LLLLes Nouvelles

 de

Chrétienté

 

N° 129

Le pape aux Etats-Unis

Son enseignement (2)

 

 

 

 

 

Le jeudi 17 avril 2008 à Washington

 

 

Homélie de Benoît XVI lors de la Messe au National’s Stadium :

 

Nous publions ci-dessous le texte intégral de l'homélie que le pape Benoît XVI a prononcée jeudi 17 avril au cours de la messe qu'il a présidée au National's Stadium de Washington, en présence de 46.000 personnes.

 

Chers frères et sœurs dans le Christ,

 

« La paix soit avec vous » (Jn 20, 19). Avec ces mots, les premiers adressés par le Seigneur ressuscité à ses disciples, je vous salue tous dans la joie de ce temps pascal. Tout d'abord, je remercie Dieu pour la grâce de me trouver parmi vous. Je suis particulièrement reconnaissant à Mgr Wuerl de ses aimables paroles de bienvenue.

 

Notre messe d'aujourd'hui reconduit l'Eglise qui est aux Etats-Unis à ses racines dans le proche Maryland et rappelle le 200e anniversaire du premier chapitre de sa croissance considérable - le démembrement par mon prédécesseur, le Pape Pie VII, du diocèse originel de Baltimore et l'instauration des diocèses de Boston, Bardstown (à présent Louisville), New York et Philadelphie. Deux cents ans après, l'Eglise qui est en Amérique peut à juste titre louer la capacité des générations passées à rassembler des groupes d'immigrants très différents dans l'unité de la foi catholique et dans un engagement commun pour la diffusion de l'Evangile.

 

Dans le même temps, la communauté catholique dans ce pays, consciente de sa riche multiplicité, est arrivée à apprécier toujours plus pleinement l'importance de chaque individu et de chaque groupe qui apporte son don particulier à l'ensemble. A présent, l'Eglise qui est aux Etats-Unis est appelée à regarder vers l'avenir, solidement enracinée dans la foi transmise par les générations précédentes et prête à affronter de nouveaux défis - des défis tout aussi exigeants que ceux affrontés par vos ancêtres - avec l'espérance qui naît de l'amour de Dieu déversé dans nos cœurs par l'œuvre de l'Esprit Saint (cf. Rm 5, 5).

 

Dans l'exercice de mon ministère de successeur de Pierre,

 

je suis venu en Amérique pour vous confirmer, chers frères et sœurs, dans la foi des apôtres (cf. Lc 22, 32).

Je suis venu pour proclamer à nouveau, comme saint Pierre le proclama le jour de la Pentecôte, que Jésus Christ est le Seigneur et le Messie, ressuscité de la mort, assis à la droite du Père dans la gloire et constitué juge des vivants et des morts (Ac 2, 14sq).

Je suis venu pour répéter l'exhortation urgente des apôtres à la conversion pour le pardon des péchés et pour implorer du Seigneur une nouvelle effusion de l'Esprit Saint sur l'Eglise dans ce pays. Comme nous l'avons entendu en ce temps pascal, l'Eglise est née à travers les dons du repentir et de la foi dans le Seigneur ressuscité, donnés par l'Esprit. A chaque époque, celle-ci est poussée par ce même Esprit à porter aux hommes et aux femmes de chaque race, langue et peuple (cf. Ap 5, 9) la bonne nouvelle de notre réconciliation avec Dieu dans le Christ.

 

Les lectures de la messe d'aujourd'hui nous invitent à considérer la croissance de l'Eglise en Amérique comme un chapitre dans l'histoire plus vaste de l'expansion de l'Eglise à la suite de la descente de l'Esprit Saint à la Pentecôte. Dans ces lectures, nous voyons le lien inséparable entre le Seigneur ressuscité, le don de l'Esprit pour le pardon des péchés et le mystère de l'Eglise. Le Christ a constitué son Eglise sur le fondement des apôtres (cf. Ap 21, 14) comme une communauté structurée visible, qui est à la fois communion spirituelle, corps mystique animé par les multiples dons de l'Esprit et sacrement de salut pour l'humanité tout entière (cf. Lumen gentium, n. 8). En tout temps et lieu, l'Eglise est appelée à grandir dans l'unité à travers une conversion permanente au Christ, dont l'œuvre rédemptrice est proclamée par les successeurs des apôtres et célébrée dans les sacrements. D'autre part, cette unité comporte une expansion permanente, car l'Esprit incite les croyants à proclamer « les grandes œuvres de Dieu » et à inviter toutes les nations à entrer dans la communauté de ceux qui sont sauvés par le sang du Christ et qui ont reçu la vie nouvelle dans son Esprit.

 

Je prie, ensuite, afin que cet anniversaire significatif dans la vie de l'Eglise des Etats-Unis et la présence du successeur de Pierre parmi vous constituent pour tous les catholiques une occasion pour réaffirmer leur unité dans la foi apostolique, pour offrir à leurs contemporains une raison convaincante de l'espérance qui les inspire (cf. 1 P 3, 15) et pour être renouvelés dans le zèle missionnaire au service de l'expansion du Royaume de Dieu.

 

Le monde a besoin du témoignage ! Qui peut nier que le moment présent constitue un tournant non seulement pour l'Eglise en Amérique, mais également pour la société dans son ensemble ?

C'est un temps rempli de grandes promesses, car nous voyons la famille humaine se rapprocher de différentes manières, devenant toujours plus interdépendante.

 

Toutefois, nous voyons en même temps les signes évidents d'un effondrement préoccupant des fondements mêmes de la société : des signes d'aliénation, de colère et d'opposition chez un grande nombre de nos contemporains ; une violence croissante, un affaiblissement du sens moral, une vulgarité plus importante dans les relations sociales et un oubli toujours plus grand du Christ et de Dieu.

 

L'Eglise voit elle aussi des signes d'immenses promesses dans ses nombreuses paroisses solides et dans les mouvements vivants, dans l'enthousiasme pour la foi démontré par tant de jeunes, dans le nombre de ceux qui chaque année embrassent la foi catholique et dans un intérêt toujours plus grand pour la prière et pour la catéchèse.

 

Dans le même temps, elle perçoit de manière souvent douloureuse la présence de divisions et de noyaux en son sein, et elle fait aussi la découverte déconcertante que de nombreux baptisés, au lieu d'agir comme un levain spirituel dans le monde, sont enclins à adopter des attitudes contraires à la vérité de l'Evangile.

« Tu envoies ton souffle, ils sont créés, tu renouvelles la face de la terre » (cf. Ps 104, 30). Les paroles de l'antienne du Psaume d'aujourd'hui sont une prière qui, en tout temps et lieu, s'élève du cœur de l'Eglise. Elles nous rappellent que l'Esprit Saint a été répandu comme prémices d'une nouvelle création, « un ciel nouveau et une terre nouvelle » (cf. 2 P 3, 13; Ap 21, 1), où régnera la paix de Dieu et la famille humaine sera réconciliée dans la justice et dans l'amour. Nous avons entendu saint Paul nous dire que toute la création « gémit » jusqu'à aujourd'hui, attendant cette véritable liberté, qui est le don de Dieu pour ses enfants (cf. Rm 8, 21-22), une liberté qui nous met en mesure de vivre conformément à sa volonté. Nous prions aujourd'hui avec insistance, pour que l'Eglise en Amérique soit renouvelée dans ce même Esprit et soutenue dans sa mission d'annoncer l'Evangile à un monde qui a la nostalgie d'une vraie liberté (cf. Jn 8, 32), d'un bonheur authentique et de l'accomplissement de ses aspirations les plus profondes !

Je désire maintenant adresser une parole particulière de gratitude et d'encouragement à tous ceux qui ont relevé le défi du Concile Vatican II, répété tant de fois par le Pape Jean-Paul II, et qui ont consacré leur vie à la nouvelle évangélisation. Je remercie mes confrères évêques, prêtres et diacres, religieux et religieuses, parents, enseignants et catéchistes. La fidélité et le courage, avec lesquels l'Eglise dans ce pays réussira à affronter les défis d'une culture toujours plus sécularisée et matérialiste dépendra en grande partie de votre fidélité personnelle dans la transmission du trésor de notre foi catholique. Les jeunes ont besoin d'être aidés à discerner la voie qui conduit à la véritable liberté : la voie d'une sincère et généreuse imitation du Christ, la voie du dévouement à la justice et à la paix. Beaucoup de progrès ont été accomplis dans le développement de programmes solides pour la catéchèse, mais il reste encore beaucoup à faire pour former les cœurs et les esprits des jeunes à la connaissance et à l'amour du Seigneur. Les défis que nous devons affronter demandent une vaste et saine instruction dans la vérité de la foi. Mais ils demandent également de cultiver une façon de penser, une « culture » intellectuelle qui soit authentiquement catholique, confiante dans l'harmonie profonde entre foi et raison, et préparée à apporter la richesse de la vision de la foi en ce qui concerne les questions urgentes qui concernent l'avenir de la société américaine.

 

Chers amis, ma visite aux Etats-Unis entend être un témoignage au « Christ notre espérance ».

 

Les Américains ont toujours été un peuple de l'espérance : vos ancêtres sont venus dans ce pays avec l'espoir de trouver une nouvelle liberté et de nouvelles opportunités, alors que l'ampleur du territoire inexploré leur donnait l'espérance d'être capables de recommencer complètement depuis le début, en créant une nouvelle nation sur de nouvelles bases. Certes, cette attente n'a pas été l'expérience de tous les habitants de ce pays ; il suffit de penser aux injustices subies par les populations américaines autochtones et par ceux qui furent conduits de force de l'Afrique jusqu'ici comme esclaves. Mais l'espérance, l'espérance dans l'avenir fait profondément partie du caractère américain. Et la vertu chrétienne de l'espérance - l'espérance déversée dans nos cœurs par l'œuvre de l'Esprit Saint, l'espérance qui purifie et corrige de manière surnaturelle nos aspirations en les orientant vers le Seigneur et son dessein de salut - cette espérance a également caractérisé, et continue de caractériser la vie de la communauté catholique dans ce pays.

 

C'est dans le contexte de cette espérance née de l'amour et de la fidélité de Dieu que je prends acte de la douleur que l'Eglise en Amérique a éprouvée suite à l'abus sexuel de mineurs. Aucune de mes paroles ne pourrait décrire la douleur et les dommages causés par un tel abus. Il est important qu'à ceux qui ont souffert soit réservée une attention pastorale pleine d'amour. Je ne peux pas non plus décrire de manière appropriée les torts provoqués au sein même de la communauté de l'Eglise. De grands efforts ont déjà été faits pour affronter de manière honnête et juste cette tragique situation et pour assurer que les enfants - que notre Seigneur aime si profondément (cf. Mc 10,14) et qui sont notre plus grand trésor - puissent grandir dans un environnement sûr. Cette attention pour protéger les enfants doit continuer. Hier, j'ai parlé de cela avec vos évêques. J'encourage aujourd'hui chacun de vous à faire ce qui est en son pouvoir pour promouvoir la guérison et la réconciliation et pour aider ceux qui ont été blessés. Je vous demande également d'aimer vos prêtres et de les confirmer dans l'excellent travail qu'ils accomplissent. Et surtout priez afin que l'Esprit Saint répande ses dons sur l'Eglise, ces dons qui conduisent à la conversion, au pardon et à la croissance de la sainteté.

Saint Paul, comme nous l'avons entendu dans la deuxième lecture, parle d'une sorte de prière qui remonte des profondeurs de nos cœurs avec des soupirs trop profonds pour être exprimés en paroles, avec des « gémissements » (Rm 8, 26) suggérés par l'Esprit. C'est une prière qui aspire ardemment, au milieu du châtiment, à l'accomplissement des promesses de Dieu. C'est une prière d'inépuisable espérance, mais aussi de patiente persévérance et, assez fréquemment, accompagnée de la souffrance pour la vérité. Par cette prière nous participons au mystère de la faiblesse et de la souffrance mêmes du Christ, alors que nous avons fermement confiance dans la victoire de sa Croix. Que l'Eglise en Amérique, avec cette prière, suive toujours plus la voie de la conversion et de la fidélité aux exigences de l'Evangile ! Et que tous les catholiques fassent l'expérience du réconfort de l'espérance et des dons de joie et de force prodigués par l'Esprit.

Dans le passage de l'Evangile d'aujourd'hui, le Seigneur ressuscité fait don de l'Esprit Saint aux apôtres et leur concède l'autorité de pardonner les péchés. Par le pouvoir invincible de la grâce du Christ, confié à de fragiles ministres humains, l'Eglise renaît continuellement et l'espérance d'un nouveau départ est donnée à chacun d'entre nous. Nous sommes confiants dans le pouvoir de l'Esprit d'inspirer des conversions, de soigner toutes les blessures, de dépasser toutes les divisions et de susciter une vie et une liberté nouvelles ! Combien avons-nous besoin de tels dons ! Et ils sont tellement à portée de main, notamment dans le sacrement de la pénitence ! La force libératrice de ce sacrement, dans lequel notre confession sincère du péché rencontre la parole miséricordieuse de pardon et de paix de la part de Dieu, a besoin d'être redécouverte et faite sienne par tous les catholiques. Le renouveau de l'Eglise en Amérique dépend en grande partie de la pratique de la pénitence et de la croissance de la sainteté : toutes deux sont inspirées et réalisées par ce sacrement.

« Car notre salut est objet d'espérance! » (Rm 8, 24).

 

Tandis que l'Eglise aux Etats-Unis rend grâce pour les bénédictions des deux cents années passées, je vous invite, vous, vos familles, chaque paroisse et chaque communauté religieuse à vous confier au pouvoir de la grâce pour créer un avenir prometteur pour le Peuple de Dieu dans ce pays. Au nom du Seigneur Jésus, je vous demande d'effacer toute division et de travailler avec joie pour Lui préparer la route, dans la fidélité à sa parole et dans la conversion constante à sa volonté. Je vous encourage surtout à être un levain d'espérance évangélique dans la société américaine, en visant à porter la lumière et la vérité de l'Evangile dans le devoir de créer un monde toujours plus juste et libre pour les générations futures.

 

Qui a l'espérance doit vivre différemment ! (cf. Spe salvi, 2). Puissiez-vous, par vos prières, par le témoignage de votre foi, par la fécondité de votre charité, indiquer la voie vers ce vaste horizon d'espérance que Dieu ouvre encore aujourd'hui pour son Eglise, plus encore pour l'humanité tout entière : la vision d'un monde réconcilié et renouvelé en Jésus Christ, notre Sauveur. A lui honneur et gloire, maintenant et pour toujours. Amen !

*  *  *

Chers frères et sœurs de langue espagnole,

Je souhaite vous saluer avec les mêmes paroles que le Christ adressa à ses apôtres : « La paix soit avec vous ! » (Jn 20, 19). Que la joie de savoir que le Seigneur a triomphé sur la mort et sur le péché vous aide à être, là où vous vous trouvez, des témoins de son amour et semeurs de cette espérance qu'Il est venu nous apporter et qui ne déçoit jamais. Ne vous laissez pas gagner par le pessimisme, l'inertie ou les problèmes. Et surtout, fidèles aux engagements assumés dans le baptême, approfondissez chaque jour la connaissance de Jésus Christ et laissez votre cœur être gagné par son amour et son pardon.

L'Eglise aux Etats-Unis, en accueillant en son sein tant de ses fils émigrés, a grandi aussi grâce à la vitalité du témoignage de foi des fidèles de langue espagnole. C'est pour cela que le Seigneur vous appelle à persévérer dans votre contribution à l'avenir de l'Eglise dans ce pays et à la diffusion de l'Evangile. Ce n'est que si vous restez unis au Christ et entre vous, que votre témoignage évangélisateur sera crédible et s'exprimera dans de nombreux fruits de paix et de réconciliation au cœur d'un monde tant de fois marqué par des divisions et des conflits. L'Eglise attend beaucoup de vous. Ne la décevez pas dans votre engagement généreux. « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement » (Mt 10, 8). Amen !

 

Le vendredi 18 avril 2008

 

Discours de Benoît XVI à l’ONU,

 

Nous publions ci-dessous le texte intégral du discours que le pape Benoît XVI a prononcé ce vendredi aux représentants des Nations, dans la salle de l'Assemblée générale des Nations unies, à New York.

 

 

 

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,

 

En m'adressant à cette Assemblée, j'aimerais avant tout vous exprimer, Monsieur le Président, ma vive reconnaissance pour vos aimables paroles. Ma gratitude va aussi au Secrétaire général, Monsieur Ban Ki-moon, qui m'a invité à venir visiter le Siège central de l'Organisation, et pour l'accueil qu'il m'a réservé. Je salue les Ambassadeurs et les diplomates des Pays membres et toutes les personnes présentes. À travers vous, je salue les peuples que vous représentez ici. Ils attendent de cette institution qu'elle mette en œuvre son inspiration fondatrice, à savoir constituer un « centre pour la coordination de l'activité des Nations unies en vue de parvenir à la réalisation des fins communes » de paix et de développement (cf. Charte des Nations unies, art. 1.2-1.4). Comme le Pape Jean-Paul II l'exprimait en 1995, l'Organisation devrait être un « centre moral, où toutes les nations du monde se sentent chez elles, développant la conscience commune d'être, pour ainsi dire, une famille de nations » (Message à l'Assemblée générale des Nations unies pour le 50e anniversaire de la fondation, New York, 5 octobre 1995).

 

À travers les Nations unies, les États ont établi des objectifs universels qui, même s'ils ne coïncident pas avec la totalité du bien commun de la famille humaine, n'en représentent pas moins une part fondamentale. Les principes fondateurs de l'Organisation - le désir de paix, le sens de la justice, le respect de la dignité de la personne, la coopération et l'assistance humanitaires - sont l'expression des justes aspirations de l'esprit humain et constituent les idéaux qui devraient sous-tendre les relations internationales.

 

Comme mes prédécesseurs Paul VI et Jean-Paul II l'ont affirmé depuis cette même tribune, tout cela fait partie de réalités que l'Église catholique et le Saint-Siège considèrent avec attention et intérêt, voyant dans votre activité un exemple de la manière dont les problèmes et les conflits qui concernent la communauté mondiale peuvent bénéficier d'une régulation commune. Les Nations unies concrétisent l'aspiration à « un degré supérieur d'organisation à l'échelle internationale » (Jean-Paul II, Encycl. Sollicitudo rei socialis, n. 43), qui doit être inspiré et guidé par le principe de subsidiarité et donc être capable de répondre aux exigences de la famille humaine, grâce à des règles internationales efficaces et à la mise en place de structures aptes à assurer le déroulement harmonieux de la vie quotidienne des peuples. Cela est d'autant plus nécessaire dans le contexte actuel où l'on fait l'expérience du paradoxe évident d'un consensus multilatéral qui continue à être en crise parce qu'il est encore subordonné aux décisions d'un petit nombre, alors que les problèmes du monde exigent, de la part de la communauté internationale, des interventions sous forme d'actions communes.

En effet, les questions de sécurité, les objectifs de développement, la réduction des inégalités au niveau local et mondial, la protection de l'environnement, des ressources et du climat, requièrent que tous les responsables de la vie internationale agissent de concert et soient prêts à travailler en toute bonne foi, dans le respect du droit, pour promouvoir la solidarité dans les zones les plus fragiles de la planète. Je pense en particulier à certains pays d'Afrique et d'autres continents qui restent encore en marge d'un authentique développement intégral, et qui risquent ainsi de ne faire l'expérience que des effets négatifs de la mondialisation. Dans le contexte des relations internationales, il faut reconnaître le rôle primordial des règles et des structures qui, par nature, sont ordonnées à la promotion du bien commun et donc à la sauvegarde de la liberté humaine. Ces régulations ne limitent pas la liberté. Au contraire, elles la promeuvent quand elles interdisent des comportements et des actions qui vont à l'encontre du bien commun, qui entravent son exercice effectif et qui compromettent donc la dignité de toute personne humaine. Au nom de la liberté, il doit y avoir une corrélation entre droits et devoirs, en fonction desquels toute personne est appelée à prendre ses responsabilités dans les choix qu'elle opère, en tenant compte des relations tissées avec les autres. Nous pensons ici à la manière dont les résultats de la recherche scientifique et des avancées technologiques ont parfois été utilisés. Tout en reconnaissant les immenses bénéfices que l'humanité peut en tirer, certaines de leurs applications représentent une violation évidente de l'ordre de la création, au point non seulement d'être en contradiction avec le caractère sacré de la vie, mais d'arriver à priver la personne humaine et la famille de leur identité naturelle. De la même manière, l'action internationale visant à préserver l'environnement et à protéger les différentes formes de vie sur la terre doit non seulement garantir un usage rationnel de la technologie et de la science, mais doit aussi redécouvrir l'authentique image de la création. Il ne s'agira jamais de devoir choisir entre science et éthique, mais bien plutôt d'adopter une méthode scientifique qui soit véritablement respectueuse des impératifs éthiques.

La reconnaissance de l'unité de la famille humaine et l'attention portée à la dignité innée de toute femme et de tout homme reçoivent aujourd'hui un nouvel élan dans le principe de la responsabilité de protéger. Il n'a été défini que récemment, mais il était déjà implicitement présent dès les origines des Nations unies et, actuellement, il caractérise toujours davantage son activité. Tout État a le devoir primordial de protéger sa population contre les violations graves et répétées des droits de l'homme, de même que des conséquences de crises humanitaires liées à des causes naturelles ou provoquées par l'action de l'homme. S'il arrive que les États ne soient pas en mesure d'assurer une telle protection, il revient à la communauté internationale d'intervenir avec les moyens juridiques prévus par la Charte des Nations unies et par d'autres instruments internationaux. L'action de la communauté internationale et de ses institutions, dans la mesure où elle est respectueuse des principes qui fondent l'ordre international, ne devrait jamais être interprétée comme une coercition injustifiée ou comme une limitation de la souveraineté. À l'inverse, c'est l'indifférence ou la non-intervention qui causent de réels dommages. Il faut réaliser une étude approfondie des modalités pour prévenir et gérer les conflits, en utilisant tous les moyens dont dispose l'action diplomatique et en accordant attention et soutien même au plus léger signe de dialogue et de volonté de réconciliation.

 

Le principe de la « responsabilité de protéger » était considéré par l'antique ius gentium comme le fondement de toute action entreprise par l'autorité envers ceux qui sont gouvernés par elle : à l'époque où le concept d'État national souverain commençait à se développer, le religieux dominicain Francisco De Vitoria, considéré à juste titre comme un précurseur de l'idée des Nations unies, décrivait cette responsabilité comme un aspect de la raison naturelle partagé par toutes les nations, et le fruit d'un droit international dont la tâche était de réguler les relations entre les peuples. Aujourd'hui comme alors, un tel principe doit faire apparaître l'idée de personne comme image du Créateur, ainsi que le désir d'absolu et l'essence de la liberté. Le fondement des Nations unies, nous le savons bien, a coïncidé avec les profonds bouleversements dont a souffert l'humanité lorsque la référence au sens de la transcendance et à la raison naturelle a été abandonnée et que par conséquent la liberté et la dignité humaine furent massivement violées. Dans de telles circonstances, cela menace les fondements objectifs des valeurs qui inspirent et régulent l'ordre international et cela mine les principes intangibles et coercitifs formulés et consolidés par les Nations unies. Face à des défis nouveaux répétés, c'est une erreur de se retrancher derrière une approche pragmatique, limitée à mettre en place des « bases communes », dont le contenu est minimal et dont l'efficacité est faible.

 

La référence à la dignité humaine, fondement et fin de la responsabilité de protéger, nous introduit dans la note spécifique de cette année, qui marque le soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l'homme. Ce document était le fruit d'une convergence de différentes traditions culturelles et religieuses, toutes motivées par le désir commun de mettre la personne humaine au centre des institutions, des lois et de l'action des sociétés, et de la considérer comme essentielle pour le monde de la culture, de la religion et de la science.

 Les droits de l'homme sont toujours plus présentés comme le langage commun et le substrat éthique des relations internationales. Tout comme leur universalité, leur indivisibilité et leur interdépendance sont autant de garanties de protection de la dignité humaine. Mais il est évident que les droits reconnus et exposés dans la Déclaration s'appliquent à tout homme, cela en vertu de l'origine commune des personnes, qui demeure le point central du dessein créateur de Dieu pour le monde et pour l'histoire.

Ces droits trouvent leur fondement dans la loi naturelle inscrite au cœur de l'homme et présente dans les diverses cultures et civilisations. Détacher les droits humains de ce contexte signifierait restreindre leur portée et céder à une conception relativiste, pour laquelle le sens et l'interprétation des droits pourraient varier et leur universalité pourrait être niée au nom des différentes conceptions culturelles, politiques, sociales et même religieuses. La grande variété des points de vue ne peut pas être un motif pour oublier que ce ne sont pas les droits seulement qui sont universels, mais également la personne humaine, sujet de ces droits.

 

À la fois nationale et internationale, la vie de la communauté met clairement en évidence que le respect pour les droits et pour les garanties qui leur sont attachées sont la mesure du bien commun, utilisée pour apprécier le rapport entre justice et injustice, développement et pauvreté, sécurité et conflits. La promotion des droits de l'homme demeure la stratégie la plus efficace quand il s'agit de combler les inégalités entre des pays et des groupes sociaux, quand il s'agit aussi de renforcer la sécurité. En effet les victimes de la misère et du désespoir dont la dignité humaine est impunément violée, deviennent des proies faciles pour les tenants du recours à la violence et deviennent à leur tour des destructeurs de paix. Pourtant le bien commun que les droits de l'homme aident à réaliser ne peut pas être atteint en se contentant d'appliquer des procédures correctes ni même en pondérant des droits en opposition. Le mérite de la Déclaration universelle a été d'ouvrir à des cultures, à des expressions juridiques et à des modèles institutionnels divers la possibilité de converger autour d'un noyau fondamental de valeurs et donc de droits : mais c'est un effort qui, de nos jours, doit être encore plus soutenu face à des instances qui cherchent à réinterpréter les fondements de la Déclaration et à compromettre son unité interne pour favoriser le passage de la protection de la dignité humaine à la satisfaction de simples intérêts, souvent particuliers. La Déclaration a été adoptée comme « un idéal commun qui est à atteindre » (Préambule) et elle ne peut pas être utilisée de manière partielle, en suivant des tendances ou en opérant des choix sélectifs qui risquent de contredire l'unité de la personne humaine et donc l'indivisibilité de ses droits.

Nous constatons souvent dans les faits une prédominance de la légalité par rapport à la justice quand se manifeste une attention à la revendication des droits qui va jusqu'à les faire apparaître comme le résultat exclusif de dispositions législatives ou de décisions normatives prises par les diverses instances des autorités en charge. Quand ils sont présentés sous une forme de pure légalité, les droits risquent de devenir des propositions de faible portée, séparés de la dimension éthique et rationnelle qui constitue leur fondement et leur fin.

La Déclaration universelle a en effet réaffirmé avec force la conviction que le respect des droits de l'homme s'enracine avant tout sur une justice immuable, sur laquelle la force contraignante des proclamations internationales est aussi fondée. C'est un aspect qui est souvent négligé quand on prétend priver les droits de leur vraie fonction au nom d'une perspective utilitariste étroite. Parce que les droits et les devoirs qui leur sont liés découlent naturellement de l'interaction entre les hommes, il est facile d'oublier qu'ils sont le fruit du sens commun de la justice, fondé avant tout sur la solidarité entre les membres du corps social et donc valable dans tous les temps et pour tous les peuples. C'était une intuition exprimée, dès le Ve siècle après Jésus Christ, par l'un des maîtres de notre héritage intellectuel, Augustin d'Hippone. Il enseignait que « le précepte : ‘Ce que tu ne veux pas qu'on te fasse, ne le fais pas à autrui' ne peut en aucune façon varier en fonction de la diversité des peuples » (De Doctrina Christiana III, 14). Les droits de l'homme exigent alors d'être respectés parce qu'ils sont l'expression de la justice et non simplement en raison de la force coercitive liée à la volonté des législateurs.

 

Mesdames et Messieurs,

 

À mesure que l'on avance dans l'histoire, de nouvelles situations surgissent et l'on cherche à y attacher de nouveaux droits. Le discernement, c'est-à-dire la capacité de distinguer le bien du mal, est encore plus nécessaire quand sont en jeu des exigences qui appartiennent à la vie et à l'action de personnes, de communautés et de peuples. Quand on affronte le thème des droits, qui mettent en jeu des situations importantes et des réalités profondes, le discernement est une vertu à la fois indispensable et féconde.

 

Le discernement nous amène alors à souligner que laisser aux seuls États, avec leurs lois et leurs institutions, la responsabilité ultime de répondre aux aspirations des personnes, des communautés et de peuples tout entier peut parfois entraîner des conséquences rendant impossible un ordre social respectueux de la dignité de la personne et de ses droits. Par ailleurs, une vision de la vie solidement ancrée dans la dimension religieuse peut permettre d'y parvenir, car la reconnaissance de la valeur transcendante de tout homme et de toute femme favorise la conversion du cœur, ce qui conduit alors à un engagement contre la violence, le terrorisme ou la guerre, et à la promotion de la justice et de la paix.

 

Cela favorise aussi un milieu propice au dialogue interreligieux que les Nations unies sont appelées à soutenir comme elles soutiennent le dialogue dans d'autres domaines de l'activité humaine.

 

Le dialogue doit être reconnu comme le moyen par lequel les diverses composantes de la société peuvent confronter leurs points de vue et réaliser un consensus autour de la vérité concernant des valeurs ou des fins particulières. Il est de la nature des religions librement pratiquées de pouvoir mener de manière autonome un dialogue de la pensée et de la vie. Si, à ce niveau là aussi, la sphère religieuse est séparée de l'action politique, il en ressort également de grands bénéfices pour les personnes individuelles et pour les communautés. D'autre part, les Nations unies peuvent compter sur les fruits du dialogue entre les religions et tirer des bénéfices de la volonté des croyants de mettre leur expérience au service du bien commun. Leur tâche est de proposer une vision de la foi non pas en termes d'intolérance, de discrimination ou de conflit, mais en terme de respect absolu de la vérité, de la coexistence, des droits et de la réconciliation.

 

Les droits de l'homme doivent évidemment inclure le droit à la liberté religieuse, comprise comme l'expression d'une dimension à la fois individuelle et communautaire, perspective qui fait ressortir l'unité de la personne tout en distinguant clairement entre la dimension du citoyen et celle du croyant. Au cours des dernières années, l'action des Nations unies a permis que le débat public offre des points de vue inspirés par une vision religieuse dans toutes ses dimensions y compris le rite, le culte, l'éducation, la diffusion d'information et la liberté de professer et de choisir sa religion. Il n'est donc pas imaginable que des croyants doivent se priver d'une partie d'eux-mêmes - de leur foi - afin d'être des citoyens actifs. Il ne devrait jamais être nécessaire de nier Dieu pour jouir de ses droits. Il est d'autant plus nécessaire de protéger les droits liés à la religion s'ils sont considérés comme opposés à une idéologie séculière dominante ou à des positions religieuses majoritaires, de nature exclusive. La pleine garantie de la liberté religieuse ne peut pas être limitée au libre exercice du culte, mais doit prendre en considération la dimension publique de la religion et donc la possibilité pour les croyants de participer à la construction de l'ordre social. Ils le font effectivement à l'heure actuelle par exemple à travers leur engagement efficace et généreux dans un vaste réseau d'initiatives qui va des Universités, des Instituts scientifiques et des écoles, jusqu'aux structures qui promeuvent la santé et aux organisations caritatives au service des plus pauvres et des laissés-pour-compte. Refuser de reconnaître l'apport à la société qui s'enracine dans la dimension religieuse et dans la recherche de l'Absolu - qui par nature exprime une communion entre les personnes - reviendrait à privilégier dans les faits une approche individualiste et, ce faisant, à fragmenter l'unité de la personne.

 

Ma présence au sein de cette Assemblée est le signe de mon estime pour les Nations unies et elle veut aussi manifester le souhait que l'Organisation puisse être toujours davantage un signe d'unité entre les États et un instrument au service de toute la famille humaine. Elle manifeste aussi la volonté de l'Église catholique d'apporter sa contribution aux relations internationales d'une manière qui permette à toute personne et à tout peuple de sentir qu'ils ont leur importance. D'une manière qui est en harmonie avec sa contribution au domaine éthique et moral et à la libre activité de sa foi, l'Église travaille aussi à la réalisation de ces objectifs à travers l'activité internationale du Saint-Siège. Le Saint-Siège a en effet toujours eu sa place dans les assemblées des Nations tout en manifestant son caractère spécifique comme sujet dans le domaine international. Comme les Nations unies l'ont récemment confirmé, le Saint-Siège apporte aussi sa contribution selon les dispositions du droit international, aidant à la définition de ce droit et y recourant.

Les Nations unies demeurent un lieu privilégié où l'Église s'efforce de partager son expérience « en humanité », qui a mûri tout au long des siècles parmi les peuples de toute race et de toute culture, et de la mettre à la disposition de tous les membres de la Communauté internationale. Cette expérience et cette activité, qui visent à obtenir la liberté pour tout croyant, cherchent aussi à assurer une protection plus grande aux droits de la personne. Ces droits trouvent leur fondement et leur forme dans la nature transcendante de la personne, qui permet aux hommes et aux femmes d'avancer sur le chemin de la foi et de la recherche de Dieu dans ce monde. Il faut renforcer la reconnaissance de cette dimension si nous voulons soutenir l'espérance de l'humanité en un monde meilleur et si nous voulons créer les conditions pour la paix, le développement, la coopération et la garantie des droits pour les générations à venir.

Dans ma récente encyclique Spe salvi, je rappelais que « la recherche pénible et toujours nouvelle d'ordonnancements droits pour les choses humaines est le devoir de chaque génération » (n. 25). Pour les chrétiens, cette tâche trouve sa justification dans l'espérance qui jaillit de l'œuvre salvifique de Jésus Christ. C'est pourquoi l'Église est heureuse d'être associée aux activités de cette honorable Organisation qui a la responsabilité de promouvoir la paix et la bonne volonté sur toute la terre. Chers Amis, je vous remercie de m'avoir permis de m'adresser à vous aujourd'hui et je vous promets le soutien de mes prières pour que vous poursuiviez votre noble tâche.

Avant de prendre congé de cette illustre Assemblée, je voudrais adresser mes souhaits dans les langues officielles à toutes les nations qui y sont représentées :

[En anglais; en français; en espagnol; en arabe; en chinois; en russe:]

Paix et prospérité, avec l'aide de Dieu !

Merci !