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N° 128

Le pape aux Etats-Unis

Son enseignement.

 

 

 

 

Benoît XVI est arrivé ce mardi 15 avril, à 22 heures (16 h, heure locale) à la base aérienne d'Andrews de Washington aux Etats-Unis. Il avait quitté Rome vers midi, heure locale, de l'aéroport de Fiumicino. Il s'agit de son 8e voyage apostolique, et le premier en Amérique du nord et aux Etats-Unis.

 

Le président Georges Bush a accueilli lui-même le pape à sa descente d'avion, ainsi que Mme Laura Bush et une de leurs deux filles : il a eu avec Benoît XVI un premier entretien informel, mais il n'y a pas eu d'échange de discours. L'ambassadrice des Etats-Unis près le Saint-Siège, Mme Mary-Ann Glendon a également salué le pape à sa descente d'avion, ainsi que plusieurs représentants de l'Eglise américaine dont le cardinal Francis E. George, président de la Conférence épiscopale des Etats-Unis et Mgr Donald William Wuerl, archevêque de Washington.

 

La cérémonie officielle de bienvenue est prévue le mercredi 16 avril à 10 h 30 (16 h 30 de Rome) à la Maison Blanche.

 

De la base d'Andrew le pape a gagné directement par la route la capitale fédérale et la nonciature apostolique.

 

Mercredi 16 avril, Benoît XVI a fêté ses 81 ans, et samedi 19, ce sera le troisième anniversaire de son élection.

 

Le séjour de Benoît XVI aux Etats-Unis, on le sait, comportera deux étapes, à Washington, siège du gouvernement fédéral et à New York, au siège de l'Organisation des Nations Unies.

 

Le pape restera donc à Washington les mercredi 16, jeudi 17 et vendredi 18 avril, avant de reprendre l'avion pour New York.

 

Benoît XVI arrivera à New York le vendredi 18 avril, et il y passera les samedi 19 et dimanche 20 avril.

 

Le pape repartira de New York le lundi 21 avril, et son avion arrivera à l'aéroport de Rome-Ciampino.

Nous vous donnons son enseignement de cette première journée. Le rest fera l’objet du prochain numéro d’Item.

 

Le Mercredi 16 Avril 2008

 

Mercredi 16 avril, le pape effectua une visite de courtoisie à la Maison Blanche, où il fut  reçu dans le salon ovale.

Il a rencontré également les cardinaux et les évêques catholiques des Etats-Unis, et les représentants des fondations caritatives catholiques.

Le pape s’est  rendu à la basilique nationale dédiée à l'Immaculée Conception, dont les chapelles latérales reproduisent les plus importants sanctuaires mariaux du monde : y compris la grotte de Lourdes et la chapelle de la Rue du Bac.

Là, il  présida les vêpres.

 

Nous vous donnons, aujourd’hui, les discours qu’il prononça en ce mercredi/

 

Mais avant d’arriver à Washington, le Pape Benoît XVI eut un entretien avec les journalistes dans son  avion.

Voici le texte de cet entretien.

 

 

Entretien de Benoît XVI avec les journalistes au cours du vol Rome-Washington

 

Mardi 15 avril

 

P. Lombardi - Bienvenue Sainteté ! Au nom de tous mes collègues ici présents, je vous remercie de votre disponibilité et de l'amabilité avec laquelle vous venez nous saluer et nous donner quelques indications et idées pour suivre ce voyage. C'est votre deuxième voyage intercontinental, le premier en Amérique, aux Etats-Unis et aux Nations unies, en tant que pape. Un voyage important et très attendu. Pour commencer, voulez-vous nous dire quelque chose sur vos sentiments, sur les espoirs avec lesquels vous affrontez ce voyage et quel est son objectif fondamental, selon vous ?

Benoît XVI - Mon voyage a surtout deux objectifs. Le premier est la visite à l'Eglise qui est en Amérique, aux Etats-Unis, et pour un motif particulier : il y a 200 ans, le diocèse de Baltimore a été élevé au rang de siège métropolitain et dans le même temps sont nés quatre autres diocèses : New York, Philadelphie, Boston et Louisville. C'est donc un grand jubilé pour ce noyau de l'Eglise aux Etats-Unis, un moment de réflexion sur le passé et surtout de réflexion sur l'avenir, sur la manière de répondre aux grands défis de notre temps, aujourd'hui et dans une perspective d'avenir. Et naturellement, font également partie de cette visite, la rencontre interreligieuse et la rencontre œcuménique, de manière particulière aussi une rencontre à la Synagogue avec nos amis juifs, la veille de leur fête de Pâques. Ceci est donc l'aspect religieux et pastoral de l'Eglise des Etats-Unis en ce moment de notre histoire, et la rencontre avec tous les autres dans cette fraternité commune qui nous relie dans une responsabilité commune. Je voudrais à présent également remercier le Président Bush qui viendra à l'aéroport, me réservera beaucoup de temps pour des entretiens et me recevra à l'occasion de mon anniversaire. Deuxième objectif : la visite aux Nations unies, ici aussi pour une raison particulière : 60 ans se sont écoulés depuis la Déclaration universelle des droits de l'homme. Cette Déclaration est la base anthropologique, la philosophie fondatrice des Nations unies, le fondement humain et spirituel sur lequel elles sont bâties. Il s'agit donc réellement d'un moment de réflexion, le moment de reprendre conscience de cette étape importante de l'histoire. Dans la Déclaration des droits de l'homme confluent diverses traditions culturelles, surtout une anthropologie qui reconnaît chez l'Homme un sujet de droit qui passe avant toutes les Institutions, avec des valeurs communes à respecter par tous. Par conséquent, cette visite, qui se déroule précisément à un moment où règne une crise des valeurs, me semble importante pour confirmer à nouveau ensemble que tout a commencé à ce moment-là et le récupérer pour notre avenir.

 

P. Lombardi - Passons maintenant aux questions que vous avez vous-mêmes présentées ces derniers jours et que quelques uns parmi vous poseront au Saint-Père. Commençons par la question de John Allen, qui n'a je crois, pas besoin d'être présenté car il est très connu comme vaticaniste aux Etats-Unis.

 

Question - Saint-Père, j'aimerais si possible poser la question en anglais et s'il était possible d'avoir une phrase, une parole de réponse en anglais, nous serions très reconnaissants. La question est : l'Eglise que vous trouverez aux Etats-Unis est une Eglise grande, vivante, mais aussi une Eglise souffrante d'une certaine manière, surtout à cause de la récente crise due aux abus sexuels. Les Américains attendent une parole de vous, un message sur cette crise. Quel sera votre message pour cette Eglise souffrante ? 

 

Benoît XVI - Le fait que tout cela ait pu se produire est une grande souffrance pour l'Eglise aux Etats-Unis, pour l'Eglise en général et pour moi personnellement. Quand je lis les comptes rendus de ces événements, j'ai du mal à comprendre comment certains prêtres ont pu manquer à ce point à la mission d'apporter la guérison, d'apporter l'amour de Dieu à ces enfants. J'ai honte et nous ferons tout ce qui sera en notre pouvoir pour faire en sorte que cela ne se renouvelle plus. Je crois que nous devons agir à trois niveaux : tout d'abord au niveau de la justice et au niveau politique. Je ne parlerai pas ici d'homosexualité car c'est un autre sujet. Nous exclurons de manière absolue les pédophiles du ministère sacré ; c'est totalement incompatible. Celui qui s'est rendu coupable de pédophilie ne peut pas être prêtre. A ce premier niveau, nous pouvons faire justice et aider les victimes, car elles sont profondément blessées ; les deux côtés de la justice sont d'une part que les pédophiles ne peuvent pas être prêtres et de l'autre, l'aide aux victimes, de toutes les manières possibles. Il y a ensuite un niveau pastoral. Les victimes auront besoin de guérison, d'aide, d'assistance et de réconciliation : il s'agit d'un engagement pastoral important et je sais que les évêques, les prêtres et tous les catholiques aux Etats-Unis feront tout ce qu'ils pourront pour aider, assister, guérir. Nous avons visité les séminaires et nous ferons tout ce qui sera possible pour donner aux séminaristes une profonde formation spirituelle, humaine et intellectuelle. Seules des personnes saines et qui ont vie personnelle profondément enracinée dans le Christ et dans les sacrements peuvent être admises au sacerdoce. Je sais que les évêques et les recteurs de séminaires feront tout leur possible pour avoir un discernement très très sévère car il est plus important d'avoir de bon prêtres que beaucoup de prêtres. Ceci est également notre troisième niveau et nous espérons pouvoir faire, avoir fait et faire encore à l'avenir, tout ce qui est en notre pouvoir pour guérir ces blessures.

 

P. Lombardi - Merci, Sainteté. Il y a un autre thème sur lequel nos collègues ont posé beaucoup de questions : celui de l'immigration, de la présence dans la société américaine de composantes de langue espagnole également. Pour cette raison, la question sera posée par notre collègue Andrés Leonardo Beltramo Alvarez de l'Agence d'information du Mexique.

 

Question - Sainteté, je pose la question en italien et si vous le souhaitez, vous pourrez répondre ensuite en espagnol. Un salut, seulement un salut. Il y a une croissance énorme de la présence hispanique aussi dans l'Eglise des Etats-Unis en général : la communauté catholique devient toujours davantage bilingue et bi-culturelle. Et dans le même temps, un mouvement anti-immigration se développe dans la société : la situation des immigrés est caractérisée par des formes de précarité et de discrimination. Avez-vous l'intention de parler de ce problème et d'inviter l'Amérique à bien accueillir les immigrés, dont beaucoup sont catholiques ?

 

Benoît XVI - Je ne peux pas répondre en espagnol mais mis saludos y mi bendición para todos los hispánicos. Il est évident que je parlerai de cela. J'ai eu diverses visites ad limina des évêques d'Amérique centrale et aussi d'Amérique du sud et j'ai vu l'ampleur de ce problème, surtout le grave problème de la séparation des familles. Et ceci est vraiment dangereux pour le tissu social, moral et humain de ces pays.

 

Il faut cependant distinguer les mesures à prendre immédiatement et les solutions à long terme. La solution fondamentale est que les gens n'aient plus besoin d'émigrer parce qu'il y a dans leur patrie suffisamment de postes de travail, un tissu social suffisant qui fait que personne n'a plus besoin d'émigrer. Nous devons donc tous travailler avec cet objectif, pour un développement social qui permette d'offrir aux citoyens du travail et un avenir dans leur pays d'origine. Je voudrais aussi parler de cela avec le président car ce sont surtout les Etats-Unis qui doivent aider les pays à se développer de cette manière. C'est dans l'intérêt de tous, pas seulement de ces pays, dans l'intérêt du monde et aussi des Etats-Unis.

 

Puis, des mesures à court terme : il est très important d'aider avant tout les familles. A la lumière des entretiens que j'ai eus avec les évêques il semble que le problème primordial soit la protection des familles, veiller à ce qu'elles ne soient pas détruites. Il faut faire tout ce que l'on peut. Puis, naturellement, il faut lutter avec tous les moyens possibles contre la précarité et toutes les formes de violence, et leur permettre d'avoir vraiment une vie digne là où elles se trouvent actuellement. Il est vrai qu'il y a beaucoup de problèmes, beaucoup de souffrances, mais aussi une grande hospitalité ! Je sais que notamment la Conférence épiscopale des Etats-Unis collabore énormément avec les Conférences épiscopales d'Amérique latine pour mettre en place les aides nécessaires. A côté de toutes les choses douloureuses, n'oublions pas non plus toute la véritable humanité, toutes les actions positives qui existent aussi.

 

P. Lombardi - Merci, Sainteté. Maintenant une question concernant la société américaine, plus précisément la place des valeurs religieuses dans la société américaine. Donnons la parole à notre collègue Andrea Tornielli, vaticaniste pour un journal italien.

 

Question - Saint-Père, quand vous avez reçu la nouvelle ambassadrice des Etats-Unis d'Amérique, celle-ci a souligné, comme valeur positive, la reconnaissance publique de la religion aux Etats-Unis. Je voulais vous demander si vous considérez cela comme un modèle possible également pour l'Europe sécularisée, ou si vous ne pensez pas qu'il puisse également exister le risque que la religion et le nom de Dieu soient utilisés pour faire passer certaines politiques et même la guerre...

 

Benoît XVI - Il est évident qu'en Europe nous ne pouvons pas nous limiter à copier les Etats-Unis : nous avons notre histoire. Mais nous devons tous apprendre les uns des autres. Ce que je trouve fascinant aux Etats-Unis, c'est qu'ils ont commencé avec un concept positif de laïcité car ce nouveau peuple était composé de communautés et de personnes qui avaient fui les Eglises d'Etat et voulaient avoir un Etat laïc qui offre des possibilités à toutes les confessions, pour toutes les formes de pratique religieuse. Ainsi est né un Etat délibérément laïc : ils étaient opposés à une Eglise d'Etat. Mais l'Etat devait être laïc justement par amour pour la religion dans son authenticité, qui ne peut être vécue que librement. Et ainsi nous trouvons cet Etat délibérément et résolument laïc, mais précisément à cause d'une volonté religieuse, pour donner de l'authenticité à la religion.

 

Et nous savons qu'Alexis de Toqueville, en étudiant l'Amérique, a vu que les institutions laïques vivent avec un consensus moral de fait qui existe entre les citoyens. Ceci me semble un modèle fondamental et positif. Il ne faut pas oublier qu'entre-temps, en Europe, deux cents ans, plus de deux cents ans, se sont écoulés, et que beaucoup de choses se sont passées. Il y a maintenant aussi aux Etats-Unis l'attaque d'un nouveau sécularisme, complètement différent, et donc, auparavant les problèmes étaient l'immigration, mais la situation s'est compliquée et différentiée au cours de l'histoire. Toutefois, le fondement, le modèle fondamental me semble aujourd'hui encore digne d'intérêt également en Europe.

 

P. Lombardi - Merci, Sainteté. Et maintenant un dernier thème concernant votre visite aux Nations unies. La question est posée par John Thavis, qui est responsable à Rome de l'Agence catholique d'information des Etats-Unis.

 

Question - Saint-Père, le pape est souvent considéré comme la conscience de l'humanité et c'est aussi la raison pour laquelle votre discours aux Nations unies est très attendu. Je voudrais vous demander : pensez-vous qu'une institution multilatérale comme les Nations unies puisse sauvegarder les principes considérés par l'Eglise catholique comme « non négociables », c'est-à-dire les principes fondés sur la loi naturelle ?

 

Benoît XVI - Ceci est précisément l'objectif fondamental des Nations unies : sauvegarder les valeurs communes de l'humanité, sur lesquelles est basée la coexistence pacifique des Nations : le respect de la justice et le développement de la justice. J'ai déjà dit brièvement que le fait que le fondement des Nations unies soit précisément l'idée des droits humains, des droits qui expriment des valeurs non négociables, qui passent avant toutes les institutions et qui soient le fondement de toutes les institutions, me semble très important. Et il est important qu'il y ait cette convergence entre les cultures qui ont trouvé un consensus sur le fait que ces valeurs sont fondamentales, qu'elles sont inscrites dans l'être humain lui-même. Il faut reprendre conscience du fait que les Nations unies, avec leur fonction pacificatrice, ne peuvent travailler que si elles ont le fondement commun des valeurs qui s'expriment ensuite en « droits » qui doivent être respectés par tous.

 

L'un des objectifs de ma mission est de confirmer cette conception fondamentale et de l'actualiser autant que possible.

 

Enfin, étant donné que le P. Lombardi m'avait au départ posé également une question sur mes sentiments, je voudrais dire que je pars vraiment aux Etats-Unis avec la joie dans le cœur ! Je suis déjà allé plusieurs fois aux Etats-Unis par le passé, je connais ce grand pays, je connais la grande vivacité de l'Eglise malgré tous les problèmes, et je suis heureux de pouvoir rencontrer, en ce moment historique aussi bien pour l'Eglise que pour les Nations unies, ce grand peuple et cette grande Eglise. Merci à tous !

 

P. Lombardi - Merci à vous, Sainteté, de la part de nous tous. Nous vous présentons à nouveau nos meilleurs vœux pour ce voyage : qu'il porte tous les fruits que vous en attendez et que nous tous attendons avec vous. Merci et bon voyage !

 

 

Le Mercredi 16 avril

 

Le pape Benoît XVI a commencé cette première journée de son voyage apostolique aux Etats-Unis par la messe, célébrée en privé, dans la chapelle de la nonciature de Washington, sa résidence dans la capitale du pays. C'est aussi aujourd'hui son 81e anniversaire.

 

A16 heures, heure de Rome, mais 10 h, heure de Washington, le pape s'est rendu à la Maison Blanche, où il a été accueilli par le président George W. Bush et par la First Lady, Mme Laura Bush, à l'occasion d'une réception, comptant quelque 10 000 invités.

 

Après le chant par une soprano du Notre Père, le président Bush a prononcé un discours de bienvenue auquel le pape a répondu en méditant sur les fondements de la Constitution, en particulier la notion de liberté. Il a conclu sous les applaudissements : « Dieu bénisse l'Amérique ». L'orchestre a ensuite accompagné le chœur qui a chanté le « Glory, glory, alleluia », avant le chant du « Happy birthday to you, Holy Father », dans le « Jardin sud » de la Maison Blanche.

 

 

Discours de Benoît XVI à la Maison Blanche

 

Washington, 16 avril 2008

Source : Vatican (traduction La Croix)

 

Monsieur le président,

 

Je vous remercie pour les aimables mots de bienvenue que vous m’avez adressés au nom du peuple des Etats-Unis d'Amérique. J'apprécie profondément votre invitation à visiter ce grand pays. Ma visite coïncide avec un moment important de la vie de la communauté catholique en Amérique : la célébration du 200me anniversaire de l'élévation du premier diocèse de ce pays – Baltimore – comme archevêché métropolitain, et l'établissement des sièges de New York, Boston, Philadelphie et Louisville. Je suis heureux, en outre, d'être ici en tant qu'invité de tous les Américains. Je viens en ami, en prédicateur de l'Évangile et avec un grand respect pour cette vaste société pluraliste. Les catholiques américains ont eu, et continuent d'avoir, une remarquable contribution à la vie de leur pays. Au moment où commence ma visite, je suis sûr que ma présence sera une source de renouvellement et d'espérance pour l'Église aux Etats-Unis et qu'elle renforcera la détermination des catholiques à contribuer toujours plus résolument à la vie de cette nation dont ils sont fiers d’être les citoyens.

Depuis l'aube de la République, la quête de liberté de l'Amérique a été guidée par la conviction que les principes du gouvernement politique et de la vie sociale sont intimement liés à un ordre moral subordonné au Dieu créateur. Les rédacteurs des textes fondateurs de cette nation ont mis en avant cette conviction quand ils ont proclamé « l'évidente vérité » que tous les hommes sont créés égaux et dotés de droits inaliénables enracinés dans les lois de la nature et du Dieu de la nature. Le cours de l'histoire des Etats-Unis démontre les difficultés, les luttes et la grande résolution intellectuelle et morale nécessaires pour façonner une société qui a fidèlement intégré ces nobles principes. Dans ce processus, qui a forgé l'âme de la Nation, les croyances religieuses ont été une constante inspiration et une force directrice, par exemple dans la lutte contre l'esclavage et dans le mouvement des droits civiques. À notre époque, particulièrement dans les moments de crise, les Américains continuent à trouver leur force dans leur engagement pour ce patrimoine d'aspirations et d'idéaux partagés.

Dans les prochains jours, j'aurai la joie de rencontrer non seulement la communauté catholique américaine, mais aussi d'autres communautés chrétiennes et des représentants des nombreuses traditions religieuses présentes dans ce pays. Historiquement, les catholiques, mais aussi tous les croyants, ont trouvé ici la liberté de prier Dieu en accord avec ce que leur dictait leur conscience, tout en étant, dans le même temps, acceptés comme une partie de la communauté politique dans laquelle chaque personne et chaque groupe peut faire entendre sa voix. Alors que la nation fait face à des questions politiques et éthiques de plus en plus complexes, je suis sûr que le peuple américain trouvera dans ses croyances religieuses une source précieuse de discernement et une inspiration à poursuivre un dialogue raisonné, responsable et respectueux pour construire une société plus humaine et plus libre.

 

La liberté n’est pas seulement un don, mais aussi un appel à la responsabilité personnelle. Les Américains le savent par expérience – presque chaque ville de ce pays possède ses monuments qui rendent hommage à ceux qui ont sacrifié leur vie pour la défense de la liberté, soit sur leur propre terre, soit à l’étranger. La défense de la liberté appelle à cultiver la vertu, l’autodiscipline, le sacrifice pour le bien commun et un sens de la responsabilité envers les plus démunis. Elle exige en outre le courage de s’engager dans la vie civile et de porter ses croyances religieuses et ses valeurs les plus profondes dans le débat public raisonnable. En un mot, la liberté est toujours neuve. Il s’agit d’un défi lancé à chaque génération, et il doit être constamment relevé en vue du bien (cf. Spe Salvi, 24). Peu ont compris cela avec autant de lucidité que le vénéré pape Jean-Paul II. En réfléchissant à la victoire spirituelle de la liberté sur le totalitarisme dans sa Pologne natale et en Europe orientale, il nous a rappelé combien l’histoire met en évidence, en de nombreuses occasions, que « dans un monde sans vérité, la liberté perd son propre fondement » et qu’une démocratie sans valeurs peut perdre son âme (cf. Centesimus annus, 46). Ces paroles prophétiques font écho, d’une certaine manière, à la conviction du président Washington, exprimée dans son discours d’adieu, selon laquelle la religion et la moralité constituent « les soutiens indispensables » à la prospérité politique.

 

L’Eglise, pour sa part, désire contribuer à la construction d’un monde toujours plus digne de la personne humaine, créée à l’image et à la ressemblance de Dieu (cf. Gn 1,26-27). Elle est convaincue que la foi jette une lumière nouvelle sur toutes choses, et que l’Evangile révèle la noble vocation et le sublime destin de chaque homme et de chaque femme (cf. Gaudium et Spes, 10). La foi, en outre, nous offre la force de répondre à notre haute vocation et l’espérance qui nous inspire pour travailler à une société toujours plus juste et fraternelle. La démocratie ne peut fleurir, vos Pères fondateurs le savaient bien, que lorsque les responsables politiques et ceux qu’ils représentent sont guidés par la vérité et la sagesse, née d’un principe moral ferme, en vue des décisions qui regardent la vie et l’avenir des nations.

 

Depuis plus d’un siècle, les Etats-Unis d’Amérique jouent un rôle important dans la communauté internationale. Vendredi prochain, si Dieu le veut, j’aurai l’honneur de m’adresser à l’Organisation des Nations Unies, où j’espère encourager les efforts déjà en cours pour faire de cette institution une voix encore plus efficace pour les attentes légitimes de tous les peuples du monde. A cet égard, pour le 60e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, l’exigence d’une solidarité mondiale est plus urgente que jamais, si on veut que tous puissent vivre en accord avec leur dignité, comme frères et sœurs habitant la même maison, autour de la table que la bonté de Dieu a préparée pour tous ses fils. L’Amérique s’est toujours montrée généreuse pour subvenir aux besoins urgents des hommes, en promouvant le développement et en venant au secours des victimes des catastrophes naturelles. J’ai confiance qu’une telle préoccupation pour cette grande famille humaine continuera à s’exprimer dans le soutien des efforts patients de la diplomatie internationale destinés à résoudre les conflits et à promouvoir le progrès. Ainsi, les générations futures seront en mesure de vivre dans un monde où la vérité, la liberté et la justice pourront fleurir, dans un monde où la dignité et les droits donnés par Dieu à chaque homme, femme et enfant, seront considérés, protégés et promus efficacement.

 

Monsieur le Président, chers amis, alors que débute ma visite aux Etats-Unis, je veux exprimer encore une fois ma gratitude pour l’invitation qui m’a été adressée, ma joie d’être parmi vous, et ma fervente prière afin que Dieu Tout-Puissant confirme cette nation et son peuple sur les voies de la justice, de la prospérité et de la paix. Dieu bénisse l’Amérique ! »

 

 

 

L’entretien privé

 

L'échange des discours a été suivi par un entretien privé entre le président et le pape dans le salon ovale de la Maison Blanche., entretien qui a fait l’objet d’un communiqué conjoint :

 

 

Communiqué conjoint

 

Respect de la dignité de la personne, défense de la vie, du mariage et de la famille, éducation des jeunes, droits de l'homme et liberté religieuse, développement durable et lutte contre la pauvreté et les pandémies, spécialement en Afrique : autant de points sur lesquels le président Bush et le pape Benoît XVI ont déclaré leur convergence. Mais les entretiens ont surtout porté sur le Moyen Orient, soulignant la préoccupation du pape pour les chrétiens, spécialement en Irak, et demandant une solution au conflit israélo-palestinien.

 

Le Saint-Siège et la Maison Blanche ont publié une déclaration conjointe dans ce sens à l'issue de l'entretien privé entre le président et le pape.

 

Le communiqué résume ainsi le discours de bienvenue du président George W. Bush à la Maison Blanche : « Le président Bush, au nom de tous les Américains, a accueilli le Saint-Père, lui a souhaité un joyeux anniversaire, et il l'a remercié pour le leadership spirituel et moral qu'il offre à toute la famille humaine. Le président a souhaité au pape tout le succès possible dans son voyage apostolique, et dans son discours aux Nations unies, et il a dit combien il appréciait la prochaine visite du pape à 'Ground Zero' à New York ».

 

A propos de l'entretien privé entre le pape et le président, le communiqué précise : « Au cours de leur rencontre, le Saint-Père et le président ont discuté d'un certain nombre de sujets d'intérêt commun pour le Saint-Siège et les Etats-Unis d'Amérique, y compris des considérations morales et religieuses dans lesquelles les deux parties sont engagées : le respect de la dignité de la personne humaine ; la défense et la promotion de la vie, du mariage et de la famille ; l'éducation des générations futures ; les droits de l'homme et la liberté religieuse ; le développement durable et la lutte contre la pauvreté et les pandémies, spécialement en Afrique ».

 

Le pape, dit le communiqué, a salué les « contributions substantielles des Etats-Unis dans cette région ».

Les deux hommes ont réaffirmé « leur rejet total du terrorisme » et « la manipulation de la religion pour justifier des actes immoraux et violents contre des innocents ».

Mais surtout, le communiqué précise une convergence importante : il faut « affronter le terrorisme par des moyens appropriés qui respectent la personne humaine et ses droits ».


Un des sujets les plus importants de ces entretiens a été le Moyen Orient, en particulier la résolution du conflit israélo-palestinien.

Le communiqué affirme une vision commune « de deux Etats vivant côte à côte en paix et dans la sécurité ».

Au Moyen Orient, ils réaffirment aussi « leur soutien à la souveraineté et à l'indépendance du Liban ».

Ils affirment « leur préoccupation commune pour l'Irak et en particulier pour la situation des communautés chrétiennes là, et ailleurs dans la région ».

 

« Le Saint-Père et le président ont exprimé leur espérance pour la fin des violences et pour une solution rapide et globale aux crises qui affligent la région », souligne le communiqué.

Et de conclure sur la protection des immigrés d'Amérique latine: « Le Saint-Père et le président ont également pris en considération la situation en Amérique latine, en particulier en ce qui concerne, entre autres, les immigrés, et le besoin d'une politique coordonnée concernant l'immigration, spécialement leur condition et le bien-être de leurs familles ».

 

 

Benoît XVI a ensuite déjeuné avec les cardinaux américains, dont le cardinal Francis E. George, président de la conférence épiscopale, en présence du vice-président, Mgr Gerald Kicanas et du secrétaire général, Mgr David Malloy.

 

Dans l'après-midi, vers 16 h 45 (22 h 45 à Rome), le pape devait rencontrer les représentants d'organisations caritatives, dont les Chevaliers de Colomb (« The Knights of Columbus »), les « Patrons des Arts (« The Patrons of the Arts »), des représentants de la fondation « Centesimus Annus pro Pontifice » et de la Fondation franciscaine pour la Terre Sainte (« The Franciscan Foundation for the Holy Land ».

 

A 17 h 45, le chant des Vêpres :

 

Le pape était attendu ensuite à la basilique nationale de l'Immaculée Conception, pour la  célébration des vêpres avec les évêques des Etats-Unis. Il devait regagner la nonciature pour un dîner en privé et sa

 

 

Vêpres en la basilique de l’Immaculée Conception, à Washington

 

Nous publions ci-dessous le texte intégral du discours prononcé par Benoît XVI le mercredi 16 avril, lors des vêpres célébrées en la basilique de l'Immaculée Conception, à Washington

           

Vénérés frères dans l'épiscopat,

 

Ma joie est grande en vous saluant aujourd'hui, au début de ma visite dans ce pays, et je remercie le cardinal George des paroles aimables qu'il m'a adressées en votre nom. Je désire remercier chacun de vous, en particulier les membres de la Conférence épiscopale, pour le travail important qu'a supposé la préparation de ce voyage. Mon appréciation reconnaissante va, en outre, à l'équipe et aux volontaires du Sanctuaire national, qui nous ont accueillis ici ce soir.

 

Les catholiques d'Amérique sont connus pour leur réelle dévotion à l'égard du Siège de Pierre. Ma visite pastorale ici est une occasion pour renforcer davantage les liens de communion qui nous unissent. Nous avons commencé par la célébration de la prière du soir dans cette basilique consacrée à l'Immaculée Conception de la Bienheureuse Vierge Marie, sanctuaire possédant une signification spéciale pour les catholiques américains, précisément au cœur de votre capitale. Unis en prière avec Marie, Mère de Jésus, nous confions avec amour à notre Père céleste le Peuple de Dieu dans chaque partie des Etats-Unis.

 

Pour les communautés catholiques de Boston, New York, Philadelphie et Louisville, il s'agit d'une année de célébrations particulières, étant donné qu'elle marque le bicentenaire de l'érection de ces Eglises locales au rang de diocèses. Je m'unis à vous pour rendre grâce pour les nombreux dons célestes accordés à l'Eglise dans ces lieux au cours des deux derniers siècles. Etant donné que l'année en cours marque également le bicentenaire de l'érection du siège fondateur, Baltimore, au rang d'archidiocèse, cela m'offre l'opportunité de rappeler avec admiration et gratitude la vie et le ministère de John Carroll, premier évêque de Baltimore et digne pasteur de la communauté catholique dans votre nation qui était devenue depuis peu indépendante. Ses efforts inlassables pour diffuser l'Evangile dans le vaste territoire confié à ses soins jetèrent les bases de la vie ecclésiale dans votre pays et permirent à l'Eglise en Amérique de grandir vers la maturité.

 

Aujourd'hui, la communauté catholique que vous servez est l'une des plus vastes du monde et l'une des plus influentes. Il est donc très important de faire en sorte que votre lumière brille devant vos concitoyens et devant le monde, « afin qu'ils voient vos bonnes œuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux » (Mt 5, 16).

 

Un grand nombre des personnes auprès desquelles John Carroll et ses confrères évêques exercèrent leur ministère il y a deux siècles venaient de terres lointaines. La diversité de leur provenance se reflète dans la riche variété de la vie ecclésiale de l'Amérique d'aujourd'hui. Chers frères évêques, je désire vous encourager, ainsi que vos communautés, à continuer à accueillir les immigrants qui s'unissent à vous aujourd'hui, à partager leurs joies et leurs espérances, à les soutenir dans leurs souffrances et leurs épreuves, et à les aider à prospérer dans leur nouvelle maison. C'est d'autre part ce que firent vos concitoyens pendant des générations. Dès les débuts, ils ont ouvert leurs portes à ceux qui étaient las, aux pauvres, aux « masses qui se pressaient à la recherche d'un souffle dans la liberté » (cf. Sonnet gravé sur la statue de la liberté). Telles étaient les personnes que l'Amérique a faites siennes.

Parmi ceux qui vinrent ici pour se construire une nouvelle vie, beaucoup furent capables de faire bon usage des ressources et des opportunités qu'ils y trouvèrent, et d'atteindre un haut niveau de prospérité. En vérité, les citoyens de ce pays sont connus pour leur grande vitalité et créativité. Ils sont également connus pour leur générosité. Après l'attaque des tours jumelles, en septembre 2001, et également après l'ouragan Katrina en 2005, les Américains ont montré leur rapidité à venir en aide à leurs frères et sœurs qui étaient dans le besoin. Au niveau international, la contribution offerte par le peuple d'Amérique aux opérations de secours et de sauvetage après le tsunami de décembre 2004 est une démonstration supplémentaire de cette compassion. Permettez-moi d'exprimer mon appréciation particulière pour les innombrables formes d'assistance humanitaire offertes par les catholiques américains à travers les Caritas catholiques et les autres agences. Leur générosité a porté des fruits dans l'attention aux pauvres et aux indigents, ainsi que dans l'énergie manifestée dans la construction du réseau national de paroisses catholiques, d'hôpitaux, d'écoles et d'universités. Tout cela offre de solides raisons pour rendre grâce.

 

L'Amérique est également une terre de grande foi.

 

Votre peuple est bien connu pour sa ferveur religieuse et il est fier d'appartenir à une communauté de prière. Il a confiance en Dieu et il n'hésite pas à introduire dans les discours publics des raisons morales enracinées dans la foi biblique. Le respect pour la liberté de religion est profondément enraciné dans la conscience américaine ; c'est un fait qui a contribué à ce que ce pays attire des générations d'immigrants à la recherche d'une maison où pouvoir librement rendre leur culte à Dieu selon leurs propres convictions religieuses.

Dans ce contexte, je prends volontiers acte de la présence parmi vous d'évêques de toutes les vénérables Eglises orientales en communion avec le Successeur de Pierre : je les salue avec une joie particulière. Chers frères, je vous demande d'assurer vos communautés de ma profonde affection et de ma prière incessante, pour elles comme pour les nombreux frères et sœurs restés dans leur terre d'origine. Votre présence dans ce pays rappelle le courageux témoignage en faveur du Christ de tant de membres de vos communautés, souvent en affrontant de grandes souffrances, dans leurs patries respectives. Cela constitue également un grand enrichissement pour la vie ecclésiale en Amérique, car une expression vivante de la catholicité de l'Eglise et de la variété de ses traditions liturgiques et spirituelles est ainsi offerte.

C'est sur ce sol fertile, nourri par tant de sources différentes, que vous, vénérés frères dans l'épiscopat, êtes appelés aujourd'hui à répandre la semence de l'Evangile. Cela m'amène à me demander comment, au XXIe siècle, un évêque peut répondre au mieux à l'appel à « faire chaque chose nouvelle en Jésus Christ, notre espérance » ? Comment peut-il conduire son peuple « à la rencontre avec le Dieu vivant ? », source de cette espérance qui transforme la vie dont parle l'Evangile ? (cf. Spe salvi, n. 4).

 

Peut-être a-t-il tout d'abord besoin d'abattre certaines barrières qui empêchent cette rencontre. Même s'il est vrai que ce pays est marqué par un authentique esprit religieux, l'influence subtile du sécularisme peut toutefois marquer la façon dont les personnes permettent que la foi influence leurs propres comportements. Est-il cohérent de professer notre foi à l'église le dimanche et ensuite, au cours de la semaine, de promouvoir des affaires ou des procédures médicales contraires à cette foi ? Est-il cohérent pour les catholiques pratiquants d'ignorer ou d'exploiter les pauvres et les exclus ; de promouvoir des comportements sexuels contraires à l'enseignement moral catholique, ou d'adopter des positions qui contredisent le droit à la vie de chaque être humain de sa conception jusqu'à sa mort naturelle ? Il faut résister à toute tendance à considérer la religion comme un fait privé. Ce n'est que lorsque la foi imprègne chaque aspect de leur vie que les chrétiens deviennent vraiment ouverts à la puissance transformatrice de l'Evangile.

 

Dans une société riche, un obstacle supplémentaire à une rencontre avec le Dieu vivant se trouve dans l'influence subtile du matérialisme, qui peut malheureusement très facilement concentrer l'attention sur le « centuple » promis par Dieu en cette vie, au détriment de la vie éternelle qu'il promet pour le temps à venir (Mc 10, 30). Il est aujourd'hui nécessaire de rappeler aux personnes le but ultime de l'existence. Elles ont besoin de reconnaître qu'elles ont en elles une profonde soif de Dieu. Elles ont besoin d'avoir l'opportunité de puiser à la source de son amour infini. Il est facile d'être subjugués par les possibilités presque illimitées que la science et la technique nous offrent ; il est facile de faire l'erreur de penser pouvoir obtenir par nos propres efforts la satisfaction des besoins les plus profonds. Il s'agit d'une illusion. Sans Dieu, qui nous donne ce que nous ne pouvons pas atteindre seuls (cf. Spe salvi, n. 31), nos vies sont en définitive vides. Les personnes ont sans cesse besoin d'être appelées à cultiver une relation avec lui, qui est venu afin que nous ayons la vie en abondance (cf. Jn 10, 10). Le but de chacune de nos activités pastorales et catéchétiques, l'objet de notre prédication, le centre même de notre ministère sacramentel doit être celui d'aider les personnes à établir et à nourrir une telle relation vitale avec « le Christ Jésus, notre espérance » (1 Tm 1, 1).

 

Dans une société qui accorde beaucoup de valeur à la liberté personnelle et à l'autonomie, il est facile de perdre de vue notre dépendance des autres, ainsi que les responsabilités que nous avons à leur égard. Cette accentuation de l'individualisme a même influencé l'Eglise (cf. Spe salvi, nn. 13-15), donnant origine à une forme de piété qui souligne parfois notre relation privée avec Dieu au détriment de l'appel à être les membres d'une communauté rachetée. Et pourtant, dès le début, Dieu vit qu'« il n'est pas bon que l'homme soit seul » (Gn 2, 18). Nous avons été créés comme des êtres sociaux qui ne trouvent leur accomplissement que dans l'amour envers Dieu et envers leur prochain. Si nous voulons vraiment garder le regard fixé sur lui, source de notre joie, nous devons le faire comme des membres du Peuple de Dieu (cf. Spe salvi, n. 14). Si cela semblait aller à l'encontre de la culture actuelle, cela ne serait qu'une preuve supplémentaire de l'urgente nécessité d'une évangélisation renouvelée de la culture.

 

Ici en Amérique, vous avez été bénis par un laïcat catholique d'une considérable variété culturelle, qui place ses dons multiformes au service de l'Eglise et de la société en général. Il se tourne vers vous pour recevoir de l'encouragement, une direction et une orientation. A une époque saturée d'informations, l'importance d'offrir une solide formation de la foi ne risque par d'être surévaluée. Les catholiques américains ont accordé par tradition une grande valeur à l'éducation religieuse, que ce soit dans les écoles ou dans l'ensemble des programmes de formation pour adultes : il faut maintenir et développer cela. Les nombreux hommes et femmes qui se consacrent généreusement aux œuvres caritatives doivent être aidés à renouveler leur engagement à travers une « formation du cœur » : une « rencontre avec Dieu dans le Christ, qui suscite en eux l'amour et qui ouvre leur esprit à autrui » (Deus caritas est, n. 31).

 

A une époque où les progrès dans les sciences médicales apportent de nouvelles espérances à de nombreuses personnes, des défis éthiques auparavant inimaginables peuvent apparaître. D'où la nécessité, plus importante que jamais, d'assurer une solide formation dans les enseignements moraux de l'Eglise aux catholiques qui sont engagés dans le domaine de la santé. Il est nécessaire dans tous ces domaines d'apostolat, de prendre une direction sage, pour qu'ils puissent porter des fruits abondants. S'ils veulent vraiment promouvoir le bien intégral de la personne, ils doivent eux-mêmes être renouvelés dans le Christ notre espérance.

En tant qu'annonciateurs de l'Evangile et guides de la communauté catholique, vous êtes également appelés à participer à l'échange d'idées sur la scène publique, pour aider à façonner des attitudes culturelles adaptées. Dans un contexte où la liberté de parole est appréciée et un débat substantiel et honnête est encouragé, votre voix est une voix respectée qui a beaucoup à offrir au débat sur les questions sociales et morales de l'actualité. En faisant en sorte que l'Evangile soit entendu de façon claire, non seulement vous formez les personnes de votre communauté, mais, dans le cadre du plus vaste auditoire de la communication de masse, vous aidez à diffuser le message de l'espérance chrétienne dans le monde entier.

 

L'influence de l'Eglise dans le débat public, cela est clair, se déroule à de nombreux niveaux très différents. Aux Etats-Unis, comme ailleurs, existent actuellement beaucoup de lois déjà en vigueur ou en discussion qui suscitent une préoccupation du point de vue de la moralité et la communauté catholique, sous votre direction, doit offrir un témoignage clair et unitaire sur ces matières. L'ouverture graduelle des esprits et des cœurs de la communauté la plus vaste à la vérité morale est toutefois encore plus importante : c'est un domaine dans lequel il y a encore beaucoup à accomplir. Dans ce domaine, le rôle des fidèles laïcs est crucial en agissant comme un « levain » dans la société. Toutefois, on ne doit pas tenir pour acquis que tous les citoyens catholiques pensent selon l'enseignement de l'Eglise à propos des questions éthiques fondamentales d'aujourd'hui. Encore une fois, votre devoir est de faire en sorte que la formation morale offerte à chaque niveau de la vie ecclésiale reflète l'authentique enseignement de l'Evangile de la vie.

 

A ce propos, un thème profondément préoccupant pour nous tous est la situation de la famille au sein de la société. Il est vrai que le cardinal George a tout d'abord rappelé que vous avez placé le renforcement du mariage et de la vie familiale parmi vos priorités pour les prochaines années. Dans le Message de cette année pour la Journée mondiale de la paix, j'ai parlé de la contribution essentielle qu'une vie familiale saine offre à la paix dans et entre les nations. Dans la maison familiale, nous vivons l'expérience « de certaines composantes fondamentales de la paix : la justice et l'amour entre frères et sœurs, la fonction d'autorité manifestée par les parents, le service affectueux envers les membres les plus faibles parce que petits, malades ou âgés, l'aide mutuelle devant les nécessités de la vie, la disponibilité à accueillir l'autre et, si nécessaire, à lui pardonner » (n. 3). La famille est, en outre, le lieu primordial de l'évangélisation, dans la transmission de la foi, dans l'aide aux jeunes à apprécier l'importance de la pratique religieuse et de l'observance du dimanche. Comment ne pas être déconcertés en observant le rapide déclin de la famille en tant qu'élément fondamental de l'Eglise et de la société ? Le divorce et l'infidélité sont en augmentation, et de nombreux jeunes hommes et femmes choisissent de retarder le mariage ou même de l'ignorer complètement. Pour certains jeunes catholiques le lien sacramentel du mariage apparaît peu différent d'un lien civil, ou bien il est carrément perçu comme un simple accord pour vivre avec une autre personne de manière informelle et sans stabilité. En conséquence, on constate une diminution alarmante des mariages catholiques aux Etats-Unis, ainsi qu'une augmentation des cohabitations, dans lesquelles le don réciproque des époux à la manière du Christ, à travers le sceau d'une promesse publique de vivre les exigences d'un engagement indissoluble pendant toute l'existence, est simplement absent. Dans ces circonstances, on nie aux enfants le milieu sûr dont ils ont besoin pour grandir comme des êtres humains, et on nie également à la société ces piliers stables qui sont nécessaires, si l'on veut conserver la cohésion et le centre moral de la communauté.

Comme mon prédécesseur, le pape Jean-Paul II, l'enseignait : « Le premier responsable de la pastorale familiale dans le diocèse est l'évêque... il doit lui consacrer intérêt, sollicitude, temps, personnel, ressources : mais par-dessus tout, il doit apporter un appui personnel aux familles et à tous ceux qui... l'assistent dans la pastorale de la famille » (Familiaris consortio, n. 73). Votre tâche est de proclamer avec force les arguments de foi et de raison qui parlent de l'institution du mariage, compris comme engagement pour la vie entre un homme et une femme, ouvert à la transmission de la vie. Ce message devrait retentir au milieu des personnes d'aujourd'hui, car il est essentiellement un « oui » inconditionné et sans réserve à la vie, un « oui » à l'amour et un « oui » aux aspirations du cœur dans notre humanité commune, alors que nous nous efforçons de mener à bien notre profond désir d'intimité avec les autres et avec le Seigneur.

Parmi les signes contraires à l'Evangile de la vie que l'on peut trouver en Amérique, mais également ailleurs, il y en a un qui cause une profonde honte : l'abus sexuel des mineurs. Beaucoup d'entre vous m'ont parlé de l'immense douleur que vos communautés ont ressenti quand des hommes d'Eglise ont trahi leurs obligations et leurs devoirs sacerdotaux avec un tel comportement gravement immoral. Alors que vous cherchez à éliminer ce mal partout où il se trouve, soyez assurés du soutien priant du Peuple de Dieu dans le monde entier. Vous donnez à juste titre la priorité à la manifestation de compassion et de soutien aux victimes : c'est une responsabilité qui vous vient de Dieu, en tant que pasteurs, qui est celle de panser les blessures causées par chaque violation de la confiance, de favoriser la guérison, de promouvoir la réconciliation et d'aller à la rencontre de ceux qui ont été aussi gravement blessés, avec une sollicitude pleine d'amour.

La réponse à une telle situation n'a pas été facile et, comme l'a indiqué le président de votre Conférence épiscopale, elle a « parfois été très mal gérée ». Maintenant que la dimension et la gravité du problème sont plus clairement comprises, vous avez pu adopter des mesures disciplinaires et des remèdes plus adaptés et promouvoir un milieu sûr qui offre une plus grande protection aux jeunes. Alors que l'on doit se rappeler que la plus grande majorité des prêtres et des religieux en Amérique accomplissent un excellent travail en apportant le message libérateur de l'Evangile aux personnes confiées à leurs soins pastoraux, il est d'une importance vitale que les sujets vulnérables soient toujours protégés de ceux qui pourraient les blesser. A ce propos, vos efforts pour soulager et protéger portent de nombreux fruits non seulement à l'égard de ceux qui sont directement placés sous votre attention pastorale, mais également de la société tout entière.

Toutefois, si nous voulons qu'elles atteignent pleinement leur but, il faut que les mesures et les stratégies que vous avez adoptées soient placées dans un contexte plus large. Les enfants ont le droit de grandir avec une saine compréhension de la sexualité et du rôle qui lui est propre dans les relations humaines. On devrait leur épargner les manifestations dégradantes et la manipulation vulgaire de la sexualité aujourd'hui si dominante ; ils ont le droit d'être éduqués dans les authentiques valeurs morales enracinées dans la dignité de la personne humaine. Cela nous ramène à la considération sur la place centrale de la famille et sur la nécessité de promouvoir l'Evangile de la vie. Que signifie parler de la protection des enfants lorsque la pornographie et la violence peuvent être regardées dans de si nombreuses maisons à travers les mass media largement disponibles aujourd'hui ? Nous devons réaffirmer de toute urgence les valeurs qui soutiennent la société, de manière à offrir aux jeunes et aux adultes une solide formation morale. Tous ont un rôle à jouer dans cette tâche, non seulement les parents, les guides religieux, les enseignants et les catéchistes, mais également l'information et l'industrie du spectacle. Oui, chaque membre de la société peut contribuer à ce renouveau moral et en tirer profit. Prendre vraiment soin des jeunes et de l'avenir de notre civilisation signifie reconnaître notre responsabilité de promouvoir et de vivre les valeurs morales authentiques qui sont les seules à rendre la personne humaine capable de se développer. Votre tâche de pasteurs qui ont comme modèle le Christ, Bon Pasteur, est de proclamer de manière forte et claire ce message et donc d'affronter le péché de l'abus dans le contexte plus vaste des comportements sexuels. En outre, en reconnaissant le problème et en l'affrontant lorsqu'il a lieu dans un contexte ecclésial, vous pouvez offrir une orientation aux autres, étant donné que cette plaie ne se trouve pas seulement au sein de vos diocèses, mais dans tous les secteurs de la société. Elle exige une réponse déterminée et collective.

 

Les prêtres ont eux aussi besoin de votre direction et de votre proximité au cours de cette période difficile. Ils ont vécu l'expérience de la honte à la suite de ce qui est arrivé et un grand nombre d'entre eux se rendent compte qu'ils ont perdu une partie de la confiance qu'ils avaient autrefois. Nombreux sont ceux qui font l'expérience d'une proximité avec le Christ dans sa Passion, alors qu'ils s'efforcent d'affronter les conséquences de la crise actuelle. L'évêque, en tant que père, frère et ami de ses prêtres, peut les aider à tirer du fruit spirituel de cette union avec le Christ, en les rendant conscients de la présence réconfortante du Seigneur au coeur de leurs souffrances, et en les encourageant à marcher avec le Seigneur sur le sentier de l'espérance (cf. Spe salvi, n.39). Comme l'observait le pape Jean-Paul II il y a six ans, « nous devons être confiants dans le fait que ce moment d'épreuve apportera une purification de toute la communauté catholique », conduira « à un sacerdoce plus sain, à un épiscopat plus sain et à une Eglise plus sainte » (Message aux cardinaux des Etats-Unis, 23 avril 2002, n. 4). De nombreux signes montrent que, pendant la période successive, cette purification a vraiment eu lieu. La présence constante du Christ au coeur de nos souffrances transforme graduellement nos ténèbres en lumière : chaque chose est faite à nouveau véritablement dans le Christ Jésus, notre espérance.

En ce moment, une partie vitale de votre tâche est de renforcer les relations avec vos prêtres, en particulier dans les cas où une tension est née entre prêtres et évêques à la suite de la crise. Il est important que vous continuiez à démontrer à leur égard votre préoccupation, votre soutien et votre direction à travers l'exemple. Ainsi, vous les aiderez certainement à rencontrer le Dieu vivant et vous les orienterez vers cette espérance qui transforme l'existence dont parle l'Evangile. Si vous vivez vous-mêmes d'une manière qui se configure étroitement au Christ, le Bon Pasteur, qui donna sa vie pour ses brebis, vous inspirerez vos frères prêtres à se consacrer à nouveau au service du troupeau avec la générosité qui caractérisa le Christ. En vérité, une concentration plus claire sur l'imitation du Christ dans la sainteté de vie est nécessaire si nous voulons aller de l'avant. Nous devons redécouvrir la joie de vivre une existence centrée sur le Christ, en cultivant les vertus et en nous plongeant dans la prière. Lorsque les fidèles savent que leur pasteur est un homme qui prie et qui consacre sa vie à leur service, ils répondent avec une chaleur et une affection qui nourrit et soutient la vie de la communauté tout entière.

Le temps passé à prier n'est jamais perdu, même si les devoirs qui nous pressent de toutes parts sont importants. L'adoration du Christ notre Seigneur dans le Très Saint Sacrement prolonge et intensifie cette union avec lui, qui se constitue à travers la célébration eucharistique (cf. Sacramentum caritatis, n. 66). La contemplation des mystères du Rosaire libère toute leur force salvifique en nous conformant, en nous unissant et en nous consacrant à Jésus Christ (cf. Rosarium Virginis Mariae, 11.15). La fidélité à la Liturgie des Heures garantit que notre journée tout entière soit sanctifiée, en nous rappelant sans cesse la nécessité de rester concentrés sur l'accomplissement de l'œuvre de Dieu, malgré toutes les urgences ou les distractions qui peuvent apparaître face aux obligations à accomplir. De cette manière, la dévotion nous aide à parler et à agir in persona Christi, à enseigner, à gouverner et à sanctifier les fidèles au nom de Jésus, en apportant sa réconciliation, sa guérison et son amour à tous ses frères et sœurs bien-aimés. Cette configuration radicale au Christ Bon Pasteur est au centre de notre ministère pastoral et si nous nous ouvrons, à travers la prière, à la puissance de l'Esprit, Il nous accordera les dons dont nous avons besoin pour accomplir notre devoir formidable, au point de ne jamais nous soucier « pour savoir ce que vous direz ni comment vous le direz » (Mt 10, 19).

En concluant ce discours qui vous est adressé ce soir, je confie de manière toute particulière l'Eglise qui est dans votre pays à la sollicitude maternelle et à l'intercession de Marie Immaculée, Patronne des Etats-Unis. Elle qui a porté dans son sein l'espérance de toutes les nations, puisse-t-elle intercéder pour le peuple de cette nation, afin que tous soient renouvelés en Jésus Christ, son Fils. Chers frères évêques, j'assure chacun de vous ici présents de ma profonde amitié et de ma participation à vos préoccupations pastorales. A vous tous, au clergé, aux religieux et aux fidèles laïcs je donne cordialement ma Bénédiction apostolique, gage de joie et de paix dans le Christ Ressuscité.



 

 

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