LLLLes
Nouvelles
de
Chrétienté
N°
119
Je m’aperçois, chemin faisant, que « Les Nouvelles de Chrétienté »
sont de plus en plus consacrées à l’enseignement du pape Benoît XVI. C’est une
bonne chose.
C’est ainsi que dans ce numéro vous
aurez trois textes du pape :
a-d’abord
son troisième texte sur saint Augustin : celui-ci est consacré à la
doctrine augustinienne et plus spécialement au problème de la relation entre la
« foi et la raison » qui est aussi le grand thème de Benoît
XVI ;
b-puis
son discours aux responsables politiques et administratifs de Rome et de sa région :
le Latium
c-enfin son discours aux représentants des membres d’un colloque sur « l'individu »
qui s’est conclu à Rome.
A- Saint Augustin. Sa doctrine.
C’est la troisième audience générale que le pape Benoît
XVI consacre à Saint Augustin.
Vous trouverez ces deux précédentes homélies sur saint
Augustin dans LNDC du 16 et du 25
janvier 2008
Nous publions ci-dessous le texte intégral de l’homélie donnée par le pape Benoît XVI au cours de
l'audience générale du mercredi 30 janvier 2008 dans la salle Paul VI du
Vatican.
« Chers amis,
Après
La catéchèse d'aujourd'hui est en revanche consacrée au
thème foi et raison, qui est un thème déterminant, ou mieux, le thème
déterminant dans la biographie de saint Augustin. Enfant, il avait appris de sa
mère Monique la foi catholique. Mais adolescent il avait abandonné cette foi
parce qu'il ne parvenait plus à en voir la caractère raisonnable et il ne
voulait pas d'une religion qui ne fût pas aussi pour lui expression de la
raison, c'est-à-dire de la vérité. Sa soif de vérité était radicale et elle l'a
conduit à s'éloigner de la foi catholique. Mais sa radicalité était telle qu'il
ne pouvait pas se contenter de philosophies qui ne seraient pas parvenues à la
vérité elle-même, qui ne seraient pas arrivées jusqu'à Dieu. Et à un Dieu qui
ne soit pas uniquement une ultime hypothèse cosmologique, mais qui soit le vrai
Dieu, le Dieu qui donne la vie et qui entre dans notre vie personnelle. Ainsi,
tout l'itinéraire spirituel de saint Augustin constitue un modèle valable
encore aujourd'hui dans le rapport entre foi et raison, thème non seulement
pour les hommes croyants mais pour tout homme qui recherche la vérité, thème
central pour l'équilibre et le destin de tout être humain. Ces deux dimensions,
foi et raison, ne doivent pas être séparées ni opposées, mais doivent plutôt
toujours aller de pair. Comme l'a écrit Augustin lui-même peu après sa
conversion, foi et raison sont « les deux forces qui nous conduisent à la
connaissance » (Contra Academicos, III, 20, 43). A cet égard demeurent
célèbres, à juste titre, les deux formules augustiniennes (Sermones, 43,
9) qui expriment cette synthèse cohérente entre foi et raison : crede ut
intelligas (« crois pour comprendre ») - croire ouvre la voie pour franchir
la porte de la vérité - mais aussi, et de manière inséparable, intellige ut
credas (« comprends pour croire »), scrute la vérité pour pouvoir trouver
Dieu et croire.
Les deux affirmations d'Augustin expriment de manière
immédiate et concrète ainsi qu'avec une grande profondeur, la synthèse de ce
problème, dans lequel l'Eglise catholique voit exprimé son propre chemin. D'un
point de vue historique, cette synthèse se forme avant même la venue du Christ,
dans la rencontre entre la foi juive et la pensée grecque dans le judaïsme
hellénistique. Ensuite, au cours de l'histoire, cette synthèse a été reprise et
développée par un grand nombre de penseurs chrétiens. L'harmonie entre foi et
raison signifie surtout que Dieu n'est pas éloigné : il n'est pas éloigné de
notre raison et de notre vie ; il est proche de tout être humain, proche de
notre cœur et proche de notre raison, si nous nous mettons réellement en
chemin.
C'est précisément cette proximité de Dieu avec l'homme qui
fut perçue avec une extraordinaire intensité par Augustin. La présence de Dieu
en l'homme est profonde et dans le même temps mystérieuse, mais elle peut être
reconnue et découverte dans notre propre intimité : ne sors pas - affirme le
converti - mais « rentre en toi-même ; c'est dans l'homme intérieur qu'habite
la vérité ; et si tu trouves que la nature est muable, transcende-toi toi-même.
Mais rappelle-toi, lorsque tu te transcendes toi-même, que tu transcendes une
âme qui raisonne. Tends donc là où s'allume la lumière de la raison » (De
vera religione, 39, 72). Précisément comme il le souligne, dans une
affirmation très célèbre, au début des Confessiones, son autobiographie
spirituelle écrite en louange à Dieu : « Tu nous as faits pour toi et notre
cœur est sans repos, tant qu'il ne repose en toi » (I, 1, 1).
Etre éloigné de Dieu équivaut alors à être éloigné de
soi-même : « En effet - reconnaît Augustin (Confessiones, III, 6, 11) en
s'adressant directement à Dieu - tu étais à l'intérieur de moi dans ce que j'ai
de plus profond et plus au-dessus de ce que j'ai de plus haut », interior
intimo meo et superior summo meo ; si bien que - ajoute-t-il dans un autre
passage lorsqu'il rappelle l'époque antérieure à sa conversion - « tu étais
devant moi ; et quant à moi en revanche, je m'étais éloigné de moi-même, et je
ne me retrouvais plus ; et moins encore te retrouvais-je » (Confessiones,
V, 2, 2). C'est précisément parce qu'Augustin a vécu personnellement cet
itinéraire intellectuel et spirituel, qu'il a su le rendre dans ses œuvres de
manière immédiate et avec tant de profondeur et de sagesse, reconnaissant dans
deux autres passages célèbres des Confessiones (IV, 4, 9 et 14, 22) que
l'homme est « une grande énigme » (magna quaestio) et « un grand abîme »
(grande profundum), une énigme et un abîme que seul le Christ illumine
et sauve. Voilà ce qui est important : un homme qui est éloigné de Dieu est
aussi éloigné de lui-même, et il ne peut se retrouver lui-même qu'en
rencontrant Dieu. Ainsi il arrive également à lui-même, à son vrai moi, à sa
vraie identité.
L'être humain - souligne ensuite Augustin dans De
civitate Dei (XII, 27) - est social par nature mais antisocial par vice, et
il est sauvé par le Christ, unique médiateur entre Dieu et l'humanité et « voie
universelle de la liberté et du salut », comme l'a répété mon prédécesseur
Jean-Paul II (Augustinum Hipponensem, 21) : hors de cette voie, qui n'a
jamais fait défaut au genre humain - affirme encore Augustin dans cette même
œuvre - « personne n'a jamais trouvé la liberté, personne ne la trouve,
personne ne la trouvera » (De civitate Dei, X, 32, 2). En tant qu'unique
médiateur du salut, le Christ est la tête de l'Eglise et il est uni à elle de
façon mystique au point qu'Augustin peut affirmer : « Nous sommes devenus le
Christ. En effet, s'il est la tête et nous les membres, l'homme total est lui
et nous » (In Iohannis evangelium tractatus, 21, 8).
Peuple de Dieu et maison de Dieu, l'Eglise, dans la vision
augustinienne est donc liée étroitement au concept de Corps du Christ, fondée
sur la relecture christologique de l'Ancien Testament et sur la vie
sacramentelle centrée sur l'Eucharistie, dans laquelle le Seigneur nous donne
son Corps et nous transforme en son Corps. Il est alors fondamental que
l'Eglise, Peuple de Dieu au sens christologique et non au sens sociologique,
soit véritablement inscrite dans le Christ, qui - affirme Augustin dans une
très belle page - «prie pour nous, prie en nous, est prié par nous ; prie pour
nous comme notre prêtre, prie en nous comme notre chef, est prié par nous comme
notre Dieu : nous reconnaissons donc en lui notre voix et en nous la sienne» (Enarrationes
in Psalmos, 85, 1).
Dans la conclusion de
Voilà, Augustin a rencontré Dieu et tout au long de sa vie,
il en a fait l'expérience au point que cette réalité - qui est avant tout la
rencontre avec une Personne, Jésus - a changé sa vie, comme elle change celle
de tous ceux, femmes et hommes, qui de tous temps ont la grâce de le
rencontrer. Prions afin que le Seigneur nous donne cette grâce et nous permette
de trouver sa paix ».
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Tu m'appelles, et voilà que ton cri force la surdité de mon
oreille ; ta splendeur -----rayonne, elle chasse mon aveuglement ; ton parfum,
je le respire, et voilà que
b-
Audience du 10 janvier 2008 aux élus et hommes politiques de
Ici, le pape Benoît XVI rappelle
quelques vérités aux hommes politique et
administrateurs de
Comme de coutume, le Pape Benoît XVI a reçu en audience le 10 janvier 2008, pour l’échange des vœux de Nouvel An, les élus de Rome, de sa Province et de
Le pape attire
l’attention de son auditoire sur des sujets particulièrement importants :
1-
le respect de la personne humaine et de son
éducation : c’est là une tache particulièrement importante et
particulièrement difficile en cette période de relativisme et de nihilisme. Il
écrit : « Un critère fondamental, sur lequel nous
pouvons facilement tomber d'accord dans l'accomplissement de nos divers
devoirs, est celui de donner une place centrale à la personne humaine. » Et dans cette lumière, qui ne voit « l'importance décisive que revêtent l'éducation et la formation de la
personne, avant tout dans la première partie de la vie, mais également tout au
long de l'existence ». Or cette tache est particulièrement
délicate : « Il semble en effet
toujours plus difficile de proposer de manière convaincante aux nouvelles générations
des certitudes solides et des critères sur lesquels construire leur propre vie.
Les parents et les enseignants le savent bien, et c'est aussi pour cette raison
qu'ils sont tentés d'abdiquer devant leurs tâches éducatives. Eux-mêmes, du
reste, dans le contexte social et culturel actuel imprégné par le relativisme
et même le nihilisme, parviennent difficilement à trouver des points de
références sûrs, qui puissent les soutenir et les guider dans leur mission
d'éducateurs ainsi que dans l'ensemble de la conduite de leur vie. » Et
pourtant de cette éducation de la
personne, dépend l’avenir de la société:
« A travers la formation de la personne sont en effet clairement en jeu
les bases mêmes de la coexistence et l'avenir de la société. » Alors
au travail ! Tous. Et l’Eglise et la société politique !
2-le respect du à la famille : Et dans cette
perspective de l’éducation de la personne, « le respect et le soutien de la famille fondée sur le mariage ont ici
clairement une importance prioritaire. ». C’est la famille qui
est : « le lieu premier
d'humanisation de la personne et de la société », qui est le « berceau
de la vie et de l'amour ». En
raison de ces réalités incontestables, il faut donc non pas l’attaquer et
la détruire mais lui apporter au contraire : « un
soutien convaincu et concret, dans la certitude d'opérer ainsi pour le bien
commun ». Alors au travail !
3-la lutte contre la pauvreté est une troisième urgence, car là, à Romme comme ailleurs la pouvoir d’achat diminue : « l'augmentation du coût de la vie, en particulier les prix du logement, la persistance du manque de travail, ainsi que les salaires et les retraites souvent inadaptés rendent véritablement difficiles les conditions de vie de nombreuses personnes et familles ».
4 -la lutte contre l’insécurité des cités
et particulièrement des banlieux. C’est une fonction « régalienne » par excellence.
Voici le discours intégral
Discours du pape Benoît
XVI aux autorités civiles de Rome et du Latium
Discours du Saint-Père
Benoît XVI :
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux de vous recevoir, au début de cette nouvelle année, pour le
traditionnel échange des vœux. Je vous remercie de votre présence et j'adresse
mes salutations respectueuses et cordiales au Président du Conseil régional du
Latium, M. Pietro Marrazzo, au Maire de Rome, M. Walter Veltroni, et au
Président de
Ce rendez-vous annuel nous offre l'opportunité de réfléchir sur certains sujets
d'intérêt commun d'une grande importance et d'une grande actualité, touchant de
près à la vie des populations de Rome et du Latium. J'adresse à chaque personne
et à chaque famille, à travers vous, une affectueuse pensée, d'encouragement et
d'attention pastorale, me faisant l'interprète des sentiments et des liens qui
ont unis à travers les siècles les Successeurs de l'Apôtre Pierre à la ville de
Rome, à sa province et à toute la région du Latium. Les temps et les situations
changent, mais l'amour et la sollicitude du Pape ne faiblit pas à l'égard de
tous ceux qui vivent sur ces terres, si profondément marquées par le grand et
vivant héritage du christianisme.
Le respect de la personne et son éducation.
Un critère fondamental, sur lequel nous pouvons facilement tomber
d'accord dans l'accomplissement de nos divers devoirs, est celui de donner une
place centrale à la personne humaine. Comme l'affirme le Concile Vatican
II, l'homme est, sur la terre "la seule créature que Dieu a voulue pour
elle-même" (Gaudium et
Spes, n. 24). A son tour, mon prédécesseur, le serviteur de Dieu
Jean-Paul II, dans l'Encyclique Centesimus
Annus, écrivait à juste titre que "la principale ressource
de l'homme... est l'homme lui-même" (n. 32). Une conséquence immédiate de tout cela est l'importance décisive que
revêtent l'éducation et la formation de la personne, avant tout dans la
première partie de la vie, mais également tout au long de l'existence. Si
nous regardons toutefois la réalité de notre situation, nous ne pouvons pas
nier que nous nous trouvons face à une véritable et importante "urgence
éducative", comme je le soulignais le 11 juin de l'année dernière en parlant au Congrès du diocèse de Rome. Il semble en effet toujours plus
difficile de proposer de manière convaincante aux nouvelles générations des
certitudes solides et des critères sur lesquels construire leur propre vie. Les
parents et les enseignants le savent bien, et c'est aussi pour cette raison
qu'ils sont tentés d'abdiquer devant leurs tâches éducatives. Eux-mêmes, du
reste, dans le contexte social et
culturel actuel imprégné par le relativisme et même le nihilisme,
parviennent difficilement à trouver des points de références sûrs, qui puissent
les soutenir et les guider dans leur mission d'éducateurs ainsi que dans
l'ensemble de la conduite de leur vie.
Une telle urgence, éminents représentants des Administrations de Rome et du
Latium, ne peut laisser indifférentes ni l'Église ni vos Administrations. A travers la formation de la personne sont
en effet clairement en jeu les bases mêmes de la coexistence et l'avenir de la
société. Pour sa part, le diocèse de Rome consacre à cette tâche difficile
une attention tout à fait particulière, qui s'étend aux divers milieux
éducatifs, de la famille et de l'école jusqu'aux paroisses, aux associations et
aux mouvements, aux patronages, aux initiatives culturelles, au sport et aux
loisirs. Dans ce contexte, j'exprime ma vive gratitude à
Le soutien de la famille : œuvre de bien commun
Le respect et le soutien de la famille
fondée sur le mariage ont ici clairement une importance prioritaire. Comme
je l'ai écrit dans le récent Message pour
la Journée Mondiale de la Paix (n. 2), "la famille
naturelle, en tant que profonde communion de vie et d'amour, fondée sur le
mariage entre un homme et une femme, constitue "le lieu premier
d'humanisation de la personne et de la société", le "berceau de la
vie et de l'amour"". Malheureusement nous voyons chaque jour combien
les attaques et les incompréhensions à l'égard de cette réalité humaine et
sociale fondamentale sont insistantes et menaçantes. Il est donc plus que
jamais nécessaire que les Administrations publiques ne soutiennent pas ces tendances
négatives, mais au contraire offrent aux familles un soutien convaincu et concret, dans la certitude d'opérer ainsi pour
le bien commun.
La lutte contre la pauvreté
Une autre urgence en cours d'aggravation
est celle de la pauvreté: elle augmente surtout dans les grandes banlieues
urbaines, mais elle commence à être présente également dans d'autres contextes
et situations, qui semblaient pourtant à l'abri. L'Église participe de tout
cœur à l'effort en vue de soulager celle-ci, en collaborant volontiers avec les
institutions civiles, mais
l'augmentation du coût de la vie, en particulier les prix du logement, la
persistance du manque de travail, ainsi que les salaires et les retraites
souvent inadaptés rendent véritablement difficiles les conditions de vie de
nombreuses personnes et familles.
Travailler à la sécurité des personnes
Un événement tragique comme l'assassinat à Tor di Quinto de Giovanna Reggiani,
a en outre placé brutalement notre ville en face du problème non seulement de
la sécurité, mais également de la très grave dégradation de certaines zones de
la ville de Rome: voilà précisément, bien au-delà de l'émotion du moment, une
œuvre constante et concrète qui doit avoir la double et inséparable finalité de
garantir la sécurité des citoyens et
d'assurer à tous, en particulier aux immigrés, au moins le minimum
indispensable pour mener une vie honnête et digne. L'Église, à travers
L’œuvre des malades : assurer un juste traitement aux
hôpitaux catholiques
Une autre sollicitude qui concerne à la fois l'Église et vos Administrations
est la sollicitude envers les malades. Nous
savons bien quelles graves difficultés doit affronter
Illustres autorités, tout en vous remerciant une nouvelle fois de votre visite
courtoise et appréciée, je vous assure de ma cordiale proximité et de ma
prière, pour vous et pour les autres responsabilités qui vous sont confiées.
Que le Seigneur soutienne votre engagement et éclaire vos intentions de bien.
Avec ces sentiments, je donne de tout cœur à chacun de vous ma Bénédiction apostolique,
que j'étends volontiers à vos familles et à tous ceux qui vivent et œuvrent à
Rome, dans sa province et dans tout le Latium.
C- Réflexions de Benoît XVI sur «
L’identité changeante de l’individu »
Benoît XVI a reçu le lundi 28 janvier en audience au Vatican les participants d'un colloque sur le thème : « L'identité changeante de l'individu », organisé sous l'égide de l'Académie pontificale des Sciences et l'Académie pontificale des Sciences sociales, l'Académie des Sciences morales et politiques, l'Académie des Sciences et l'Institut Catholique de Paris.
Nous publions ci-dessous le texte intégral de son intervention.
Le thème développé par le Pape est le suivant : seules, la philosophie et la théologie peuvent pénétrer le vrai mystère de l’homme, sa finalité. Le mystère humain dépasse les investigations des seules sciences physiques et biologiques. L’homme est plus qu’un amas de « cellules ». Seules les études philosophiques et théologiques permettent d’ « accomplir le passage, aussi nécessaire qu'urgent, du phénomène au fondement » disait déjà Jean-Paul II. Et c’est ainsi que seules ces sciences permettent d’assurer et de respecter la dignité de la personne, faite à l’image de Dieu et donc libre. C’est dans le possible choix du bien que réside la grandeur de l’homme. Les conséquences, on le voit, en sont importantes. On goûtera particulièrement cette phrase : « L'homme n'est pas le fruit du hasard, ni d'un faisceau de convergences, ni de déterminismes, ni d'interactions physico-chimiques; il est un être jouissant d'une liberté qui, tout en prenant en compte sa nature, transcende cette dernière et qui est le signe du mystère d'altérité qui l'habite », ainsi que celle-ci : « À notre époque où le développement des sciences attire et séduit par les possibilités offertes, il importe plus que jamais d'éduquer les consciences de nos contemporains, pour que la science ne devienne pas le critère du bien, et que l'homme soit respecté comme le centre de la création et qu'il ne soit pas l'objet de manipulations idéologiques, ni de décisions arbitraires ni non plus d'abus des plus forts sur les plus faibles. Autant de dangers dont nous avons pu connaître les manifestations au cours de l'histoire humaine, et en particulier au cours du vingtième siècle. » Qui n’apprécierait cet enseignement ? On n’y voit nulle trace de « kantisme » ou de « relativisme ». Bien au contraire.
Messieurs les Chanceliers,
Excellences,
Chers Amis Académiciens,
Mesdames et Messieurs,
C'est avec plaisir que je vous accueille au terme de votre Colloque qui s'achève ici à Rome, après s'être déroulé à l'Institut de France, à Paris, et qui fut consacré au thème «L'identité changeante de l'individu». Je remercie tout d'abord le Prince Gabriel de Broglie pour les paroles d'hommage par lesquelles il a voulu introduire notre rencontre. Je voudrais également saluer les membres de toutes les institutions sous l'égide desquelles ce Colloque a été organisé: l'Académie pontificale des Sciences et l'Académie pontificale des Sciences sociales, l'Académie des Sciences morales et politiques, l'Académie des Sciences, l'Institut Catholique de Paris. Je me réjouis que, pour la première fois, une collaboration inter-académique de cette nature ait pu s'instaurer, ouvrant la voie à de larges recherches pluridisciplinaires toujours plus fécondes.
Alors que les sciences exactes, naturelles et humaines sont parvenues à de prodigieuses avancées sur la connaissance de l'homme et de son univers, la tentation est grande de vouloir circonscrire totalement l'identité de l'être humain et de l'enfermer dans le savoir que l'on peut en avoir.
Pour ne pas s'engager sur une telle voie, il importe de faire droit à la recherche anthropologique, philosophique et théologique, qui permet de faire apparaître et de maintenir en l'homme son mystère propre, car aucune science ne peut dire qui est l'homme, d'où il vient et où il va. La science de l'homme devient donc la plus nécessaire de toutes les sciences. C'est ce qu'exprimait Jean-Paul II dans l'encyclique Fides et ratio: «Un grand défi qui se présente à nous est celui de savoir accomplir le passage, aussi nécessaire qu'urgent, du phénomène au fondement. Il n'est pas possible de s'arrêter à la seule expérience; même quand celle-ci exprime et rend manifeste l'intériorité de l'homme et sa spiritualité, il faut que la réflexion spéculative atteigne la substance spirituelle et le fondement sur lesquels elle repose» (n. 83).
L'homme est toujours au-delà de ce que l'on en voit ou de ce que l'on en perçoit par l'expérience. Négliger le questionnement sur l'être de l'homme conduit inévitablement à refuser de rechercher la vérité objective sur l'être dans son intégralité et, de ce fait, à ne plus être capable de reconnaître le fondement sur lequel repose la dignité de l'homme, de tout homme, depuis la période embryonnaire jusqu'à sa mort naturelle.
Au cours de votre colloque, vous avez fait l'expérience que les sciences, la philosophie et la théologie peuvent s'aider pour percevoir l'identité de l'homme, qui est toujours en devenir. À partir d'une interrogation sur le nouvel être issu de la fusion cellulaire, qui est porteur d'un patrimoine génétique nouveau et spécifique, vous avez fait apparaître des éléments essentiels du mystère de l'homme, marqué par l'altérité : être créé par Dieu, être à l'image de Dieu, être aimé fait pour aimer. En tant qu'être humain, il n'est jamais clos sur lui-même ; il est toujours porteur d'altérité et il se trouve dès son origine en interaction avec d'autres êtres humains, comme nous le révèlent de plus en plus les sciences humaines. Comment ne pas évoquer ici la merveilleuse méditation du psalmiste sur l'être humain tissé dans le secret du ventre de sa mère et en même temps connu, dans son identité et dans son mystère, de Dieu seul, qui l'aime et le protège (cf. Ps 138 [139], 1-16).
L'homme n'est pas le fruit du hasard, ni d'un faisceau de convergences, ni de déterminismes, ni d'interactions physico-chimiques; il est un être jouissant d'une liberté qui, tout en prenant en compte sa nature, transcende cette dernière et qui est le signe du mystère d'altérité qui l'habite. C'est dans cette perspective que le grand penseur Pascal disait que «l'homme passe infiniment l'homme». Cette liberté, qui est le propre de l'être-homme, fait que ce dernier peut orienter sa vie vers une fin, qu'il peut, par les actes qu'il pose, se diriger vers le bonheur auquel il est appelé pour l'éternité. Cette liberté fait apparaître que l'existence de l'homme a un sens. Dans l'exercice de son authentique liberté, la personne réalise sa vocation; elle s'accomplit; elle donne forme à son identité profonde. C'est aussi dans la mise en œuvre de sa liberté qu'elle exerce sa responsabilité propre sur ses actes. En ce sens, la dignité particulière de l'être humain est à la fois un don de Dieu et la promesse d'un avenir.
L'homme porte en lui une capacité spécifique: discerner ce qui est bon et bien. Mise en lui par le Créateur comme un sceau, la syndérèse le pousse à faire le bien. Mû par elle, l'homme est appelé à développer sa conscience par la formation et par l'exercice, pour se diriger librement dans l'existence, en se fondant sur les lois essentielles que sont la loi naturelle et la loi morale. À notre époque où le développement des sciences attire et séduit par les possibilités offertes, il importe plus que jamais d'éduquer les consciences de nos contemporains, pour que la science ne devienne pas le critère du bien, et que l'homme soit respecté comme le centre de la création et qu'il ne soit pas l'objet de manipulations idéologiques, ni de décisions arbitraires ni non plus d'abus des plus forts sur les plus faibles. Autant de dangers dont nous avons pu connaître les manifestations au cours de l'histoire humaine, et en particulier au cours du vingtième siècle.
Toute démarche scientifique doit aussi être une démarche
d'amour, appelée à se mettre au service de l'homme et de l'humanité, et à
apporter sa contribution à la construction de l'identité des personnes. En
effet, comme je le soulignais dans l'encyclique « Deus Caritas est »,
«l'amour comprend la totalité de l'existence dans toutes ses dimensions, y
compris celle du temps... L'amour est ‘extase'», c'est-à-dire, «chemin, exode
permanent allant du je enfermé sur lui-même vers sa libération dans le don de
soi, et précisément vers la découverte de soi-même» (n. 6). L'amour fait sortir
de soi pour découvrir et reconnaître l'autre; en ouvrant à l'altérité, il
affermit aussi l'identité du sujet, car l'autre me révèle à moi-même. Tout au
long de
Confiant vos recherches à l'intercession de saint Thomas
d'Aquin, que l'Église honore en ce jour et qui demeure un «authentique modèle
pour ceux qui recherchent la vérité» (Fides et Ratio, n. 78), je vous assure de
ma prière pour vous, pour vos familles et pour vos collaborateurs, et j'accorde
à tous avec affection
© Copyright : Librairie Editrice du Vatican
[Texte original : français]