LLLLes Nouvelles
de
Chrétienté
N° 159
Il faut sauver nos cathédrales
Par Bruno de Cessole, le
18-12-2008, de « Valeurs actuels »
Toutes convictions confondues, les Français sont attachés
à leurs églises, or celles-ci sont, pour beaucoup, en péril. Une situation qui
résulte de la diminution des crédits mais aussi de l’indifférence.
En 1914 Maurice Barrès publiait la Grande Pitié des églises de France,
cri d’alarme adressé au gouvernement français à propos du délabrement
inquiétant des lieux de culte en France. « Qu’allez vous faire M. Briand
pour empêcher nos églises de mourir ? » interrogeait l’auteur de la Colline inspirée.
Le socialiste Aristide Briand, maintes fois ministre et président du Conseil,
avait été, de fait, le rapporteur de la loi de séparation des Églises et de
l’État, loi qui fut – involontairement – à l’origine de la dégradation du
patrimoine cultuel français.
C’est aux communes, en effet, que le texte législatif confiait l’entretien des
églises, décision désapprouvée, à l’époque, par 50 % des maires. En revanche,
la loi de 1905 attribuait à l’État l’entretien des cathédrales, le mot étant
entendu au sens de circonscription cultuelle et administrative : église
épiscopale d’un diocèse. Depuis le Concordat de 1802, on compte une cathédrale
par département, ce qui excluait une quarantaine d’églises cathédrales existant
sous l’Ancien Régime. Aux termes de la loi, les dépenses de gros oeuvre sont
assumées par l’État, le clergé prenant en charge les frais de fonctionnement
courant, comme le chauffage, l’éclairage ou, plus récemment, la sonorisation.
Dès la mise en application de la loi de 1905 un certain nombre
d’églises ne pouvant être entretenues par de petites communes furent laissées à
l’abandon ou détruites, situation qui motiva l’enquête puis l’intervention de
Barrès au Parlement, et, enfin, conséquence inattendue, la rédaction, par le
député Salomon Reinach, de la fameuse loi de 1913 sur la protection des
monuments historiques. À y regarder de près, le nombre d’édifices désaffectés a
été relativement faible : on avance que 144 églises, dont une trentaine bâties
au XIXe siècle, ont perdu leur statut cultuel, et été affectées à un autre
usage ou démolies. Sur les quelque 45 000 églises de France, ce nombre est
faible, et plus insignifiant encore rapporté au chiffre global d’édifices
cultuels qui atteint les 100 000 en incluant les chapelles.
Cependant, la situation actuelle n’est pas sans rappeler
celle du début du XXe siècle, et le titre de l’enquête de Barrès pourrait la
qualifier avec autant de pertinence. C’est avec raison que l’on pourrait parler
de “la grande pitié des églises de France”, et notamment de la détresse des
cathédrales, ces symboles éclatants du “blanc manteau” d’églises qui, depuis
l’an mil, a recouvert la France.Un peu partout, les associations
de sauvegarde du patrimoine signalent des églises en péril ou menacées de
destruction, dans les villes comme dans les campagnes. Le problème est que la
grande majorité de ces bâtiments appartient à des communes aux moyens limités,
quand elles ne sont pas en déficit (75 % des églises sont du ressort de
communes de moins de 3 000 habitants) et pour lesquelles le montant d’éventuels
travaux excède de beaucoup le budget. Particulièrement lorsque ces bâtiments ne
sont pas protégés au titre des Monuments historiques, ce qui est le cas des
deux tiers des lieux de culte. Et même lorsqu’il s’agit d’édifices protégés,
statut qui est celui des grandes cathédrales françaises, la situation reste
préoccupante. Parmi les 89 cathédrales dépendant de l’État certaines, et parmi
les plus prestigieuses, nécessitent des travaux à la fois considérables et
urgents. Notamment, les cathédrales de Strasbourg, Chartres, Orléans, Rouen,
Nantes, Bordeaux, Moulins et Bayonne.
La fameuse tempête de 1999 a causé des dégâts qui sont loin d’être réparés. Fondatrice
de l’Observatoire du patrimoine religieux, créé en 2006 par Mme Béatrice de Andia, qui fut longtemps déléguée à l’action artistique de la Ville de Paris,mène,avec les
membres de son association, une action remarquable à la fois pour constituer
une base de données exhaustive sur le patrimoine cultuel national, pour
sauvegarder et faire connaître ce patrimoine souvent peu connu, pour alerter
les autorités publiques, les associations de sauvegarde, les médias, sur des
cas exemplaires, ou encore pour aider les communes qui cherchent des aides et
des mécènes afin de restaurer des églises en péril. « Notre patrimoine
religieux, plaide-t-elle, est sans doute le plus important d’Europe, car
la France a
été, du Moyen Âge au XVIIIe siècle le pays le plus peuplé, avec une répartition
de la population sur l’ensemble du territoire. Les communes créées par la Révolution se
sont calquées sur les paroisses de l’Ancien Régime, mais il se trouve que ces
paroisses comptaient, parfois, plus d’une église, de sorte que le nombre
d’édifices cultuels, en comptant les chapelles, avoisine les cent mille. Privés
d’aides publiques pour les deux tiers, ces lieux de culte ne peuvent, souvent,
être entretenus et restaurés par des communes qui sont contraintes à arbitrer
entre des choix plus pressants.De surcroît, le
regroupement de communes, la désertification des campagnes, la baisse de
fréquentation religieuse, font qu’il est tentant de laisser se dégrader ces
édifices, qui, quand ils ne bénéficient pas de la protection au titre des
monuments historiques, ne peuvent plus compter dès lors que sur le mécénat
privé ; la Fondation
du patrimoine, La
Sauvegarde de l’art français, par exemple, qui ont engagé de
nombreuses actions de mécénat dans ce domaine. Pour les édifices classés ou
protégés, des travaux en cours ont été, malheureusement, interrompus ou annulés
faute de crédits. Actuellement l’État est en situation de retard sur les
travaux engagés, ce qui place les entreprises spécialistes de la restauration
des monuments historiques dans une situation délicate.Non
payées par l’État, elles sont contraintes de licencier du personnel (lire
pages suivantes). Partant, des monuments vont tomber en ruines, et c’est un
savoir-faire artisanal unique qui risque de disparaître. Cette situation,
hélas, ne paraît pas devoir cesser car les crédits d’État affectés à la
restauration des monuments historiques sont en baisse d’au moins 20 %. »
Cette situation critique, un rapport du Sénat, rédigé par
Philippe Nachbar, “Monuments historiques : une
urgence pour aujourd’hui, un atout pour demain”, la dénonçait récemment. Selon la Direction de
l’architecture et du patrimoine, 20 % des monuments classés seraient en
situation de péril, soit 2 800 bâtiments sur un total de 15 000.Parmi ceux-ci,
églises et chapelles sont au premier rang, et des démolitions sont inévitables.
Un autre rapport, tout récent, de Jean-Jacques Aillagon,
pour le Conseil économique et social, préconise de faire passer les cathédrales
du giron de l’État dans celui des départements. Pour Béatrice de Andia, ce serait une erreur : « M. Aillagon,
observe-t-elle, introduit dans son rapport une distinction entre les
cathédrales hautement “symboliques”, que l’État continuerait d’entretenir, et
les cathédrales “secondaires” que les départements devraient prendre en charge.
Mais, sur quels critères décider qu’une cathédrale est d’intérêt national ou
local ? » De plus, ajoute-t-elle, il n’est pas envisageable de changer la
loi de 1905 qui attribue l’entretien des cathédrales françaises à l’État.Voire.
La cathédrale moins bien lotie que la mosquée
Il est vraisemblable, tout à l’encontre, que la loi de 1905
fasse l’objet de modifications visant, comme le propose le rapport Machelon, remis en 2006, à un ministre de l’Intérieur du
nom de Nicolas Sarkozy, à supprimer ou amender l’article 2 qui stipule que «
la République
ne reconnaît […] ni ne subventionne aucun culte », mais aussi de
changer le code général des collectivités territoriales afin que celles-ci
puissent « accorder des aides à la construction des lieux de culte »
sans « instauration d’un plafond légal ».
Ainsi, à la fin de l’année devrait s’achever le chantier de
la grande mosquée de Strasbourg, financé en partie par des subventions
publiques, à hauteur de 26 % du montant total des travaux. Dans le même temps,
les travaux de restauration de la cathédrale de Strasbourg, budgétés en 2002,
sont en panne. Plus de huit ans après la tempête de 1999, les dégâts
occasionnés n’ont pas été réparés, comme c’est le cas pour d’autres édifices
cultuels majeurs. Tandis qu’un vaste programme de construction de mosquées est
en cours dans l’ensemble du pays, nos cathédrales sont en déshérence.Tel
est le charme déconcertant du “paradoxe français”.