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 de

Chrétienté

N° 125

 

Vous trouverez ici l’enseignement que le  pape Benoît XVI a donné au cours de cette semaine Sainte : son homélie pour le dimanche des Rameaux, ses sermons pour le jeudi Saint, celui de la Messe Chrismale et de la sainte Cène, son allocution au Colisée pour le Chemin de Croix, son homélie pour la Veillée Pascale et enfin son message « Urbi et Orbi » du dimanche de Pâques.  Cet enseignement est très profond et mérite d’être médité. Il est certainement de la plume du Pape lui-même. Quant à moi, j’ai particulièrement apprécié sa méditation sur le sacerdoce donnée dans son homélie du Jeudi Saint, de la Messe chrismale, (même si j’aurais préféré qu’il ne cite pas ce « canon II ») et je garderai présent en mon esprit ces quelques éléments du Credo  du pape :

«  Oui, je crois que le monde et ma vie ne proviennent pas du hasard, mais de la Raison éternelle et de l’Amour éternel, et qu’ils sont créés par le Dieu tout-puissant. Oui, je crois qu’en Jésus Christ, par son incarnation, par sa croix et sa résurrection, s’est manifesté le Visage de Dieu; et qu’en Lui Dieu est présent au milieu de nous, qu’il nous unit et nous conduit vers notre but, vers l’Amour éternel. Oui, je crois que l’Esprit Saint nous donne la Parole de vérité et illumine notre cœur; je crois que dans la communion de l’Église nous devenons tous un seul Corps avec le Seigneur et ainsi nous allons à la rencontre de la résurrection et de la vie éternelle. Le Seigneur nous a donné la lumière de la vérité. Cette lumière est en même temps feu, force qui vient de Dieu, force qui ne détruit pas, mais qui veut transformer nos cœurs, afin que nous devenions vraiment des hommes de Dieu et que sa paix devienne efficace en ce monde »

 

 

 

 

 

1. Dimanche des Rameaux

Le 16 mars 2008

Chers frères et sœurs, chaque année, l'Evangile du Dimanche des Rameaux nous raconte l'entrée de Jésus à Jérusalem. Accompagné de ses disciples et d'une foule croissante de pèlerins, Il était monté de la plaine de Galilée jusqu'à la Cité sainte. Comme des marches de cette montée, les évangélistes nous ont transmis trois annonces de Jésus concernant sa Passion, faisant en même temps allusion à la montée intérieure qui s’accomplissait au cours de ce pèlerinage. Jésus est en route vers le temple – vers le lieu où Dieu, comme le dit le Deutéronome, avait voulu "faire habiter" son nom (cf. 12, 11; 14, 23). Le Dieu qui a créé le ciel et la terre s'est donné un nom, il a permis qu'on l'invoque, il a même permis que les hommes puissent presque le toucher. Aucun lieu ne peut Le contenir et pourtant, ou précisément pour cette raison, Il se donne lui-même un lieu et un nom, afin qu'Il puisse personnellement, Lui qui est le vrai Dieu, y être vénéré comme le Dieu au milieu de nous. Par le récit qui évoque Jésus à l'âge de douze ans, nous savons qu'Il a aimé le temple comme la maison de son Père, comme sa maison paternelle. Maintenant il revient vers ce temple mais son chemin va plus loin: la dernière étape de sa montée est la Croix. C'est la montée que la Lettre aux Hébreux décrit comme la montée vers la tente qui n'est pas faite de main d'homme, jusqu'à se trouver en présence de Dieu. La montée jusqu'à la présence de Dieu passe par la Croix. C'est la montée vers "l'amour jusqu'à la fin" (cf. Jn 13, 1) qui est la vraie montagne de Dieu, le lieu définitif du contact entre Dieu et l'homme.

Au moment de l'entrée à Jérusalem, la foule rend hommage à Jésus comme fils de David avec les expressions du Psaume 118 [117] des pèlerins: "Hosanna au fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur! Hosanna au plus haut des cieux !" (Mt 21, 9). Puis Il arrive au temple. Mais là où devait se trouver le lieu de la rencontre entre Dieu et l'homme, Il trouve des marchands d'animaux et des changeurs qui occupent le lieu de prière avec leurs affaires. Les animaux en vente étaient certes destinés à être immolés en sacrifice dans le temple. Puisque l’on ne pouvait utiliser dans le temple les pièces à l’effigie des empereurs romains qui étaient en opposition avec le vrai Dieu, il fallait les échanger contre des pièces ne comportant pas d’images d'idoles. Mais on aurait pu le faire ailleurs: l'espace où cela avait lieu était destiné à être l'atrium des païens. En effet, le Dieu d'Israël était l'unique Dieu de tous les peuples. Et même si les païens n'entraient pas, pour ainsi dire, à l’intérieur de la Révélation, ils pouvaient quand même s'associer à la prière au Dieu unique, dans l'atrium de la foi. Le Dieu d'Israël, le Dieu de tous les hommes, attendait toujours leur prière aussi, leur recherche, leur invocation. Mais à présent, les affaires avaient pris le dessus – des affaires légalisées par les autorités compétentes qui, à leur tour, percevaient une partie du gain des marchands. Les marchands agissaient correctement selon l’organisation en vigueur, mais celle-ci était elle-même corrompue. "La cupidité est une idolâtrie", dit la Lettre aux Colossiens (cf. 3, 5). C'est cette idolâtrie que rencontre Jésus et face à laquelle il cite Isaïe: "Ma maison sera appelée maison de prière" (Mt 21, 13; cf. Is 56, 7) et Jérémie: "Et vous, vous en faites un repaire de brigands" (Mt 21, 13; cf. Jr 7, 11). Contre l'ordre mal interprété, Jésus, par son geste prophétique, défend l'ordre véritable, qui se trouve dans la Loi et les Prophètes.

Tout cela doit nous faire réfléchir, nous aussi comme chrétiens: notre foi est-elle assez pure et assez ouverte pour que les "païens", ceux qui aujourd'hui sont en recherche et se posent des questions, puissent, à partir de cette foi, percevoir la lumière du Dieu unique, s'associer à notre prière dans les lieux de culte et, à force de poser des questions, devenir eux aussi, peut-être, des adorateurs? Sommes-nous conscients jusque dans notre cœur que la cupidité est une idolâtrie et cela influe-t-il sur notre mode de vie? Peut-être laissons-nous les idoles entrer, de différentes manières, jusque dans le monde de notre foi? Sommes-nous prêts à nous laisser encore et toujours purifier par le Seigneur, en lui permettant de chasser de nous-mêmes et de l'Eglise tout ce qui lui est opposé?

Cependant, la purification du temple va au-delà d’une lutte contre les abus. Une nouvelle heure de l'histoire est proclamée. Voici que commence ce que Jésus avait annoncé à la Samaritaine en réponse à sa question sur la vraie adoration: "Mais l'heure vient – et nous y sommes – où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité, car ce sont là les adorateurs tels que les veut le Père" (Jn 4, 23). Le temps où des animaux étaient immolés à Dieu est révolu. Depuis toujours, les sacrifices d'animaux n’avaient été qu’un substitut, un geste de nostalgie de la vraie manière d'adorer Dieu. La Lettre aux Hébreux résume la vie et l'action de Jésus par une phrase du Psaume 40 [39]: "Tu n'as voulu ni sacrifice ni oblation; mais tu m'as façonné un corps" (He 10, 5). Aux sacrifices sanglants et aux offrandes de victuailles succède le corps du Christ, succède le Christ lui-même. Seul "l'amour jusqu'à la fin", seul l'amour qui, pour les hommes, se donne totalement à Dieu, est le vrai culte, le vrai sacrifice. Adorer en esprit et vérité signifie adorer en communion avec Celui qui est la vérité; adorer dans la communion avec son Corps, dans lequel l'Esprit Saint nous réunit.

Les évangélistes nous racontent que, lors du procès contre Jésus, de faux témoins se présentèrent et affirmèrent que Jésus avait dit: "Je peux détruire le Temple de Dieu et, en trois jours, le rebâtir" (Mt 26, 61). Devant le Christ suspendu à la Croix certains se moquent en faisant référence à cette même parole et crient: "Toi qui détruis le Temple et en trois jours le rebâtis, sauve-toi toi-même" (Mt 27, 40). La bonne version de la phrase, telle qu'elle a été prononcée par Jésus lui-même, c’est Jean qui nous l’a transmise dans son récit de la purification du temple. Comme on demandait à Jésus un signe qui justifie ce qu’il venait de faire, le Seigneur répondit: "Détruisez ce sanctuaire et en trois jours je le relèverai" (Jn 2, 18 sq.). Jean ajoute que, repensant à cet évènement après la Résurrection, les disciples comprirent que Jésus avait parlé du Temple de son Corps (cf. 2, 21 sq.). Ce n'est pas Jésus qui détruit le temple; celui-ci est abandonné à la destruction par l'attitude de ceux qui ont transformé ce lieu de la rencontre de tous les peuples avec Dieu, en un "repaire de brigands", où ils faisaient leurs affaires. Mais, comme toujours depuis la chute d'Adam, l'échec des hommes devient l'occasion d'un engagement encore plus grand de l'amour de Dieu à notre égard. L'heure du temple de pierre, l'heure des sacrifices d'animaux était passée: le fait que maintenant le Seigneur chasse les marchands empêche non seulement un abus mais indique une nouvelle action de Dieu. Le nouveau Temple se forme: Jésus Christ lui-même, en qui l'amour de Dieu se penche sur les hommes. Dans sa vie, Il est le Temple nouveau et vivant. Lui qui est passé à travers le supplice de la Croix et est ressuscité, Il est l'espace vivant d'esprit et de vie, dans lequel se réalise la juste adoration. Ainsi, la purification du temple, comme sommet de l'entrée solennelle de Jésus à Jérusalem, est à la fois le signe de la destruction imminente de l’édifice et celui de la promesse du nouveau Temple; promesse du royaume de la réconciliation et de l'amour qui, dans la communion avec le Christ, est instauré au-delà de toute frontière.

Saint Matthieu, dont nous écoutons l'Evangile cette année, rapporte à la fin du récit du Dimanche des Rameaux, après la purification du temple, encore deux petits événements qui, à nouveau, ont un caractère prophétique et nous font clairement voir la volonté véritable de Jésus. Immédiatement après ce qu’a dit Jésus sur la maison de prière de tous les peuples, l'évangéliste continue ainsi: "Il y eut aussi des aveugles et des boiteux qui se présentèrent à lui dans le Temple, et il les guérit". Matthieu nous dit aussi que des enfants répétèrent dans le temple l'acclamation que les pèlerins avaient lancée à l'entrée de la ville: "Hosanna au fils de David !" (Mt 21, 14sq.).

Au commerce d’animaux et aux affaires d'argent Jésus oppose sa bonté qui guérit. C'est cela, la vraie purification du temple. Il ne vient pas pour détruire; il ne vient pas avec l'épée du révolutionnaire. Il vient pour donner la guérison. Il se consacre à ceux qui, à cause de leur infirmité, sont poussés jusqu'aux dernières extrémités de leur vie et en marge de la société. Jésus présente Dieu comme Celui qui aime et son pouvoir comme le pouvoir de l'amour. Et il nous dit ainsi ce qui fera pour toujours partie du juste culte de Dieu: la guérison, le service, la bonté qui guérit.

Ensuite il y a les enfants qui rendent hommage à Jésus comme fils de David et l’acclament en criant Hosanna. Jésus avait dit à ses disciples que, pour entrer dans le royaume de Dieu, ils devaient redevenir comme les enfants. Lui qui embrasse le monde entier, il s'est fait tout petit pour venir à notre rencontre, pour nous conduire vers Dieu,. Pour reconnaître Dieu nous devons nous défaire de l'orgueil qui nous éblouit, qui veut nous repousser loin de Dieu, comme si Dieu était notre concurrent. Pour rencontrer Dieu il faut devenir capables de voir avec un cœur d’enfant. Nous devons apprendre à voir avec un cœur jeune, qui n'est pas entravé par des préjugés et aveuglé par des intérêts. Ainsi, en ces petits qui Le reconnaissent parce qu’ils ont un tel cœur, libre et ouvert, l'Eglise a vu l'image des croyants de tous les temps, sa propre image.

Chers amis, en ce moment nous nous associons à la procession des jeunes de l'époque, une procession qui traverse l'histoire tout entière. Nous allons à la rencontre de Jésus avec tous les jeunes du monde. Laissons-nous guider par Lui vers Dieu pour apprendre de Dieu lui-même la bonne manière d'être des hommes. Avec Lui, remercions Dieu car en Jésus, le Fils de David, il nous a donné un espace de paix et de réconciliation qui embrasse le monde par la Sainte Eucharistie. Prions-Le, afin de devenir nous aussi, avec Lui et à partir de Lui, des messagers de sa paix, adorateurs en esprit et vérité, afin qu'en nous et autour de nous grandisse son Royaume. Amen.

2. Jeudi Saint. Messe Chrismale

Le 20 mars 2008

Chers frères et sœurs, chaque année la Messe chrismale nous invite à renouveler ce "oui" à l’appel de Dieu, que nous avons prononcé le jour de notre Ordination sacerdotale. Nous avons dit "Adsum – me voici!", comme Isaïe, quand il a entendu la voix de Dieu qui demandait: "Qui enverrai-je et qui ira pour nous?" "Me voici, envoie-moi!", a répondu Isaïe (Is 6, 8). Puis le Seigneur lui-même, par l’intermédiaire des mains de l’Evêque, nous a imposé les mains et nous nous sommes donnés à sa mission. Par la suite nous avons parcouru différents chemins dans le cadre de son appel. Est-ce que nous pouvons toujours affirmer, nous, ce que Paul écrivait aux Corinthiens, après avoir servi l’Evangile pendant des années dans des conditions souvent difficiles et marquées par des souffrances de tout genre: "Notre zèle ne faiblit pas dans l’accomplissement de ce ministère dont nous avons été investis par la miséricorde de Dieu" (cf. 2 Cor 4, 1)? "Notre zèle ne faiblit pas". Prions, en ce jour, pour que ce zèle soit sans cesse ravivé, pour qu’il trouve toujours une nouvelle force dans la flamme ardente de l’Evangile.

En même temps, chaque Jeudi Saint est pour nous une occasion de nous demander de nouveau: A quoi avons-nous dit "oui"? Que signifie "être prêtre de Jésus-Christ"? Le Canon II de notre Missel, qui a probablement été rédigé dès la fin du IIe siècle à Rome, décrit l’essence du ministère sacerdotal en utilisant les mots qui, dans le Livre du Deutéronome (18, 5. 7), décrivaient l’essence du sacerdoce vétérotestamentaire: stare coram te et tibi ministrare. Il y a donc deux tâches qui définissent l’essence du ministère sacerdotal: la première est de "se tenir devant le Seigneur". Dans le Livre du Deutéronome, il faut la comprendre comme la suite de la disposition précédente, selon laquelle les prêtres ne devaient recevoir aucune part de territoire en Terre Sainte – ils devaient vivre de Dieu et pour Dieu. Ils ne s’occupaient pas des habituels travaux nécessaires pour assurer la vie quotidienne. Leur métier était de "se tenir devant le Seigneur" – s’occuper de Lui, être là pour Lui. Donc, en définitive, cette expression indiquait une vie en présence de Dieu et aussi un ministère de représentation des autres. De même que les autres cultivaient la terre, dont le prêtre vivait lui aussi, de même il maintenait le monde ouvert à Dieu, il devait vivre les yeux tournés vers Lui. Si cette expression se trouve maintenant dans le Canon de la Messe immédiatement après la consécration des offrandes, après l’entrée du Seigneur dans l’assemblée en prière, cela indique que, pour nous, le fait de se tenir devant le Seigneur présent, c’est-à-dire l’Eucharistie, constitue le centre de la vie sacerdotale. Mais là aussi, la portée est plus grande. Dans l’hymne de la Liturgie des Heures qui, pendant le carême, introduit l’Office des Lectures – un Office que les moines récitaient autrefois pendant l’heure de la veillée nocturne devant Dieu et pour les hommes – un des devoirs du carême est décrit par l'injonction: arctius perstemus in custodia – montons la garde avec plus d’attention. Dans la tradition du monachisme syriaque, les moines étaient définis comme “ceux qui se tiennent debout“. La position debout était l’expression de la vigilance. Ce qui était ici considéré comme le devoir des moines peut aussi être considéré à juste titre comme l’expression de la mission sacerdotale et comme l’interprétation juste de la parole du Deutéronome: le prêtre doit veiller. Il doit monter la garde face aux puissances pressantes du mal. Il doit maintenir le monde éveillé pour Dieu. Il doit se tenir debout: droit face aux courants du temps. Droit dans la vérité. Droit dans l’engagement pour le bien. Se tenir devant le Seigneur, cela doit aussi vouloir dire, plus profondément, se charger des hommes auprès du Seigneur qui, à son tour, se charge de nous tous auprès du Père. Cela doit vouloir dire se charger de Lui, du Christ, de sa parole, de sa vérité, de son amour. Le prêtre doit se tenir droit, sans crainte et prêt à encaisser des outrages pour le Seigneur, comme il est mentionné dans les Actes des Apôtres: ceux-ci étaient “tout joyeux d’avoir subi des outrages par amour du nom de Jésus“ (5, 41).

Passons maintenant à la seconde expression, que le Canon II reprend du texte de l’Ancien Testament – “se tenir devant toi et te servir“. Le prêtre doit être une personne juste, vigilante, une personne qui se tient droit. A tout cela s’ajoute ensuite le service. Dans le texte vétérotestamentaire, ce mot a un sens essentiel rituel: les prêtres sont chargés de tous les actes de culte prévus par la Loi. Mais cette action selon le rite était ensuite classée comme service, comme une responsabilité de service, ce qui explique dans quel esprit ces activités devaient être effectuées. Lorsque le mot “servir“ est employé dans le Canon, c’est cette signification liturgique du terme qui est d’une certaine façon adoptée – conformément à la nouveauté du culte chrétien. Ce que le prêtre fait à ce moment, dans la célébration de l’Eucharistie, c’est servir, rendre un service à Dieu et aux hommes. Le culte que le Christ a rendu au Père a été le don de soi jusqu’à la fin pour les hommes. C’est dans ce culte, dans ce service, que le prêtre doit s’insérer. Ainsi, le mot “servir“ comporte de nombreuses dimensions. Bien sûr, il inclut la célébration correcte de la Liturgie et des Sacrements en général, accomplie avec une participation intérieure. Nous devons apprendre à comprendre de mieux en mieux la Liturgie sacrée dans toute son essence, à développer une familiarité vivante avec elle, pour qu’elle devienne l’âme de notre vie quotidienne. Et, lorsque nous célébrons comme il faut, l’ars celebrandi – l’art de célébrer – apparaît de lui-même. Dans cet art, il ne doit rien y avoir d’artificiel. Si la liturgie est un devoir central pour le prêtre, cela veut dire aussi que la prière doit être une réalité prioritaire à apprendre encore et encore, toujours plus profondément à l’école du Christ et des saints de tous les temps. La Liturgie chrétienne, par sa nature même, est toujours aussi une annonce. Nous devons donc être familiers de la Parole de Dieu, l’aimer et la vivre: alors seulement nous pourrons l’expliquer de manière appropriée. “Servir le Seigneur“ – le service sacerdotal signifie justement aussi apprendre à connaître le Seigneur dans sa Parole et à Le faire connaître à tous ceux qu’Il nous confie.

Enfin il y a encore deux autres aspects qui font partie de ce service. Personne n'est aussi proche de son seigneur que le serviteur, qui a accès au côté le plus privé de sa vie. En ce sens, “servir“ signifie proximité et implique l’intimité. Cette intimité comporte également un risque: que le sacré que nous rencontrons en permanence devienne habitude. C’est ainsi que la crainte révérencielle peut se dissiper. Conditionnés par toutes les habitudes, nous ne percevons plus le fait – grand, neuf et surprenant – qu’Il soit présent, qu’Il nous parle, qu’Il se donne à nous. Nous devons lutter sans répit contre cette accoutumance à la réalité extraordinaire et contre l’indifférence du cœur, en reconnaissant encore et toujours notre insuffisance et la grâce qui existe lorsqu’Il se remet ainsi en nos mains. Servir signifie proximité, mais cela signifie aussi et surtout obéissance. Le serviteur est soumis à la formule: "Que ce ne soit pas ma volonté qui se fasse, mais la tienne!" (Lc 22, 42). C’est par ces mots que, au Jardin des Oliviers, Jésus a mis fin à la bataille décisive contre le péché, contre la rébellion du cœur déchu. Le péché d’Adam était justement de vouloir accomplir sa volonté et non celle de Dieu. L’humanité est toujours tentée de vouloir être totalement autonome, de suivre uniquement sa propre volonté et de penser que c’est seulement ainsi que nous serons libres, que c’est seulement grâce à une telle liberté sans limites que l’homme sera complètement homme. Mais c’est justement ainsi que nous nous opposons à la vérité. La vérité, c’est que nous devons partager notre liberté avec les autres et que nous ne pouvons être libres que lorsque nous sommes en communion avec eux. Cette liberté partagée ne peut être une vraie liberté que si nous entrons avec elle dans ce qui constitue la mesure même de la liberté, si nous entrons dans la volonté de Dieu. Cette obéissance fondamentale qui fait partie de l’être de l’homme – non pas un être par soi et seulement pour soi – se concrétise encore davantage pour le prêtre: ce que nous annonçons, ce n’est pas nous-mêmes, mais Lui et sa Parole, que nous ne pouvions pas concevoir par nous-mêmes. Nous n’annonçons la Parole du Christ correctement que dans la communion de son Corps. Notre obéissance, c’est croire avec l’Eglise, penser et parler avec l’Eglise, servir avec elle. Cela est bien dans ligne de ce que Jésus avait prédit à Pierre: "Un autre te mènera où tu ne voudrais pas". Se laisser mener là où nous ne voulons pas aller est une dimension essentielle de notre service. C’est justement cela qui nous rend libres. En étant ainsi guidés, ce qui peut être contraire à nos idées et à nos projets, nous expérimentons ce qui est nouveau – la richesse de l’amour de Dieu.

"Se tenir devant Lui et Le servir": Jésus-Christ, en tant que vrai grand-prêtre du monde, a donné à ces mots une profondeur que l’on n’imaginait pas avant lui. Lui qui, comme Fils, était et est le Seigneur a voulu devenir ce serviteur de Dieu annoncé par la vision que l’on trouve dans le Livre du prophète Isaïe. Il a voulu être le serviteur de tous. Il a représenté l’ensemble de sa grande-prêtrise par le geste du lavement des pieds. Avec le geste de l’amour jusqu’à la fin, Il lave nos pieds sales. Avec l’humilité de son service, il nous purifie de la maladie de notre orgueil. Ainsi, il nous rend capables de partager la table de Dieu. Il est descendu et la véritable montée de l’homme se réalise maintenant, lorsque nous descendons avec Lui et vers Lui. La Croix est son élévation. C’est la descente qui va le plus bas et, en tant qu’amour poussé jusqu’à la fin, c’est en même temps le sommet de la montée, la véritable “élévation“ de l’homme. "Se tenir devant Lui et Le servir" – cela signifie maintenant entrer dans son appel de serviteur de Dieu. L’Eucharistie comme présence de la descente et de la montée du Christ renvoie donc toujours, au-delà d’elle-même, aux nombreuses façons de servir l’amour du prochain. En ce jour, demandons au Seigneur le don de pouvoir renouveler, en ce sens, notre “oui“ à son appel: "Me voici. Envoie-moi, Seigneur" (Is 6, 8). Amen.

3. Jeudi Saint.  Messe de la Cène du Seigneur


Le 20 mars 2008

Chers frères et sœurs, saint Jean commence son récit du lavement des pieds des disciples par Jésus en utilisant un langage particulièrement solennel, presque liturgique. “ Avant la fête de la Pâque, Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde vers le Père, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’à la fin” (13, 1). Voici qu’est arrivée l’“heure” de Jésus, vers laquelle son action était dirigée depuis le début. Ce qui constitue le contenu de cette heure, Jean le décrit en deux mots: passage (metabainein, metabasis) et "agapè" – amour. Les deux mots s’expliquent mutuellement; tous les deux, ensemble, ils décrivent la Pâque de Jésus: croix et résurrection, crucifixion comme élévation, comme “passage” à la gloire de Dieu, comme un “passer” de ce monde au Père. Ce n’est pas comme si Jésus, après une brève visite dans le monde, repartait maintenant, simplement, et rentrait chez le Père. Son passage est une transformation. Il porte sa chair, son humanité. Sur la Croix, en se donnant lui-même, Il est comme fondu et transformé en une nouvelle forme d’être, dans laquelle, désormais, il est toujours avec le Père et, en même temps, avec les hommes. Il transforme la Croix, l’acte de sa mise à mort, en un acte de don, d’amour jusqu’à la fin. Avec cette expression “jusqu’à la fin” Jean nous renvoie de manière anticipée à la dernière phrase de Jésus sur la Croix: tout est porté à son terme, “est accompli” (19, 30). Grâce à son amour, la Croix devient "metabasis", être homme devient être partie prenante de la gloire di Dieu. Il nous implique tous dans cette transformation, en nous entraînant dans la force transformatrice de son amour, à tel point que, puisque nous sommes avec Lui, notre vie devient “passage”, transformation. C’est ainsi que nous recevons notre rédemption – que nous sommes parties prenantes de l’amour éternel, un état vers lequel nous tendons avec toute notre existence.

Ce processus essentiel de l’heure de Jésus est représenté par le lavement des pieds, qui constitue une sorte d’acte symbolique à caractère prophétique. Jésus y manifeste en un geste concret précisément ce que le grand hymne christologique de la Lettre aux Philippiens décrit comme le contenu du mystère du Christ. Jésus retire les vêtements de sa gloire, il met autour de ses reins le “linge” de l’humanité et il se fait esclave. Il lave les pieds sales des disciples et les rend ainsi capables d’accéder au banquet divin auquel il les invite. Les purifications cultuelles et extérieures, qui purifient l’homme rituellement mais en le laissant comme il est, sont remplacées par le nouveau lavage: Il nous rend purs par sa parole et son amour, par le don de lui-même. Dans son discours sur la vigne (Jn 15, 3), il dira à ses disciples: “Emondés, vous l’êtes déjà grâce à la parole que je vous ai annoncée”. Sans cesse il recommence à nous laver par sa parole. Oui, si nous accueillons les paroles de Jésus en une attitude de méditation, de prière et de foi, ces paroles développent en nous leur force purificatrice. Jour après jour, nous sommes comme recouverts d’une saleté multiforme, de mots vides, de préjugés, de sagesse réduite et dégradée; une multitude de demi-faussetés ou de faussetés flagrantes s’infiltre continuellement au plus profond de nous-mêmes. Tout cela trouble et pollue notre âme, nous menace d’être incapables d’atteindre la vérité et le bien. Si nous accueillons les paroles de Jésus avec un cœur attentif, elles se révèlent de véritables nettoyages, des purifications de l’âme, de l’homme intérieur. Voilà à quoi nous invite l’Evangile du lavement des pieds: à nous laisser laver et relaver par cette eau pure, à accepter d’être rendus capables d’une communion conviviale avec Dieu et avec nos frères. Mais, après le coup de lance du soldat, il est sorti du côté de Jésus non seulement de l’eau, mais aussi du sang (Jn 19, 34; cf.1 Jn 5, 6. 8). Jésus n’a pas seulement parlé, il ne nous a pas laissé que des paroles. Il se donne lui-même. Il nous lave avec la puissance sacrée de son sang, c’est-à-dire avec le don de lui-même “jusqu’à la fin”, jusqu’à la croix. Sa parole est plus qu’un simple discours; elle est chair et sang “pour la vie du monde” (Jn 6, 51). Dans les saints Sacrements, le Seigneur s’agenouille encore et toujours devant nos pieds et il nous purifie. Prions-le, pour être toujours plus profondément imprégnés par le flot sacré de son amour et donc être vraiment purifiés!

Si nous écoutons l’Evangile avec attention, nous pouvons percevoir, dans l’évènement que constitue le lavement des pieds, deux aspects divers. Lorsque Jésus lave ses disciples, c’est d’abord, simplement, une action qu’il accomplit – le don de la pureté, de la “capacité pour Dieu” qu’il leur fait. Mais ce don devient ensuite un modèle, une invitation à faire de même les uns pour les autres. Les Pères de l’Eglise ont exprimé cette dualité d’aspect du lavement des pieds par les mots "sacramentum" et "exemplum". "Sacramentum" signifie dans ce contexte non pas l’un des sept sacrements, mais le mystère du Christ dans son ensemble, de l’incarnation jusqu’à la croix et à la résurrection: cet ensemble devient la force qui guérit et sanctifie, la force qui transforme les hommes, il devient notre "metabasis", notre transformation en une nouvelle forme d’être, dans l’ouverture pour Dieu et dans la communion avec Lui. Mais ce nouvel être qu’Il nous donne simplement, sans que nous l’ayons mérité, doit ensuite se transformer et constituer en nous la dynamique d’une vie nouvelle. L’ensemble de don et d’exemple, que nous trouvons dans la péricope du lavement des pieds, est caractéristique pour la nature du christianisme en général. Le christianisme, par rapport au moralisme, c’est plus et c’est autre chose. Initialement, il n’y a pas notre action, notre capacité morale. Le christianisme est surtout don: Dieu se donne à nous – il ne donna pas quelque chose, mais lui-même. Et cela n’a pas lieu seulement au début, au moment de notre conversion. Il reste constamment Celui qui donne. Encore et toujours, il nous offre ses dons. Il nous devance toujours. Voilà pourquoi l’acte central pour qui est chrétien, c’est l’Eucharistie: la gratitude d’avoir reçu, la joie de la vie nouvelle qu’Il nous donne.

Pour autant, ne restons pas des destinataires passifs de la bonté divine. Dieu nous gratifie comme des partenaires personnels et vivants. L’amour donné est la dynamique de l’“aimer ensemble”, il veut être en nous une vie nouvelle à partir de Dieu. C’est comme cela que nous comprenons ce que, à la fin du récit du lavement des pieds, Jésus dit à ses disciples et à nous tous: “Je vous donne un commandement nouveau: aimez-vous les uns les autres; comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres” (Jn 13, 34). Le “commandement nouveau” ne consiste pas en une loi nouvelle et difficile, qui n’aurait pas existé jusqu’alors. Le commandement nouveau consiste à aimer en même temps que Celui qui nous a aimés le premier. C’est aussi comme cela que nous devons comprendre le Discours sur la montagne. Cela ne signifie pas que Jésus ait alors donné de nouveaux préceptes, qui auraient représenté les exigences d’un humanisme plus sublime que le précédent. Le Discours sur la montagne est une voie d’entraînement pour s’identifier aux sentiments du Christ (cf. Phil 2, 5), une voie de purification intérieure qui nous conduit à vivre avec Lui. Ce qui est nouveau, c’est le don qui nous introduit dans la mentalité du Christ. Si nous y réfléchissons, nous comprenons combien nous sommes souvent éloignés, dans notre vie, de cette nouveauté du Nouveau Testament; nous comprenons combien nous donnons peu à l’humanité l’exemple d’un amour en communion avec son amour. Voilà comment nous restons débiteurs de la preuve de crédibilité de la vérité chrétienne, qui se démontre dans l’amour. C’est précisément pour cette raison que nous voulons d’autant plus prier le Seigneur de nous rendre, par sa purification, mûrs pour le nouveau commandement.

Dans l’Evangile du lavement des pieds, le dialogue de Jésus avec Pierre présente encore un autre point de la pratique de la vie chrétienne, sur lequel nous devons enfin porter notre attention. Dans un premier temps, Pierre a refusé de se laisser laver les pieds par le Seigneur: ce bouleversement de l’ordre, à savoir que le maître – Jésus – lave les pieds, que le patron fasse le travail de l’esclave, était en opposition totale avec la crainte révérencielle que lui inspirait Jésus et avec sa vision du rapport entre maître et disciple. “Tu ne me laveras jamais les pieds”, dit-il à Jésus avec sa véhémence habituelle (Jn 13, 8). C’est la même mentalité qui, après sa profession de foi en Jésus, Fils de Dieu, à Césarée de Philippe, l’avait poussé à s’opposer au Seigneur qui avait annoncé sa condamnation et la croix. Il avait affirmé catégoriquement: “Cela ne t’arrivera jamais!” (Mt 16, 22). Sa vision du Messie comportait une image di majesté, de grandeur divine. Il devait apprendre encore et toujours que la grandeur de Dieu diffère de notre idée de ce qu’est la grandeur; qu’elle consiste précisément à descendre, dans l’humilité du service, dans la radicalité de l’amour, jusqu’à un dépouillement total de soi-même. Nous aussi, nous devons l’apprendre encore et encore, parce que nous n’arrêtons pas de désirer un Dieu du succès et non un Dieu de la Passion; parce que nous ne sommes pas capables de comprendre que le Pasteur vient comme un Agneau qui se donne et qu’ainsi il nous conduit au bon pâturage.

Quand le Seigneur dit à Pierre que, sans le lavement des pieds, il ne pourrait pas avoir de part avec Lui, Pierre lui demande tout de suite, avec élan, de lui laver aussi la tête et les mains. Vient alors la phrase mystérieuse de Jésus: “Celui qui a pris un bain n’a pas besoin de se laver, sauf les pieds” (Jn 13, 10). Jésus fait allusion à un bain que les disciples avaient déjà pris, conformément aux prescriptions rituelles; pour prendre part au repas, il ne fallait plus que le lavement des pieds. Mais, bien sûr, il y a dans ce récit un sens plus profond. A quoi est-il fait allusion? Nous ne le savons pas avec certitude. En tout cas, rappelons-nous que le lavement des pieds, d’après le sens du chapitre tout entier, n’indique pas un unique Sacrement spécifique, mais bien le "sacramentum Christi" dans son ensemble – son service de salut, sa descente jusqu’à la croix, son amour jusqu’à la fin, qui nous purifie et nous rend capables de Dieu. Ici, avec la distinction entre le bain et le lavement des pieds, on peut néanmoins percevoir aussi une allusion à la vie dans la communauté des disciples, à la vie dans la communauté de l’Eglise – une allusion que, peut-être, Jean veut consciemment transmettre aux communautés de son temps. Alors il semble clair que le bain qui nous purifie définitivement et ne doit pas être recommencé est le Baptême – l’immersion dans la mort et dans la résurrection du Christ, un fait qui change profondément notre vie, en nous donnant comme une nouvelle identité qui perdure, si nous ne l’abandonnons comme l’a fait Judas. Mais même dans la permanence de cette nouvelle identité, pour la communion conviviale avec Jésus, nous avons besoin du “lavement des pieds”. De quoi s’agit-il? Je crois que la Première Lettre de saint Jean nous donne la clé pour le comprendre. On y lit: “Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous abusons et la vérité n’est pas en nous. Si nous confessons nos péchés, lui qui est fidèle et juste nous pardonnera nos péchés et nous purifiera de toute faute” (1, 8s). Nous avons besoin du “lavement des pieds”, de nous laver des péchés de chaque jour, et pour cela nous avons besoin de confesser nos péchés. Comment cela se passait précisément dans les communautés johanniques, nous ne le savons pas. Mais la direction indiquée par la parole de Jésus à Pierre est évidente: pour être capables de participer à la communauté conviviale avec Jésus-Christ, nous devons être sincères. Nous devons reconnaître que, même dans notre nouvelle identité de baptisés, nous péchons. Nous avons besoin de la confession, comme elle a pris forme dans le Sacrement de la réconciliation, par lequel le Seigneur lave toujours nos pieds sales, ce qui nous permet de nous asseoir à table avec Lui.

Mais cela donne aussi un nouveau sens à la phrase, par laquelle le Seigneur développe le "sacramentum" et en fait l’"exemplum", un don, un service pour le frère: “Si donc je vous ai lavé les pieds, moi, le Seigneur et le Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres” (Jn 13, 14). Nous devons nous laver les pieds les uns aux autres chaque jour, dans le service réciproque de l’amour. Mais nous devons aussi nous laver les pieds en ce sens que nous devons sans cesse nous pardonner les uns aux autres. La dette que le Seigneur nous a remise est toujours infiniment plus grande que toutes les dettes que les autres peuvent avoir envers nous (cf. Mt 18, 21-35). Voici à quoi nous exhorte le Jeudi Saint: à ne pas laisser la rancune envers l’autre devenir un poison au fond de notre âme. Il nous exhorte à purifier continuellement notre mémoire, en nous pardonnant mutuellement du fond du cœur, en nous lavant les pieds les uns aux autres, pour que nous puissions nous rendre ensemble au banquet de Dieu.

Le Jeudi Saint est un jour de gratitude et de joie pour le grand don que le Seigneur nous a fait, celui de l’amour jusqu’à la fin. Prions le Seigneur, à cette heure, pour que la gratitude et la joie deviennent en nous la force d’aimer en même temps que son amour. Amen.

4. Vendredi Saint.  Via Crucis


Le 21 mars 2008

Chers frères et sœurs, cette année encore, nous avons parcouru le chemin de croix, la Via Crucis, et évoqué avec foi les étapes de la Passion du Christ. Nos yeux ont revu la souffrance et l'angoisse que notre Rédempteur a dû supporter à l'heure de la grande souffrance, qui a marqué le sommet de sa mission terrestre. Jésus meurt sur la croix et repose dans le tombeau. La journée du Vendredi Saint, si imprégnée de tristesse humaine et de silence religieux, s’achève dans le silence de la méditation et de la prière.

En rentrant chez nous, nous nous "frappons la poitrine", comme ceux qui assistèrent au sacrifice de Jésus, en repensant à ce qui s'est passé (cf. Lc 23, 48). Peut-on rester indifférent devant la mort d’un Dieu ? Pour nous, pour notre salut, Il s'est fait homme et Il est mort sur la croix.

Frères et sœurs, tournons aujourd'hui vers le Christ notre regard, souvent distrait par des intérêts terrestres dispersés et éphémères. Arrêtons-nous pour contempler sa Croix. La Croix est source de vie éternelle, c’est une école de justice et de paix, c’est un patrimoine universel de pardon et de miséricorde. C’est la preuve permanente d'un amour désintéressé et infini qui a poussé Dieu à se faire homme, vulnérable, comme nous, jusqu'à mourir crucifié. Ses bras cloués s’ouvrent pour chaque être humain et nous invitent à nous approcher de Lui, avec la certitude qu’il nous accueillera et nous prendra dans ses bras avec une infinie tendresse: "Quand je serai élevé de terre – avait-il dit – j’attirerai tous les hommes à moi" (Jn 12, 32).

A travers le douloureux chemin de la croix, les hommes de tous les temps, réconciliés et rachetés par le sang du Christ, sont devenus des amis de Dieu, fils du Père céleste. "Ami!", c'est ainsi que Jésus appelle Judas et lui lance un dernier et dramatique appel à la conversion. Il appelle chacun de nous ami, parce qu’il est un véritable ami pour tous. Malheureusement, les hommes n’arrivent pas toujours à percevoir la profondeur de cet amour infini que Dieu nourrit pour ses créatures. Pour lui, il n'y a pas de différences de race et de culture. Jésus-Christ est mort pour affranchir l'humanité tout entière de l'ignorance de Dieu, du cercle de la haine et de la vengeance, de l'esclavage du péché. La Croix nous rend frères.

Nous nous demandons: qu’avons-nous fait de ce don? Qu'avons-nous fait de la révélation du visage de Dieu en Jésus-Christ, de la révélation de l'amour de Dieu qui triomphe de la haine? Beaucoup de gens, aujourd’hui encore, ne connaissent pas Dieu et ne peuvent pas le trouver dans le Christ crucifié; beaucoup sont à la recherche d'un amour ou d'une liberté qui exclue Dieu; beaucoup croient ne pas avoir besoin de Dieu.

Chers amis, après avoir vécu ensemble la Passion de Jésus, laissons-nous interpeller, ce soir, par son sacrifice sur la Croix. Permettons-Lui d’ébranler nos certitudes humaines; ouvrons-lui notre cœur: Jésus est la vérité qui nous rend libres d'aimer. N'ayons pas peur! En mourant, le Seigneur a sauvé les pécheurs, c'est-à-dire nous tous. L'apôtre Pierre écrit: Jésus "a porté lui-même nos fautes dans son corps, afin que, morts à nos fautes, nous vivions pour la justice" (1 P 2, 24). Voilà la vérité du Vendredi Saint : sur la croix, le Rédempteur nous a rendu la dignité qui nous appartient, il a fait de nous des fils adoptifs de Dieu qui nous a créés à son image et à sa ressemblance. Restons donc en adoration devant la Croix.

Ô
Christ, Roi crucifié, donne-nous la vraie connaissance de Toi, la joie à laquelle nous aspirons, l'amour qui comble notre cœur assoiffé d'infini. Nous t'en prions, ce soir, Jésus, Fils de Dieu, mort pour nous sur la Croix et ressuscité le troisième jour. Amen!

5.  Veillée Pascale

Le 22 mars 2008

Chers frères et sœurs, dans son discours d’adieu, Jésus a annoncé à ses disciples, par une phrase mystérieuse, sa mort imminente et sa résurrection. Il dit: "Je m’en vais, et je reviens vers vous" (Jn 14, 28). Mourir c’est s’en aller. Même si le corps du défunt demeure encore –personnellement, il s’en est allé vers l’inconnu et nous ne pouvons pas le suivre (cf. Jn 13, 36). Mais dans le cas de Jésus, il y a une nouveauté unique, qui change le monde. Dans notre mort, s’en aller, c’est quelque chose de définitif, il n’y a pas de retour. Jésus, au contraire, dit de sa mort: "Je m’en vais, et je reviens vers vous". En réalité, dans ce départ, il vient. Son départ inaugure pour lui un mode de présence totalement nouveau et plus grand. Par sa mort il entre dans l’amour du Père. Sa mort est un acte d’amour. Mais l’amour est immortel. C’est pourquoi son départ se transforme en un nouveau retour, en une forme de présence qui parvient plus en profondeur et qui ne finit plus. Dans sa vie terrestre, Jésus, comme nous tous, était lié aux conditions extérieures de l’existence corporelle: à un lieu déterminé et à un temps donné. La corporéité met des limites à notre existence. Nous ne pouvons pas être en même temps en deux lieux différents. Notre temps est destiné à finir. Et entre le je et le tu il y a le mur de l’altérité. Bien sûr, dans l’amour nous pouvons d’une certaine façon entrer dans l’existence d’autrui. Cependant, la barrière qui vient du fait que nous sommes différents demeure infranchissable. Au contraire, Jésus, qui est maintenant totalement transformé par l’action de l’amour, est libéré de ces barrières et de ces limites. Il est en mesure de passer non seulement à travers les portes extérieures fermées, comme nous le racontent les Évangiles (cf. Jn 20, 19). Il peut passer à travers la porte intérieure entre le je et le tu, la porte fermée entre l’hier et l’aujourd’hui, entre le passé et l’avenir. Quand, le jour de son entrée solennelle à Jérusalem, un groupe de Grecs avait demandé à le voir, Jésus avait répondu par la parabole du grain de blé qui, pour porter beaucoup de fruit, doit passer par la mort. De cette manière, il avait prédit son propre destin: il ne voulait pas alors simplement parler avec tel ou tel Grec pour quelques minutes. Par sa Croix, à travers son départ, à travers sa mort comme le grain de blé, il serait vraiment arrivé auprès des Grecs, si bien que ces derniers pourraient le voir et le toucher dans la foi. Son départ devient un retour dans le mode universel de la présence du Ressuscité, dans lequel il est présent hier, aujourd’hui et pour l’éternité; dans lequel il embrasse tous les temps et tous les lieux. Maintenant il peut aussi franchir le mur de l’altérité qui sépare le je du tu. Cela est arrivé avec Paul, qui décrit le processus de sa conversion et de son baptême par ces paroles: "Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi" (Ga 2, 20). Par la venue du Ressuscité, Paul a obtenu une identité nouvelle. Son moi fermé s’est ouvert. Désormais il vit en communion avec Jésus Christ, dans le grand moi des croyants qui sont devenus – comme il le définit – "un dans le Christ" (Ga 3, 28).

Chers amis, il apparaît donc évident que – par le Baptême – les paroles mystérieuses de Jésus au Cénacle se font maintenant de nouveau présentes pour vous. Dans le Baptême, le Seigneur entre dans votre vie par la porte de votre cœur. Nous ne sommes plus l’un à côté de l’autre ou l’un contre l’autre. Le Seigneur traverse toutes ces portes. Telle est la réalité du Baptême: lui, le Ressuscité, vient, il vient à vous et il associe sa vie à la vôtre, vous tenant dans le feu ouvert de son amour. Vous devenez une unité, oui, un avec Lui, et de ce fait un entre vous. Dans un premier temps, cela peut sembler très théorique et peu réaliste. Mais plus vous vivrez la vie de baptisés, plus vous pourrez faire l’expérience de la vérité de ces paroles. Les personnes baptisées et croyantes ne sont jamais vraiment étrangères l’une à l’autre. Des continents, des cultures, des structures sociales ou encore des distances historiques peuvent nous séparer. Mais quand nous nous rencontrons, nous nous connaissons selon le même Seigneur, la même foi, la même espérance, le même amour, qui nous forment. Nous faisons alors l’expérience que le fondement de nos vies est le même. Nous faisons l’expérience que, au plus profond de nous-mêmes, nous sommes ancrés dans la même identité, à partir de laquelle toutes les différences extérieures, aussi grandes qu’elles puissent encore être, se révèlent secondaires. Les croyants ne sont jamais totalement étrangers l’un à l’autre. Nous sommes en communion en raison de notre identité la plus profonde: le Christ en nous. Ainsi la foi est une force de paix et de réconciliation dans le monde: l’éloignement est dépassé; dans le Seigneur nous sommes devenus proches (cf. Ep 2, 13).

Cette nature profonde du Baptême comme don d’une nouvelle identité est représentée par l’Église dans le sacrement au moyen d’éléments sensibles. L’élément fondamental du Baptême est l’eau; à côté d’elle, il y a en deuxième lieu la lumière qui, dans la liturgie de la Veillée pascale, jaillit avec une grande efficacité. Jetons seulement un regard sur ces deux éléments. Dans le dernier chapitre de la Lettre aux Hébreux se trouve une affirmation sur le Christ, dans laquelle l’eau n’apparaît pas directement, mais qui, en raison de son lien avec l’Ancien Testament, laisse cependant transparaître le mystère de l’eau et sa signification symbolique. On y lit: "Le Dieu de la paix a fait remonter d’entre les morts le berger des brebis, Pasteur par excellence, grâce au sang de l’Alliance éternelle" (cf. 13, 20). Dans cette phrase, est évoquée une parole du Livre d’Isaïe, dans laquelle Moïse est qualifié comme le pasteur que le Seigneur a fait sortir de l’eau, de la mer (cf. 63, 11). Jésus apparaît comme le nouveau Pasteur, le pasteur définitif qui porte à son accomplissement ce que Moïse avait fait: il nous conduit hors des eaux mortifères de la mer, hors des eaux de la mort. Dans ce contexte, nous pouvons nous souvenir que Moïse avait été mis par sa mère dans une corbeille et déposé dans le Nil. Ensuite, par la providence de Dieu, il avait été tiré de l’eau, porté de la mort à la vie, et ainsi – sauvé lui-même des eaux de la mort – il pouvait conduire les autres en les faisant passer à travers la mer de la mort. Pour nous Jésus est descendu dans les eaux obscures de la mort. Mais en vertu de son sang, nous dit la Lettre aux Hébreux, il a été remonté de la mort: son amour s’est uni à celui du Père et ainsi, de la profondeur de la mort, il a pu remonter à la vie. Maintenant il nous élève de la mort à la vraie vie. Oui, c’est ce qui se réalise dans le Baptême: il nous remonte vers lui, il nous attire dans la vraie vie. Il nous conduit à travers la mer souvent si obscure de l’histoire, où nous sommes fréquemment menacés de sombrer, au milieu des confusions et des dangers. Dans le Baptême, il nous prend comme par la main, il nous conduit sur le chemin qui passe à travers la Mer Rouge de ce temps et il nous introduit dans la vie sans fin, celle qui est vraie et juste. Tenons serrée sa main! Quoiqu’il arrive ou quel que soit ce que nous rencontrons, n’abandonnons pas sa main! Nous marchons alors sur le chemin qui conduit à la vie.

En second lieu, il y a le symbole de la lumière et du feu. Grégoire de Tours parle d’un usage qui, ici et là, s’est conservé longtemps, de prendre le feu nouveau pour la célébration de la Veillée pascale directement du soleil, au moyen d’un cristal: on recevait, à nouveau pour ainsi dire, lumière et feu du ciel, pour en allumer ensuite toutes les lumières et les feux de l’année. C’est un symbole de ce que nous célébrons dans la Veillée pascale. Par son amour, qui a un caractère radical et dans lequel le cœur de Dieu et le cœur de l’homme se sont touchés, Jésus Christ a vraiment pris la lumière du ciel et l’a apportée sur la terre – la lumière de la vérité et le feu de l’amour qui transforment l’être de l’homme. Il a apporté la lumière, et maintenant nous savons qui est Dieu et comment est Dieu. De ce fait, nous savons aussi comment sont les choses qui concernent l’homme; ce que nous sommes, nous, et dans quel but nous existons. Etre baptisés signifie que le feu de cette lumière est descendu jusqu’au plus intime de nous-mêmes. C’est pourquoi, dans l’Église ancienne, le Baptême était appelé aussi le Sacrement de l’illumination: la lumière de Dieu entre en nous; nous devenons ainsi nous-mêmes fils de la lumière. Cette lumière de la vérité qui nous indique le chemin, nous ne voulons pas la laisser s’éteindre. Nous voulons la protéger contre toutes les puissances qui veulent l’éteindre pour faire en sorte que nous soyons dans l’obscurité sur Dieu et sur nous-mêmes. De temps en temps, l’obscurité peut sembler commode. Je peux me cacher et passer ma vie à dormir. Cependant, nous ne sommes pas appelés aux ténèbres mais à la lumière. Dans les promesses baptismales, nous allumons, pour ainsi dire, de nouveau cette lumière, année après année: oui, je crois que le monde et ma vie ne proviennent pas du hasard, mais de la Raison éternelle et de l’Amour éternel, et qu’ils sont créés par le Dieu tout-puissant. Oui, je crois qu’en Jésus Christ, par son incarnation, par sa croix et sa résurrection, s’est manifesté le Visage de Dieu; et qu’en Lui Dieu est présent au milieu de nous, qu’il nous unit et nous conduit vers notre but, vers l’Amour éternel. Oui, je crois que l’Esprit Saint nous donne la Parole de vérité et illumine notre cœur; je crois que dans la communion de l’Église nous devenons tous un seul Corps avec le Seigneur et ainsi nous allons à la rencontre de la résurrection et de la vie éternelle. Le Seigneur nous a donné la lumière de la vérité. Cette lumière est en même temps feu, force qui vient de Dieu, force qui ne détruit pas, mais qui veut transformer nos cœurs, afin que nous devenions vraiment des hommes de Dieu et que sa paix devienne efficace en ce monde.

Dans l’Église ancienne, il était habituel que l’Évêque ou le prêtre après l’homélie exhorte les croyants en s’exclamant: "Conversi ad Dominum" – tournez-vous maintenant vers le Seigneur. Cela signifiait avant tout qu’ils se tournaient vers l’Est – dans la direction du lever du soleil comme signe du Christ qui revient, à la rencontre duquel nous allons dans la célébration de l’Eucharistie. Là où, pour une raison quelconque, cela n’était pas possible, en tout cas, ils se tournaient vers l’image du Christ, dans l’abside ou vers la Croix, pour s’orienter intérieurement vers le Seigneur. Car, en définitive, il s’agissait d’un fait intérieur: de la conversio, de tourner notre âme vers Jésus Christ et ainsi vers le Dieu vivant, vers la vraie lumière. Était aussi lié à cela l’autre exclamation qui, aujourd’hui encore, avant le Canon, est adressée à la communauté croyante: «Sursum corda" – élevons nos cœurs hors de tous les enchevêtrements de nos préoccupations, de nos désirs, de nos angoisses, de notre distraction – élevez vos cœurs, le plus profond de vous-même! Dans les deux exclamations, nous sommes en quelque sorte exhortés à un renouvellement de notre Baptême: Conversi ad Dominum – nous devons toujours de nouveau nous détourner des mauvaises directions dans lesquelles nous nous mouvons si souvent en pensée et en action. Nous devons toujours de nouveau nous tourner vers Lui, qui est le Chemin, la Vérité et la Vie. Nous devons toujours de nouveau devenir des "convertis", tournés avec toute notre vie vers le Seigneur. Et nous devons toujours de nouveau faire en sorte que notre cœur soit soustrait à la force de gravité qui le tire vers le bas, et que nous l’élevions intérieurement vers le haut: dans la vérité et l’amour. En cette heure, remercions le Seigneur, parce qu’en vertu de la force de sa parole et de ses Sacrements, il nous oriente dans la juste direction et attire notre cœur vers le haut. Et nous le prions ainsi: Oui, Seigneur, fait que nous devenions des personnes pascales, des hommes et des femmes de la lumière, remplis du feu de ton amour. Amen.

6. Dimanche de Pâques Urbi et Orbi


Le 23 mars 2008

"Resurrexi, et adhuc tecum sum. Alleluia! – Je suis ressuscité, je suis toujours avec toi. Alleluia!" Chers frères et sœurs, Jésus crucifié et ressuscité nous répète aujourd’hui cette joyeuse annonce: l’annonce pascale. Accueillons-la avec un profond émerveillement et avec une grande gratitude!

"Resurrexi et adhuc tecum sum – Je suis ressuscité et je suis encore et toujours avec toi". Ces paroles, tirées d’une ancienne version du psaume 138 (v. 18b), retentissent au commencement de la messe de ce jour. Dans ces paroles, à l’aube de Pâques, l’Église reconnaît la voix même de Jésus qui, ressuscitant de la mort, s’adresse au Père, débordant de bonheur et d’amour, et s’écrie: mon Père, me voici! Je suis ressuscité, je suis encore avec toi et je le serai pour toujours; ton Esprit ne m’a jamais abandonné. Nous pouvons ainsi comprendre de façon nouvelle d’autres expressions du psaume: "Je gravis les cieux: tu es là; je descends chez les morts: te voici. […] Même les ténèbres pour toi ne sont pas ténèbres, et la nuit comme le jour est lumière" (Ps 138, 8.12). C’est vrai: dans la veillée solennelle de Pâques, les ténèbres deviennent lumière, la nuit cède le pas au jour qui ne connaît pas de couchant. La mort et la résurrection du Verbe de Dieu incarné constituent un événement d’amour insurpassable, c’est la victoire de l’Amour qui nous a libérés de l’esclavage du péché et de la mort. Il a changé le cours de l’histoire, donnant à la vie de l’homme un sens indélébile et renouvelé, ainsi que toute sa valeur.

"Je suis ressuscité et je suis encore et toujours avec toi". Ces paroles nous invitent à contempler le Christ ressuscité, en en faisant résonner la voix dans notre cœur. Par son sacrifice rédempteur, Jésus de Nazareth nous a rendus fils adoptifs de Dieu, de sorte que maintenant nous pouvons, nous aussi, nous insérer dans le dialogue mystérieux entre Lui et le Père. Nous avons en mémoire ce qu’un jour il a dit à ses auditeurs: "Tout m’a été confié par mon Père; personne ne connaît le Fils, sinon le Père, et personne ne connaît le Père, sinon le Fils, et celui à qui le Fils veut le révéler" (Mt 11, 27). Dans cette perspective, nous percevons que l’affirmation adressée aujourd’hui par Jésus ressuscité à son Père – "Je suis encore et toujours avec toi" – nous concerne aussi comme par ricochet, nous, "fils de Dieu, héritiers avec le Christ, si nous souffrons avec lui pour être avec lui dans la gloire" (cf. Rm 8, 17). Grâce à la mort et à la résurrection du Christ, nous aussi aujourd’hui, nous ressuscitons à une vie nouvelle et, unissant notre voix à la sienne, nous proclamons que nous voulons demeurer pour toujours avec Dieu, notre Père infiniment bon et miséricordieux.

Nous entrons ainsi dans la profondeur du mystère pascal. L’événement surprenant de la résurrection de Jésus est essentiellement un événement d’amour: amour du Père qui livre son Fils pour le salut du monde; amour du Fils qui s’abandonne à la volonté du Père pour nous tous; amour de l’Esprit qui ressuscite Jésus d’entre les morts dans son corps transfiguré. Et encore: amour du Père qui "embrasse de nouveau" le Fils, l’enveloppant dans sa gloire; amour du Fils qui, par la force de l’Esprit, retourne au Père, revêtu de notre humanité transfigurée. De la solennité d’aujourd’hui, qui nous fait revivre l’expérience absolue et particulière de la résurrection de Jésus, nous vient donc un appel à nous convertir à l’Amour; nous vient une invitation à vivre en refusant la haine et l’égoïsme, et à suivre docilement les traces de l’Agneau immolé pour notre salut, à imiter le Rédempteur "doux et humble de cœur", qui est «repos pour nos âmes" (cf. Mt 11, 29).

Frères et sœurs chrétiens de toutes les parties du monde, hommes et femmes à l’esprit sincèrement ouvert à la vérité! Que personne ne ferme son cœur à la toute-puissance de cet amour qui rachète! Jésus Christ est mort et ressuscité pour tous: il est notre espérance! Espérance véritable pour tout être humain. Aujourd’hui, comme il fit avec ses disciples en Galilée avant de retourner au Père, Jésus ressuscité nous envoie aussi partout comme témoins de son espérance et il nous rassure: Je suis avec vous toujours, tous les jours, jusqu’à la fin du monde (cf. Mt 28, 20). Fixant le regard de notre esprit sur les plaies glorieuses de son corps transfiguré, nous pouvons comprendre le sens et la valeur de la souffrance, nous pouvons soulager les nombreuses blessures qui, de nos jours, continuent encore à ensanglanter l’humanité. Dans ses plaies glorieuses nous reconnaissons les signes indélébiles de la miséricorde infinie du Dieu dont parle le prophète: il est celui qui guérit les blessures des cœurs brisés, qui défend les faibles et qui annonce la liberté aux captifs, qui console tous les affligés et leur dispense une huile de joie au lieu du vêtement de deuil, un chant de louange au lieu d’un cœur triste (cf. Is 61, 1.2.3). Si avec une humble familiarité nous nous approchons de Lui, nous rencontrons dans son regard la réponse à la soif la plus profonde de notre cœur: connaître Dieu et créer avec Lui une relation vitale, dans une authentique communion d’amour qui remplit de son amour même notre existence et nos relations interpersonnelles et sociales. Par conséquent l’humanité a besoin du Christ: en Lui, notre espérance, "nous avons été sauvés" (cf. Rm 8, 24).

Que de fois les relations de personne à personne, de groupe à groupe, de peuple à peuple, au lieu d’être marquées par l’amour le sont par l’égoïsme, par l’injustice, par la haine, par la violence! Ce sont les plaies de l’humanité, ouvertes et douloureuses en tout coin de la planète, même si elles sont souvent ignorées et parfois volontairement cachées; plaies qui écorchent les âmes et les corps de tant de nos frères et de nos sœurs. Elles attendent d’être soulagées et guéries par les plaies glorieuses du Seigneur ressuscité (cf. 1 P 2, 24-25) et par la solidarité de tous les hommes qui, sur ses pas et en son nom, posent des gestes d’amour, s’engagent concrètement pour la justice et répandent autour d’eux des signes lumineux d’espérance dans les lieux ensanglantés par les conflits et partout où la dignité de la personne humaine continue à être outragée et foulée aux pieds. Il est à souhaiter que là précisément se multiplient les témoignages de douceur et de pardon!

Chers frères et sœurs! Laissons-nous illuminer par la lumière éclatante de ce Jour solennel; ouvrons-nous avec une sincère confiance au Christ ressuscité, pour que la force de renouveau du Mystère pascal se manifeste en chacun de nous, dans nos familles, dans nos villes et dans nos Nations. Qu’elle se manifeste en toutes les parties du monde. Comment ne pas penser en ce moment, en particulier, à certaines régions africaines, telles que le Darfour et la Somalie, au Moyen-Orient tourmenté, et spécialement à la Terre Sainte, à l’Irak, au Liban, et enfin au Tibet, régions pour lesquelles j’encourage la recherche de solutions qui sauvegardent le bien et la paix! Invoquons la plénitude des dons de Pâques, par l’intercession de Marie qui, après avoir partagé les souffrances de la passion et de la crucifixion de son Fils innocent, a aussi fait l’expérience de la joie inexprimable de sa résurrection. Associée à la gloire du Christ, qu’elle nous protège et nous guide sur le chemin de la solidarité fraternelle et de la paix. Tels sont mes vœux de Pâques, que je vous adresse à vous ici présents ainsi qu’aux hommes et aux femmes de toutes les nations et de tous les continents qui nous sont unis par la radio et la télévision. Bonne fête de Pâques!