LLLLes Nouvelles
de
Chrétienté
N° 131
Notre dissociété est fille de Mai 68
ou
« Prégnance de la
société sur l’individu »
un article de Georges
Dillinger
Mai
68-Mai 2008.
C’est
un anniversaire. Quarante ans ! Toute la presse parle de mai 68. Il n’était
pas possible que Item n’y fasse pas allusion. Il se trouve qu’en 2004, j’ai lu
le livre fort intéressant de Georges Dillinger : «Mai 68 ou la mauvaise
graine ».(distribution : Georges Dillinger, 10 Bd Diderot. 75012
Paris) ainsi que les deux article qu’il consacra au même sujet dans Présent.
Dans « Regard sur le monde » de novembre 2004, je parlais de tout cela. Je vous redonne ici
l’article fort intéressant de Georges Dillinger. Et dans la « Paroisse
saint Michel », je reprends la présentation que je faisais du livre. Tout
cela me parait vraiment intéressant. Aussi après avoir lu cet article,
ici, allez voir le commentaire du livre
de Dillinger dans la paroisse de cette semaine.
Cet
article est une bonne analyse politique de la situation dans laquelle se trouve
notre pays. Elle pourra paraître sombre et pessimiste à plusieurs. Mais elle contient, si l’on en
fait une lecture attentive, le contre-poison du mal. C’est en dire l’intérêt.
Face
à l’individualisme hédoniste où
Lisez
cet article de Georges Dillinger … pour vous en donner l’envie, lisez cette
phrase :« Quelles vertus millénaires étaient aux antipodes de l’esprit de
Mai 68 ? A l’évidence, c’était l’esprit de sacrifice et, plus banalement,
le simple esprit de soumission. Ces vertus sont celles qui avaient été
enseignées, entretenues et vivifiées par le christianisme depuis près de deux
millénaires…Autant dire que ces vertus entretenues par l’Eglise millénaire
avaient sous-tendu notre société, lui avaient conféré son extraordinaire force
de vivre et l’impératif du bien commun premier servi. »
Voici l’article :
« Notre dyssociété est fille de
Mai 68. Prégnance de la société sur l'individu »
« Nos contemporains sont incarcérés
dans une situation administrative de plus en plus prégnante. Marqués de leur
numéro national, ils sont astreints à une multitude de déclarations auprès des
services les plus divers. Ils sont depuis la naissance – et même avant –
l'objet d'examens, de contrôles obligatoires, de visites et de contre-visites.
Ils ont aussi l'obligation de payer pour leur retraite, pour les risques de
leur santé ou du chômage, pour les risques qu'ils peuvent faire courir aux
autres. Leurs revenus, leurs frais professionnels, leurs dons et leur charité,
les travaux auxquels ils se livrent, tout doit faire l'objet de déclarations
précises dûment contrôlables et souvent contrôlées. Leur résidence, leur
voiture, leurs biens ne sont pas l'objet de moins d'obligations d'assurance, de
contrôle, d'autorisations, etc.
Cet invraisemblable carcan administratif,
sécrété par une bureaucratie tentaculaire, est malheureusement complété dans le
domaine économique et fiscal par une multitude de contraintes qui entravent
l'activité et l'efficacité des Français. Tout
cela explique que nombreux sont ceux qui souhaitent une libération des
individus et qui se font les chantres de l'individualisme.
Nous
allons cependant tenter de montrer ici que le drame de notre époque réside bien
plus dans une libération des comportements et des mentalités des individus – l'unité
la plus petite en laquelle puisse se diviser la société.
L'objectif véritable de Mai
68
Les journées de mai-juin 1968 ont été la
manifestation spectaculaire et symbolique d'un mouvement qui cheminait et se
développait depuis longtemps. Ces journées révolutionnaires n'avaient pas
d'objectif politique immédiat. Elles
s'inscrivaient dans un mouvement qui consistait en une révolution des mœurs,
une anarchie de l'esprit et du comportement, ruinant tous les fondements de
notre société et mettant à mal ses défenses immunitaires. Trente-cinq ans
plus tard, notre société est profondément défaite. C'est plus que jamais une dyssociété
au sens de Marcel De Corte.
Car l'objectif des soixante-huitards
était clair : ce qui sous-tendait
les slogans extravagants accompagnant leurs manifestations destructrices et si
souvent sanguinaires, c'était l'individu, érigé comme la seule et unique valeur, aux dépens de toute forme de
société, de tout résidu de société, éliminant du même coup le souci du bien
commun. Toute une idéologie
profondément libertaire sous-tendait en fait cette chienlit soixante-huitarde,
où les uns n'ont voulu voir qu'une manifestation étudiante, d'autres une
irruption de vandalisme et de furie sanguinaire ; d'autres enfin
l'expression d'une sorte de folie collective marquée par les excès des slogans
martelés pendant des semaines et une violence sans rapport avec les
revendications (?).
Des principes incendiaires :
L’égalité
Cette
idéologie reposait d'abord sur les principes d'égalité et de liberté, poussés
jusqu'à l'extrême, jusqu'à l'absurde, jusqu'à la plus terrible nocivité.
Le concept politique séculaire d'égalité exigeait un poids identique
de chaque citoyen dans les élections, un même traitement par la justice, par le
fisc, les mêmes devoirs envers la nation et sa défense. Il impliquait enfin une
tentative de rétablir une égalité des chances face aux différents handicaps,
aux différences de talents ou de conditions sociales, présentes dans toute
société humaine. Mais l'idéologie de 68,
qui n'a cessé de se développer depuis, va bien au-delà. C'est par exemple
l'identité – et bientôt la parité – entre l'homme et la femme, s'inscrivant
en faux contre leurs aptitudes et la complémentarité de leur fonction sociale,
découlant de leur vocation biologique différente et complémentaire. C'est l'identité de droit sur notre
patrimoine du citoyen français – qui avec ses ancêtres a concouru à enrichir ce
patrimoine – et du dernier venu de l'autre bout du monde qui, non content de
s'être invité chez nous, entend s'imposer à la première place. C'est la mise à plat de tous les individus
quels que soient leurs efforts, leurs mérites, leur travail, leur conduite,
leur respect de la loi et des obligations civiques ou morales. Plus
généralement et dans tous les champs de la vie sociale, c'est l'égalité du bien et du mal, comme en d'autres domaines du beau
et du laid, du vrai et du faux.
La liberté
La
liberté poussée à l'extrême
n'est pas moins dangereuse, pas moins destructrice. « Il est interdit
d'interdire », c'est le refus de
tous les commandements, de tous les devoirs
– patriotiques, civiques, familiaux, individuels –, de toutes les
contraintes – morales en particulier –, de toutes les règles, de toutes les
décences. La combinaison de ces deux brûlots ruine toute organisation
sociale, qui ne peut reposer que sur une certaine autorité, une certaine
hiérarchie et un minimum de soumission. Se
trouvent ainsi évacués le respect et l'obéissance dus au chef de famille, à
l'enseignant, au supérieur hiérarchique, au patron, à l'autorité morale et
politique de la cité. Cette
idéologie débouche sur une anarchie de l'esprit et du comportement,
spectaculairement étalée tout au long de ces journées et de ces nuits de
manifestations déchaînées. L'individu
ne connaît plus de limites. La société n'a plus sa place. Le bien commun n'est
plus qu'une vieille lune.
L'anathème jeté – souvent par cette arme
redoutable qu'est la dérision – sur les valeurs spirituelles, morales et
civiques de l'Occident, dissout la force qui avait caractérisé la civilisation
occidentale, qui l'avait mise en tête du monde et qui l'avait fait bientôt
imiter de tous.
Trente-cinq
ans après Mai 68, le concept dominateur de notre dyssociété se trouve dans
l'esprit des droits de l'homme.
Les Déclarations des droits de l'homme visaient en principe à protéger la
liberté et la dignité des individus contre les emprises et les abus de tel ou
tel pouvoir politique. L'esprit des
droits de l'homme, quant à lui, va en fait bien au-delà. Cet esprit,
d'inspiration libertaire, a glissé de cette défense de la liberté politique à
l'approbation et à l'encouragement d'une révolution contre toutes les
contraintes exercées par la société : morale, exigences familiales,
devoirs envers l'enfant, et obéissant aux règles civiques, patriotiques, etc.
Une nouvelle dérive a mené de cette libération des contraintes sociales à
l'attention bienveillante apportée aux auteurs de transgressions caractérisées
des règles et des lois. Jamais
l'intelligentsia n'a été aussi sourcilleuse sur les droits de l'assassin,
jamais aussi indifférente sur le malheur de sa victime.
La mise à mal des entités
sociales fondamentales
Et d’abord de la famille
La désagrégation propagée atteint en
premier lieu la cellule de base de toute société humaine : la famille. Un des thèmes obsessionnels de Mai 68 a été la libération
sexuelle. Dévier et dénaturer la pulsion sexuelle en la coupant de sa fonction
biologique, la procréation, pour la fourvoyer dans l'érotisme, est une
entreprise vieille comme le monde. Mais celle-ci n'a sans doute jamais été poussée
avec autant de détermination – et d'efficacité – qu'en mai 1968. Peut-on
s'étonner dès lors que, dans des cas si nombreux, se soient substitués au
mariage – institution existant dans toutes les sociétés humaines et revêtue du
sceau du sacré – des associations de hasard, des compagnonnages éphémères.
Notons que ces pratiques dont la nouveauté tient à la généralisation ravalent
l'homme au-dessous de l'animal, comme le prouve la fidélité qui est de règle
dans tant d'espèces d'oiseaux ou de mammifères à la lumière d'études
éthologiques modernes. Bien entendu ce recul de la nuptialité, qui contribue à
marquer le triomphe de l'individualisme, fragilise considérablement notre
société (1). En outre, il est une des raisons du recul de la natalité, qui
annonce la fin des Français sinon la fin de l'espèce...
La
soif de libération de tous les instincts, de toutes les perversions, a débouché
aussi sur ce qu'on appelle l'homosexualité, mise à égalité avec une prétendue
hétérosexualité – terme parfaitement redondant. Tous les médias se sont conjugués pour
faire la promotion de ce vice et de cette déviation. La loi en donnant au PACS
un statut légal l'a mis à égalité et en concurrence avec le mariage, alors
qu'il n'en est que la singerie, et alors que, dans la plus parfaite opposition
avec le mariage, il ne peut marquer que le refus de l'engendrement.
Ensuite de l’école
L'école a fait l'objet d'un effort de
démolition tout particulier, alors qu'elle était restée tant bien que mal un
instrument de formation et de promotion sociale remarquable jusqu'en
Dans de trop nombreux cas, l'école n'est
plus qu'un champ de ruines où les maîtres et les élèves peuvent être soumis aux
pires sévices et aux pires exactions. Une pédagogie fumeuse, qui ne veut plus
enseigner les connaissances et prétend les faire découvrir, met en péril le
cursus des élèves qui ne peuvent être aidés chez eux. Cette école
soixante-huitarde développe et aggrave ainsi l'inégalité sociale qu'autrefois l'institution
avait combattue avec efficacité. En pleine décadence, cette école produit une
proportion croissante d'analphabètes, d'illettrés et d'individus désocialisés.
Enfin la haine du
patriotisme.
Le patriotisme n'est pas moins maudit. Le
mouvement de Mai 68, dans la descendance directe des mouvements beatniks et
hippies, a dénoncé la guerre, toutes les guerres – du moins celles faites par
une puissance occidentale – avec la dernière véhémence. Il a refusé la
conscription et ses intellectuels ont adulé l'insoumission et la trahison. Il
n'a pas été suffisamment souligné à quel point ce prétendu « refus de la
violence » faisait partie de l'idéologie de mort qui caractérise ce
mouvement libertaire et sa descendance. Car le refus de se défendre, de
défendre sa patrie, sa société, sa civilisation, ses citoyens, est en réalité
un repli sur soi qui signe la mort de la communauté au sein de laquelle on le
laisse se développer.
Les ressorts de la
démoralisation
Dans l'idéologie libertaire, on ne se
contente pas de tourner le dos systématiquement aux pratiques et aux vertus du
passé. On nous a conduits à nous focaliser sur des fautes réelles, exagérées ou
purement imaginaires commises par notre civilisation. En fait, il en est une si
grave qu'elle écrase toutes les précédentes, c'est
Que
pèse une société qui n'est plus constituée que par ses individus esseulés, sans
patrie, sans famille, sans passé, sans encadrement solidaire ?
Complicité de fait de
Quelles vertus millénaires étaient aux
antipodes de l'esprit de Mai 68 ? A l'évidence, c'était l'esprit de sacrifice et, plus banalement, le
simple esprit de soumission. Ces vertus sont celles qui avaient été
enseignées, entretenues et vivifiées par le christianisme depuis près de deux
millénaires. Car si l'impérieux commandement « Que votre volonté soit
faite sur la terre comme au ciel » ne soumettait qu'à Dieu, cette
soumission s'était naturellement prolongée à l'égard des hiérarchies humaines,
des règles, des lois et des autorités profanes. C'est bien pour cela que depuis des siècles, la religion cristallisait
toutes les haines et la furie destructrice révolutionnaire. Quant au
sacrifice, n'était-il pas inscrit dans les Croisades, dans les missions et dans
les martyrs, et ne s'était-il pas projeté également dans la défense de valeurs
civiles, du royaume – de droit divin – à la patrie, même laïque et
républicaine ? Autant dire que ces
vertus entretenues par l'Eglise millénaire avaient sous-tendu notre société,
lui avaient conféré son extraordinaire force vive et l'impératif du bien commun
premier servi.
L'Eglise moderniste triomphant avec le
concile Vatican II est pétrie de doutes et se complaît en questionnements. Les
certitudes dogmatiques ne font plus l'unanimité et – ce qui aurait été
considéré naguère comme une apostasie – les clercs préfèrent souvent un message
humanitarosocial au souci de la vie éternelle qui devrait, à la lumière de
l'Evangile, dominer l'esprit du chrétien en chacun des instants de sa vie
terrestre.
En
outre, l'Eglise moderniste a eu tendance à transférer à la société les devoirs
enjoints par le Christ à la personne. Le glissement est aussi illégitime qu'il
est pernicieux et lourd de conséquences. La paix du Christ est un commandement
individuel. Il n'est pas admissible d'en déduire l'exclusion de la vertu de
force et une obligation de non-violence pour la société à laquelle on dénierait
ainsi le droit et le devoir de se défendre, de défendre ses citoyens, leur
patrimoine, leur territoire, leur avenir, leur survie. Pourquoi d'ailleurs le Christ aurait-il
rappelé la distinction entre Dieu et César ? Que chaque chrétien ait un
devoir de compassion active à l'égard de l'étranger ou du prisonnier n'implique
en rien d'enjoindre à la nation de se laisser envahir totalement ou de fermer
les prisons comme le réclament des modernistes. Le parti qui peut être tiré de
ces dérives au profit de l'idéologie soixante-huitarde est évident et catastrophique.
Triomphe de l'idéologie
soixante-huitarde
La solidarité entre les Français s'est
défaite alors qu'on n'en a jamais autant parlé dans notre pays. Recroquevillés
dans leur égoïsme, les Français n'ont plus aucune notion de leurs devoirs
mutuels, ni de la nécessité de préserver et de défendre un avenir commun.
Malheureusement l'esprit soixante-huitard
n'est plus l'apanage de quelques révolutionnaires d'époque, vieillis, et de
quelques intellectuels propageant un individualisme forcené, sous le coup d'une
haine destructrice à l'égard de notre société et de tous ses fondements. Dans les trois décennies et demie
écoulées depuis l'explosion de ce cloaque, l'idéologie que dévoilaient les
slogans les plus délirants a étendu ses ravages à tout un chacun. Elle a gagné
sans conteste les pouvoirs médiatiques, l'enseignement, la plus grande partie
du pouvoir judiciaire, mais aussi éminemment les pouvoirs politiques.
Une multitude de lois plus permissives
les unes que les autres seraient à citer. Leur objectif, plus ou moins
apparent, plus ou moins évident, est toujours de libérer l'individu non seulement de toutes les contraintes, de tous les
commandements, de tous les tabous de la morale, mais même des lois de la
nature. En particulier le pouvoir législatif, qu'il soit de gauche ou qu'il
se prétende de droite, propage lui-même les pires abominations aux dépens de
notre société. Il a apporté un concours
déterminant à l'idéologie de mort qui étend tous les jours davantage son
spectre sur nous. Et il a agi ainsi en substituant à cette union sacrée
qu'était le mariage une institution
de plus en plus lâche, de plus en plus fragile – avec un divorce de plus en
plus facile et accordé primordialement aux caprices des individus – et, en lui
suscitant la concurrence abjecte du PACS,
en banalisant et en officialisant l'union d'individus du même sexe, en
autorisant l'usage de pilules abortives du lendemain, en légalisant et en
remboursant l'avortement qui assassine des centaines de milliers d'enfants
chaque année. Les pratiques immorales,
contre nature ou même criminelles, que rien ne pouvait favoriser plus
efficacement que l'estampille législative, ont été l'un des facteurs principaux
de la fin de l'engendrement qui signera la fin de notre société.
Nos
lois et nos magistrats
s'avèrent d'une complaisance sans limites à l'égard des incitations à
l'érotisme propagées par tant de vecteurs : la pornographie de la
publicité, les turpitudes étalées dans de si nombreux films à la télévision et
de ce tout-à-l'égout qu'est devenue une grande partie de la littérature
contemporaine, sans parler encore d'incitations scolaires scandaleuses.
L'intérêt porté à ces turpitudes et leur pratique avilissent le caractère et
détournent les individus de leur vocation à la procréation. Une complaisance
qui confine à la complicité accompagne la pratique de la drogue qui corrompt
une population et, généralisée, la tue à petit feu. Or on sait de quelles sollicitudes sont entourées maintenant ces
ignobles rave-parties, au sujet desquelles les députés ont rejeté avec horreur
la simple obligation d'une déclaration préalable que voulait instituer une
proposition d'amendement... Bien entendu, les collectivités territoriales
ne veulent pas rester en arrière par rapport au pouvoir central : il n'est
que de voir ces Gay Pride dûment
autorisées, dûment encouragées, qui souillent nos cités et incitent des jeunes
à incliner à leur tour vers la perversion.
Conclusion
Bien entendu, c'est largement avant mai
1968 que se sont déjà affaiblies les vertus transcendantes qui font la force
d'une société et sont indispensables à sa santé et à sa simple survie :
religion, imprégnation par le sacré qui s'incarne dans chaque homme sous la
forme de l'esprit de sacrifice. Ce sont ces vertus et c'est cet esprit qui
faisaient la cohésion et l'union des entités sociales : familles,
collectivités, patrie, animées d'une véritable communion interne. Dès lors que
cette sacralité, seule source de force respectable, était altérée ou éradiquée,
la désagrégation de notre société était irrémédiablement en marche.
Mais la révolution de mai 1968 allait
accélérer considérablement le processus. Ses slogans, ses proclamations, les
pires comportements débridés et étalés eurent d'autant plus d'impact qu'ils
étaient accompagnés de manifestations violentes et même sanguinaires, que les
médias leur donnaient une diffusion générale et de tous les instants, et qu'on
a fait croire qu'ils étaient véhiculés par la jeunesse estudiantine, censée
représenter l'avenir – avec la jeunesse et l'intelligence – en tant que mouvement
étudiant. Et ce fut la
proclamation de l'individu, érigé en valeur suprême, libéré
de tout ordre et tout spécialement d'ordre moral. Et
ce fut l'obsession proclamée et réalisée de l'hédonisme sous toutes ses formes
jusqu'aux pires abjections sexuelles, jusqu'à cet instrument de déchéance et de
mort qu'est la drogue. Ce fut la haine proclamée du service militaire,
l'anathème jeté sur les forces de l'ordre, etc. L'Occident connaissait déjà le
matérialisme triomphant, hérité à la fois des succès du rationalisme et du
consumérisme. Mai 1968 allait contribuer à imposer la recherche du plaisir
comme idéal de vie : la course aux gadgets, les spectacles, les voyages,
la jouissance sous toutes ses formes.
Mai 1968 fut le départ d'une permissivité
sans précédent dans le droit fil des turpitudes étalées tout au long de cette
chienlit. Ce fut d'abord une permissivité d'esprit. La tolérance fit l'objet
d'une véritable promotion. Elle n'était plus ce qu'elle avait toujours
été : le fait de supporter un mal qui ne peut présentement être éradiqué.
Elle était devenue la liberté d'exercer le mal mis à égalité avec le bien. De
là on est passé à une permissivité plus concrète, par exemple celle de tant de
magistrats, ajoutant au refus de la condamnation morale la réduction maximale
de la sanction pénale. Et l'on sait la flambée de la violence, de la
délinquance et du crime dont ce laxisme est responsable.
La société vivante avec ses devoirs
sacrés, avec ses solidarités fraternelles, avec son encadrement salutaire, avec
sa communion des esprits et des âmes, tout cela a vécu. Les entités sociales
les plus sacrées telles que la famille ou la patrie ont été machiavéliquement
mises à mal, ont perdu leur sens, leur valeur, voire même leur validité. Notre
société, désacralisée, est déréglée. Elle est décomposée, au sens de la
décomposition qui affecte un cadavre. Il
ne reste que des individus, pleins d'eux-mêmes et vides du reste, boursouflés
dans leur orgueil, démesurés dans leur égoïsme, obsédés de même de leurs droits
et d'une libido hégémonique. C'est un troupeau d'individus sans âme, sans foi,
sans ardeur, sans défenses immunitaires. Il est mûr pour le servage.
Observons encore que dans ce nihilisme intégral, c'est la jeunesse
qui est la principale victime. Elle souffre tragiquement de la perte de tout
idéal, de toute transcendance. Elle souffre de cet immoralisme totalement
démoralisant. Elle souffre de l'affaiblissement, de la débâcle des familles,
dont le rôle affectif et éducatif était irremplaçable pour conduire un
nouveau-né à la dignité d'une personne humaine.
Nous connaissons la révolution ultime.
Car il est impossible de diviser la société au-delà de l'individu qui en est,
comme son nom l'indique, l'unité indivisible. Ces sociétés libérales en
décomposition avancée que sont les social-démocraties modernes présentent le
masque quasiment mortuaire de la plus totale désagrégation sociale.
G.D.
(1) Parmi les naissances encore enregistrées,
40 % à l'heure actuelle se produisent déjà en dehors du mariage. N'est-il
pas évident que les enfants issus de ces rencontres – librement consenties mais
aussi librement défaites – ont les chances les plus faibles de profiter
longuement de l'indispensable stabilité du couple qui les a engendrés ? La
considération du destin de ces êtres de chair et de sang, fruits du plaisir, ne
saurait suffire à contrecarrer la sacro-sainte liberté individuelle.
(2) Cet article de Georges Dillinger fut
publié dans Présent, dans ses numéros 5521 et 5522.