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N° 123

L’euthanasie en France.

Sa progression

 

 

 

 

Dans la Lettre hebdomadaire du lundi 03 mars 2008 du site « Liberté Politique », sous la plume de Thierry Boutet, on pouvait lire une intéressante analyse sur une nouvelle pression faite pour légaliser l’Euthanasie en France. : l’ « affaire de Chantal Sebire » (A)

 

J’en profite pour faire un peu le tour de la question :

 

Je rappelle la loi française actuelle sur le sujet, la loi Jean Leonetti du 22 avril 2005. Ses ambiguïtés sont réelles. Je  cite un texte de Pierre-Olivier Arduin de « Liberté politique » (B)

 

Je rappelle enfin  la position de Rome en cette matière. (C)

 

A- Euthanasie : un nouveau cas médiatisé
Thierry Boutet


En 2005, la France a voté une loi sur la fin de vie, plutôt équilibrée malgré de graves ambiguïtés (voir B en dessous) mais qui est jugée insuffisante par les partisans du suicide médicalement assisté.

 

Selon un scénario éprouvé, un nouveau cas particulièrement douloureux est aujourd’hui médiatisé par le lobby pro-euthanasie, en vue d’obtenir à nouveau une modification de la loi.

CHANTAL SEBIRE, ancien professeur des écoles de 52 ans, est atteinte d'une tumeur évolutive incurable des sinus et de la cavité nasale. Elle vient de faire parvenir une lettre au président de la République et aux médias pour qu'une loi sur l'euthanasie soit votée. La maladie orpheline qui la défigure lui occasionne des « souffrances atroces », elle refuse de « devenir un légume » et demande « à partir sereinement ».

Selon l’agence Genethique.org qui rapporte les propos de Chantal Sébire parus dans la presse des 28 et 29 février, celle-ci « refuse le suicide car ce serait une capitulation face à la maladie ». Elle refuse également d'être « sédatée » c'est-à-dire qu'on endorme sa douleur au point de lui faire perdre conscience. Elle veut rester lucide jusqu'au bout et demande, « que le corps médical l'accompagne dans sa volonté ».

L’Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD), s’empare du « cas » et relaye la demande de la malade. Elle suggère à Chantal Sébire de « déposer une requête auprès du tribunal de grande instance concerné lui demandant de rendre une ordonnance autorisant le médecin à prescrire les médicaments nécessaires ».

Mais comme le remarque le député et médecin Jean Léonetti, auteur de la loi de 2005 qui condamne l'acharnement thérapeutique et plaide pour les soins palliatifs et les médicaments anti-douleur [1], même s'ils peuvent entraîner indirectement un décès plus rapide, « le débat ne doit pas être initié ou relancé par des histoires individuelles, dans un contexte émotionnel… Une histoire bouleversante peut entraîner une solution simpliste. Il faut différencier euthanasie, suicide assisté et appel au secours face à la souffrance. »

La question comme le note le Dr Bernard Paternostre, adjoint au chef du service de soins palliatifs du CHU de Bordeaux, est pour une large part une question de moyens et de prise en charge par une équipe formée aux soins palliatifs : « On n'est jamais sûr de supprimer totalement la douleur, mais on peut au moins la ramener à des niveaux moins intolérables. » Et le docteur répond à ceux qui lui disent que « l'on ne permettrait pas à un animal d'endurer ce qu’endure Chantal Sébire : c'est parce que vous êtes un être humain que nous ne voulons pas vous euthanasier comme un animal ».

De son côté, le Dr Isabelle Marin, coordinatrice du réseau Onconord (cancer et soins palliatifs) à Saint-Denis et dans le Val-d'Oise, apporte le témoignage de ces patients : « Aucun d'entre eux ne m'a jamais directement demandé de lui donner la mort, ce qui ne veut pas dire qu'ils n'aient pas, à certains moments, exprimé un tel vœu auprès de leur entourage, ou des équipes soignantes… Dans la plupart des cas, nous sommes en mesure de soulager leur douleur et nous arrivons à calmer leur angoisse ».

Terrible ambiguïté

Dans le cas de Chantal Sébire, le Dr Marin relève en particulier « l'ambiguïté terrible de la demande exprimée ». Chantal Sébire dispose des médicaments pour se suicider elle même. Il est donc curieux qu’elle demande l’assistance d’un tiers. Pour Isabelle Marin , en médiatisant sa demande, Chantal Sébire « fait autre chose qu'exprimer une volonté de mort : elle dénonce en tant que vivante une législation qui l'a réduite à cet état, comme si elle était la victime des méchants adversaires de l'euthanasie ».

Pour la coordinatrice du réseau Onconord « dans ce cas qui semble épouvantable à un public qui n'accepte pas qu'il y ait de la mort dans la vie », c’est « aux médecins de veiller à ce que tout ait été bien entrepris, soit dans un centre antidouleur, soit dans un réseau de soins palliatifs pour répondre aux exigences de son cas », et non au président de la République !

On sait qu’en effet, les demandes d’euthanasie sont très peu nombreuses chez les personnes correctement prise en charges dans des unités spécialisées dans les soins palliatifs. Dans l’établissement créé par le Dr La Piana pour les personnes atteintes du VIH/Sida, sur 2000 patients pris en charge, une dizaine a persévéré dans une demande d'euthanasie. Quant au docteur Dr Daniel Dérouville, médecin chef de service à la maison Jeanne-Garnier à Paris, il estime que « le médecin doit aller au bout de ses ressources thérapeutiques et ne jamais se hâter inconsidérément… Nous devons veiller à prendre le temps d'agir sur tous les types de souffrance et à laisser le temps au patient de réitérer sa demande. Si tant est qu'il persiste dans sa volonté de mort. »

Dans La Croix, le père Patrick Vespieren, responsable du département d'éthique biomédicale du Centre Sèvres, constate que la demande à une tierce personne d'abréger la vie d'un patient aboutirait à un homicide volontaire. Or le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) a déjà souligné « la valeur fondatrice de l'interdit du meurtre ». Pour le père Vespieren, on ne peut pas à la fois souhaiter la mobilisation pour les soins palliatifs et permettre que, dans les cas difficiles, il devienne possible de donner la mort. « La dépénalisation de l'euthanasie entraînerait une démobilisation du monde médical. »

Les suggestions pratiques de Benoît XVI

Des prises de position conformes aux recommandations de Benoît XVI aux participants du Congrès international consacré aux orientations éthiques et pratiques de l'assistance aux malades graves et incurables, que l'Académie pontificale pour la vie vient d’organiser. Pour Benoît XVI « même si elle sait que la science ne rachète pas l'homme, la société, en particulier les milieux médicaux, a le devoir d'assister et de garantir le respect de la vie humaine, à chacun des stades de son développement terrestre, plus encore dans la maladie ou à son stade terminal ».

Pour le pape, « il s'agit d'assurer à chaque personne qui en a besoin le soutien nécessaire à travers des thérapies et des interventions médicales adéquates, individualisées et gérées selon les critères de la proportionnalité médicale, en tenant toujours compte du devoir moral de fournir (de la part du médecin) et d'accueillir (de la part du patient) ces moyens de préservation de la vie qui, dans cette situation, deviennent “ordinaires” ».

Et Benoît XVI ajoute :

« Le recours aux thérapies à hauts risques ou qui doivent être prudemment nommées “extraordinaires”, sera considéré moralement licite mais facultatif. De plus, il faudra toujours assurer à chaque personne les soins nécessaires et dus, ainsi que le soutien aux familles les plus éprouvées par la maladie d'un des leurs surtout si elle est grave et longue ».

Il fait aussi une suggestion :

« Alors que, pour une naissance, les parents ont des droits spécifiques pour s'absenter de leur travail… les mêmes droits devraient être reconnus aux proches au moment de la maladie d'un parent en phase terminale… Un plus grand respect de la vie humaine individuelle passe inévitablement à travers la solidarité concrète de tous et de chacun, et constitue un des défis les plus importants de notre époque ».

Pour lui, la société doit

« assurer un soutien convenable aux familles qui veulent s'engager à garder à la maison, pour des périodes relativement longues, des malades touchés par des pathologies dégénératives (cancéreuses, neurodégénératives, etc.) ou qui ont besoin d'une assistance particulièrement lourde... La collaboration entre l'Église et les institutions peut se révéler, dans ce domaine, particulièrement précieuse pour assurer l'aide nécessaire à la vie humaine au moment de sa fragilité ».


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B- la loi Jean Leonetti du 22 avril 2005

 

Euthanasie : après l’avis de Rome, les ambiguïtés intenables de la loi française

Par Pierre-Olivier Arduin « tiré de « Liberté Politique » du 27 septembre 2007).

L’administration de nutriments et d’eau, même par voie artificielle, constitue un soin de base, naturel, ordinaire et proportionné, toujours dû au malade. Cette règle générale s’applique de manière éminente dans les cas cliniques où les patients sont dans un « état végétatif chronique ou persistant ». C’est l’avis éthique que vient de rendre public la Congrégation pour la doctrine de la foi et qui a été approuvé par Benoît XVI (cf. texte intégral en C) .

Ce document magistériel fait suite à l’interpellation de la Conférence épiscopale des États-Unis qui demandait à Rome un éclairage moral sur le statut obligatoire ou non de l’alimentation et de l’hydratation artificielles (en juillet 2005). La bataille idéologique autour de l’affaire Terry Schiavo avait jeté un doute chez certaines personnalités catholiques concernant la qualification de cet acte.

Le commentaire qui accompagne les réponses du préfet, le cardinal William Levada, est remarquable à plus d’un titre et met en lumière les ambiguïtés intenables de la loi française sur la fin de vie, dite loi Léonetti.

L’alimentation : un soin, pas un traitement

Celle-ci reconnaît en effet au patient la liberté de refuser tout traitement, comme l’exprime le nouvel alinéa de l’article L. 1111-4 du Code de la santé publique, dans lequel les mots « un traitement » sont remplacés par « tout traitement ». Or, selon le Rapport de la mission parlementaire et l’exposé des motifs de la loi, l’alimentation artificielle est mise sur un plan strictement identique à celui de n’importe quelle thérapeutique active destinée à lutter contre une défaillance organique. Ainsi, les limitations et les arrêts de traitement « s’appliquent à tout traitement, quel qu’il soit, y compris l’alimentation artificielle. Celle-ci est aujourd’hui en effet considérée par des médecins, par des théologiens et par le Conseil de l’Europe comme un traitement [1] ».

Ce qui très grave sur le plan éthique est le fait de rapprocher alimentation artificielle et traitement médical sans plus de réflexion pour ensuite en déduire que, la loi du 22 avril 2005 permettant les arrêts de traitement, celui de l’alimentation assistée irait de soi. À l’époque, cet aspect de la loi fut l’objet d’une confrontation dans les rangs de l’Assemblée au sein même de la majorité. Certains députés souhaitaient que la suspension de l’alimentation artificielle soit envisagée sur le modèle des protocoles euthanasiques d’arrêts d’alimentation joints à des sédations très puissantes jugés extrêmement efficaces, tels qu’ils sont pratiqués dans l’État américain de l’Oregon. Mais d’autres avaient déposé un amendement opposé : « L’alimentation et l’hydratation, même artificielles, sont des soins ordinaires, proportionnés, dus à la personne et qui ne peuvent être considérés comme des traitements », lequel ne fut pas retenu. C’est en effet vers le premier point de vue que semblent s’être ralliés les rédacteurs de la loi, Jean Leonetti en tête, confirmant que le cas de Vincent Humbert aurait pu être « traité », selon son expression, par un arrêt d’administration des nutriments accompagné de soins palliatifs de qualité visant à lui épargner toute souffrance.


Nutrition médicale

C’est aller un peu vite en besogne et ignorer le fait que donner à manger est l’acte premier de responsabilité à l’égard d’autrui et représente un geste naturel de reconnaissance de son humanité. Par ailleurs, si la procédure est en effet initialement médicale, son but est de répondre à un besoin élémentaire de nourriture qui permet en définitive la dispensation d’un soin de base ; une fois la sonde posée, l’alimentation devient de l’ordre de la gestuelle des soins puisqu’elle peut être assurée par des non professionnels, en particulier par la famille à qui l’on aura transmis le savoir-faire requis. Certains éthiciens anglo-saxons proposent d’ailleurs de ne plus parler d’alimentation artificielle mais de nutrition médicale pour insister sur le caractère ordinaire de ce soin pour la conservation de la vie. De plus, si la dialyse rénale, par exemple, remplace une fonction physiologique perdue ou momentanément défaillante, le recours à l’alimentation permet de pallier un défaut de la déglutition sans que cela n’équivaille à une incapacité d’assimiler les nutriments.

L’alimentation artificielle ne cherche pas tant à contrecarrer une pathologie organique touchant cette fonction qu’à pallier plutôt un problème simplement mécanique et donc à répondre à un besoin de base. D’ailleurs, la Congrégation pour la doctrine de la foi le précise très clairement : « On n’exclut pas qu’en cas de complications, le patient ne réussisse pas à assimiler les nutriments et la boisson : leur administration devient alors totalement inutile. » Dans cette éventualité, cet acte n’atteint plus « sa finalité propre qui consiste justement à hydrater et à nourrir le patient », situation que les soignants peuvent rencontrer lorsque le pronostic vital est engagé à très court terme.


L’omission euthanasique

D’autre part, explique le cardinal Levada, suspendre ou ne pas entreprendre cet acte de nutrition correspond à une attitude clairement euthanasique. L’intention de laisser advenir une mort par inanition contre laquelle on pourrait lutter avec la perspective d’un succès durable au plan du maintien de la vie, et donc ne pas vouloir l’empêcher alors qu’on le pourrait, nous fait basculer dans l’omission euthanasique. La mort, qui est la conséquence inéluctable d’un arrêt de l’administration de nutriments et d’eau chez un patient qui ne peut s’alimenter seul, est voulue pour elle-même, avec l’intention de supprimer une personne dont on juge la qualité de vie inacceptable. Y consentir revient à accomplir un acte de nature euthanasique. En aucun cas on ne peut parler d’acharnement thérapeutique et de traitement disproportionné car justement, nous dit la Congrégation, l’alimentation assistée peut être poursuivie longtemps sans effet secondaire majeur et avec une grande efficacité pour soutenir la vie du patient. C’est exactement la définition d’un soin proportionné !

L’intelligence du commentaire est d’ailleurs d’élargir le propos en incluant dans la catégorie de ces malades, outre les patients en état végétatif persistant, les personnes tétraplégiques, les personnes en état avancé de la maladie d’Alzheimer,… tous malades qui se trouvent dans la situation d’avoir « besoin d’une assistance continue pendant des mois, voire des années ». N’est-ce pas plutôt alors la vie de ces malade qui nous semble « disproportionnée » et « inutile » en raison de leur faible « qualité » ? Devant le vieillissement inéluctable de la population et le coût grandissant des soins de nursing, la « charge » de ces malades ne va-t-elle pas nous apparaître rapidement excessive ? Et d’ailleurs, si un patient très atteint sur le plan neurologique était capable de s’alimenter par la bouche, nous poserions-nous la question de lui supprimer tout apport calorique pour précipiter sa mort ?

Le bioéthicien canadien Hubert Doucet ne peut que le constater : « Cette position se fonde sur la reconnaissance que dans ce cas, la mort est meilleure que la vie. Elle porte en soi une dynamique de discrimination et d’euthanasie. Si la condition mentale et physique délabrée est à l’origine de la prise de décision, n’est-ce pas de la discrimination ? Si cette personne est privée de nourriture parce que sa mort apparaît moins misérable que sa vie, c’est une forme directe d’euthanasie. Les conséquences sociales d’une telle position sont extrêmement inquiétantes pour de nombreuses catégories de malades comme ceux atteints de la maladie d’Alzheimer. Dans ce cas, il n’y a pas de différence entre tuer et laisser mourir quelqu’un ».

Dignité ontologique

Face à ceux qui doutent de la valeur de la vie de ces patients, la Congrégation pour la doctrine de la foi réaffirme le primat de la dignité de la personne. Non pas une dignité qui serait en fin de compte une qualité dépendant de certaines caractéristiques physiques ou intellectuelles comme le laisse accroire l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD). Mais une dignité ontologique, inconditionnelle, renvoyant à la valeur absolue accordée à la personne humaine. « Nul n’a le pouvoir de renoncer à sa dignité car elle ne dépend ni de l’idée que l’on se fait de soi-même, ni du regard posé par autrui [2] » ainsi que l’énonce le philosophe Jacques Ricot.

On voit poindre ici l’extrême cohérence de l’éthique réaliste et personnaliste avancée par le Magistère. Qu’un être humain n’exerce pas encore ses facultés cognitives, tels l’embryon, ou qu’il ne réussisse plus à les exercer pour des raisons accidentelles, tel le patient en état végétatif chronique, il garde toute la capacité d’activer ces activités supérieures : « Un homme, même empêché dans l’exercice de ces fonctions les plus hautes, est et sera toujours un homme, et ne deviendra jamais un végétal ou un animal », avait souligné Jean-Paul II dans un discours du 20 mars 2004.

Stratégie

Cette question de l’alimentation et de l’hydratation assistées est en fait une ressource stratégique et un véritable cheval de Troie pour obtenir la dépénalisation de l’euthanasie.

Dès septembre 1984, la bioéthicienne australienne Helga Kube, lors de la Ve Conférence mondiale des associations pour le droit de mourir dans la dignité, avait ouvertement dévoilé la stratégie à tenir pour légaliser l’euthanasie dans les pays culturellement réticents :

« Si nous pouvons obtenir des gens qu’ils acceptent le retrait de tout traitement et soin, spécialement l’arrêt de toute nutrition, ils verront quel chemin douloureux c’est de mourir et accepteront alors, pour le bien du malade, l’injection létale (traduction personnelle). »

Ceux qui veulent aller plus loin et modifier la loi Leonetti se sont bien évidemment engouffrés dans cette brèche. Quelques jours après que le non-lieu sur l’affaire Humbert a été prononcé, le docteur Chaussoy, un des principaux protagonistes, s’exprimait dans une tribune du Monde :

« Cette loi n’aurait été d’aucune utilité à Vincent. J’ose à peine raconter l’unique solution qu’elle aurait à lui proposer : il s’agirait pour ne pas déroger à l’inaltérable “Tu ne tueras point” et pour ne pas déranger notre confort moral, de cesser de le nourrir. Le laisser mourir de faim, mais entouré des siens, et surveillé par une équipe médicale. Avec patience et amour, sans doute ? A quoi ressemble une société qui se satisferait de pareils faux-fuyants ? Et que reste-t-il d’humanité dans cette proposition-là ? » (Le Monde, 16 mars 2006.)

 

Marie Humbert pouvait renchérir quelques jours plus tard en stigmatisant la « mort sale » qu’autorise la nouvelle législation :

« Peut-on tolérer, sans avoir honte, la souffrance de ceux que la médecine a maintenus artificiellement […] ? Doit-on débrancher et refermer la porte ? Peut-on les laisser mourir de faim ou de soif sous le regard de leurs parents, comme Terry Schiavo aux États-Unis ? C’est pourtant ce que prévoit la loi Léonetti, votée le 22 avril 2005, qui protège les médecins laissant mourir leurs patients » (Le Figaro, 20 mars 2006).

Une loi, donc, au service de médecins assez barbares pour préférer faire mourir de faim des malades plutôt que de leur injecter la dose létale qui leur aurait permis de partir en douceur, tout cela parce que les soignants français ne voudraient pas avoir les mains sales. Marie Humbert pouvait logiquement conclure : « Ce qu’il faut, c’est inscrire dans la loi une exception d’euthanasie (id.) ».

La programmation prochaine par TF1 du film Marie Humbert, le choix d’une mère dont la direction précise qu’il a pour vocation de « prendre à témoin la France entière sur la formidable histoire d’amour de cette mère qui a tout plaqué pour se vouer à son fils et qui a pris tous les risques pour mettre à exécution sa demande d’en finir » pourrait bien jouer sur ce tableau.

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C- La doctrine catholique

 

L’alimentation des malades en fin de vie est obligatoire

(Iiré de la lettre d’information de Liberté Politique en date du 18 sept 2007.)

 

De la Congrégation pour la doctrine de la foi

 
Les réponses de la Congrégation pour la doctrine de la foi à quelques questions posées par la Conférence épiscopale américaine sur l’alimentation et l’hydratation artificielles ont été publiées. Elles ont été approuvées par le Saint-Père Benoît XVI à l’audience générale accordée au préfet du dicastère, le cardinal William Levada. En voici le texte, suivi de la "note de commentaire" officielle.


REPONSES A QUELQUES QUESTIONS SUR L'ALIMENTATION ET L'HYDRATATION ARTIFICIELLES

1/ L’administration de nourriture et d’eau (par des voies naturelles ou artificielles) au patient à l’“état végétatif” est-elle moralement obligatoire, à moins que ces aliments ne puissent être assimilés par le corps du patient ou être administrés sans causer un malaise physique important ?

Réponse : Oui. L’administration de nourriture et d’eau, même par des voies artificielles, est par principe un moyen ordinaire et proportionné de conservation de la vie. Elle est donc obligatoire, dans la mesure où et tant qu’elle atteint son but, qui consiste à procurer l’hydratation et l’alimentation du patient. De cette façon on évite les souffrances et la mort dues à l’inanition et à la déshydratation.

2/ Si la nourriture et l’hydratation sont fournies par des voies artificielles à un patient “à état végétatif permanent”, peuvent-ils être interrompus quand les médecins compétents jugent avec certitude morale que le patient ne récupérera jamais sa conscience ?

Réponse : Non. Un patient « à l’état végétatif permanent » est une personne, avec sa dignité humaine fondamentale, à laquelle sont dus par conséquent les soins ordinaires et proportionnés, qui comprennent, par principe, l’administration d’eau et de nourriture, même par des voies artificielles.


Le Souverain Pontife Benoît XVI, au cours de l’Audience accordée au Cardinal Préfet soussigné, a approuvé les présentes Réponses, décidées par la Session ordinaire de la Congrégation, et en a ordonné la publication.

Rome, le 1er août 2007, au siège de la Congrégation pour la doctrine de la foi.

William Cardinal Levada
Préfet                                                                      

Angelo Amato, S.D.B.
Archevêque tit. de Sila
Secrétaire



Les réponses de la congrégation sont accompagnées d’une longue Note de commentaire, rédigée par la même Congrégation, qui expose le magistère de l’Église en la matière, en partant du discours du pape Pie XII à un congrès d’anesthésiologie du 24 novembre 1957. Les réponses de la Congrégation pour la doctrine de la foi aux questions se placent donc dans la ligne des documents du Saint-Siège. En voici le texte intégral :

 

NOTES DE COMMENTAIRE



LA CONGREGATION pour la doctrine de la foi a formulé une réponse à deux questions, présentées par Son Excellence Mgr William S. Skylstad, président de la Conférence épiscopale des États-Unis, dans sa lettre du 11 juillet 2005, concernant l’alimentation et l’hydratation des patients qui tombent dans l’état appelé communément "état végétatif". L’objet de se questions est de savoir si l’alimentation et l’hydratation de ces patients, surtout lorsqu’elles sont administrées par voies artificielles, ne constituent pas une charge excessivement lourde pour ces derniers, pour leurs proches ou pour le système de santé, au point de pouvoir être considérées, même à la lumière de la doctrine morale de l’Église, comme un moyen extraordinaire ou disproportionné, et donc non obligatoire sur le plan moral.

En faveur de la possibilité de renoncer à l’alimentation et à l’hydratation de ces patients, on invoque souvent le Discours du pape Pie XII du 24 novembre 1957 à un Congrès sur la réanimation. Dans son propos, le pontife réaffirmait deux principes éthiques généraux. D’une part, la raison naturelle et la morale chrétienne enseignent que, en cas de maladie grave, le patient et les personnes qui le soignent ont le droit et le devoir d’effectuer les soins nécessaires pour conserver sa santé et sa vie. D’autre part, ce devoir comprend en règle générale uniquement l’utilisation des moyens qui, tenant compte de toutes les circonstances, sont ordinaires et qui n’imposent pas une charge extraordinaire pour le patient ou pour les autres personnes. Une obligation plus sévère serait trop lourde pour la majorité des personnes et rendrait trop difficile la réalisation de biens plus importants. La vie, la santé et toutes les activités temporelles sont subordonnées aux fins spirituelles. Naturellement, ceci n’interdit pas de faire plus que ce qui est strictement obligatoire pour conserver la vie et la santé, à condition de ne pas manquer à des devoirs plus graves.

Tout d’abord, il faut noter que les réponses données par le pape Pie XII se référaient à l’utilisation et à l’interruption des techniques de réanimation. Mais le cas présenté n’a rien à voir avec de telles techniques. Les patients en "état végétatif" respirent spontanément, digèrent naturellement les aliments, ont d’autres fonctions métaboliques et se trouvent dans une situation stable. Ils ne parviennent pas cependant à s’alimenter tous seuls. Si on ne leur administre pas artificiellement de nourriture ni des liquides, ils meurent ; la cause de leur mort n’est pas alors une maladie ou à l’"état végétatif", mais uniquement le fait de l’inanition et de la déshydratation. D’autre part, l’administration artificielle d’eau et de nourriture n’impose pas généralement une lourde charge, ni au patient, ni aux proches. Elle ne comporte pas de coûts excessifs ; elle est à la portée de tous les systèmes de santé de niveau moyen ; elle ne requiert pas de soi l’hospitalisation et elle est proportionnée pour atteindre son but : empêcher le patient de mourir d’inanition et de déshydratation. Elle n’est, ni n’entend être, une thérapie résolutive, mais un soin ordinaire pour la conservation de la vie.

À l’inverse, ce qui peut constituer une charge notable est le fait d’avoir un proche en "état végétatif", lorsque cet état se prolonge dans le temps. Cette charge est comparable aux soins donnés à un tétraplégique, à un malade mental grave, à un patient en stade avancé de la maladie d’Alzheimer, etc. Ces personnes ont besoin d’une assistance continue durant des mois, voire des années. Mais, la règle énoncée par le pape Pie XII ne peut être interprétée, pour des raisons évidentes, dans le sens selon lequel il est alors licite d’abandonner à eux-mêmes les patients dont les soins ordinaires imposent une lourde charge à leur famille, les laissant donc mourir. Ce n’est pas en ce sens que le pape XII parlait de moyens extraordinaires.

On doit pouvoir appliquer aux patients en "état végétatif" la première partie de la règle énoncée par le pape Pie XII : en cas de maladie grave, on a le droit et le devoir d’appliquer les soins nécessaires pour conserver la santé et la vie du patient. Le développement du magistère de l’Église, qui a suivi de près les progrès de la médecine et les doutes qu’ils suscitent, le confirme pleinement.

La Déclaration sur l’euthanasie, publiée par la Congrégation pour la doctrine de la foi, le 5 mai 1980, fait la distinction entre les moyens proportionnés et ceux qui sont disproportionnés, et la distinction qui existe entre les traitements thérapeutiques et les soins normaux dus au malade : « Dans l’imminence d’une mort inévitable malgré les moyens employés, il est permis en conscience de prendre la décision de renoncer à des traitements qui ne procureraient qu’un sursis précaire et pénible, sans interrompre pourtant les soins normaux dus au malade en pareil cas » (IVe partie). A fortiori, on ne peut interrompre les soins ordinaires pour les patients qui ne se trouvent pas en danger de mort imminente, comme c’est généralement le cas pour ceux qui sont en "état végétatif", pour lesquels ce serait précisément l’interruption des soins ordinaires qui provoquerait la mort.

Le 27 juin 1981, le Conseil pontifical Cor Unum a publié un document ayant pour titre : Questions éthiques relatives aux malades graves et aux mourants. Dans ce texte, il est notamment affirmé : « Demeure, par contre, l’obligation stricte de poursuivre à tout prix l’application des moyens dits "minimaux", c'est-à-dire ceux qui, normalement et dans les conditions habituelles, sont destinés à maintenir la vie (alimentation, transfusions sanguines, injections, etc.). Les interrompre signifierait en pratique vouloir mettre fin aux jours du patient » (n. 2.4.4).

Dans son Discours du 15 novembre 1985 adressé aux participants à un Cours international d’aggiornamento sur les préleucémies humaines, le pape Jean-Paul II, se référant à la Déclaration sur l’euthanasie, affirmait clairement qu’en vertu du principe de la proportionnalité des soins, on ne peut se dispenser « de la tâche thérapeutique capable de soutenir la vie, ni de l’assistance par des moyens normaux de soutien de la vie », parmi lesquels se trouve assurément l’administration de nourriture et de boisson. Il souligne que les omissions qui ont pour but « d’abréger la vie pour épargner la souffrance au patient ou à ses proches », ne sont pas licites.

En 1995, le Conseil pontifical pour la pastorale des services de la santé a publié une Charte des agents de santé. On y affirme de manière explicite au n. 120 : « L’alimentation et l’hydratation, même administrées artificiellement, font partie des soins normaux toujours dus au malade quand ils ne sont pas dommageables pour lui : leur suspension sans raison peut avoir le sens d’une véritable euthanasie. »

Le Discours de Jean-Paul II du 2 octobre 1998 à un groupe d’évêques des États-Unis d’Amérique en visite ad limina est largement explicite : l’alimentation et l’hydratation sont considérées comme des soins normaux et des moyens ordinaires pour la conservation de la vie. Il est inacceptable de les interrompre ou de ne pas les administrer si une telle décision doit entraîner la mort du patient. On serait en présence d’une euthanasie par omission (cf. n. 4).

Dans le Discours du 20 mars 2004, adressé aux participants à un Congrès international sur "les traitements de soutien vital et l’état végétatif. Progrès scientifiques et dilemmes éthiques", Jean-Paul II a confirmé en des termes très clairs ce qui était affirmé dans les documents cités ci-dessus, en en donnant aussi l’interprétation appropriée. Le pape soulignait les points suivants :

  1. « Pour indiquer la condition de ceux dont l’"état végétatif" se prolonge pendant plus d’un an, le terme d’état végétatif permanent a été créé. En réalité, cette définition ne correspond pas à un diagnostic différent, mais simplement à un jugement conventionnel de prévision, relatif au fait que la reprise du patient est, statistiquement parlant, toujours plus difficile au fur et à mesure que la condition d’état végétatif se prolonge dans le temps » (n. 2) [1].
  2. Face à ceux qui mettent en doute la "qualité humaine" des patients en "état végétatif permanent", on doit réaffirmer que « la valeur intrinsèque et la dignité personnelle de tout être humain ne changent pas, quelles que soient les conditions concrètes de sa vie. Un homme, même s'il est gravement malade, ou empêché dans l'exercice de ses fonctions les plus hautes, est et sera toujours un homme, et ne deviendra jamais un "végétal" ou un "animal" » (n. 3).
  3. «Le malade dans un état végétatif, dans l’attente d'un rétablissement ou de sa fin naturelle, a donc droit à une assistance médicale de base (alimentation, hydratation, hygiène, réchauffement, etc.) et à la prévention des complications liées à l'alitement. Il a également le droit à une intervention de réhabilitation précise et au contrôle des signes cliniques d'une éventuelle reprise. En particulier, je voudrais souligner que l'administration d'eau et de nourriture, même à travers des voies artificielles, représente toujours un moyen naturel de maintien de la vie, et non pas un acte médical. Sa mise en œuvre devra donc être considérée, en règle générale, comme ordinaire et proportionnée, et, en tant que telle, moralement obligatoire, dans la mesure et jusqu’au moment où elle montre qu’elle atteint sa finalité propre, qui, en l’espèce, consiste à procurer une nourriture au patient et à alléger ses souffrances » (n. 4).
  4. Les documents précédents sont repris et interprétés dans le sens suivant : « L'obligation de ne pas supprimer "les soins normaux dus au malade dans des cas semblables" (Congrégation pour la doctrine de la foi, Déclaration sur l’euthanasie, IVe partie) comprend également le recours à l’alimentation et à l’hydratation (cf. Conseil pontifical "Cor Unum", Questions éthiques relatives aux malades graves et aux mourants, n. 2.4.4; Conseil pontifical pour la Pastorale des Services de la Santé, Charte des agents de la santé, n. 120).

    L'évaluation des probabilités, fondée sur les maigres espérances de récupération lorsque l'état végétatif se prolonge au delà d'un an, ne peut justifier éthiquement l'abandon ou l'interruption des soins de base au patient, y compris l'alimentation et l’hydratation. La mort due à la faim ou à la soif est en effet l'unique issue possible à la suite de leur suspension. Dans ce sens, elle finit par prendre la forme, si elle est effectuée de façon consciente et délibérée, d'une véritable euthanasie par omission » (n. 4).

Par conséquent, les réponses que donne maintenant la Congrégation pour la doctrine de la foi se situent donc dans la ligne des documents du Saint-Siège qui viennent d’être cités et, en particulier, du Discours de Jean-Paul II du 20 mars 2004. Il contient deux enseignements fondamentaux. On affirme, en premier lieu, que l’administration d’eau et de nourriture, même par des voies artificielles, est en règle générale un moyen ordinaire et proportionné pour la conservation de la vie des patients en "état végétatif" : « Elle est donc obligatoire dans la mesure et jusqu’au moment où elle montre qu’elle atteint sa finalité propre, qui consiste à hydrater et à nourrir le patient. » En deuxième lieu, on précise qu’un tel moyen ordinaire de soutien vital doit être assuré même aux patients qui tombent dans un "état végétatif permanent", puisqu’il s’agit de personnes, avec leur dignité humaine fondamentale.

En affirmant que l’administration de nourriture et d’eau est moralement obligatoire en règle générale, la Congrégation pour la doctrine de la foi n’exclut pas que, dans certaines régions très isolées et extrêmement pauvres, l’alimentation et l’hydratation artificielles ne puissent être matériellement possibles, et alors ad impossibilia nemo tenetur. Toutefois demeure l’obligation d’offrir les soins minimaux disponibles et de procurer, si possible, les moyens nécessaires pour un soutien vital convenable. Par ailleurs, on n’exclut pas que, en cas de complications, le patient ne réussisse pas à assimiler la nourriture et la boisson ; leur administration devient alors totalement inutile. Enfin, on n’écarte pas de manière absolue la possibilité que, dans quelques rares cas, l’alimentation et l’hydratation artificielles puissent comporter pour le patient une excessive pénibilité ou une privation grave au plan physique lié, par exemple, à des complications dans l’emploi d’instruments.

Ces cas exceptionnels n’enlèvent cependant rien au critère éthique général, selon lequel l’administration d’eau et de nourriture, même par des voies artificielles, représente toujours un moyen naturel de conservation de la vie et non un traitement thérapeutique. Son emploi devra donc être considéré comme ordinaire et proportionné, même lorsque l’"état végétatif" se prolonge.


[1] La terminologie relative aux diverses phases et formes de "l’état végétatif" est sujette à discussion, mais cela n’a pas d’importance pour le jugement moral.


[Texte original : français]. Source : Fides