LLLLes Nouvelles
de
Chrétienté
N° 148
L’hommage
de
Benoît XVI à Pie XII
Nous publions ci-dessous le texte intégral de l'homélie que
le pape Benoît XVI a prononcée jeudi 9 octobre lors de la messe qu'il a
présidée dans
Célébrant la messe en la basilique Saint-Pierre, à
l’occasion du 50e anniversaire de la mort de Pie XII, le Pape a rendu au cours
de son homélie un hommage sans réserves à son prédécesseur. La presse en a
retenu son souhait de voir « l’heureux déroulement » du procès en béatification
de Pie XII. Un souhait qui prend en effet le contre-pied des déclarations du
grand rabbin de Haïfa, Shear Yshuv Cohen, premier religieux juif invité à
s’exprimer au cours du synode qui se penche actuellement à Rome sur
Avec beaucoup de bienveillance et de pédagogie, mais
surtout avec une fermeté remarquée, Benoît XVI a contré cette objection. En
même temps, il a poursuivi sa réflexion sur l’œuvre spirituelle, doctrinale,
intellectuelle et scientifique du « Pape Pacelli », rompant avec ce silence
dont Jean Madiran a décrit ici combien il s’était durablement installé dans
l’Eglise.
Benoît XVI, revêtu de ses – splendides – ornements
liturgiques, est descendu, après avoir célébré la messe, dans la crypte sous la
basilique pour se recueillir devant la tombe de Pie XII.
Messieurs les cardinaux,
Vénérés frères dans l'épiscopat et le sacerdoce,
Chers frères et sœurs,
Le passage du livre de l'Ecclésiastique et le prologue de
Saint Pierre, de son côté, dans le récit qui a été proposé,
en s'adressant aux chrétiens des communautés d'Asie mineure qui étaient «
affligés par diverses épreuves », va encore plus loin :
malgré tout, leur demande-t-il, « Vous en tressaillez de joie » (1P 1,
6). L'épreuve est en effet nécessaire, observe-t-il, « afin que, bien éprouvée,
votre foi, plus précieuse que l'or périssable que l'on vérifie par le feu,
devienne un sujet de louange, de gloire et d'honneur, lors de
A la lumière de ces textes bibliques, nous pouvons lire le parcours terrestre du pape Pacelli et son long service envers l'Eglise, commencé sous Léon XIII et poursuivit sous Pie X, Benoît XV et Pie XI. Ces textes bibliques nous aident surtout à comprendre la source à laquelle il a puisé son courage et sa patience au cours de son ministère pontifical qui s'est déroulé durant les douloureuses années du deuxième conflit mondial et la période suivante, non moins complexe, de la reconstruction et des difficiles rapports internationaux, passés à l'histoire sous la significative appellation de « guerre froide ».
« Miserere mei Deus, secundum magnam misericordiam tuam » : c'est par cette invocation extraite du Psaume 50/51 que Pie XII ouvrait son testament. Et il poursuivait : « Ces mots que je prononçai, conscient d'être sans mérites et non préparé, au moment où je donnai, en tremblant, mon acceptation à l'élection comme Souverain Pontife, je les répète maintenant avec plus de raison ». C'était deux ans avant sa mort. S'abandonner dans les mains miséricordieuses de Dieu : telle fut l'attitude que cultiva constamment mon vénéré Prédécesseur, le dernier des papes nés à Rome, appartenant à une famille en relation avec le Saint-Siège depuis de nombreuses années.
En Allemagne, où il exerça les fonctions de nonce
apostolique, d'abord à Munich puis à Berlin jusqu'en 1929, il laissa derrière
lui un souvenir emplit de gratitude, surtout pour avoir collaboré avec Benoît
XV à la tentative de mettre fin à l'« inutile massacre » de
« Celui qui écoute ma parole et croit (...) a la vie
éternelle » (Jn 5, 24). Cette assurance de Jésus, que nous avons écoutée
dans l'Evangile, nous fait penser aux moments les plus durs du pontificat de
Pie XII lorsque, sentant s'évanouir toute sécurité humaine, il ressentait
fortement le besoin, également à travers un effort ascétique permanent,
d'adhérer au Christ, unique certitude qui ne passe pas.
La guerre mit en évidence l'amour qu'il nourrissait pour sa « Rome bien-aimée », un amour témoigné par l'intense œuvre de charité qu'il accomplissait en faveur des persécutés, sans tenir compte d'aucune distinction de religion, d'ethnie, de nationalité, d'appartenance politique. Lorsqu'à maintes reprises, pendant l'occupation de la ville, on lui conseilla de quitter le Vatican pour se mettre à l'abri, sa réponse fut toujours la même, identique et décisive : « Je ne laisserai pas Rome et mon poste, même si je devais en mourir » (cf. Summarium, p. 186). Ses proches et d'autres témoins firent, en outre, part de ses privations de nourriture, de chauffage, de vêtements, de commodités, qu'il s'imposait volontairement pour partager la condition de la population durement éprouvée par les bombardements et par les conséquences de la guerre (cf. A. Tornielli, Pie XII, Un uomo sul trono di Pietro). Et comment oublier son radio-message de Noël, en décembre 1942 ? Avec une voix brisée par l'émotion, il déplora la situation des « centaines de milliers de personnes qui, sans aucune faute de leur part, mais seulement pour des raisons de nationalité ou de race, sont destinées à la mort ou à un progressif dépérissement » (AAS, XXXV, 1943, p. 23), se référant très clairement à la déportation et à l'extermination perpétrée contre les juifs. Il a souvent agi dans le secret et le silence, parce qu'à la lumière des situations concrètes de la complexité de ce moment historique, il avait l'intuition que c'est seulement de cette manière que l'on pouvait éviter le pire et sauver le plus grand nombre possible de juifs. De nombreux et unanimes témoignages de reconnaissances lui furent adressés à la fin de la guerre pour ses interventions, ainsi qu'au moment de sa mort, par les plus hautes autorités du monde juif, comme par exemple le ministre des Affaires étrangères d'Israël, Mme Golda Meir, qui lui écrivit : « Quand le martyre le plus épouvantable a frappé notre peuple, durant les dix années de terreur du nazisme, la voix du Souverain Pontife s'est élevée en faveur des victimes », concluant avec émotion : « Nous pleurons la perte d'un grand serviteur de la paix ».
Malheureusement, le débat historique, qui n'a pas toujours
été serein, sur la figure du serviteur de Dieu Pie XII, a négligé de mettre en
lumière tous les aspects de son pontificat polyédrique. Les discours, les
allocutions et les messages qu'il a adressés aux scientifiques, aux médecins,
aux responsables des plus diverses catégories de travailleurs, dont certains
d'entre eux sont, encore aujourd'hui, d'une extraordinaire actualité et qui
continuent d'être un point ferme de référence, ont été très nombreux. Paul VI,
qui fut son fidèle collaborateur pendant de nombreuses années, le décrivit
comme un érudit, un chercheur attentif, ouvert aux voies modernes de la
recherche et de la culture, restant fermement, et avec cohérence, fidèle tant
aux principes de la rationalité humaine, qu'à l'intangible dépôt des vérités de
la foi. Il le considérait comme un précurseur du Concile Vatican II (cf.
Angelus du 10 mars 1974). Dans cette perspective, un grand nombre de ses
documents mériteraient d'être rappelés, mais je me limiterai à n'en citer que
quelques-uns. Avec l'encyclique Mystici Corporis, publiée le 29 juin
1943 alors que la guerre faisait encore rage, il décrivait les rapports
spirituels et visibles qui unissent les hommes au Verbe incarné, et proposait
d'intégrer, dans cette perspective, tous les principaux thèmes de
l'ecclésiologie, offrant pour la première fois une synthèse dogmatique et
théologique sur laquelle se baserait
Quelques mois après, le 20 septembre 1943, avec l'encyclique
Divino afflante Spiritu, il fixait les normes doctrinales pour l'étude
des Saintes Ecritures, en mettant en relief son importance et son rôle dans la
vie chrétienne. Il s'agit d'un document qui témoigne d'une grande ouverture à
la recherche scientifique sur les textes bibliques. Comment ne pas rappeler
cette encyclique, alors que se déroulent les travaux du Synode qui a justement
pour thème «
La troisième encyclique que je voudrais mentionner est Mediator Dei, consacrée à la liturgie, publiée le 20 novembre 1947. Avec ce document, le serviteur de Dieu donna l'impulsion au mouvement liturgique, insistant sur l' « élément essentiel du culte », qui « doit être celui interne : il est, en effet, nécessaire - écrit-il - de vivre toujours en Christ, de se dédier à Lui, afin qu'en Lui, avec Lui et pour Lui on glorifie le Père. La sainte Liturgie exige que ces deux éléments soient intimement liés... Autrement, la religion devient un formalisme sans fondement et sans contenu ». Ensuite, nous ne pouvons pas, non plus, ne pas évoquer l'élan important que ce Souverain Pontife donna à l'activité missionnaire de l'Eglise avec les encycliques Evangelii praecones (1951) et Fidei donum (1957), mettant en relief le devoir pour chaque communauté d'annoncer l'Evangile aux nations, comme le fera, avec une courageuse vigueur, le Concile Vatican II. Le pape Pacelli avait, du reste, manifesté son amour pour les missions dès le début de son pontificat quand, au mois d'octobre 1939, il avait voulu consacrer personnellement douze évêques provenant de pays de mission, dont un indien, un chinois, un japonais, le premier évêque africain et le premier évêque de Madagascar. Enfin, l'une de ses préoccupations pastorales constantes fut la promotion du rôle des laïcs, pour que la communauté ecclésiale puisse compter sur toutes les énergies et les ressources disponibles. Pour cela aussi, l'Eglise et le monde lui sont reconnaissants.
Chers frères et sœurs, alors que nous prions pour que la
cause de béatification du serviteur de Dieu Pie XII ait une heureuse issue, il
est bon de rappeler que la sainteté fut son idéal, un idéal qu'il ne manqua pas
de proposer à tous. Pour cela, il donna une forte impulsion aux causes de
béatifications et de canonisations de personnes appartenant à des populations
différentes, de représentants de tous les états de vie, fonctions et
professions, réservant une vaste place aux femmes. C'est Marie justement,