission des Apôtres - et sa poursuite à travers la mission de l'Église antique - reste le modèle fondamental de l'évangélisation pour tous les temps : une mission souvent marquée par le martyre, comme l'atteste aussi l'histoire du siècle à peine écoulé. Justement, le martyre donne crédibilité aux témoins, qui ne cherchent ni pouvoir ni bénéfice, mais qui offrent leur vie pour le Christ. Ils manifestent au monde la force pleine d'amour et sans défense pour les hommes, qui est donnée à celui qui suit le Christ jusqu'au don total de sa vie. Ainsi, les chrétiens, depuis l'aube du christianisme jusqu'à nos jours, ont subi des persécutions à cause de l'Évangile, comme Jésus lui-même l'avait d'avance annoncé: « Si l'on m'a persécuté, on vous persécutera, vous aussi » (Jn 15, 20).
III. Quelques implications ecclésiologiques
9. Depuis le jour de
L'esprit chrétien a été toujours animé par la passion de conduire toute l'humanité au Christ dans l'Église. En effet, l'incorporation de nouveaux membres à l'Église n'est pas l'extension d'un groupe de puissance, mais l'entrée dans le réseau d'amitié avec le Christ, qui relie ciel et terre, continents et époques différents. C'est l'entrée dans le don de la communion avec le Christ, qui est une « vie nouvelle » animée par la charité et par l'engagement pour la justice. L'Église est instrument - « germe et commencement »[27] - du Règne de Dieu et non pas utopie politique. Elle est déjà présence de Dieu dans l'histoire et elle porte aussi en elle le véritable avenir, avenir définitif dans lequel Il sera « tout en tous » (1 Co 15, 28). Cette présence est nécessaire, car seul Dieu peut porter au monde la paix et la justice authentiques. Le Règne de Dieu n'est pas - comme certains le soutiennent de nos jours - une réalité générique qui domine toutes les expériences ou les traditions religieuses, et à laquelle ces dernières devraient tendre comme à une communion universelle et indistincte entre tous ceux qui cherchent Dieu ; c'est avant tout une personne, qui a le visage et le nom de Jésus de Nazareth, image du Dieu invisible[28]. Chaque mouvement libre du cœur humain vers Dieu et vers son Règne ne peut donc que conduire, par nature, au Christ et qu'être orienté vers l'entrée dans son Église, signe efficace de ce Règne. L'Église est donc le véhicule de la présence de Dieu et pour cela l'instrument d'une vraie humanisation de l'homme et du monde. L'extension de l'Église dans l'histoire, qui constitue la finalité de la mission, est un service rendu à la présence de Dieu au moyen de son Règne : on ne peut en effet « disjoindre le Royaume et l'Église »[29].
10. Toutefois, l'annonce missionnaire de l'Église est
aujourd'hui « mise en péril par des théories relativistes, qui entendent
justifier le pluralisme religieux, non seulement de facto mais aussi de
iure (ou en tant que principe)»[30]. Depuis longtemps, on en est venu à
créer une situation dans laquelle, pour beaucoup de fidèles,la raison d'être
même de l'évangélisation n'apparaît plus évidente[31]. On affirme même que la prétention
d'avoir reçu en don la plénitude de
Celui qui raisonne ainsi ignore que la plénitude du don de la vérité que Dieu fait en se révélant à l'homme respecte la liberté qu'il a lui-même créée, comme trait indélébile de la nature humaine : cette liberté n'est pas indifférence, mais tension vers le bien. Un tel respect est une exigence de la foi catholique elle-même et de la charité du Christ ; il est constitutif de l'évangélisation. C'est donc un bien à promouvoir, sans le dissocier de l'engagement visant à faire connaître et à embrasser librement la plénitude du salut que Dieu offre à l'homme dans l'Église.
Le respect envers la liberté religieuse[32] et sa promotion « ne doivent en aucune façon nous rendre indifférents à l'égard de la vérité et du bien. Mieux, c'est l'amour même qui pousse les disciples du Christ à annoncer à tous les hommes la vérité qui sauve »[33]. Cet amour est le sceau précieux de l'Esprit Saint qui, comme protagoniste de l'évangélisation[34], ne cesse de pousser les cœurs à annoncer l'Évangile, les disposant à l'accueillir. Cet amour vit dans le cœur de l'Église et, à partir de là, comme un feu de charité, se répand jusqu'aux confins de la terre, jusque dans le cœur de tout homme. En effet, le cœur entier de l'homme attend de rencontrer Jésus Christ.
On comprend dès lors l'urgence de l'invitation du Christ à évangéliser et le fait que la mission confiée aux Apôtres par le Seigneur concerne tous les baptisés. Les paroles de Jésus, « Allez donc ! de toutes les nations faites des disciples, baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ; apprenez-leur à garder tous les commandements que je vous ai donnés » (Mt 28, 19-20), interpellent tout le monde dans l'Église, chacun selon sa vocation. Et, en notre temps où tant de personnes vivent dans les diverses formes de désert, surtout le désert « de l'obscurité de Dieu, du vide des âmes sans aucune conscience de leur dignité ni du chemin de l'homme »[35], le Pape Benoît XVI a rappelé au monde que « l'Église dans son ensemble, et les Pasteurs en son sein, doivent, comme le Christ, se mettre en route, pour conduire les hommes hors du désert, vers le lieu de la vie, vers l'amitié avec le Fils de Dieu, vers Celui qui nous donne la vie, la vie en plénitude »[36]. Cet engagement apostolique est un devoir et même un droit inaliénable, une expression propre de la liberté religieuse qui a ses dimensions éthiques et sociales et ses dimensions éthiques et politiques correspondantes[37]. Malheureusement, dans certaines parties du monde, ce droit n'est pas encore légalement reconnu, et en d'autres lieux, il n'est pas respecté dans les faits[38].
11. Celui qui annonce l'Évangile participe à la charité de Christ, qui nous a aimés et qui s'est livré pour nous (cf. Ep 5, 2). Il est son ambassadeur et il supplie au nom du Christ : laissez-vous réconcilier avec Dieu ! (cf. 2 Co 5, 20). Cette charité est l'expression de la gratitude qui jaillit du cœur de l'homme, lorsqu'il s'ouvre à l'amour offert par Jésus Christ, un amour « qui dans l'univers se dissémine »[39]. Cela explique l'ardeur, la confiance et la liberté de parole (parrhesia) qui se manifestaient dans la prédication des Apôtres (cf. Ac 4, 31 ; 9, 27-28 ; 26, 26 ; etc.) et dont le roi Agrippa fit l'expérience en écoutant saint Paul : « Encore un peu, et tu vas me persuader que tu as fait un chrétien! » (Ac 26, 28).
L'évangélisation ne se réalise pas seulement à travers la
prédication publique de l'Évangile, ni uniquement à travers des œuvres de
quelque importance publique, mais aussi au moyen du témoignage personnel, qui
demeure une voie de grande efficacité pour l'évangélisation. En effet, « à côté
de cette proclamation de l'Évangile sous forme générale, l'autre forme de sa
transmission, de personne à personne, reste valide et importante. [...] Il ne
faudrait pas que l'urgence d'annoncer
En tout cas, on doit rappeler que, dans la transmission de
l'Évangile, la parole et le témoignage de vie vont de pair[41]. Le témoignage
de la sainteté est requis avant tout pour que la lumière de la vérité rayonne
sur tous les hommes. Si
IV. Quelques implications œcuméniques
12. Dès ses débuts, le mouvement œcuménique a été intimement lié à l'évangélisation. L'unité est, en réalité, le sceau de crédibilité de la mission. Le Concile Vatican II a fait remarquer avec regret que le scandale de la division « fait obstacle à la plus sainte des causes: la prédication de l'Évangile »[43]. Jésus lui-même, la veille de sa mort, a prié « pour que tous, ils soient un... afin que le monde croie » (Jn 17, 21).
La mission de l'Église est universelle et ne se limite pas à des régions déterminées de la terre. Toutefois, l'évangélisation se réalise diversement selon les différentes situations dans lesquelles elle s'opère. Au sens propre, c'est la « missio ad gentes » vers ceux qui ne connaissent pas le Christ. On parle au sens large d' « évangélisation » pour l'aspect ordinaire de la pastorale et de « nouvelle évangélisation » vis-à vis de ceux qui n'observent plus la pratique chrétienne[44]. En outre, l'évangélisation a lieu aussi dans les pays où vivent des chrétiens non catholiques, surtout les pays de vieille tradition et d'ancienne culture chrétiennes. Ici sont requis un véritable respect pour leur tradition et pour leurs richesses spirituelles, et un sincère esprit de coopération. Les catholiques, « étant bannie toute apparence d'indifférentisme, de confusionnisme et d'odieuse rivalité, collaborent fraternellement avec les frères séparés, selon les dispositions du Décret sur l'œcuménisme, par une commune profession de foi en Dieu et en Jésus Christ devant les nations, dans la mesure du possible, et par une coopération dans les questions sociales et techniques, culturelles et religieuses » [45].
Dans l'engagement œcuménique, on peut distinguer plusieurs
dimensions : d'abord l'écoute, condition fondamentale de tout dialogue ;
ensuite, la discussion théologique, où l'on cherche à comprendre
les confessions, les traditions et les convictions d'autrui, en vue d'une
éventuelle concorde, parfois cachée dans la discorde ; enfin, l'autre dimension
essentielle, indissociable des aspects précédents, qui ne peut faire défaut
dans l'engagement œcuménique, est le témoignage et l'annonce d'éléments
qui ne sont pas des traditions particulières ou des nuances théologiques mais
qui appartiennent plutôt à
Cependant, l'œcuménisme n'a pas seulement une dimension institutionnelle qui vise « à faire progresser la communion partielle existant entre les chrétiens, pour arriver à la pleine communion dans la vérité et la charité »[46] : c'est la tâche de tout fidèle, essentiellement à travers la prière, la pénitence, l'étude et la collaboration. Partout et toujours, tout fidèle catholique a le droit et le devoir de donner un témoignage de sa foi et de l'annoncer pleinement. Avec les chrétiens non catholiques, le fidèle catholique doit entrer en le dialogue respectueux de la charité et de la vérité, qui n'est pas seulement un échange d'idées mais de dons[47], afin de pouvoir leur offrir la plénitude des moyens de salut[48]. Ainsi on parvient à une conversion toujours plus profonde au Christ.
À ce propos, il convient de noter que si un chrétien non catholique, pour des raisons de conscience et dans la conviction de la vérité catholique, demande à entrer dans la pleine communion de l'Église catholique, il faudra respecter sa requête comme œuvre de l'Esprit Saint et comme expression de la liberté de conscience et de religion. Dans ce cas, il ne s'agit pas de prosélytisme, dans le sens négatif attribué à ce terme[49]. Comme l'a explicitement reconnu le Décret sur l'œcuménisme du Concile Vatican II, « il est évident que l'œuvre de préparation et de réconciliation des personnes individuelles qui désirent la pleine communion avec l'Église catholique, se distingue, par sa nature, du dessein œcuménique; mais il n'y a, entre elles, aucune opposition puisque l'une et l'autre procèdent d'une disposition admirable de Dieu »[50]. Une telle initiative ne prive donc pas du droit, ni ne dispense de la responsabilité d'annoncer en plénitude la foi catholique aux autres chrétiens qui librement acceptent de l'accueillir.
Cette perspective exige naturellement d'éviter toute
pression indue : « Dans la propagation de la foi et l'introduction des
pratiques religieuses, on doit toujours s'abstenir de toute forme d'agissements
ayant un relent de coercition, de persuasion malhonnête, ou simplement peu
loyaux, surtout s'il s'agit des gens sans culture ou sans ressources »[51]. Le
témoignage rendu à la vérité n'entend rien imposer par la force, ni par une
action coercitive, ni avec des artifices contraires à l'Évangile. L'exercice même
de la charité est gratuit[52]. L'amour et le témoignage rendu de la vérité
visent à convaincre d'abord par la force de
V. Conclusion
Le Souverain Pontife Benoît XVI, durant l'audience du 6
octobre
Rome, au siège de
William Card. Levada
Préfet
Angelo Amato
Archevêque titulaire de Sila
Sécretaire
[1] Jean-Paul II, Encycl. Redemptoris
missio (7 décembre 1990), n. 47 : AAS 83 (1991), p. 293 ;
[2] Conc. œcum. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium, n. 14 ; cf. Décr. Ad gentes, n. 7 ; Décr. Unitatis redintegratio, n. 3. Cette doctrine ne
s'oppose pas à la volonté salvifique universelle de Dieu, qui « veut que tous
les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité» (1
Tm 2, 4) ; c'est pourquoi, «il est nécessaire de tenir ensemble ces deux
vérités, à savoir la possibilité réelle du salut dans le Christ pour tous les
hommes et la nécessité de l'Église pour le salut », Jean-Paul II, Encycl. Redemptoris
missio, n. 9 ; AAS 83 (1991), p. 258 ;
[3] Cf. Jean-Paul II, Lett. apost. Novo millennio ineunte (6 janvier 2001), n. 1 : AAS
93 (2001), p. 266 ;
[4] Cf. Paul VI, Exhort. apost. Evangelii nuntiandi (8 décembre 1975), n. 24 : AAS
69 (1976), p. 22;
[5] Jean-Paul II, Encycl. Redemptoris
missio (7 décembre 1990), n. 46 : AAS 83 (1991), p. 293;
[6] Benoît XVI, Homélie du 10 septembre 2006 : AAS 98 (2006),
p. 710;
[7] "Tout ce qui est vrai, dit par quiconque, vient de
l'Esprit Saint" (S. Thomas d'Aquin, Summa Theologiae, I-II, q.
[8] Cf. Jean-Paul II, Encycl. Fides
et ratio (14 septembre 1998), n. 44 : AAS 91 (1999), p. 40 ;
[9] Benoît XVI, Discours au Congrès ecclésial du Diocèse de Rome sur « Famille
et communauté chrétienne : formation de la personne et transmission de la foi »
(5 juin 2005) : AAS 97 (2005), p. 816 ;
[10] Jean-Paul II, Encycl. Fides
et ratio (14 septembre 1998), n. 5 : AAS 91 (1999), pp. 9-10 ;
[11] Ibidem,
n. 31 : AAS 91 (1999), p. 29 ;
[12] Un droit si fondamental pour les personnes et les
communautés, reconnu et affirmé aussi par exemple dans
[13] Jean-Paul II, Encyl. Fides
et ratio (14 septembre 1998), n. 33 : AAS 91 (1999), p. 31 ;
[14] Conc.œcum. Vat. II, Const. dogm. Dei Verbum, n. 5.
[15] Conc. œcum. Vat. II, Décl. Dignitatis humanae, n. 3.
[17] Jean-Paul II, Encycl. Redemptoris
missio (7 décembre 1990), n. 52 : AAS 83 (1991), p. 300 ;
[18] Cf. Jean-Paul II, Encycl. Slavorum
Apostoli (2 juin 1985), n. 18: AAS 77 (1985), p. 800 ;
[19] Conc. œcum. Vat. II, Const. dogm. Dei Verbum, n. 8.
[20] Cf. Paul VI, Exhort. apost. Evangelii nuntiandi (8 décembre 1975), nn. 19-20 : AAS
69 (1976), pp. 18-19;
[21] Conc. œcum. Vat. II, Décr. Ad gentes, n. 7 ; cf. Const. dogm. Lumen gentium, n. 16 ; Const. past. Gaudium et spes, n. 22.
[22] Benoît XVI, Homélie lors de la Messe inaugurale du Pontificat (24
avril 2005) : AAS 97 (2005), p. 711;
[23]Conc. œcum. Vat. I, Const. Dogm.
Dei Filius, n. 2 : « C'est bien à cette révélation divine que tous les
hommes peuvent connaître de manière aisée, même dans l'état présent du genre
humain, avec une certitude incontestable et sans aucun mélange d'erreur, ce qui
dans les réalités divines n'est pas de soi inaccessible à la raison humaine. (cf. S. Thomas d'Aquin, Summa
Theologiae, I, 1,1) » (DH 3005).
[24] Conc. œcum. Vat. II, Décr. Ad gentes, n. 13.
[25] Conc. œcum. Vat. II, Décl. Dignitatis humanae, n. 11.
[26] Cf. par exemple, Clément d'Alexandrie, Protreptique IX, 87, 3-4 (Sources chrétiennes, 2, p. 154), Saint Augustin, Sermon 14, D [= 352 A] (Nuova Biblioteca Agostiniana XXXV/1, 269-271).
[27] Conc. œcum. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium, n. 5.
[28] Cf. Jean-Paul II, Encycl. Redemptoris
missio, (7 décembre 1990), n. 18 : AAS 83 (1991), pp. 265-266 ;
[29] Jean-Paul II, Encycl. Redemptoris
missio (7 décembre 1990), n. 18 : AAS 83 (1991), p. 266 ;
[30]Congrégation pour
[31] Cf. Paul VI, Exhort. apost. Evangelii nuntiandi, (8 décembre 1975), n. 80: AAS
69 (1976), p. 73;
[32] Cf. Benoît XVI, Discours à la Curie romaine (22 décembre 2005) AAS
98 (2006), p. 50 ;
[33]Conc. œcum. Vat. II, Const. past. Gaudium et spes, n. 28 ; cf. Paul VI, Exhort. apost. Evangelii nuntiandi (8 décembre 1975), n. 24: AAS
69 (1976), pp. 21-22;
[34] Jean-Paul II, Encycl. Redemptoris
missio, nn. 21-30 : : AAS 83 (1991), pp. 268-276 ;
[35] Benoît XVI, Homélie lors de l'inauguration du Pontificat (24 avril
2005) : AAS 97 (2005), p. 710;
[37]Conc. œcum. Vat. II, Décl. Dignitatis humanae, n. 6.
[38] Là où est reconnu le droit à la liberté religieuse, est aussi reconnu généralement à chaque homme le droit de partager avec d'autres ses convictions, dans le plein respect de la conscience d'autrui, en vue de favoriser l'insertion dans sa communauté d'appartenance religieuse, comme le stipulent de nombreux systèmes juridiques actuels ainsi qu'une jurisprudence désormais bien connue.
[39] Dante Alighieri,
[40] Paul VI, Exhort. apost. Evangelii nuntiandi, n. 46 : AAS 69 (1976), p.
36;
[41] Conc. œcum. Vat. II, Const. Dogm. Lumen gentium, n. 35.
[42] Paul VI, Exhort. apost. Evangelii nuntiandi, n. 22: AAS 69 (1976), p. 20
;
[43] Conc. œcum. Vat. II, Décr. Unitatis redintegratio, n. 1 ; cf. Jean-Paul II,
Encycl. Redemptoris missio, nn. 1, 50 : AAS 83 (1991),
pp. 249, 297 ;
[44] Cf. Jean-Paul II, Encycl. Redemptoris
missio, n. 34 : AAS 83 (1991), pp. 279-280 ;
[45] Conc. œcum. Vat. II, Décr. Ad gentes, n. 15.
[46] Jean-Paul II, Encycl. Ut unum
sint (25 mai 1995), n. 14 : AAS 87 (1995), p. 929;
[47] Cf. Ibidem,
n. 28: AAS 87 (1995), p. 939;
[48] Conc. œcum. Vat. II, Décr. Unitatis redintegratio, nn. 3, 5.
[49] Originairement, le terme « prosélytisme », né dans le
milieu juif où le « prosélyte », indiquait celui qui provenant des « nations »,
était passé à faire partie du « peuple élu ». Ainsi dans le milieu chrétien, le
terme prosélytisme a été souvent employé comme synonyme de l'activité
missionnaire. Récemment le terme a pris une connotation négative comme une
publicité pour sa propre religion avec des moyens et des motifs contraires à
l'esprit de l'Évangile, qui ne respectent pas la liberté et la dignité de la
personne. C'est dans ce sens récent que le terme «prosélytisme» est compris au
sein du mouvement oecuménique. Cf.
The Joint Working Group between he Catholic Church and the World Council of
Churches, «The Challenge of Proselytism and the Calling to Common Witness »
(1995).
[50] Conc. œcum. Vat. II, Décr. Unitatis redintegratio, n. 4.
[51] Conc. œcum. Vat. II, Décl. Dignitatis humanae, n. 4.
[52] Cf. Benoît XVI, Encycl. Deus caritas est (25 décembre 2005) n. 31 c : AAS
98 (2006), p. 245;
[53] Cf. Conc. œcum. Vat. II, Décl. Dignitatis humanae, n. 11.
[54] Benoît XVI, Homélie à la Basilique Saint-Paul hors les Murs (25
avril 2005) : AAS 97 (2005), p. 745 ;
[55] Benoît XVI, Discours à l'occasion du quarantième anniversaire du Décret Ad
gentes (11 mars 2006) : AAS 98 (2006), p. 334 ;
[56] Benoît XVI, Encycl. Deus caritas est (25 décembre 2005), n. 18 : AAS
98 (2006), p. 232 ;