LLLLes
Nouvelles
de
Chrétienté
N°
125
Vous trouverez ici l’enseignement que le pape Benoît XVI a donné au cours de cette
semaine Sainte : son homélie pour le dimanche des Rameaux, ses sermons
pour le jeudi Saint, celui de la Messe Chrismale et de la sainte Cène,
son allocution au Colisée pour le Chemin de Croix, son homélie pour
« Oui, je crois
que le monde et ma vie ne proviennent pas du hasard, mais de
1. Dimanche des Rameaux
Le 16 mars 2008
Chers frères et sœurs, chaque année, l'Evangile du Dimanche des Rameaux nous
raconte l'entrée de Jésus à Jérusalem. Accompagné de ses disciples et d'une
foule croissante de pèlerins, Il était monté de la plaine de Galilée jusqu'à
Au moment de l'entrée à Jérusalem, la foule rend hommage à Jésus comme fils de
David avec les expressions du Psaume 118 [117] des pèlerins: "Hosanna au
fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur! Hosanna au plus
haut des cieux !" (Mt 21, 9). Puis Il arrive au temple. Mais là où
devait se trouver le lieu de la rencontre entre Dieu et l'homme, Il trouve des
marchands d'animaux et des changeurs qui occupent le lieu de prière avec leurs
affaires. Les animaux en vente étaient certes destinés à être immolés en sacrifice
dans le temple. Puisque l’on ne pouvait utiliser dans le temple les pièces à
l’effigie des empereurs romains qui étaient en opposition avec le vrai Dieu, il
fallait les échanger contre des pièces ne comportant pas d’images d'idoles.
Mais on aurait pu le faire ailleurs: l'espace où cela avait lieu était destiné
à être l'atrium des païens. En effet, le Dieu d'Israël était l'unique Dieu de
tous les peuples. Et même si les païens n'entraient pas, pour ainsi dire, à
l’intérieur de
Tout cela doit nous faire réfléchir, nous aussi comme chrétiens: notre foi
est-elle assez pure et assez ouverte pour que les "païens", ceux qui
aujourd'hui sont en recherche et se posent des questions, puissent, à partir de
cette foi, percevoir la lumière du Dieu unique, s'associer à notre prière dans
les lieux de culte et, à force de poser des questions, devenir eux aussi,
peut-être, des adorateurs? Sommes-nous conscients jusque dans notre cœur que la
cupidité est une idolâtrie et cela influe-t-il sur notre mode de vie? Peut-être
laissons-nous les idoles entrer, de différentes manières, jusque dans le monde
de notre foi? Sommes-nous prêts à nous laisser encore et toujours purifier par
le Seigneur, en lui permettant de chasser de nous-mêmes et de l'Eglise tout ce
qui lui est opposé?
Cependant, la purification du temple va au-delà d’une lutte contre les abus.
Une nouvelle heure de l'histoire est proclamée. Voici que commence ce que Jésus
avait annoncé à
Les évangélistes nous racontent que, lors du procès contre Jésus, de faux
témoins se présentèrent et affirmèrent que Jésus avait dit: "Je peux
détruire le Temple de Dieu et, en trois jours, le rebâtir" (Mt 26, 61).
Devant le Christ suspendu à
Saint Matthieu, dont nous écoutons l'Evangile cette année, rapporte à la fin du
récit du Dimanche des Rameaux, après la purification du temple, encore deux
petits événements qui, à nouveau, ont un caractère prophétique et nous font
clairement voir la volonté véritable de Jésus. Immédiatement après ce qu’a dit
Jésus sur la maison de prière de tous les peuples, l'évangéliste continue
ainsi: "Il y eut aussi des aveugles et des boiteux qui se présentèrent à
lui dans le Temple, et il les guérit". Matthieu nous dit aussi que des
enfants répétèrent dans le temple l'acclamation que les pèlerins avaient lancée
à l'entrée de la ville: "Hosanna au fils de David !" (Mt 21,
14sq.).
Au commerce d’animaux et aux affaires d'argent Jésus oppose sa bonté qui
guérit. C'est cela, la vraie purification du temple. Il ne vient pas pour
détruire; il ne vient pas avec l'épée du révolutionnaire. Il vient pour donner
la guérison. Il se consacre à ceux qui, à cause de leur infirmité, sont poussés
jusqu'aux dernières extrémités de leur vie et en marge de la société. Jésus
présente Dieu comme Celui qui aime et son pouvoir comme le pouvoir de l'amour.
Et il nous dit ainsi ce qui fera pour toujours partie du juste culte de Dieu:
la guérison, le service, la bonté qui guérit.
Ensuite il y a les enfants qui rendent hommage à Jésus comme fils de David et
l’acclament en criant Hosanna. Jésus avait dit à ses disciples que, pour entrer
dans le royaume de Dieu, ils devaient redevenir comme les enfants. Lui qui
embrasse le monde entier, il s'est fait tout petit pour venir à notre
rencontre, pour nous conduire vers Dieu,. Pour reconnaître Dieu nous devons
nous défaire de l'orgueil qui nous éblouit, qui veut nous repousser loin de
Dieu, comme si Dieu était notre concurrent. Pour rencontrer Dieu il faut
devenir capables de voir avec un cœur d’enfant. Nous devons apprendre à voir
avec un cœur jeune, qui n'est pas entravé par des préjugés et aveuglé par des
intérêts. Ainsi, en ces petits qui Le reconnaissent parce qu’ils ont un tel
cœur, libre et ouvert, l'Eglise a vu l'image des croyants de tous les temps, sa
propre image.
Chers amis, en ce moment nous nous associons à la procession des jeunes de
l'époque, une procession qui traverse l'histoire tout entière. Nous allons à la
rencontre de Jésus avec tous les jeunes du monde. Laissons-nous guider par Lui
vers Dieu pour apprendre de Dieu lui-même la bonne manière d'être des hommes.
Avec Lui, remercions Dieu car en Jésus, le Fils de David, il nous a donné un
espace de paix et de réconciliation qui embrasse le monde par
2. Jeudi Saint.
Messe Chrismale
Le 20 mars 2008
Chers frères et sœurs, chaque année
En même temps, chaque Jeudi Saint est pour nous une occasion de nous demander
de nouveau: A quoi avons-nous dit "oui"? Que signifie "être
prêtre de Jésus-Christ"? Le Canon II de notre Missel, qui a probablement
été rédigé dès la fin du IIe siècle à Rome, décrit l’essence du ministère
sacerdotal en utilisant les mots qui, dans le Livre du Deutéronome (18, 5.
7), décrivaient l’essence du sacerdoce vétérotestamentaire: stare coram
te et tibi ministrare. Il y a donc deux tâches qui définissent l’essence du
ministère sacerdotal: la première est de "se tenir devant le
Seigneur". Dans le Livre du Deutéronome, il faut la comprendre comme la
suite de la disposition précédente, selon laquelle les prêtres ne devaient
recevoir aucune part de territoire en Terre Sainte – ils devaient vivre de Dieu
et pour Dieu. Ils ne s’occupaient pas des habituels travaux nécessaires pour
assurer la vie quotidienne. Leur métier était de "se tenir devant le
Seigneur" – s’occuper de Lui, être là pour Lui. Donc, en définitive, cette
expression indiquait une vie en présence de Dieu et aussi un ministère de
représentation des autres. De même que les autres cultivaient la terre, dont le
prêtre vivait lui aussi, de même il maintenait le monde ouvert à Dieu, il
devait vivre les yeux tournés vers Lui. Si cette expression se trouve
maintenant dans le Canon de
Passons maintenant à la seconde expression, que le Canon II reprend du texte de
l’Ancien Testament – “se tenir devant toi et te servir“. Le prêtre doit être
une personne juste, vigilante, une personne qui se tient droit. A tout cela
s’ajoute ensuite le service. Dans le texte vétérotestamentaire, ce mot a un
sens essentiel rituel: les prêtres sont chargés de tous les actes de culte
prévus par
Enfin il y a encore deux autres aspects qui font partie de ce service. Personne
n'est aussi proche de son seigneur que le serviteur, qui a accès au côté le
plus privé de sa vie. En ce sens, “servir“ signifie proximité et implique
l’intimité. Cette intimité comporte également un risque: que le sacré que nous
rencontrons en permanence devienne habitude. C’est ainsi que la crainte
révérencielle peut se dissiper. Conditionnés par toutes les habitudes, nous ne
percevons plus le fait – grand, neuf et surprenant – qu’Il soit présent, qu’Il
nous parle, qu’Il se donne à nous. Nous devons lutter sans répit contre cette
accoutumance à la réalité extraordinaire et contre l’indifférence du cœur, en
reconnaissant encore et toujours notre insuffisance et la grâce qui existe
lorsqu’Il se remet ainsi en nos mains. Servir signifie proximité, mais cela
signifie aussi et surtout obéissance. Le serviteur est soumis à la formule:
"Que ce ne soit pas ma volonté qui se fasse, mais la tienne!" (Lc
22, 42). C’est par ces mots que, au Jardin des Oliviers, Jésus a mis fin à
la bataille décisive contre le péché, contre la rébellion du cœur déchu. Le
péché d’Adam était justement de vouloir accomplir sa volonté et non celle de
Dieu. L’humanité est toujours tentée de vouloir être totalement autonome, de
suivre uniquement sa propre volonté et de penser que c’est seulement ainsi que
nous serons libres, que c’est seulement grâce à une telle liberté sans limites que
l’homme sera complètement homme. Mais c’est justement ainsi que nous nous
opposons à la vérité. La vérité, c’est que nous devons partager notre liberté
avec les autres et que nous ne pouvons être libres que lorsque nous sommes en
communion avec eux. Cette liberté partagée ne peut être une vraie liberté que
si nous entrons avec elle dans ce qui constitue la mesure même de la liberté,
si nous entrons dans la volonté de Dieu. Cette obéissance fondamentale qui fait
partie de l’être de l’homme – non pas un être par soi et seulement pour soi –
se concrétise encore davantage pour le prêtre: ce que nous annonçons, ce n’est
pas nous-mêmes, mais Lui et sa Parole, que nous ne pouvions pas concevoir par
nous-mêmes. Nous n’annonçons
"Se tenir devant Lui et Le servir": Jésus-Christ, en tant que vrai
grand-prêtre du monde, a donné à ces mots une profondeur que l’on n’imaginait
pas avant lui. Lui qui, comme Fils, était et est le Seigneur a voulu devenir ce
serviteur de Dieu annoncé par la vision que l’on trouve dans le Livre du
prophète Isaïe. Il a voulu être le serviteur de tous. Il a représenté
l’ensemble de sa grande-prêtrise par le geste du lavement des pieds. Avec le
geste de l’amour jusqu’à la fin, Il lave nos pieds sales. Avec l’humilité de
son service, il nous purifie de la maladie de notre orgueil. Ainsi, il nous
rend capables de partager la table de Dieu. Il est descendu et la véritable
montée de l’homme se réalise maintenant, lorsque nous descendons avec Lui et
vers Lui.
3. Jeudi Saint. Messe de la Cène
du Seigneur
Le 20 mars 2008
Chers frères et sœurs, saint Jean commence son récit du lavement des pieds des
disciples par Jésus en utilisant un langage particulièrement solennel, presque
liturgique. “ Avant la fête de
Ce processus essentiel de l’heure de Jésus est représenté par le lavement des
pieds, qui constitue une sorte d’acte symbolique à caractère prophétique. Jésus
y manifeste en un geste concret précisément ce que le grand hymne
christologique de
Si nous écoutons l’Evangile avec attention, nous pouvons percevoir, dans
l’évènement que constitue le lavement des pieds, deux aspects divers. Lorsque
Jésus lave ses disciples, c’est d’abord, simplement, une action qu’il accomplit
– le don de la pureté, de la “capacité pour Dieu” qu’il leur fait. Mais ce don
devient ensuite un modèle, une invitation à faire de même les uns pour les
autres. Les Pères de l’Eglise ont exprimé cette dualité d’aspect du lavement
des pieds par les mots "sacramentum" et "exemplum".
"Sacramentum" signifie dans ce contexte non pas l’un des sept
sacrements, mais le mystère du Christ dans son ensemble, de l’incarnation
jusqu’à la croix et à la résurrection: cet ensemble devient la force qui guérit
et sanctifie, la force qui transforme les hommes, il devient notre
"metabasis", notre transformation en une nouvelle forme d’être, dans
l’ouverture pour Dieu et dans la communion avec Lui. Mais ce nouvel être qu’Il
nous donne simplement, sans que nous l’ayons mérité, doit ensuite se
transformer et constituer en nous la dynamique d’une vie nouvelle. L’ensemble
de don et d’exemple, que nous trouvons dans la péricope du lavement des pieds,
est caractéristique pour la nature du christianisme en général. Le
christianisme, par rapport au moralisme, c’est plus et c’est autre chose.
Initialement, il n’y a pas notre action, notre capacité morale. Le
christianisme est surtout don: Dieu se donne à nous – il ne donna pas quelque
chose, mais lui-même. Et cela n’a pas lieu seulement au début, au moment de
notre conversion. Il reste constamment Celui qui donne. Encore et toujours, il
nous offre ses dons. Il nous devance toujours. Voilà pourquoi l’acte central
pour qui est chrétien, c’est l’Eucharistie: la gratitude d’avoir reçu, la joie
de la vie nouvelle qu’Il nous donne.
Pour autant, ne restons pas des destinataires passifs de la bonté divine. Dieu
nous gratifie comme des partenaires personnels et vivants. L’amour donné est la
dynamique de l’“aimer ensemble”, il veut être en nous une vie nouvelle à partir
de Dieu. C’est comme cela que nous comprenons ce que, à la fin du récit du
lavement des pieds, Jésus dit à ses disciples et à nous tous: “Je vous donne un
commandement nouveau: aimez-vous les uns les autres; comme je vous ai aimés,
vous aussi aimez-vous les uns les autres” (Jn 13, 34). Le “commandement
nouveau” ne consiste pas en une loi nouvelle et difficile, qui n’aurait pas
existé jusqu’alors. Le commandement nouveau consiste à aimer en même temps que
Celui qui nous a aimés le premier. C’est aussi comme cela que nous devons
comprendre le Discours sur la montagne. Cela ne signifie pas que Jésus ait
alors donné de nouveaux préceptes, qui auraient représenté les exigences d’un
humanisme plus sublime que le précédent. Le Discours sur la montagne est une
voie d’entraînement pour s’identifier aux sentiments du Christ (cf. Phil 2,
5), une voie de purification intérieure qui nous conduit à vivre avec Lui.
Ce qui est nouveau, c’est le don qui nous introduit dans la mentalité du
Christ. Si nous y réfléchissons, nous comprenons combien nous sommes souvent
éloignés, dans notre vie, de cette nouveauté du Nouveau Testament; nous
comprenons combien nous donnons peu à l’humanité l’exemple d’un amour en
communion avec son amour. Voilà comment nous restons débiteurs de la preuve de
crédibilité de la vérité chrétienne, qui se démontre dans l’amour. C’est
précisément pour cette raison que nous voulons d’autant plus prier le Seigneur
de nous rendre, par sa purification, mûrs pour le nouveau commandement.
Dans l’Evangile du lavement des pieds, le dialogue de Jésus avec Pierre
présente encore un autre point de la pratique de la vie chrétienne, sur lequel nous
devons enfin porter notre attention. Dans un premier temps, Pierre a refusé de
se laisser laver les pieds par le Seigneur: ce bouleversement de l’ordre, à
savoir que le maître – Jésus – lave les pieds, que le patron fasse le travail
de l’esclave, était en opposition totale avec la crainte révérencielle que lui
inspirait Jésus et avec sa vision du rapport entre maître et disciple. “Tu ne
me laveras jamais les pieds”, dit-il à Jésus avec sa véhémence habituelle (Jn
13, 8). C’est la même mentalité qui, après sa profession de foi en Jésus,
Fils de Dieu, à Césarée de Philippe, l’avait poussé à s’opposer au Seigneur qui
avait annoncé sa condamnation et la croix. Il avait affirmé catégoriquement:
“Cela ne t’arrivera jamais!” (Mt 16, 22). Sa vision du Messie comportait
une image di majesté, de grandeur divine. Il devait apprendre encore et
toujours que la grandeur de Dieu diffère de notre idée de ce qu’est la
grandeur; qu’elle consiste précisément à descendre, dans l’humilité du service,
dans la radicalité de l’amour, jusqu’à un dépouillement total de soi-même. Nous
aussi, nous devons l’apprendre encore et encore, parce que nous n’arrêtons pas
de désirer un Dieu du succès et non un Dieu de
Quand le Seigneur dit à Pierre que, sans le lavement des pieds, il ne pourrait
pas avoir de part avec Lui, Pierre lui demande tout de suite, avec élan, de lui
laver aussi la tête et les mains. Vient alors la phrase mystérieuse de Jésus:
“Celui qui a pris un bain n’a pas besoin de se laver, sauf les pieds” (Jn
13, 10). Jésus fait allusion à un bain que les disciples avaient déjà pris,
conformément aux prescriptions rituelles; pour prendre part au repas, il ne
fallait plus que le lavement des pieds. Mais, bien sûr, il y a dans ce récit un
sens plus profond. A quoi est-il fait allusion? Nous ne le savons pas avec
certitude. En tout cas, rappelons-nous que le lavement des pieds, d’après le
sens du chapitre tout entier, n’indique pas un unique Sacrement spécifique,
mais bien le "sacramentum Christi" dans son ensemble – son
service de salut, sa descente jusqu’à la croix, son amour jusqu’à la fin, qui
nous purifie et nous rend capables de Dieu. Ici, avec la distinction entre le
bain et le lavement des pieds, on peut néanmoins percevoir aussi une allusion à
la vie dans la communauté des disciples, à la vie dans la communauté de
l’Eglise – une allusion que, peut-être, Jean veut consciemment transmettre aux
communautés de son temps. Alors il semble clair que le bain qui nous purifie
définitivement et ne doit pas être recommencé est le Baptême – l’immersion dans
la mort et dans la résurrection du Christ, un fait qui change profondément notre
vie, en nous donnant comme une nouvelle identité qui perdure, si nous ne
l’abandonnons comme l’a fait Judas. Mais même dans la permanence de cette
nouvelle identité, pour la communion conviviale avec Jésus, nous avons besoin
du “lavement des pieds”. De quoi s’agit-il? Je crois que
Mais cela donne aussi un nouveau sens à la phrase, par laquelle le Seigneur
développe le "sacramentum" et en fait l’"exemplum", un don,
un service pour le frère: “Si donc je vous ai lavé les pieds, moi, le Seigneur
et le Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres” (Jn
13, 14). Nous devons nous laver les pieds les uns aux autres chaque jour,
dans le service réciproque de l’amour. Mais nous devons aussi nous laver les
pieds en ce sens que nous devons sans cesse nous pardonner les uns aux autres.
La dette que le Seigneur nous a remise est toujours infiniment plus grande que
toutes les dettes que les autres peuvent avoir envers nous (cf. Mt 18,
21-35). Voici à quoi nous exhorte le Jeudi Saint: à ne pas laisser la
rancune envers l’autre devenir un poison au fond de notre âme. Il nous exhorte
à purifier continuellement notre mémoire, en nous pardonnant mutuellement du
fond du cœur, en nous lavant les pieds les uns aux autres, pour que nous
puissions nous rendre ensemble au banquet de Dieu.
Le Jeudi Saint est un jour de gratitude et de joie pour le grand don que le
Seigneur nous a fait, celui de l’amour jusqu’à la fin. Prions le Seigneur, à
cette heure, pour que la gratitude et la joie deviennent en nous la force d’aimer
en même temps que son amour. Amen.
4. Vendredi Saint. Via Crucis
Le 21 mars 2008
Chers frères et sœurs, cette année encore, nous avons parcouru le chemin de
croix,
En rentrant chez nous, nous nous "frappons la poitrine", comme ceux
qui assistèrent au sacrifice de Jésus, en repensant à ce qui s'est passé
(cf. Lc 23, 48). Peut-on rester indifférent devant la mort d’un Dieu ? Pour
nous, pour notre salut, Il s'est fait homme et Il est mort sur la croix.
Frères et sœurs, tournons aujourd'hui vers le Christ notre regard, souvent
distrait par des intérêts terrestres dispersés et éphémères. Arrêtons-nous pour
contempler sa Croix.
A travers le douloureux chemin de la croix, les hommes de tous les temps,
réconciliés et rachetés par le sang du Christ, sont devenus des amis de Dieu,
fils du Père céleste. "Ami!", c'est ainsi que Jésus appelle Judas et
lui lance un dernier et dramatique appel à la conversion. Il appelle chacun de
nous ami, parce qu’il est un véritable ami pour tous. Malheureusement, les
hommes n’arrivent pas toujours à percevoir la profondeur de cet amour infini
que Dieu nourrit pour ses créatures. Pour lui, il n'y a pas de différences de
race et de culture. Jésus-Christ est mort pour affranchir l'humanité tout
entière de l'ignorance de Dieu, du cercle de la haine et de la vengeance, de
l'esclavage du péché.
Nous nous demandons: qu’avons-nous fait de ce don? Qu'avons-nous fait de la
révélation du visage de Dieu en Jésus-Christ, de la révélation de l'amour de
Dieu qui triomphe de la haine? Beaucoup de gens, aujourd’hui encore, ne
connaissent pas Dieu et ne peuvent pas le trouver dans le Christ crucifié;
beaucoup sont à la recherche d'un amour ou d'une liberté qui exclue Dieu;
beaucoup croient ne pas avoir besoin de Dieu.
Chers amis, après avoir vécu ensemble
Ô
5.
Veillée Pascale
Le 22 mars 2008
Chers frères et sœurs, dans son discours d’adieu, Jésus a annoncé à ses
disciples, par une phrase mystérieuse, sa mort imminente et sa résurrection. Il
dit: "Je m’en vais, et je reviens vers vous" (Jn 14, 28).
Mourir c’est s’en aller. Même si le corps du défunt demeure encore
–personnellement, il s’en est allé vers l’inconnu et nous ne pouvons pas le
suivre (cf. Jn 13, 36). Mais dans le cas de Jésus, il y a une nouveauté
unique, qui change le monde. Dans notre mort, s’en aller, c’est quelque chose
de définitif, il n’y a pas de retour. Jésus, au contraire, dit de sa mort:
"Je m’en vais, et je reviens vers vous". En réalité, dans ce départ,
il vient. Son départ inaugure pour lui un mode de présence totalement nouveau
et plus grand. Par sa mort il entre dans l’amour du Père. Sa mort est un acte
d’amour. Mais l’amour est immortel. C’est pourquoi son départ se transforme en
un nouveau retour, en une forme de présence qui parvient plus en profondeur et
qui ne finit plus. Dans sa vie terrestre, Jésus, comme nous tous, était lié aux
conditions extérieures de l’existence corporelle: à un lieu déterminé et à un
temps donné. La corporéité met des limites à notre existence. Nous ne pouvons
pas être en même temps en deux lieux différents. Notre temps est destiné à
finir. Et entre le je et le tu il y a le mur de l’altérité. Bien sûr, dans
l’amour nous pouvons d’une certaine façon entrer dans l’existence d’autrui.
Cependant, la barrière qui vient du fait que nous sommes différents demeure
infranchissable. Au contraire, Jésus, qui est maintenant totalement transformé
par l’action de l’amour, est libéré de ces barrières et de ces limites. Il est
en mesure de passer non seulement à travers les portes extérieures fermées,
comme nous le racontent les Évangiles (cf. Jn 20, 19). Il peut passer à
travers la porte intérieure entre le je et le tu, la porte fermée entre l’hier
et l’aujourd’hui, entre le passé et l’avenir. Quand, le jour de son entrée
solennelle à Jérusalem, un groupe de Grecs avait demandé à le voir, Jésus avait
répondu par la parabole du grain de blé qui, pour porter beaucoup de fruit,
doit passer par la mort. De cette manière, il avait prédit son propre destin:
il ne voulait pas alors simplement parler avec tel ou tel Grec pour quelques
minutes. Par sa Croix, à travers son départ, à travers sa mort comme le grain
de blé, il serait vraiment arrivé auprès des Grecs, si bien que ces derniers
pourraient le voir et le toucher dans la foi. Son départ devient un retour dans
le mode universel de la présence du Ressuscité, dans lequel il est présent
hier, aujourd’hui et pour l’éternité; dans lequel il embrasse tous les temps et
tous les lieux. Maintenant il peut aussi franchir le mur de l’altérité qui
sépare le je du tu. Cela est arrivé avec Paul, qui décrit le processus de sa
conversion et de son baptême par ces paroles: "Je vis, mais ce n’est plus
moi, c’est le Christ qui vit en moi" (Ga 2, 20). Par la venue du
Ressuscité, Paul a obtenu une identité nouvelle. Son moi fermé s’est ouvert.
Désormais il vit en communion avec Jésus Christ, dans le grand moi des croyants
qui sont devenus – comme il le définit – "un dans le Christ" (Ga
3, 28).
Chers amis, il apparaît donc évident que – par le Baptême – les paroles
mystérieuses de Jésus au Cénacle se font maintenant de nouveau présentes pour
vous. Dans le Baptême, le Seigneur entre dans votre vie par la porte de votre
cœur. Nous ne sommes plus l’un à côté de l’autre ou l’un contre l’autre. Le
Seigneur traverse toutes ces portes. Telle est la réalité du Baptême: lui, le
Ressuscité, vient, il vient à vous et il associe sa vie à la vôtre, vous tenant
dans le feu ouvert de son amour. Vous devenez une unité, oui, un avec Lui, et
de ce fait un entre vous. Dans un premier temps, cela peut sembler très
théorique et peu réaliste. Mais plus vous vivrez la vie de baptisés, plus vous
pourrez faire l’expérience de la vérité de ces paroles. Les personnes baptisées
et croyantes ne sont jamais vraiment étrangères l’une à l’autre. Des
continents, des cultures, des structures sociales ou encore des distances
historiques peuvent nous séparer. Mais quand nous nous rencontrons, nous nous connaissons
selon le même Seigneur, la même foi, la même espérance, le même amour, qui nous
forment. Nous faisons alors l’expérience que le fondement de nos vies est le
même. Nous faisons l’expérience que, au plus profond de nous-mêmes, nous sommes
ancrés dans la même identité, à partir de laquelle toutes les différences
extérieures, aussi grandes qu’elles puissent encore être, se révèlent
secondaires. Les croyants ne sont jamais totalement étrangers l’un à l’autre.
Nous sommes en communion en raison de notre identité la plus profonde: le
Christ en nous. Ainsi la foi est une force de paix et de réconciliation dans le
monde: l’éloignement est dépassé; dans le Seigneur nous sommes devenus proches (cf.
Ep 2, 13).
Cette nature profonde du Baptême comme don d’une nouvelle identité est
représentée par l’Église dans le sacrement au moyen d’éléments sensibles.
L’élément fondamental du Baptême est l’eau; à côté d’elle, il y a en deuxième
lieu la lumière qui, dans la liturgie de
En second lieu, il y a le symbole de la lumière et du feu. Grégoire de Tours
parle d’un usage qui, ici et là, s’est conservé longtemps, de prendre le feu
nouveau pour la célébration de
Dans l’Église ancienne, il était habituel que l’Évêque ou le prêtre après
l’homélie exhorte les croyants en s’exclamant: "Conversi ad Dominum"
– tournez-vous maintenant vers le Seigneur. Cela signifiait avant tout qu’ils
se tournaient vers l’Est – dans la direction du lever du soleil comme signe du
Christ qui revient, à la rencontre duquel nous allons dans la célébration de
l’Eucharistie. Là où, pour une raison quelconque, cela n’était pas possible, en
tout cas, ils se tournaient vers l’image du Christ, dans l’abside ou vers
6. Dimanche de Pâques Urbi et Orbi
Le 23 mars 2008
"Resurrexi, et adhuc tecum sum. Alleluia! – Je suis ressuscité, je suis
toujours avec toi. Alleluia!" Chers frères et sœurs, Jésus crucifié et
ressuscité nous répète aujourd’hui cette joyeuse annonce: l’annonce pascale.
Accueillons-la avec un profond émerveillement et avec une grande gratitude!
"Resurrexi et adhuc tecum sum – Je suis ressuscité et je suis encore et
toujours avec toi". Ces paroles, tirées d’une ancienne version du psaume
138 (v. 18b), retentissent au commencement de la messe de ce jour. Dans ces
paroles, à l’aube de Pâques, l’Église reconnaît la voix même de Jésus qui,
ressuscitant de la mort, s’adresse au Père, débordant de bonheur et d’amour, et
s’écrie: mon Père, me voici! Je suis ressuscité, je suis encore avec toi et je
le serai pour toujours; ton Esprit ne m’a jamais abandonné. Nous pouvons ainsi
comprendre de façon nouvelle d’autres expressions du psaume: "Je gravis
les cieux: tu es là; je descends chez les morts: te voici. […] Même les
ténèbres pour toi ne sont pas ténèbres, et la nuit comme le jour est
lumière" (Ps 138, 8.12). C’est vrai: dans la veillée solennelle de
Pâques, les ténèbres deviennent lumière, la nuit cède le pas au jour qui ne
connaît pas de couchant. La mort et la résurrection du Verbe de Dieu incarné
constituent un événement d’amour insurpassable, c’est la victoire de l’Amour
qui nous a libérés de l’esclavage du péché et de la mort. Il a changé le cours
de l’histoire, donnant à la vie de l’homme un sens indélébile et renouvelé,
ainsi que toute sa valeur.
"Je suis ressuscité et je suis encore et toujours avec toi". Ces
paroles nous invitent à contempler le Christ ressuscité, en en faisant résonner
la voix dans notre cœur. Par son sacrifice rédempteur, Jésus de Nazareth nous a
rendus fils adoptifs de Dieu, de sorte que maintenant nous pouvons, nous aussi,
nous insérer dans le dialogue mystérieux entre Lui et le Père. Nous avons en
mémoire ce qu’un jour il a dit à ses auditeurs: "Tout m’a été confié par
mon Père; personne ne connaît le Fils, sinon le Père, et personne ne connaît le
Père, sinon le Fils, et celui à qui le Fils veut le révéler" (Mt 11,
27). Dans cette perspective, nous percevons que l’affirmation adressée
aujourd’hui par Jésus ressuscité à son Père – "Je suis encore et toujours
avec toi" – nous concerne aussi comme par ricochet, nous, "fils de
Dieu, héritiers avec le Christ, si nous souffrons avec lui pour être avec lui
dans la gloire" (cf. Rm 8, 17). Grâce à la mort et à la
résurrection du Christ, nous aussi aujourd’hui, nous ressuscitons à une vie
nouvelle et, unissant notre voix à la sienne, nous proclamons que nous voulons
demeurer pour toujours avec Dieu, notre Père infiniment bon et miséricordieux.
Nous entrons ainsi dans la profondeur du mystère pascal. L’événement surprenant
de la résurrection de Jésus est essentiellement un événement d’amour: amour du
Père qui livre son Fils pour le salut du monde; amour du Fils qui s’abandonne à
la volonté du Père pour nous tous; amour de l’Esprit qui ressuscite Jésus
d’entre les morts dans son corps transfiguré. Et encore: amour du Père qui
"embrasse de nouveau" le Fils, l’enveloppant dans sa gloire; amour du
Fils qui, par la force de l’Esprit, retourne au Père, revêtu de notre humanité
transfigurée. De la solennité d’aujourd’hui, qui nous fait revivre l’expérience
absolue et particulière de la résurrection de Jésus, nous vient donc un appel à
nous convertir à l’Amour; nous vient une invitation à vivre en refusant la
haine et l’égoïsme, et à suivre docilement les traces de l’Agneau immolé pour
notre salut, à imiter le Rédempteur "doux et humble de cœur", qui est
«repos pour nos âmes" (cf. Mt 11, 29).
Frères et sœurs chrétiens de toutes les parties du monde, hommes et femmes à
l’esprit sincèrement ouvert à la vérité! Que personne ne ferme son cœur à la
toute-puissance de cet amour qui rachète! Jésus Christ est mort et ressuscité
pour tous: il est notre espérance! Espérance véritable pour tout être humain.
Aujourd’hui, comme il fit avec ses disciples en Galilée avant de retourner au
Père, Jésus ressuscité nous envoie aussi partout comme témoins de son espérance
et il nous rassure: Je suis avec vous toujours, tous les jours, jusqu’à la fin
du monde (cf. Mt 28, 20). Fixant le regard de notre esprit sur les
plaies glorieuses de son corps transfiguré, nous pouvons comprendre le sens et
la valeur de la souffrance, nous pouvons soulager les nombreuses blessures qui,
de nos jours, continuent encore à ensanglanter l’humanité. Dans ses plaies
glorieuses nous reconnaissons les signes indélébiles de la miséricorde infinie
du Dieu dont parle le prophète: il est celui qui guérit les blessures des cœurs
brisés, qui défend les faibles et qui annonce la liberté aux captifs, qui
console tous les affligés et leur dispense une huile de joie au lieu du
vêtement de deuil, un chant de louange au lieu d’un cœur triste (cf. Is 61,
1.2.3). Si avec une humble familiarité nous nous approchons de Lui, nous
rencontrons dans son regard la réponse à la soif la plus profonde de notre
cœur: connaître Dieu et créer avec Lui une relation vitale, dans une
authentique communion d’amour qui remplit de son amour même notre existence et nos
relations interpersonnelles et sociales. Par conséquent l’humanité a besoin du
Christ: en Lui, notre espérance, "nous avons été sauvés" (cf. Rm
8, 24).
Que de fois les relations de personne à personne, de groupe à groupe, de peuple
à peuple, au lieu d’être marquées par l’amour le sont par l’égoïsme, par
l’injustice, par la haine, par la violence! Ce sont les plaies de l’humanité,
ouvertes et douloureuses en tout coin de la planète, même si elles sont souvent
ignorées et parfois volontairement cachées; plaies qui écorchent les âmes et
les corps de tant de nos frères et de nos sœurs. Elles attendent d’être
soulagées et guéries par les plaies glorieuses du Seigneur ressuscité (cf. 1
P 2, 24-25) et par la solidarité de tous les hommes qui, sur ses pas et en
son nom, posent des gestes d’amour, s’engagent concrètement pour la justice et
répandent autour d’eux des signes lumineux d’espérance dans les lieux
ensanglantés par les conflits et partout où la dignité de la personne humaine
continue à être outragée et foulée aux pieds. Il est à souhaiter que là
précisément se multiplient les témoignages de douceur et de pardon!
Chers frères et sœurs! Laissons-nous illuminer par la lumière éclatante de ce
Jour solennel; ouvrons-nous avec une sincère confiance au Christ ressuscité,
pour que la force de renouveau du Mystère pascal se manifeste en chacun de
nous, dans nos familles, dans nos villes et dans nos Nations. Qu’elle se
manifeste en toutes les parties du monde. Comment ne pas penser en ce moment,
en particulier, à certaines régions africaines, telles que le Darfour et