LLLLes Nouvelles

 de

Chrétienté

 

N° 119

 

Je m’aperçois, chemin faisant,  que « Les Nouvelles de Chrétienté » sont de plus en plus consacrées à l’enseignement du pape Benoît XVI. C’est une bonne chose.

C’est ainsi que dans ce numéro vous aurez trois textes du pape :

 

a-d’abord son troisième texte sur saint Augustin : celui-ci est consacré à la doctrine augustinienne et plus spécialement au problème de la relation entre la « foi et la raison » qui est aussi le grand thème de Benoît XVI ;

 

b-puis son discours aux responsables politiques et  administratifs de Rome et de sa région : le Latium

 

     c-enfin son discours aux représentants des membres d’un colloque sur « l'individu » qui s’est conclu à Rome.

 

 

A- Saint Augustin. Sa doctrine.

 

C’est la troisième audience générale que le pape Benoît XVI consacre à Saint Augustin.

Vous trouverez ces deux précédentes homélies sur saint Augustin dans LNDC du  16 et du 25 janvier 2008

 

Nous publions ci-dessous le texte intégral de l’homélie  donnée par le pape Benoît XVI au cours de l'audience générale du mercredi 30 janvier 2008 dans la salle Paul VI du Vatican.

 

« Chers amis,

Après la Semaine de prière pour l'unité des chrétiens, nous revenons aujourd'hui sur la grande figure de saint Augustin. Mon bien-aimé prédécesseur Jean-Paul II lui a consacré en 1986, c'est-à-dire pour le seizième centenaire de sa conversion, un long document très dense, la Lettre apostolique Augustinum Hipponensem. Le pape lui-même souhaita qualifier ce texte d'« action de grâce à Dieu pour le don fait à l'Eglise, et pour elle à l'humanité tout entière, avec cette admirable conversion » (AAS, 74, 1982, p. 802). Je voudrais revenir sur le thème de la conversion lors d'une prochaine audience. C'est un thème fondamental non seulement pour sa vie personnelle, mais aussi pour la nôtre. Dans l'Evangile de dimanche dernier, le Seigneur a résumé sa prédication par la parole : « Convertissez-vous ». En suivant le chemin de saint Augustin, nous pourrions méditer sur ce qu'est cette conversion : c'est une chose définitive, décisive, mais la décision fondamentale doit se développer, doit se réaliser dans toute notre vie.

La catéchèse d'aujourd'hui est en revanche consacrée au thème foi et raison, qui est un thème déterminant, ou mieux, le thème déterminant dans la biographie de saint Augustin. Enfant, il avait appris de sa mère Monique la foi catholique. Mais adolescent il avait abandonné cette foi parce qu'il ne parvenait plus à en voir la caractère raisonnable et il ne voulait pas d'une religion qui ne fût pas aussi pour lui expression de la raison, c'est-à-dire de la vérité. Sa soif de vérité était radicale et elle l'a conduit à s'éloigner de la foi catholique. Mais sa radicalité était telle qu'il ne pouvait pas se contenter de philosophies qui ne seraient pas parvenues à la vérité elle-même, qui ne seraient pas arrivées jusqu'à Dieu. Et à un Dieu qui ne soit pas uniquement une ultime hypothèse cosmologique, mais qui soit le vrai Dieu, le Dieu qui donne la vie et qui entre dans notre vie personnelle. Ainsi, tout l'itinéraire spirituel de saint Augustin constitue un modèle valable encore aujourd'hui dans le rapport entre foi et raison, thème non seulement pour les hommes croyants mais pour tout homme qui recherche la vérité, thème central pour l'équilibre et le destin de tout être humain. Ces deux dimensions, foi et raison, ne doivent pas être séparées ni opposées, mais doivent plutôt toujours aller de pair. Comme l'a écrit Augustin lui-même peu après sa conversion, foi et raison sont « les deux forces qui nous conduisent à la connaissance » (Contra Academicos, III, 20, 43). A cet égard demeurent célèbres, à juste titre, les deux formules augustiniennes (Sermones, 43, 9) qui expriment cette synthèse cohérente entre foi et raison : crede ut intelligas (« crois pour comprendre ») - croire ouvre la voie pour franchir la porte de la vérité - mais aussi, et de manière inséparable, intellige ut credas (« comprends pour croire »), scrute la vérité pour pouvoir trouver Dieu et croire.

Les deux affirmations d'Augustin expriment de manière immédiate et concrète ainsi qu'avec une grande profondeur, la synthèse de ce problème, dans lequel l'Eglise catholique voit exprimé son propre chemin. D'un point de vue historique, cette synthèse se forme avant même la venue du Christ, dans la rencontre entre la foi juive et la pensée grecque dans le judaïsme hellénistique. Ensuite, au cours de l'histoire, cette synthèse a été reprise et développée par un grand nombre de penseurs chrétiens. L'harmonie entre foi et raison signifie surtout que Dieu n'est pas éloigné : il n'est pas éloigné de notre raison et de notre vie ; il est proche de tout être humain, proche de notre cœur et proche de notre raison, si nous nous mettons réellement en chemin.

C'est précisément cette proximité de Dieu avec l'homme qui fut perçue avec une extraordinaire intensité par Augustin. La présence de Dieu en l'homme est profonde et dans le même temps mystérieuse, mais elle peut être reconnue et découverte dans notre propre intimité : ne sors pas - affirme le converti - mais « rentre en toi-même ; c'est dans l'homme intérieur qu'habite la vérité ; et si tu trouves que la nature est muable, transcende-toi toi-même. Mais rappelle-toi, lorsque tu te transcendes toi-même, que tu transcendes une âme qui raisonne. Tends donc là où s'allume la lumière de la raison » (De vera religione, 39, 72). Précisément comme il le souligne, dans une affirmation très célèbre, au début des Confessiones, son autobiographie spirituelle écrite en louange à Dieu : « Tu nous as faits pour toi et notre cœur est sans repos, tant qu'il ne repose en toi » (I, 1, 1).

Etre éloigné de Dieu équivaut alors à être éloigné de soi-même : « En effet - reconnaît Augustin (Confessiones, III, 6, 11) en s'adressant directement à Dieu - tu étais à l'intérieur de moi dans ce que j'ai de plus profond et plus au-dessus de ce que j'ai de plus haut », interior intimo meo et superior summo meo ; si bien que - ajoute-t-il dans un autre passage lorsqu'il rappelle l'époque antérieure à sa conversion - « tu étais devant moi ; et quant à moi en revanche, je m'étais éloigné de moi-même, et je ne me retrouvais plus ; et moins encore te retrouvais-je » (Confessiones, V, 2, 2). C'est précisément parce qu'Augustin a vécu personnellement cet itinéraire intellectuel et spirituel, qu'il a su le rendre dans ses œuvres de manière immédiate et avec tant de profondeur et de sagesse, reconnaissant dans deux autres passages célèbres des Confessiones (IV, 4, 9 et 14, 22) que l'homme est « une grande énigme » (magna quaestio) et « un grand abîme » (grande profundum), une énigme et un abîme que seul le Christ illumine et sauve. Voilà ce qui est important : un homme qui est éloigné de Dieu est aussi éloigné de lui-même, et il ne peut se retrouver lui-même qu'en rencontrant Dieu. Ainsi il arrive également à lui-même, à son vrai moi, à sa vraie identité.

L'être humain - souligne ensuite Augustin dans De civitate Dei (XII, 27) - est social par nature mais antisocial par vice, et il est sauvé par le Christ, unique médiateur entre Dieu et l'humanité et « voie universelle de la liberté et du salut », comme l'a répété mon prédécesseur Jean-Paul II (Augustinum Hipponensem, 21) : hors de cette voie, qui n'a jamais fait défaut au genre humain - affirme encore Augustin dans cette même œuvre - « personne n'a jamais trouvé la liberté, personne ne la trouve, personne ne la trouvera » (De civitate Dei, X, 32, 2). En tant qu'unique médiateur du salut, le Christ est la tête de l'Eglise et il est uni à elle de façon mystique au point qu'Augustin peut affirmer : « Nous sommes devenus le Christ. En effet, s'il est la tête et nous les membres, l'homme total est lui et nous » (In Iohannis evangelium tractatus, 21, 8).

Peuple de Dieu et maison de Dieu, l'Eglise, dans la vision augustinienne est donc liée étroitement au concept de Corps du Christ, fondée sur la relecture christologique de l'Ancien Testament et sur la vie sacramentelle centrée sur l'Eucharistie, dans laquelle le Seigneur nous donne son Corps et nous transforme en son Corps. Il est alors fondamental que l'Eglise, Peuple de Dieu au sens christologique et non au sens sociologique, soit véritablement inscrite dans le Christ, qui - affirme Augustin dans une très belle page - «prie pour nous, prie en nous, est prié par nous ; prie pour nous comme notre prêtre, prie en nous comme notre chef, est prié par nous comme notre Dieu : nous reconnaissons donc en lui notre voix et en nous la sienne» (Enarrationes in Psalmos, 85, 1).

Dans la conclusion de la Lettre apostolique Agustinum Hipponensem Jean-Paul II a voulu demander au saint lui-même ce qu'il avait à dire aux hommes d'aujourd'hui et il répond tout d'abord avec les paroles qu'Augustin confia dans une lettre dictée peu après sa conversion : « Il me semble que l'on doive reconduire les hommes à l'espérance de trouver la vérité » (Epistulae 1, 1) ; cette vérité qui est le Christ lui-même, le Dieu véritable, auquel est adressée l'une des plus belles et des plus célèbres prières des Confessiones (X, 27, 38) : « Je t'ai aimée tard, beauté si ancienne, beauté si nouvelle, je t'ai aimée tard. Mais quoi ! Tu étais au dedans, moi au dehors de moi-même ; et c'est au dehors que je te cherchais ; et je poursuivais de ma laideur la beauté de tes créatures. Tu étais avec moi, et je n'étais pas avec toi ; retenu loin de toi par tout ce qui, sans toi, ne serait que néant. Tu m'appelles, et voilà que ton cri force la surdité de mon oreille ; ta splendeur rayonne, elle chasse mon aveuglement ; ton parfum, je le respire, et voilà que je soupire pour toi ; je t'ai goûté, et me voilà dévoré de faim et de soif ; tu m'as touché, et je brûle du désir de ta paix ».

Voilà, Augustin a rencontré Dieu et tout au long de sa vie, il en a fait l'expérience au point que cette réalité - qui est avant tout la rencontre avec une Personne, Jésus - a changé sa vie, comme elle change celle de tous ceux, femmes et hommes, qui de tous temps ont la grâce de le rencontrer. Prions afin que le Seigneur nous donne cette grâce et nous permette de trouver sa paix ».

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Tu m'appelles, et voilà que ton cri force la surdité de mon oreille ; ta splendeur -----rayonne, elle chasse mon aveuglement ; ton parfum, je le respire, et voilà que

b- Audience du 10 janvier 2008 aux élus et hommes politiques de la Région du Latium.

 

Ici, le pape Benoît XVI rappelle quelques vérités  aux hommes politique et administrateurs de la Région du Latium

 


Comme de coutume, le Pape Benoît XVI a reçu en audience le 10 janvier 2008,   pour l’échange des vœux de Nouvel An,  les élus de Rome, de sa Province et de la Région du Latium, devant lesquels il a développé certains sujets touchant plus particulièrement la vie de la population romaine.  Mais ces sujets, s’ils concernent Rome et sa région, sont aussi d’intérêt général et peuvent intéresser bien d’autres régions et bien d’autres populations. Oui ! Ils sont d’intérêt général.  C’est à ce titre que l’on peut y porter ici quelque attention.

 

Le pape attire l’attention de son auditoire sur des sujets particulièrement importants :

 

1- le respect de la personne humaine et de son éducation : c’est là une tache particulièrement importante et particulièrement difficile en cette période de relativisme et de nihilisme. Il écrit : « Un critère fondamental, sur lequel nous pouvons facilement tomber d'accord dans l'accomplissement de nos divers devoirs, est celui de donner une place centrale à la personne humaine. » Et dans cette lumière, qui ne voit «  l'importance décisive que revêtent l'éducation et la formation de la personne, avant tout dans la première partie de la vie, mais également tout au long de l'existence ». Or cette tache est particulièrement délicate : « Il semble en effet toujours plus difficile de proposer de manière convaincante aux nouvelles générations des certitudes solides et des critères sur lesquels construire leur propre vie. Les parents et les enseignants le savent bien, et c'est aussi pour cette raison qu'ils sont tentés d'abdiquer devant leurs tâches éducatives. Eux-mêmes, du reste, dans le contexte social et culturel actuel imprégné par le relativisme et même le nihilisme, parviennent difficilement à trouver des points de références sûrs, qui puissent les soutenir et les guider dans leur mission d'éducateurs ainsi que dans l'ensemble de la conduite de leur vie. » Et pourtant de cette éducation de la personne, dépend l’avenir de la société: « A travers la formation de la personne sont en effet clairement en jeu les bases mêmes de la coexistence et l'avenir de la société. » Alors au travail ! Tous. Et l’Eglise et la société politique !

 

2-le respect du à  la famille : Et dans cette perspective de l’éducation de la personne, « le respect et le soutien de la famille fondée sur le mariage ont ici clairement une importance prioritaire. ». C’est la famille qui est : « le lieu premier d'humanisation de la personne et de la société », qui est le « berceau de la vie et de l'amour ». En raison de ces réalités incontestables, il faut donc non pas l’attaquer et la détruire mais lui apporter au contraire : «  un soutien convaincu et concret, dans la certitude d'opérer ainsi pour le bien commun ». Alors au travail !

 

3-la lutte contre la pauvreté est une troisième urgence, car là,  à Romme comme ailleurs la pouvoir d’achat diminue : « l'augmentation du coût de la vie, en particulier les prix du logement, la persistance du manque de travail, ainsi que les salaires et les retraites souvent inadaptés rendent véritablement difficiles les conditions de vie de nombreuses personnes et familles ». 

 

4 -la lutte contre l’insécurité des cités et particulièrement des banlieux. C’est une fonction « régalienne » par excellence.

 

Voici le discours intégral

 

Discours du pape Benoît XVI aux autorités civiles de Rome et du Latium

Discours du Saint-Père Benoît XVI :

Mesdames et Messieurs,

Je suis heureux de vous recevoir, au début de cette nouvelle année, pour le traditionnel échange des vœux. Je vous remercie de votre présence et j'adresse mes salutations respectueuses et cordiales au Président du Conseil régional du Latium, M. Pietro Marrazzo, au Maire de Rome, M. Walter Veltroni, et au Président de la Province, M. Enrico Gasbarra, auxquels je souhaite exprimer mes sentiments de vive gratitude pour les paroles courtoises qu'ils m'ont adressées également au nom des Administrations qu'ils dirigent. Je salue avec eux les Présidents des Assemblées respectives et chacun de vous ici réunis.

Ce rendez-vous annuel nous offre l'opportunité de réfléchir sur certains sujets d'intérêt commun d'une grande importance et d'une grande actualité, touchant de près à la vie des populations de Rome et du Latium. J'adresse à chaque personne et à chaque famille, à travers vous, une affectueuse pensée, d'encouragement et d'attention pastorale, me faisant l'interprète des sentiments et des liens qui ont unis à travers les siècles les Successeurs de l'Apôtre Pierre à la ville de Rome, à sa province et à toute la région du Latium. Les temps et les situations changent, mais l'amour et la sollicitude du Pape ne faiblit pas à l'égard de tous ceux qui vivent sur ces terres, si profondément marquées par le grand et vivant héritage du christianisme.

Le respect de la personne et son éducation.

Un critère fondamental, sur lequel nous pouvons facilement tomber d'accord dans l'accomplissement de nos divers devoirs, est celui de donner une place centrale à la personne humaine. Comme l'affirme le Concile Vatican II, l'homme est, sur la terre "la seule créature que Dieu a voulue pour elle-même" (Gaudium et Spes, n. 24). A son tour, mon prédécesseur, le serviteur de Dieu Jean-Paul II, dans l'Encyclique Centesimus Annus, écrivait à juste titre que "la principale ressource de l'homme... est l'homme lui-même" (n. 32). Une conséquence immédiate de tout cela est l'importance décisive que revêtent l'éducation et la formation de la personne, avant tout dans la première partie de la vie, mais également tout au long de l'existence. Si nous regardons toutefois la réalité de notre situation, nous ne pouvons pas nier que nous nous trouvons face à une véritable et importante "urgence éducative", comme je le soulignais le 11 juin de l'année dernière en parlant au Congrès du diocèse de Rome.  Il semble en effet toujours plus difficile de proposer de manière convaincante aux nouvelles générations des certitudes solides et des critères sur lesquels construire leur propre vie. Les parents et les enseignants le savent bien, et c'est aussi pour cette raison qu'ils sont tentés d'abdiquer devant leurs tâches éducatives. Eux-mêmes, du reste, dans le contexte social et culturel actuel imprégné par le relativisme et même le nihilisme, parviennent difficilement à trouver des points de références sûrs, qui puissent les soutenir et les guider dans leur mission d'éducateurs ainsi que dans l'ensemble de la conduite de leur vie.

Une telle urgence, éminents représentants des Administrations de Rome et du Latium, ne peut laisser indifférentes ni l'Église ni vos Administrations. A travers la formation de la personne sont en effet clairement en jeu les bases mêmes de la coexistence et l'avenir de la société. Pour sa part, le diocèse de Rome consacre à cette tâche difficile une attention tout à fait particulière, qui s'étend aux divers milieux éducatifs, de la famille et de l'école jusqu'aux paroisses, aux associations et aux mouvements, aux patronages, aux initiatives culturelles, au sport et aux loisirs. Dans ce contexte, j'exprime ma vive gratitude à la Région du Latium pour le soutien offert aux patronages et aux centres pour l'enfance organisés par les paroisses et les communautés ecclésiales, ainsi que pour les contributions à la réalisation de nouveaux complexes paroissiaux dans les zones du Latium qui en sont encore privées. Je voudrais toutefois surtout encourager à un engagement commun et de large envergure, à travers lequel les institutions civiles, chacune selon ses compétences, puissent multiplier les efforts pour affronter les divers niveaux d'urgence éducative, en s'inspirant constamment au critère-guide de la place centrale de la personne humaine.

 

Le soutien de la famille : œuvre de bien commun

Le respect et le soutien de la famille fondée sur le mariage ont ici clairement une importance prioritaire. Comme je l'ai écrit dans le récent Message pour la Journée Mondiale de la Paix (n. 2), "la famille naturelle, en tant que profonde communion de vie et d'amour, fondée sur le mariage entre un homme et une femme, constitue "le lieu premier d'humanisation de la personne et de la société", le "berceau de la vie et de l'amour"". Malheureusement nous voyons chaque jour combien les attaques et les incompréhensions à l'égard de cette réalité humaine et sociale fondamentale sont insistantes et menaçantes. Il est donc plus que jamais nécessaire que les Administrations publiques ne soutiennent pas ces tendances négatives, mais au contraire offrent aux familles un soutien convaincu et concret, dans la certitude d'opérer ainsi pour le bien commun.

 

La lutte contre la pauvreté

Une autre urgence en cours d'aggravation est celle de la pauvreté: elle augmente surtout dans les grandes banlieues urbaines, mais elle commence à être présente également dans d'autres contextes et situations, qui semblaient pourtant à l'abri. L'Église participe de tout cœur à l'effort en vue de soulager celle-ci, en collaborant volontiers avec les institutions civiles, mais l'augmentation du coût de la vie, en particulier les prix du logement, la persistance du manque de travail, ainsi que les salaires et les retraites souvent inadaptés rendent véritablement difficiles les conditions de vie de nombreuses personnes et familles.

 

Travailler à la sécurité des personnes

Un événement tragique comme l'assassinat à Tor di Quinto de Giovanna Reggiani, a en outre placé brutalement notre ville en face du problème non seulement de la sécurité, mais également de la très grave dégradation de certaines zones de la ville de Rome: voilà précisément, bien au-delà de l'émotion du moment, une œuvre constante et concrète qui doit avoir la double et inséparable finalité de garantir la sécurité des citoyens et d'assurer à tous, en particulier aux immigrés, au moins le minimum indispensable pour mener une vie honnête et digne. L'Église, à travers la Caritas et bien d'autres réalités du bénévolat, animées par des laïcs et par des religieux et des religieuses, se prodigue également sur cette frontière difficile, sur laquelle les responsabilités et les possibilités d'intervention des pouvoirs publics demeurent bien entendu irremplaçables.

 

L’œuvre des malades : assurer un juste traitement aux hôpitaux  catholiques

Une autre sollicitude qui concerne à la fois l'Église et vos Administrations est la sollicitude envers les malades. Nous savons bien quelles graves difficultés doit affronter la Région du Latium dans le domaine de la santé publique, mais nous devons également constater combien est souvent dramatique la situation des structures médicales catholiques, même très prestigieuses et renommées au niveau national. Je ne peux donc pas manquer de demander que dans la distribution des ressources celles-ci ne soient pas pénalisées, non dans l'intérêt de l'Eglise, mais pour ne pas compromettre un service indispensable à nos populations.

Illustres autorités, tout en vous remerciant une nouvelle fois de votre visite courtoise et appréciée, je vous assure de ma cordiale proximité et de ma prière, pour vous et pour les autres responsabilités qui vous sont confiées. Que le Seigneur soutienne votre engagement et éclaire vos intentions de bien. Avec ces sentiments, je donne de tout cœur à chacun de vous ma Bénédiction apostolique, que j'étends volontiers à vos familles et à tous ceux qui vivent et œuvrent à Rome, dans sa province et dans tout le Latium.

 

 

 

C- Réflexions de Benoît XVI sur « L’identité changeante de l’individu »

 

 

Benoît XVI a reçu le lundi 28 janvier  en audience au Vatican les participants d'un colloque sur le thème : « L'identité changeante de l'individu », organisé sous l'égide de l'Académie pontificale des Sciences et l'Académie pontificale des Sciences sociales, l'Académie des Sciences morales et politiques, l'Académie des Sciences et l'Institut Catholique de Paris.

 

Nous publions ci-dessous le texte intégral de son intervention.

 

Le thème développé par le Pape est le suivant : seules, la philosophie et la théologie peuvent pénétrer le vrai mystère de l’homme, sa finalité. Le mystère humain dépasse les investigations des seules sciences physiques et biologiques. L’homme est plus qu’un amas de « cellules ». Seules les études philosophiques et théologiques permettent d’ « accomplir le passage, aussi nécessaire qu'urgent, du phénomène au fondement » disait déjà Jean-Paul II. Et c’est ainsi que seules ces sciences permettent d’assurer et de respecter la dignité de la personne, faite à l’image de Dieu et donc libre. C’est dans le possible choix du bien que réside la grandeur de l’homme. Les  conséquences, on le voit, en sont importantes. On goûtera particulièrement cette phrase : « L'homme n'est pas le fruit du hasard, ni d'un faisceau de convergences, ni de déterminismes, ni d'interactions physico-chimiques; il est un être jouissant d'une liberté qui, tout en prenant en compte sa nature, transcende cette dernière et qui est le signe du mystère d'altérité qui l'habite », ainsi que celle-ci : « À notre époque où le développement des sciences attire et séduit par les possibilités offertes, il importe plus que jamais d'éduquer les consciences de nos contemporains, pour que la science ne devienne pas le critère du bien, et que l'homme soit respecté comme le centre de la création et qu'il ne soit pas l'objet de manipulations idéologiques, ni de décisions arbitraires ni non plus d'abus des plus forts sur les plus faibles. Autant de dangers dont nous avons pu connaître les manifestations au cours de l'histoire humaine, et en particulier au cours du vingtième siècle. » Qui n’apprécierait cet enseignement ? On n’y voit nulle trace de « kantisme » ou de « relativisme ». Bien au contraire.

 

Messieurs les Chanceliers,
Excellences,
Chers Amis Académiciens,
Mesdames et Messieurs,

C'est avec plaisir que je vous accueille au terme de votre Colloque qui s'achève ici à Rome, après s'être déroulé à l'Institut de France, à Paris, et qui fut consacré au thème «L'identité changeante de l'individu». Je remercie tout d'abord le Prince Gabriel de Broglie pour les paroles d'hommage par lesquelles il a voulu introduire notre rencontre. Je voudrais également saluer les membres de toutes les institutions sous l'égide desquelles ce Colloque a été organisé: l'Académie pontificale des Sciences et l'Académie pontificale des Sciences sociales, l'Académie des Sciences morales et politiques, l'Académie des Sciences, l'Institut Catholique de Paris. Je me réjouis que, pour la première fois, une collaboration inter-académique de cette nature ait pu s'instaurer, ouvrant la voie à de larges recherches pluridisciplinaires toujours plus fécondes.

Alors que les sciences exactes, naturelles et humaines sont parvenues à de prodigieuses avancées sur la connaissance de l'homme et de son univers, la tentation est grande de vouloir circonscrire totalement l'identité de l'être humain et de l'enfermer dans le savoir que l'on peut en avoir.

 

 Pour ne pas s'engager sur une telle voie, il importe de faire droit à la recherche anthropologique, philosophique et théologique, qui permet de faire apparaître et de maintenir en l'homme son mystère propre, car aucune science ne peut dire qui est l'homme, d'où il vient et où il va. La science de l'homme devient donc la plus nécessaire de toutes les sciences. C'est ce qu'exprimait Jean-Paul II dans l'encyclique Fides et ratio: «Un grand défi qui se présente à nous est celui de savoir accomplir le passage, aussi nécessaire qu'urgent, du phénomène au fondement. Il n'est pas possible de s'arrêter à la seule expérience; même quand celle-ci exprime et rend manifeste l'intériorité de l'homme et sa spiritualité, il faut que la réflexion spéculative atteigne la substance spirituelle et le fondement sur lesquels elle repose» (n. 83).

 

 L'homme est toujours au-delà de ce que l'on en voit ou de ce que l'on en perçoit par l'expérience. Négliger le questionnement sur l'être de l'homme conduit inévitablement à refuser de rechercher la vérité objective sur l'être dans son intégralité et, de ce fait, à ne plus être capable de reconnaître le fondement sur lequel repose la dignité de l'homme, de tout homme, depuis la période embryonnaire jusqu'à sa mort naturelle.

 

Au cours de votre colloque, vous avez fait l'expérience que les sciences, la philosophie et la théologie peuvent s'aider pour percevoir l'identité de l'homme, qui est toujours en devenir. À partir d'une interrogation sur le nouvel être issu de la fusion cellulaire, qui est porteur d'un patrimoine génétique nouveau et spécifique, vous avez fait apparaître des éléments essentiels du mystère de l'homme, marqué par l'altérité : être créé par Dieu, être à l'image de Dieu, être aimé fait pour aimer. En tant qu'être humain, il n'est jamais clos sur lui-même ; il est toujours porteur d'altérité et il se trouve dès son origine en interaction avec d'autres êtres humains, comme nous le révèlent de plus en plus les sciences humaines. Comment ne pas évoquer ici la merveilleuse méditation du psalmiste sur l'être humain tissé dans le secret du ventre de sa mère et en même temps connu, dans son identité et dans son mystère, de Dieu seul, qui l'aime et le protège (cf. Ps 138 [139], 1-16).

 

L'homme n'est pas le fruit du hasard, ni d'un faisceau de convergences, ni de déterminismes, ni d'interactions physico-chimiques; il est un être jouissant d'une liberté qui, tout en prenant en compte sa nature, transcende cette dernière et qui est le signe du mystère d'altérité qui l'habite. C'est dans cette perspective que le grand penseur Pascal disait que «l'homme passe infiniment l'homme». Cette liberté, qui est le propre de l'être-homme, fait que ce dernier peut orienter sa vie vers une fin, qu'il peut, par les actes qu'il pose, se diriger vers le bonheur auquel il est appelé pour l'éternité. Cette liberté fait apparaître que l'existence de l'homme a un sens. Dans l'exercice de son authentique liberté, la personne réalise sa vocation; elle s'accomplit; elle donne forme à son identité profonde. C'est aussi dans la mise en œuvre de sa liberté qu'elle exerce sa responsabilité propre sur ses actes. En ce sens, la dignité particulière de l'être humain est à la fois un don de Dieu et la promesse d'un avenir.

 

L'homme porte en lui une capacité spécifique: discerner ce qui est bon et bien. Mise en lui par le Créateur comme un sceau, la syndérèse le pousse à faire le bien. Mû par elle, l'homme est appelé à développer sa conscience par la formation et par l'exercice, pour se diriger librement dans l'existence, en se fondant sur les lois essentielles que sont la loi naturelle et la loi morale. À notre époque où le développement des sciences attire et séduit par les possibilités offertes, il importe plus que jamais d'éduquer les consciences de nos contemporains, pour que la science ne devienne pas le critère du bien, et que l'homme soit respecté comme le centre de la création et qu'il ne soit pas l'objet de manipulations idéologiques, ni de décisions arbitraires ni non plus d'abus des plus forts sur les plus faibles. Autant de dangers dont nous avons pu connaître les manifestations au cours de l'histoire humaine, et en particulier au cours du vingtième siècle.

 

Toute démarche scientifique doit aussi être une démarche d'amour, appelée à se mettre au service de l'homme et de l'humanité, et à apporter sa contribution à la construction de l'identité des personnes. En effet, comme je le soulignais dans l'encyclique « Deus Caritas est », «l'amour comprend la totalité de l'existence dans toutes ses dimensions, y compris celle du temps... L'amour est ‘extase'», c'est-à-dire, «chemin, exode permanent allant du je enfermé sur lui-même vers sa libération dans le don de soi, et précisément vers la découverte de soi-même» (n. 6). L'amour fait sortir de soi pour découvrir et reconnaître l'autre; en ouvrant à l'altérité, il affermit aussi l'identité du sujet, car l'autre me révèle à moi-même. Tout au long de la Bible, c'est l'expérience qui, à partir d'Abraham, a été faite par de nombreux croyants. Le modèle par excellence de l'amour est le Christ. C'est dans l'acte de donner sa vie pour ses frères, de se donner totalement, que se manifeste son identité profonde et que nous avons la clé de lecture du mystère insondable de son être et de sa mission.

 

Confiant vos recherches à l'intercession de saint Thomas d'Aquin, que l'Église honore en ce jour et qui demeure un «authentique modèle pour ceux qui recherchent la vérité» (Fides et Ratio, n. 78), je vous assure de ma prière pour vous, pour vos familles et pour vos collaborateurs, et j'accorde à tous avec affection la Bénédiction apostolique.

© Copyright : Librairie Editrice du Vatican

[Texte original : français]