LLLLes Nouvelles
de
Chrétienté
N° 145
Soljenitsyne,
l’Occident,
Nous
recopions l’excellent article de
Danielle Masson sur Soljenitsyne publié dans Présent du Samedi 27 septembre
2008.
Inhumé comme il l’avait désiré dans le bois
du monastère de Donskoï, haut lieu de
Il est malvenu, sans doute, de mourir au
mois d’août, à quelques jours des Jeux olympiques. Mais on peut trouver à cet «
hommage manqué » d’autres raisons.
Ce qui ne lui sera pas pardonné
Il y a des choses que la presse, surtout la
presse de gauche, ne pardonnera pas à celui qu’elle appelle « ce géant ».
D’abord, de n’avoir pas été aimée de lui : la presse, écrivait Soljenitsyne, «
ce flot insupportable d’informations superflues », contre laquelle il réclamait
« le droit au silence ».
Ensuite, d’avoir donné à la « littérature
engagée » un sens hérétique. Libération s’en explique avec quelque
embarras : « Une particularité de l’auteur… est que, traditionnellement, la
littérature dite engagée… défend les valeurs réputées les plus familières à la
gauche a comme ambition de convaincre ou faire pression sur) la droite. C’est
en s’engageant contre cette gauche, que l’écrivain fit le succès de sa
littérature engagée. »
Mais surtout, au pays de ce qu’il appelait
lui-même « le mensonge triomphant », sur le passé, le présent, l’avenir,
Soljenitsyne a crié la vérité sur les camps, avec L’Archipel du Goulag,
quêté la vérité passée avec
Historien, prophète, artiste avant tout : «
La forme littéraire qui m’attire plus est le roman polyphonique, avec des
coordonnées précises, de temps et de lieu », parce qu’elle lui permet de ne
négliger aucun aspect de vérité.
Anticommuniste et contre-révolutionnaire
Experte en mensonge, l’Humanité déclare
que « ses livres ont révélé le goulag ». Or, la réalité des camps était
connue dès 1927, grâce à Raymond Duguet (Un bagne en Russie
rouge), puis avec Victor Kravchenko (J’ai choisi liberté) publié
en France en 1947.
L’Humanité affirme qu’Aragon et
l’équipe des Lettres françaises « conduisirent la traduction » de
Soljenitsyne en France, mais omet de dire que Kravchenko fut accusé par les Lettres
françaises, d’être un prête-nom des services américains ; malgré un procès
au terme duquel l’hebdomadaire fut condamné, Kravchenko se suicida en 1966.
La presse de gauche est unanime à célébrer
le combat de Soljenitsyne contre « le stalinisme ». Or, pour lui, Staline
n’était pas un satrape oriental, il était l’incarnation du communisme. « Le
stalinisme, écrivait-il, est une invention des intellectuels occidentaux » pour
exonérer le communisme de ses crimes. L’abomination avait commencé dès la
révélation bolchevique de 1917 avec Lénine et Trotski, et duré jusqu’aux
dernières heures de l’URSS, en 1991.
Au-delà même du communisme, c’est à toute
révolution que s’attaque l’écrivain : « toute révolution déchaîne les instincts
de la plus élémentaire barbarie ». D’où, en 1993, sa présence à l’inauguration
du Mémorial aux victimes vendéennes de
Le Nouvel Observateur rend hommage
au romancier et fustige l’historien, et « l’indigeste Roue rouge ».
C’est que, dans ce prodigieux décryptage du passé, Soljenitsyne s’attaque au
communisme comme à un corps étranger à
coup d’Etat. Février est tombé de lui-même.
»
A cette destruction de l’ancienne Russie,
Soljenitsyne, dans Deux siècles ensemble, accusait la passion
révolutionnaire des jeunes juifs d’avoir âprement contribué : « Qu’est-ce donc
qui poussait ces juifs, au milieu de la plèbe en délire à bafouer si
brutalement ce que le peuple vénérait encore ? » On allait le taxer
d’antisémitisme, il refait toute zone interdite : « J’aurais aimé éprouver mes
forces à un sujet moins épineux, mais je considère que cette histoire – à tout
le moins l’effort pour y pénétrer – ne doit pas rester zone interdite. »
Les accusations d’antisémitisme, jointes à
celles de « conservatisme » (l’Huma, de rêve d’une « Russie passéiste et
obscurantiste » (Libé) ou à celles, plus feutrées, du Monde, qui
souligne son « côté traditionaliste, voire réactionnaire, russophile, voire
nationaliste », contribuent à déboulonner la statue du « géant » qu’on fait
semblant d’admirer.
A vrai dire, dès 1979, lorsqu’il taxait la
démocratie libérale de « bazar mercantile » qui ne valait pas mieux que le «
bazar idéologique de l’Est », et ajoutait : « Les hommes ont oublié Dieu, tout
vient de là », un éditorial du New Yorker le comparait à l’ayatollah
Khomeiny pour son refus de l’Occident athée.
On attendait un dissident converti à la
démocratie occidentale, c’est une démocratie à la russe qu’il prône, inspirée d’une
réforme mise en place en 1860 par le tsar Alexandre II : les zemstvos,
assemblées locales élues par le peuple et relativement autonomes, système
pyramidal basé à l’échelon le plus bas, et qui exprime à sa manière le principe
de subsidiarité.
Le souci de
Son rejet tout à la fois du communisme et
de l’Occident libéral conduit à ce qui, pour Libé et bien d’autres, est son
péché mortel : son « ralliement à Vladimir Poutine ». En 2000, il reçoit pendant
trois heures le tout nouveau Président. Le 12 juin 2007, Poutine lui remet le
prix d’Etat, plus haute distinction du pays. Il ressemblait alors à une statue
du musée Grévin : faut-il expliquer par l’âge ce « ralliement » ?
Notons d’abord l’impropriété du terme, car
Poutine, au contraire de Soljenitsyne, est enclin à « normaliser » le passé
soviétique. Mais, dès 1974, l’écrivain adressait aux dirigeants de l’Union
soviétique une lettre où il jugeait que « la bonne voie pour sauver le pays »
était « une période autoritaire de transition ». Cette période, Eltsine ne l’a
pas assumée, laissant les oligarques piller le pays : « La seule chose à
laquelle nous tenons, c’est qu’on nous laisse nous adonner sans frein à
l’ivrognerie. »
Cette Russie humiliée, Soljenitsyne estimait
que Poutine avait entrepris de la relever : « Il a reçu en héritage un pays
pillé et à genoux, avec une majorité de la population démoralisée et tombée
dans la misère. Il a commencé sa reconstruction, lentement. »
Son souci, c’est
première guerre de Tchétchénie une « faute
politique ». Mais il soutint la seconde, dès lors qu’elle lui parut une opération
antiterroriste contre un islam menaçant l’orthodoxie. En revanche, ce souci de
Cette Russie, il pensait avec candeur, l’incarner.
A un rescapé des prisons tsaristes qui lui dit détenir des archives
intéressantes qu’il conservait « pour
La force rédemptrice du repentir
Mal entendu de l’Occident, le serat- il
mieux de
Pour lui, la frontière entre le bien et le
mal ne passe pas entre les classes, mais dans le cœur de chaque homme. Cela
veut dire aussi que les Russes n’ont pas seulement été victimes du communisme ;
ils en ont été complices dans la mesure où ils ont consenti au mensonge.
Soljenitsyne les invite donc au repentir, et ne s’en exclut pas luimême. L’Archipel
du Goulag est aussi le livre d’un coupable, que l’emprisonnement a
paradoxalement libéré. Libéré de sa conception marxiste du monde : « Bénie
sois-tu prison, béni soit le rôle que tu as joué dans ma vie. » Le salut qu’il
propose ne consiste pas dans la satisfaction de désirs insatiables, mais dans
ce qu’il appelle « l’autorestriction » ou « l’autolimitation radieuse ». Il est
peu probable qu’une Russie prompte à imiter la soif occidentale de jouissance,
soit prête à écouter son message.
En revanche, aux antipodes de cette Russie-là,
il y a L’Ile, le chef-d’œuvre cinématographique de Pavel Lounguine.
Un homme expie sans cesse ni trêve un crime
de jeunesse en se faisant moine dans les solitudes glacées de Carélie, où les
aubes ressemblent aux premiers matins du monde, sans jamais être sûr d’être
pardonné. Il incarne, sans doute, l’extrémisme des saints, un extrémisme qu’il
impose aux autres, et l’on songe qu’une clé pour comprendre ce père Anatoli est
peut-être le tout ou rien des orthodoxes, qui croient au paradis et à l’enfer,
mais pas au purgatoire. Mais, par-delà