de
Chrétienté
N°
169
LETTRE DE SA SAINTETÉ BENOÎT XVI
AUX ÉVÊQUES DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE
au sujet de la levée de
l'excommunication
des quatre Évêques consacrés par Mgr
Lefebvre
Nous publions ci-dessous la lettre que Benoît XVI a adressée
aux évêques de l'Eglise catholique au sujet de la levée de l'excommunication
des quatre évêques consacrés par Mgr Lefebvre, publiée ce jeudi 12 mars par la
salle de presse du Saint-Siège.
Chers Confrères dans le ministère épiscopal !
La levée de l'excommunication des quatre Évêques,
consacrés en 1988 par Mgr Lefebvre sans mandat du Saint-Siège, a suscité,
pour de multiples raisons, au sein et en dehors de l'Église catholique une
discussion d'une véhémence telle qu'on n'en avait plus connue depuis très
longtemps. Cet événement, survenu à l'improviste et difficile à situer
positivement dans les questions et dans les tâches de l'Église d'aujourd'hui, a
laissé perplexes de nombreux Évêques. Même si beaucoup d'Évêques et de fidèles
étaient disposés, à priori, à considérer positivement la disposition du Pape à
la réconciliation, néanmoins la question de l'opportunité d'un tel geste face
aux vraies urgences d'une vie de foi à notre époque s'y opposait. Inversement,
certains groupes accusaient ouvertement le Pape de vouloir revenir en arrière,
au temps d'avant le Concile : d'où le déchaînement d'un flot de
protestations, dont l'amertume révélait des blessures remontant au-delà de
l'instant présent. C'est pourquoi je suis amené, chers Confrères, à vous fournir
quelques éclaircissements, qui doivent aider à comprendre les intentions qui
m'ont guidé moi-même ainsi que les organes compétents du Saint-Siège à faire ce
pas. J'espère contribuer ainsi à la paix dans l'Église.
Le fait que le cas Williamson se soit superposé à la
levée de l'excommunication a été pour moi un incident fâcheux imprévisible. Le
geste discret de miséricorde envers quatre Évêques, ordonnés validement mais
non légitimement, est apparu tout à coup comme totalement différent :
comme le démenti de la réconciliation entre chrétiens et juifs, et donc comme
la révocation de ce que le Concile avait clarifié en cette matière pour le
cheminement de l'Église. Une invitation à la réconciliation avec un groupe
ecclésial impliqué dans un processus de séparation se transforma ainsi en son
contraire : un apparent retour en arrière par rapport à tous les pas de
réconciliation entre chrétiens et juifs faits à partir du Concile - pas dont le
partage et la promotion avaient été dès le début un objectif de mon travail
théologique personnel. Que cette superposition de deux processus opposés soit
advenue et qu'elle ait troublé un moment la paix entre chrétiens et juifs ainsi
que la paix à l'intérieur de l'Église, est une chose que je ne peux que
déplorer profondément. Il m'a été dit que suivre avec attention les
informations auxquelles on peut accéder par internet aurait permis d'avoir
rapidement connaissance du problème. J'en tire la leçon qu'à l'avenir au
Saint-Siège nous devrons prêter davantage attention à cette source
d'informations. J'ai été peiné du fait que même des catholiques, qui au fond
auraient pu mieux savoir ce qu'il en était, aient pensé devoir m'offenser avec
une hostilité prête à se manifester. C'est justement pour cela que je remercie
d'autant plus les amis juifs qui ont aidé à dissiper rapidement le malentendu
et à rétablir l'atmosphère d'amitié et de confiance, qui - comme du temps du
Pape Jean-Paul II - comme aussi durant toute la période de mon pontificat a
existé et, grâce à Dieu, continue à exister.
Une autre erreur, qui m'attriste sincèrement, réside dans
le fait que la portée et les limites de la mesure du 21 janvier 2009 n'ont pas
été commentées de façon suffisamment claire au moment de sa publication.
L'excommunication touche des personnes, non des institutions. Une ordination
épiscopale sans le mandat pontifical signifie le danger d'un schisme, parce
qu'elle remet en question l'unité du collège épiscopal avec le Pape. C'est
pourquoi l'Église doit réagir par la punition la plus dure, l'excommunication,
dans le but d'appeler les personnes punies de cette façon au repentir et au
retour à l'unité. Vingt ans après les ordinations, cet objectif n'a
malheureusement pas encore été atteint. La levée de l'excommunication vise le
même but auquel sert la punition : inviter encore une fois les quatre
Évêques au retour. Ce geste était possible une fois que les intéressés avaient
exprimé leur reconnaissance de principe du Pape et de son autorité de Pasteur,
bien qu'avec des réserves en matière d'obéissance à son autorité doctrinale et
à celle du Concile. Je reviens par là à la distinction entre personne et
institution. La levée de l'excommunication était une mesure dans le domaine de
la discipline ecclésiastique : les personnes étaient libérées du poids de
conscience que constitue la punition ecclésiastique la plus grave. Il faut
distinguer ce niveau disciplinaire du domaine doctrinal. Le fait que
À la lumière de cette situation, j'ai l'intention de
rattacher à l'avenir
J'espère, chers Confrères, qu'ainsi a été éclaircie la
signification positive ainsi que les limites de la mesure du 21 janvier 2009.
Cependant demeure à présent la question : cette mesure était-elle
nécessaire ? Constituait-elle vraiment une priorité ? N'y a-t-il pas
des choses beaucoup plus importantes ? Il y a certainement des choses plus
importantes et plus urgentes. Je pense avoir souligné les priorités de mon
Pontificat dans les discours que j'ai prononcés à son début. Ce que j'ai dit
alors demeure de façon inaltérée ma ligne directive. La première priorité pour
le Successeur de Pierre a été fixée sans équivoque par le Seigneur au
Cénacle : « Toi... affermis tes frères » (Lc 22, 32).
Pierre lui-même a formulé de façon nouvelle cette priorité dans sa première
Lettre : « Vous devez toujours être prêts à vous expliquer devant
tous ceux qui vous demandent de rendre compte de l'espérance qui est en
vous » (I P 3, 15). À notre époque où dans de vastes régions de la
terre la foi risque de s'éteindre comme une flamme qui ne trouve plus à
s'alimenter, la priorité qui prédomine est de rendre Dieu présent dans ce monde
et d'ouvrir aux hommes l'accès à Dieu. Non pas à un dieu quelconque, mais à ce
Dieu qui a parlé sur le Sinaï ; à ce Dieu dont nous reconnaissons le
visage dans l'amour poussé jusqu'au bout (cf. Jn 13, 1) - en Jésus
Christ crucifié et ressuscité. En ce moment de notre histoire, le vrai problème
est que Dieu disparaît de l'horizon des hommes et que tandis que s'éteint la
lumière provenant de Dieu, l'humanité manque d'orientation, et les effets
destructeurs s'en manifestent toujours plus en son sein.
Conduire les hommes vers Dieu, vers le Dieu qui parle
dans
Si donc l'engagement ardu pour la foi, pour l'espérance
et pour l'amour dans le monde constitue en ce moment (et, dans des formes
diverses, toujours) la vraie priorité pour l'Église, alors les réconciliations
petites et grandes en font aussi partie. Que l'humble geste d'une main tendue
soit à l'origine d'un grand tapage, devenant ainsi le contraire d'une
réconciliation, est un fait dont nous devons prendre acte. Mais maintenant je
demande : Était-il et est-il vraiment erroné d'aller dans ce cas aussi à
la rencontre du frère qui "a quelque chose contre toi" (cf. Mt 5,
23 s.) et de chercher la réconciliation ? La société civile aussi ne
doit-elle pas tenter de prévenir les radicalisations et de réintégrer - autant
que possible - leurs éventuels adhérents dans les grandes forces qui façonnent
la vie sociale, pour en éviter la ségrégation avec toutes ses
conséquences ? Le fait de s'engager à réduire les durcissements et les rétrécissements,
pour donner ainsi une place à ce qu'il y a de positif et de récupérable pour
l'ensemble, peut-il être totalement erroné ? Moi-même j'ai vu, dans les
années qui ont suivi 1988, que, grâce au retour de communautés auparavant
séparées de Rome, leur climat interne a changé ; que le retour dans la
grande et vaste Église commune a fait dépasser des positions unilatérales et a
atténué des durcissements de sorte qu'ensuite en ont émergé des forces
positives pour l'ensemble. Une communauté dans laquelle se trouvent 491
prêtres, 215 séminaristes, 6 séminaires, 88 écoles, 2 instituts universitaires,
117 frères, 164 sœurs et des milliers de fidèles peut-elle nous laisser
totalement indifférents ? Devons-nous impassiblement les laisser aller à
la dérive loin de l'Église ? Je pense par exemple aux 491 prêtres. Nous ne
pouvons pas connaître l'enchevêtrement de leurs motivations. Je pense toutefois
qu'ils ne se seraient pas décidés pour le sacerdoce si, à côté de différents
éléments déformés et malades, il n'y avait pas eu l'amour pour le Christ et la
volonté de L'annoncer et avec lui le Dieu vivant. Pouvons-nous simplement les
exclure, comme représentants d'un groupe marginal radical, de la recherche de
la réconciliation et de l'unité ? Qu'en sera-t-il ensuite ?
Certainement, depuis longtemps, et puis à nouveau en
cette occasion concrète, nous avons entendu de la part de représentants de
cette communauté beaucoup de choses discordantes - suffisance et présomption,
fixation sur des unilatéralismes etc. Par amour de la vérité je dois ajouter
que j'ai reçu aussi une série de témoignages émouvants de gratitude, dans
lesquels était perceptible une ouverture des cœurs. Mais la grande Église ne
devrait-elle pas se permettre d'être aussi généreuse, consciente de la grande
envergure qu'elle possède ; consciente de la promesse qui lui a été
faite ? Ne devrions-nous pas, comme de bons éducateurs, être aussi
capables de ne pas prêter attention à différentes choses qui ne sont pas bonnes
et nous préoccuper de sortir des étroitesses ? Et ne devrions-nous pas
admettre que dans le milieu ecclésial aussi sont ressorties quelques
discordances ? Parfois on a l'impression que notre société a besoin d'un
groupe au moins, auquel ne réserver aucune tolérance ; contre lequel
pouvoir tranquillement se lancer avec haine. Et si quelqu'un ose s'en
rapprocher - dans le cas présent le Pape - il perd lui aussi le droit à la
tolérance et peut lui aussi être traité avec haine sans crainte ni réserve.
Chers Confrères, durant les jours où il m'est venu à
l'esprit d'écrire cette lettre, par hasard, au Séminaire romain, j'ai dû
interpréter et commenter le passage de Ga 5, 13-15. J'ai noté avec
surprise la rapidité avec laquelle ces phrases nous parlent du moment
présent : "Que cette liberté ne soit pas un prétexte pour satisfaire
votre égoïsme ; au contraire mettez-vous, par amour, au service les uns
des autres. Car toute
Avec une particulière Bénédiction Apostolique, je me
redis
Vôtre dans le Seigneur
BENEDICTUS PP. XVI
Du Vatican, le 10 mars 2009.