Les Nouvelles

de

Chrétienté

 

N° 170

 

 

Le voyage du Pape Benoît XVI en Afrique.

 

 

Le mardi 17 mars 2009

 

A- Benoît XVI répond aux questions des journalistes dans l’avion

 

Nous publions ci-dessous le texte de l'échange qui a eu lieu entre le pape et les journalistes sur le vol Rome-Yaoundé, dans le cadre du premier voyage de Benoît XVI en Afrique. (

 

 

 

Votre Sainteté, bienvenue parmi le groupe des journalistes : nous sommes une soixantaine qui nous apprêtons à vivre ce voyage avec vous. Nous vous présentons nos meilleurs vœux et nous espérons pouvoir vous accompagner de notre service, de manière à faire participer de nombreuses autres personnes à cette aventure. Comme d'habitude, nous vous sommes reconnaissants pour la conversation que vous nous accordez. Nous avons recueilli au cours des derniers jours, un certain nombre de questions de la part de nos collègues journalistes - j'en ai reçu une trentaine - et nous en avons sélectionné quelques unes qui puissent présenter un discours assez complet sur ce voyage et susciter l'intérêt de tous ; nous vous sommes très reconnaissants pour les réponses que vous apporterez. La première question est posée par notre collègue Brunelli, de la télévision italienne, qui se trouve ici, à notre droite :

 

Q. - Bonjour. Votre Sainteté, depuis un certain temps - et en particulier, après votre dernière lettre aux évêques du monde - de nombreux journaux parlent de la ‘solitude du pape'. Qu'en pensez-vous ? Vous sentez-vous vraiment seul ? Et avec quels sentiments, après les dernières affaires, volez-vous à présent vers l'Afrique avec nous ?

 

R - A vrai dire, ce mythe de ma solitude me fait un peu sourire : je ne me sens absolument pas seul. Chaque jour je reçois, dans les visites programmées, mes collaborateurs les plus proches, à commencer par le secrétaire d'Etat jusqu'à la Congrégation de Propaganda Fide, etc ; je vois ensuite régulièrement tous les chefs de dicastères, chaque jour je reçois les évêques en visite ad limina - dernièrement tous les évêques, l'un après l'autre, du Nigeria, puis les évêques d'Argentine... Ces derniers jours nous avons eu deux assemblées plénières, une de la Congrégation pour le culte divin et l'autre de la Congrégation pour le clergé et il y a aussi toutes les rencontres amicales ; un réseau d'amitié ; même mes compagnons de Messe d'Allemagne sont venus récemment une journée pour parler avec moi... Alors vraiment la solitude n'est pas un problème, je suis réellement entouré d'amis dans une merveilleuse collaboration avec les évêques, avec mes collaborateurs, avec des laïcs et je suis reconnaissant pour cela. Je vais en Afrique avec une grande joie : j'aime l'Afrique, j'ai de nombreux amis africains ; déjà au temps ou j'étais professeur et aujourd'hui encore ; j'aime la joie de la foi, cette foi joyeuse que l'on trouve en Afrique. Vous savez que le mandat du Seigneur pour le successeur de Pierre est « de confirmer ses frères dans la foi » : c'est ce que je cherche à faire. Mais je suis sûr que je rentrerai moi-même confirmé par mes frères, contaminé - en quelque sorte - par leur foi joyeuse.

 

La deuxième question est posée par John Thavis, responsable de la section romaine de l'agence de presse catholique des Etats-Unis :

 

Q. Votre Sainteté, vous partez en voyage en Afrique où moment où une crise économique mondiale est en cours, qui a des conséquences également sur les pays pauvres. Par ailleurs, l'Afrique affronte actuellement une crise alimentaire. Je voudrais vous demander trois choses : cette situation trouvera-t-elle un écho dans votre voyage ? Vous adresserez-vous à la Communauté internationale afin qu'elle prenne en charge certains problèmes de l'Afrique ? Et la troisième question : ces problèmes seront-ils abordés également dans l'Encyclique que vous préparez ?

 

R - Merci pour cette question. Il est évident que je ne vais pas en Afrique avec un programme politico-économique, pour lequel il me manquerait les compétences. Je m'y rends avec un programme religieux, de foi, de morale, mais ceci est précisément aussi une contribution essentielle au problème de la crise économique que nous vivons en ce moment. Nous savons tous qu'un élément fondamental de la crise est justement un manque d'éthique dans les structures économiques ; on a compris que l'éthique n'est pas quelque chose d'« extérieur » à l'économie, mais d'« intérieur » et que l'économie ne fonctionne pas si elle ne porte pas en elle un élément éthique. C'est pourquoi, en parlant de Dieu et en parlant des grandes valeurs spirituelles qui constituent la vie chrétienne, je tenterai d'apporter une contribution propre également pour surmonter cette crise, pour renouveler le système économique de l'intérieur, où se trouve le cœur véritable de la crise. Et naturellement, je ferai appel à la solidarité internationale : l'Eglise est catholique, c'est-à-dire universelle, ouverte à toutes les cultures, à tous les continents, elle est présente dans les tous les systèmes politiques et ainsi la solidarité est-elle un principe interne, fondamental pour le catholicisme. Je voudrais adresser naturellement un appel tout d'abord à la solidarité catholique elle-même, en l'étendant toutefois aussi à la solidarité de tous ceux qui voient leur responsabilité dans la société humaine d'aujourd'hui. Bien sûr, je parlerai également de cela dans l'Encyclique : c'est une des raisons d'un retard de sa publication. Nous étions presque sur le point de la publier, lorsque s'est déchaînée cette crise et nous avons repris le texte pour répondre de manière plus adaptée, dans le cadre de nos compétences, dans le cadre de la Doctrine sociale de l'Eglise, mais avec une référence aux éléments réels de la crise actuelle. Ainsi, j'espère que l'Encyclique pourra également être un élément, une force pour surmonter la situation présente difficile.

 

Très Saint-Père, la troisième question est posée par notre collègue Isabelle de Gaulmyn, de «La Croix»

 

Q - Très Saint-Père, bonjour. Je pose la question en italien, mais si vous vouliez bien répondre en français... Le conseil spécial pour l'Afrique du synode des évêques a demandé que la forte croissance quantitative de l'Eglise africaine devienne également une croissance qualitative. Parfois, les responsables de l'Eglise sont considérés comme un groupe de riches et de privilégiés et leurs comportements ne sont pas cohérents avec l'annonce de l'Evangile. Inviterez-vous l'Eglise qui est en Afrique à s'engager à un examen de conscience et de purification de ses structures ?

 

R - J'essayerai, si c'est possible, de parler en français. J'ai une vision plus positive de l'Eglise en Afrique : c'est une Eglise très proche des pauvres, une Eglise avec les souffrants, avec des personnes qui ont besoin d'aide et donc il me semble que l'Eglise est réellement une institution qui fonctionne encore, alors que d'autres structures ne fonctionnent plus, et avec son système d'éducation, d'hôpitaux, d'aide, dans toutes ces situations, elle est présente dans le monde des pauvres et des souffrants. Naturellement, le pêché originel est présent aussi dans l'Eglise ; il n'y a pas une société parfaite et donc il y a aussi des pêcheurs et des déficiences dans l'Eglise en Afrique, et dans ce sens un examen de conscience, une purification intérieure est toujours nécessaire, et je rappellerais aussi dans ce sens la liturgie eucharistique : on commence toujours avec une purification de la conscience, et un nouveau commencement devant la présence du Seigneur. Et je dirais plus qu'une purification des structures, qui est toujours aussi nécessaire, une purification des cœurs est nécessaire, parce que les structures sont le reflet des cœurs, et nous faisons notre possible pour donner une nouvelle force à la spiritualité, à la présence de Dieu dans notre cœur, soit pour purifier les structures de l'Eglise, soit aussi pour aider la purification des structures de la société.

 

Et maintenant, une question qui vient de la journaliste allemande de ce groupe. C'est Elisa Kramer qui représente le «Sankt Ulrich Verlag», qui nous pose la question suivante.

 

Q - Heiliger Vater, gute Reise ! Le père Lombardi ma demandé de parler en italien, je pose donc la question en italien. Quand vous vous adressez à l'Europe, vous parlez souvent d'un horizon dont Dieu semble disparaître. En Afrique il n'en est pas ainsi, mais il y a une présence agressive des sectes, il y a les religions traditionnelles africaines. Quelle est alors la spécificité du message de l'Eglise catholique que vous voulez présenter dans ce contexte ?

R - Tout d'abord nous reconnaissons tous qu'en Afrique le problème de l'athéisme ne se pose presque pas, car la réalité de Dieu est tellement présente, tellement réelle dans le cœur des Africains que ne pas croire en Dieu, vivre sans Dieu n'apparaît pas comme une tentation. Il est vrai que se posent également les problèmes des sectes : pour notre part, nous n'annonçons pas, comme certains d'entre eux le font, un Evangile de prospérité, mais un réalisme chrétien ; nous n'annonçons pas des miracles, comme certains le font, mais la sobriété de la vie chrétienne. Nous sommes convaincus que toute cette sobriété, tout ce réalisme qui annonce un Dieu qui s'est fait homme, et donc un Dieu profondément humain, un Dieu qui souffre, également avec nous, donne un sens à notre souffrance, pour une annonce ayant un horizon plus vaste, qui a davantage d'avenir. Et nous savons que ces sectes ne sont pas très stables dans leur consistance : sur le moment l'annonce de la prospérité, des guérisons miraculeuses etc. peut faire du bien, mais après un certain temps on voit que la vie est difficile, qu'un Dieu humain, un Dieu qui souffre avec nous est plus convaincant, plus vrai, et offre une plus grande aide pour la vie. Il est également important que nous ayons la structure de l'Eglise catholique. Nous n'annonçons pas un petit groupe qui après un certain temps s'isole et se perd, mais nous entrons dans ce grand réseau universel de la catholicité, non seulement trans-temporel, mais surtout présent comme un grand réseau d'amitié qui nous unit et nous aide également à dépasser l'individualisme pour parvenir à cette unité dans la diversité, qui est la véritable promesse.

 

Nous donnons à présent à nouveau la parole à une voix française : c'est notre collègue Philippe Visseyrias de France 2.

 

Q - Votre Sainteté, parmi les nombreux maux qui affligent l'Afrique, il y a également en particulier celui de la diffusion du SIDA. La position de l'Eglise catholique sur la façon de lutter contre celui-ci est souvent considérée comme n'étant pas réaliste et efficace. Affronterez-vous ce thème au cours du voyage ?

 

R - Je dirais le contraire : je pense que la réalité la plus efficace, la plus présente sur le front de la lutte conte le SIDA est précisément l'Eglise catholique, avec ses mouvements, avec ses différentes réalités. Je pense à la Communauté de Sant'Egidio qui accomplit tant, de manière visible et aussi invisible, pour la lute contre le SIDA, aux camilliens, à toutes les sœurs qui sont à la disposition des malades... Je dirais qu'on ne peut pas surmonter ce problème du SIDA uniquement avec des slogans publicitaires. Si on n'y met pas l'âme, si on n'aide pas les Africains, on ne peut pas résoudre ce fléau par la distribution de préservatifs : au contraire, le risque est d'augmenter le problème. La solution ne peut se trouver que dans un double engagement : le premier, une humanisation de la sexualité, c'est-à-dire un renouveau spirituel et humain qui apporte avec soi une nouvelle manière de se comporter l'un avec l'autre, et le deuxième, une véritable amitié également et surtout pour les personnes qui souffrent, la disponibilité, même au prix de sacrifices, de renoncements personnels, à être proches de ceux qui souffrent. Tels sont les facteurs qui aident et qui conduisent à des progrès visibles. Je dirais donc cette double force de renouveler l'homme intérieurement, de donner une force spirituelle et humaine pour un juste comportement à l'égard de son propre corps et de celui de l'autre, et cette capacité de souffrir avec ceux qui souffrent, de rester présents dans les situations d'épreuve. Il me semble que c'est la juste réponse, et c'est ce que fait l'Eglise, offrant ainsi une contribution très grande et importante. Nous remercions tous ceux qui le font.

Et à présent, une dernière question, qui vient du Chili, car nous sommes vraiment très internationaux : nous avons également une correspondante de la télévision catholique chilienne avec nous. Nous lui donnons la parole pour la dernière question : Maria Burgos....  

Q - Merci père Lombardi. Votre Sainteté, quels signes d'espérance voit l'Eglise dans le continent africain ? Et : pensez-vous pouvoir adresser un message d'espérance à l'Afrique ?

 

R - Notre foi est par définition espérance : c'est l'Ecriture Sainte qui nous le dit. Et donc, qui porte la foi est convaincu de porter aussi l'espérance. Il me semble, malgré tous les problèmes que nous connaissons bien, qu'il existe de grands signes d'espérance. De nouveaux gouvernements, de nouvelles disponibilités à la collaboration, la lutte contre la corruption - un grand mal qui doit être surmonté ! - et également l'ouverture des religions traditionnelles à la foi chrétienne, parce que dans les religions traditionnelles tous connaissent Dieu, le Dieu unique, mais qui semble un peu lointain. Ils attendent qu'il s'approche. C'est dans l'annonce de Dieu fait homme que ces derniers se reconnaissent : Dieu c'est réellement approché. Et puis il existe de nombreuses choses en commun avec l'Eglise catholique : disons, le culte des ancêtres trouve sa réponse dans la communion des saints, au purgatoire. Les saints ne sont pas seulement les canonisés, ce sont tous nos morts. Et ainsi dans le Corps du Christ s'accomplit précisément aussi ce que sous entendait le culte des ancêtres. Et ainsi de suite. Ainsi il existe une rencontre profonde qui apporte réellement espérance. Le dialogue interreligieux se développe aussi - j'ai parlé jusqu'à présent avec plus de la moitié des évêques africains et les relations avec les musulmans, malgré les problèmes existants, sont d'après ce qu'ils m'ont dit, très prometteuses ; le dialogue se développe dans le respect réciproque et la collaboration dans les responsabilités éthiques communes. Du reste, ce sens de catholicité qui aide à surmonter le tribalisme, un des grands problèmes, se développe aussi et il en jaillit la joie d'être chrétiens. Un problème des religions traditionnelles est la peur des esprits. Un évêque africain m'a dit : quelqu'un est réellement convertit au christianisme, est pleinement devenu chrétien, quand il sait que le Christ est réellement plus fort. La peur n'existe plus. Et cela aussi est un phénomène croissant. Je dirais donc, que malgré la présence de tant d'éléments et problèmes, les forces spirituelles, économiques et humaines grandissent et nous donnent de l'espérance, et je voudrais précisément mettre en lumière les éléments de l'espérance.

Q. Merci beaucoup, Votre Sainteté, du temps que vous nous avez accordé. C'est une excellente introduction pour suivre votre voyage avec un grand enthousiasme. Nous nous engageons à diffuser votre message sur tout le continent et auprès de tous nos lecteurs et auditeurs.

 

 

 

B- A l’arrivée de Benoît XVI au Cameroun : Discours à l’aéroport

 

Nous publions ci-dessous le discours que le pape Benoît XVI a prononcé à son arrivée à l'aéroport de Yaoundé, au Cameroun, le mardi 17 mars dans l’après-midi, après l'allocution de bienvenue que lui a adressée le président de la République du Cameroun, M. Paul Biya.

 

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs qui représentez ici les Autorités civiles,

Monsieur le Cardinal,

Chers Frères dans l'Épiscopat,

Chers Frères et Sœurs,

Je vous remercie de votre accueil. Et merci à vous, Monsieur le Président, pour les paroles aimables que vous venez de m'adresser. J'apprécie vivement l'invitation qui m'a été faite de venir ici, au Cameroun, et je veux, Excellence, vous en exprimer ma gratitude, ainsi qu'au Président de la Conférence épiscopale nationale, Monseigneur Tonyé Bakot. Je vous salue tous, vous qui m'honorez de votre présence en cette occasion, et je désire vous dire combien je suis heureux de me trouver ici, avec vous, sur la terre d'Afrique pour la première fois depuis mon élection au Siège de Pierre. Je salue chaleureusement mes Frères dans l'Épiscopat ainsi que les prêtres et les fidèles laïcs qui sont ici réunis. Mes salutations respectueuses vont aussi aux Représentants du Gouvernement, aux Autorités civiles et aux membres du Corps diplomatique. Alors que votre pays, comme beaucoup d'autres en Afrique, approche du cinquantième anniversaire de son indépendance, je veux unir ma voix au chœur des félicitations et des vœux fervents que vos amis de par le monde entier vous offriront en cette heureuse circonstance. Dans cette assemblée, je salue aussi avec reconnaissance les membres des autres Confessions chrétiennes et les fidèles des autres religions. En vous joignant à nous aujourd'hui, vous donnez un signe éloquent de la bonne volonté et de l'harmonie qui existent dans ce pays entre les personnes appartenant aux différentes traditions religieuses.

Je viens parmi vous comme un Pasteur, je viens pour confirmer mes frères et sœurs dans la foi. C'est la mission que le Christ a confiée à Pierre à la dernière Cène, et c'est la mission des Successeurs de Pierre. Quand Pierre prêchait aux foules venues à Jérusalem pour la Pentecôte, il y avait, présents parmi eux, des pèlerins provenant d'Afrique. Et, aux premiers siècles du christianisme, le témoignage de nombreux grands saints de ce continent - saint Cyprien, sainte Monique, saint Augustin, saint Athanase, pour n'en nommer que quelques-uns - montre la place remarquable de l'Afrique dans les Annales de l'histoire de l'Église. Depuis lors et jusqu'à nos jours, d'innombrables missionnaires et de nombreux martyrs ont continué de rendre témoignage au Christ dans toute l'Afrique, et aujourd'hui l'Église est bénie par la présence d'environ cent cinquante millions de membres. Comment dès lors, le Successeur de Pierre ne serait-il pas venu en Afrique pour célébrer avec vous la foi au Christ, qui donne la vie ; foi qui soutient et nourrit de si nombreux fils et filles de ce grand continent !

C'est ici, à Yaoundé, qu'en 1995 mon vénéré prédécesseur, le Pape Jean-Paul II, a promulgué l'Exhortation apostolique post-synodale Ecclesia in Africa, fruit de la Première Assemblée spéciale pour l'Afrique du Synode des Évêques, qui s'était tenue à Rome l'année précédente. Vous avez d'ailleurs voulu célébrer solennellement le dixième anniversaire de ce moment historique dans cette ville même il y a peu. Et maintenant, je viens moi-même pour remettre l'Instrumentum laboris de la Deuxième Assemblée spéciale, qui se tiendra à Rome en octobre prochain. Les Pères du Synode réfléchiront ensemble sur le thème : « L'Église en Afrique au service de la réconciliation, de la justice et de la paix : "Vous êtes le sel de la terre... vous êtes la lumière du monde" (Mt 5, 13-14) ». A presque dix ans de l'entrée dans le nouveau millénaire, ce moment de grâce est un appel pour l'ensemble des Évêques, des prêtres, des religieux et des religieuses ainsi que des fidèles laïcs de ce continent, à se consacrer avec un élan nouveau à la mission de l'Église : apporter l'espérance au cœur des peuples de l'Afrique et des peuples du monde entier.

Même au sein de grandes souffrances, le message chrétien est toujours porteur d'espérance. La vie de sainte Joséphine Bakhita nous montre de manière lumineuse la transformation que la rencontre avec le Dieu vivant peut apporter à une situation d'injustice et de grande épreuve. Devant la souffrance ou la violence, devant la pauvreté ou la faim, devant la corruption ou l'abus de pouvoir, un chrétien ne peut jamais garder le silence. Le message de salut de l'Évangile doit être proclamé de manière forte et claire, afin que la lumière du Christ puisse briller dans les ténèbres où les gens sont plongés. Ici, en Afrique, tout comme en de si nombreuses régions du monde, des foules innombrables d'hommes et de femmes attendent de recevoir une parole d'espérance et de réconfort. Des conflits régionaux laissent des milliers d'orphelins et de veuves, de sans abri et de démunis. Sur un continent qui, par le passé, a vu tant de ses enfants cruellement déracinés et vendus par delà les mers pour devenir des esclaves, aujourd'hui le trafic des êtres humains, en particulier de femmes et d'enfants sans défense, est devenu une forme nouvelle d'esclavage. Alors que nous connaissons en ce moment une insuffisance de la production alimentaire, des troubles financiers, et des perturbations liées au changement climatique, l'Afrique souffre de façon disproportionnée : de plus en plus d'habitants s'enfoncent dans la pauvreté, victimes de la faim et des maladies. Ils crient leur besoin de réconciliation, de justice et de paix, et c'est ce que l'Église leur offre. Non pas de nouvelles formes d'oppression économique ou politique, mais la glorieuse liberté des enfants de Dieu (cf. Rm 8, 21). Non pas l'imposition de modèles culturels qui ignorent les droits de l'enfant à naître, mais l'eau pure et vivifiante de l'Évangile de la vie. Non pas les amères rivalités interethniques ou interreligieuses, mais le bon droit, la paix et la joie du Royaume de Dieu, si bien décrit par le Pape Paul VI comme civilisation de l'amour (cf. Regina Coeli du dimanche de Pentecôte 1970).

Alors qu'au Cameroun plus d'un quart de la population est catholique, l'Église est en mesure de mener à bien sa mission de réconfort et de réconciliation. Au Centre Cardinal Léger je pourrai constater par moi-même la sollicitude pastorale de cette Église locale envers les personnes malades et souffrantes ; et il est particulièrement souhaitable que les malades du sida puissent recevoir dans ce pays un traitement gratuit. L'éducation est un autre aspect essentiel du ministère de l'Église : maintenant nous pouvons voir les efforts de générations de missionnaires enseignants porter des fruits quand nous contemplons l'œuvre accomplie par l'Université catholique d'Afrique centrale, qui est un signe de grande espérance pour l'avenir de cette région.

Car le Cameroun est bien une terre d'espérance pour beaucoup d'hommes et de femmes de cette région centrale de l'Afrique. Des milliers de réfugiés, fuyant des pays dévastés par la guerre, ont été accueillis ici. C'est une terre de la vie où le gouvernement parle clairement pour la défense des droits des enfants à naître. C'est une terre de paix : à travers le dialogue qu'ils ont mené, le Cameroun et le Nigeria ont résolu leur différend concernant la péninsule de Bakassi et montré au monde ce qu'une diplomatie patiente peut produire de bon. C'est un pays jeune, un pays béni parce que la population y est jeune, pleine de vitalité et décidée à construire un monde plus juste et plus paisible. A juste titre, le Cameroun est décrit comme une « Afrique en miniature » qui abrite en son sein plus de deux cents groupes ethniques différents capables de vivre en harmonie les uns avec les autres. Voilà bien des motifs pour rendre grâce et louer Dieu !

Venant parmi vous aujourd'hui, je prie pour que l'Église, ici et dans toute l'Afrique, puisse continuer à croître en sainteté, dans le service de la réconciliation, de la justice et de la paix. Je prie pour que les travaux de la Deuxième Assemblée spéciale du Synode des Évêques fassent briller d'une vive flamme les dons que l'Esprit a répandus sur l'Église en Afrique. Je prie pour chacun d'entre vous, pour vos familles et ceux qui vous sont proches, et je vous demande de vous unir à ma prière pour tous les peuples de ce vaste continent. Que Dieu bénisse le Cameroun ! Et que Dieu bénisse l'Afrique !

Merci.

 

 

Le mercredi Matin 18 mars 2009

 

C- Discours de Benoît XVI aux évêques du Cameroun

 

Nous publions ci-dessous le discours que le pape Benoît XVI a prononcé lors de sa rencontre, le mercredi matin, 18 mars, avec les évêques du Cameroun, dans l'église du Christ-Roi de Tsinga, à Yaoundé.

 

Monsieur le Cardinal,

Chers Frères dans l'Épiscopat,

 

 

Cette rencontre avec les Pasteurs de l'Église catholique au Cameroun est pour moi une grande joie. Je remercie le Président de votre Conférence épiscopale, Mgr Simon-Victor Tonyé Bakot, Archevêque de Yaoundé, pour les aimables paroles qu'il a prononcées en votre nom. C'est la troisième fois que votre pays accueille le Successeur de Pierre et, comme vous le savez, le motif de mon voyage est d'abord une occasion de venir à la rencontre des peuples du bien-aimé continent africain et aussi de remettre aux Présidents des Conférences épiscopales l'Instrumentum laboris de la deuxième Assemblée spéciale pour l'Afrique du Synode des Évêques. Et ce matin, à travers vous, je voudrais saluer affectueusement tous les fidèles dont vous avez la charge pastorale. Que la grâce et la paix du Seigneur Jésus soient avec chacun de vous, avec toutes les familles de votre grand et beau pays, avec les prêtres, les religieux et les religieuses, les catéchistes et les personnes engagées avec vous dans l'annonce de l'Évangile !

En cette année consacrée à saint Paul, il est particulièrement opportun de nous rappeler l'urgente nécessité d'annoncer l'Évangile à tous. Ce mandat, que l'Église a reçu du Christ, demeure une priorité, car nombreuses sont encore les personnes qui attendent le message d'espérance et d'amour qui leur permettra de « connaître la liberté, la gloire des enfants de Dieu » (Rm 8, 21). Avec vous, chers Frères, ce sont donc vos communautés diocésaines tout entières qui sont envoyées pour être des témoins de l'Évangile. Le Concile Vatican II a rappelé avec force que « l'activité missionnaire découle profondément de la nature même de l'Église » (Ad gentes, n. 6). Pour guider et stimuler le Peuple de Dieu dans cette tâche, les Pasteurs doivent être eux-mêmes, avant tout, des prédicateurs de la foi afin d'amener au Christ de nouveaux disciples. L'annonce de l'Évangile est le propre de l'Évêque qui, comme saint Paul, peut lui aussi proclamer : « Annoncer l'Évangile, ce n'est pas là mon motif d'orgueil, c'est une nécessité qui s'impose à moi ; malheur à moi si je n'annonçais pas l'Évangile » (1 Co 9, 16). Pour confirmer et purifier leur foi, les fidèles ont besoin de la parole de leur Évêque, qui est le catéchiste par excellence.

Pour assumer cette mission d'évangélisation et répondre aux multiples défis de la vie du monde d'aujourd'hui, au-delà des rencontres institutionnelles, qui sont en soi nécessaires, une profonde communion doit unir les Pasteurs de l'Église. La qualité des travaux de votre Conférence épiscopale, qui reflètent bien la vie de l'Église et de la société camerounaise, vous permet de chercher ensemble des réponses aux multiples défis auxquels l'Église est affrontée et, par vos lettres pastorales, de donner des directives communes pour aider les fidèles dans leur vie ecclésiale et sociale. La vive conscience de la dimension collégiale de votre ministère doit vous pousser à réaliser entre vous les multiples expressions de la fraternité sacramentelle, qui vont de l'accueil et de l'estime réciproque aux diverses attentions de charité et de collaboration concrète (cf. Pastores gregis, n. 59). Une coopération effective entre les diocèses, notamment pour une meilleure répartition des prêtres dans votre pays, ne peut que favoriser les relations de solidarité fraternelle avec les Églises diocésaines plus pauvres afin que l'annonce de l'Évangile ne souffre pas du manque de ministres. Cette solidarité apostolique s'étendra avec générosité aux besoins des autres Églises locales, et en particulier à celles de votre continent. Ainsi il apparaîtra clairement que vos communautés chrétiennes, à l'exemple de celles qui vous ont apporté le message évangélique, sont, elles aussi, une Église missionnaire.

Chers Frères dans l'Épiscopat, l'Évêque et ses prêtres sont appelés à entretenir des relations de communion particulières, fondées sur leur participation à l'unique sacerdoce du Christ, même si c'est à des degrés divers. La qualité des liens avec les prêtres qui sont vos collaborateurs principaux et irremplaçables, est d'une grande importance. En voyant dans leur Évêque un père et un frère qui les aime, qui les écoute et les réconforte dans leurs épreuves, qui porte une attention privilégiée à leur bien-être humain et matériel, ils sont encouragés à assumer pleinement leur ministère de manière digne et efficace. L'exemple et la parole de leur Évêque est pour eux une aide précieuse pour qu'ils accordent à leur vie spirituelle et sacramentelle une place centrale dans leur ministère, les incitant à découvrir et à vivre toujours plus profondément que le propre du pasteur c'est d'être d'abord un homme de prière et que la vie spirituelle et sacramentelle est une richesse extraordinaire qui nous est donnée pour nous-mêmes et pour le bien du peuple qui nous est confié. Je vous invite enfin à veiller avec un soin particulier à la fidélité des prêtres et des personnes consacrées aux engagements pris lors de leur ordination ou de leur entrée dans la vie religieuse, afin qu'ils persévèrent dans leur vocation, pour une plus grande sainteté de l'Église et pour la gloire de Dieu. L'authenticité de leur témoignage exige qu'il n'y ait pas d'écart entre ce qu'ils enseignent et ce qu'ils vivent chaque jour.

Dans vos diocèses, de nombreux jeunes se présentent comme candidats au sacerdoce. Nous ne pouvons qu'en remercier le Seigneur. Il est indispensable qu'un discernement sérieux soit fait. Dans ce but, je vous encourage, malgré les difficultés d'organisation au niveau pastoral qui peuvent parfois en résulter, à donner une priorité au choix et à la formation de formateurs et de directeurs spirituels. Ils doivent avoir une connaissance personnelle et approfondie des candidats au sacerdoce et être en mesure de leur assurer une formation humaine, spirituelle et pastorale solide qui fasse d'eux des hommes mûrs et équilibrés, bien préparés à la vie sacerdotale. Votre soutien fraternel constant aidera les formateurs à accomplir leur tâche dans l'amour de l'Église et de sa mission.

Depuis les origines de la foi chrétienne au Cameroun, les religieux et les religieuses ont apporté une contribution essentielle à la vie de l'Église. Avec vous j'en rends grâce à Dieu et je me réjouis du développement de la vie consacrée parmi les fils et les filles de votre pays, permettant aussi l'expression de charismes propres à l'Afrique dans des communautés nées dans votre pays. En effet, la profession des conseils évangéliques est comme « un signe qui peut et doit exercer une influence efficace sur tous les membres de l'Église dans l'accomplissement courageux des devoirs de leur vocation chrétienne » (Lumen gentium, n. 44)

Dans votre ministère d'annonce de l'Évangile, vous êtes aussi aidés par d'autres agents pastoraux, notamment par les catéchistes. Dans l'évangélisation de votre pays, ils ont tenu et ils tiennent encore une place déterminante. Je les remercie de leur générosité et de leur fidélité dans le service de l'Église. Par eux se réalise une authentique inculturation de la foi. Leur formation humaine, spirituelle et doctrinale est donc indispensable. Le soutien matériel, moral et spirituel que les pasteurs leur apportent pour accomplir leur mission dans de bonnes conditions de vie et de travail, est aussi pour eux une expression de la reconnaissance par l'Église de l'importance de leur engagement pour l'annonce et le développement de la foi.

Parmi les nombreux défis auxquels vous êtes affrontés dans votre responsabilité de Pasteurs, la situation de la famille vous préoccupe particulièrement. Les difficultés dues notamment à l'impact de la modernité et de la sécularisation sur la société traditionnelle, vous incitent à préserver avec vigueur les valeurs essentielles de la famille africaine et à faire de son évangélisation en profondeur une priorité majeure. En développant la pastorale familiale, vous avez à cœur de favoriser une meilleure compréhension de la nature, de la dignité et du rôle du mariage qui suppose une union indissoluble et stable.

La liturgie tient une place importante dans l'expression de la foi de vos communautés. Généralement ces célébrations ecclésiales sont festives et joyeuses, manifestant la ferveur des fidèles heureux d'être ensemble, en Église, pour louer le Seigneur. Il est donc essentiel que la joie ainsi exprimée ne soit pas un obstacle, mais un moyen pour entrer en dialogue et en communion avec Dieu, par une réelle intériorisation des structures et des paroles de la liturgie, afin que celle-ci traduise ce qui se passe dans le cœur des croyants, en union véritable avec tous les participants. La dignité des célébrations, notamment lorsqu'elles se déroulent avec une grande affluence de participants, en est un signe éloquent.

Le développement des sectes et des mouvements ésotériques ainsi que l'influence de plus en plus grande d'une religiosité superstitieuse et aussi du relativisme, sont une invitation pressante à donner une impulsion nouvelle à la formation des jeunes et des adultes, particulièrement dans les milieux universitaires et intellectuels. Dans cette perspective, je voudrais ici saluer et encourager les efforts de l'Institut catholique de Yaoundé et de toutes les institutions ecclésiales qui ont pour mission de rendre accessibles et compréhensibles à tous la Parole de Dieu et l'enseignement de l'Église.

Je me réjouis de savoir que, dans votre pays, les fidèles laïcs sont de plus en plus engagés dans la vie de l'Église et de la société. Les nombreuses associations de laïcs qui fleurissent dans vos diocèses, sont le signe de l'œuvre de l'Esprit au cœur des fidèles et elles contribuent à une annonce renouvelée de l'Évangile. J'ai plaisir à souligner et à encourager la participation active des associations féminines dans les différents secteurs de la mission de l'Église, montrant par là une prise de conscience réelle de la dignité de la femme et de sa vocation particulière dans la communauté ecclésiale et dans la société. Je rends grâce à Dieu pour la volonté que les laïcs manifestent de contribuer à l'avenir de l'Église et à l'annonce de l'Évangile chez vous. Par les sacrements de l'initiation chrétienne et par les dons du Saint-Esprit, ils sont habilités et engagés à annoncer l'Evangile en servant la personne et la société. Je vous encourage donc vivement à poursuivre vos efforts pour leur donner une formation chrétienne solide qui leur permette de « jouer pleinement leur rôle d'animation chrétienne de l'ordre temporel (politique, culturel, économique, social), qui est une caractéristique de la vocation séculière du laïcat » (Ecclesia in Africa, n. 75).

Dans le contexte de mondialisation que nous connaissons, l'Église porte un intérêt particulier aux personnes les plus démunies. La mission de l'Évêque le conduit à être le défenseur des droits des pauvres, à susciter et à encourager l'exercice de la charité, manifestation de l'amour du Seigneur pour les petits. De cette manière, les fidèles sont amenés à saisir concrètement que l'Église est une véritable famille de Dieu, réunie dans l'amour fraternel, ce qui exclut tout ethnocentrisme et tout particularisme excessif et contribue à la réconciliation et à la collaboration entre les ethnies pour le bien de tous. Par ailleurs, l'Église, par sa doctrine sociale, veut éveiller l'espérance dans les cœurs des laissés-pour-compte. Aussi est-il du devoir des chrétiens, particulièrement des laïcs qui ont des responsabilités sociales, économiques, politiques, de se laisser guider par la doctrine sociale de l'Église, afin de contribuer à l'édification d'un monde plus juste où chacun pourra vivre dans la dignité.  

Monsieur le Cardinal, chers Frères dans l'Épiscopat, au terme de notre rencontre, je voudrais vous redire encore ma joie de me trouver dans votre pays et de rencontrer le peuple camerounais. Je vous remercie de votre accueil chaleureux, signe de la généreuse hospitalité africaine. Que la Vierge Marie, Notre Dame d'Afrique, veille sur toutes vos communautés diocésaines. Je lui confie le peuple camerounais tout entier et, de grand cœur je vous donne une affectueuse Bénédiction apostolique, ainsi qu'aux prêtres, aux religieux et aux religieuses, aux catéchistes et à tous les fidèles de vos diocèses.

 

 

 

 

D- Vêpres au Cameroun : Discours de Benoît XVI

 

 

Nous publions ci-dessous le texte du discours que le pape Benoît XVI a prononcé lors de la cérémonie des vêpres qu'il a présidée le mercredi 18 mars  en fin d'après-midi, en la basilique Marie Reine des Apôtres, à Yaoundé, au Cameroun.

 

Chers Frères Cardinaux et Évêques,

Chers prêtres et diacres, chers frères et sœurs consacrés,

Chers amis membres des autres Confessions chrétiennes,

Chers frères et sœurs!

 

Nous avons la joie de nous retrouver ensemble pour rendre grâce à Dieu dans cette basilique Marie Reine des Apôtres de Mvolyé qui a été construite à l'endroit où fut édifiée la première église bâtie par les missionnaires spiritains venus porter la Bonne Nouvelle au Cameroun. À l'image de l'ardeur apostolique de ces hommes qui embrassait dans leurs cœurs votre pays tout entier, ce lieu porte en lui symboliquement chaque parcelle de votre terre. C'est donc dans une grande proximité spirituelle avec toutes les communautés chrétiennes où vous exercez votre service, chers frères et sœurs, que nous adressons ce soir notre louange au Père des lumières.

En présence des représentants des autres Confessions chrétiennes, à qui j'adresse mon salut respectueux et fraternel, je vous propose de contempler les traits de saint Joseph à travers les paroles de l'Écriture que nous offre cette liturgie vespérale.

À la foule et à ses disciples, Jésus déclare : « Vous n'avez qu'un seul Père » (Mt 23, 9). Il n'est en effet de paternité que celle de Dieu le Père, l'unique Créateur « du monde visible et invisible ». Il a cependant été donné à l'homme, créé à l'image de Dieu, de participer à l'unique paternité de Dieu (cf. Ep 3, 15). Saint Joseph illustre cela d'une façon saisissante, lui qui est père sans avoir exercé une paternité charnelle. Il n'est pas le père biologique de Jésus dont Dieu seul est le Père, et pourtant il va exercer une paternité pleine et entière. Être père, c'est avant tout être serviteur de la vie et de la croissance. Saint Joseph a fait preuve, en ce sens, d'un grand dévouement. Pour le Christ, il a connu la persécution, l'exil et la pauvreté qui en découle. Il a dû s'installer ailleurs que dans son village. Sa seule récompense fut celle d'être avec le Christ. Cette disponibilité illustre les paroles de saint Paul : « Le maître, c'est le Christ, et vous êtes à son service » (Col 3, 24).

Il s'agit de ne pas être un serviteur médiocre, mais d'être,   un serviteur « fidèle et avisé ». La rencontre des deux adjectifs n'est pas fortuite : elle suggère que l'intelligence sans la fidélité comme la fidélité sans la sagesse sont des qualités insuffisantes. L'une dépourvue de l'autre ne permet pas d'assumer pleinement la responsabilité que Dieu nous confie.

Chers frères prêtres, cette paternité, vous avez à la vivre dans le quotidien de votre ministère. En effet, comme le souligne la Constitution conciliaire Lumen Gentium, « de leurs fidèles, qu'ils ont engendrés spirituellement par le baptême et l'enseignement, les prêtres doivent avoir, dans le Christ, un souci paternel » (n. 28). Comment donc alors ne pas revenir sans cesse à la racine de notre sacerdoce, le Seigneur Jésus Christ ? La relation à sa personne est constitutive de ce que nous voulons vivre, lui qui nous appelle ses amis, car tout ce qu'il a appris de son Père, il nous l'a fait connaître (cf. Jn 15, 15). En vivant cette amitié profonde avec le Christ, vous trouverez la vraie liberté et la joie de votre cœur. Le sacerdoce ministériel comporte un lien profond avec le Christ qui nous est donné dans l'Eucharistie. Que la célébration de l'Eucharistie soit vraiment le centre de votre vie sacerdotale, alors elle sera aussi le centre de votre mission ecclésiale. En effet, à travers toute notre vie, le Christ nous appelle à participer à sa mission, à être ses témoins, afin que sa Parole puisse être annoncée à tous. En célébrant ce sacrement au nom et en la personne du Seigneur, ce n'est donc pas la personne du prêtre qui doit être mise au premier plan ; celui-ci est un serviteur, un humble instrument qui renvoie au Christ lui-même s'offrant en sacrifice pour le salut du monde. « Que celui qui commande soit comme celui qui sert » (Lc 22, 26) dit Jésus. Et Origène écrivait : « Joseph comprenait que Jésus lui était supérieur tout en lui étant soumis, et, connaissant la supériorité de son inférieur, Joseph lui commandait avec crainte et mesure. Que chacun y réfléchisse : souvent un homme de moindre valeur est placé au-dessus des gens meilleurs que lui, et il arrive quelquefois que l'inférieur a plus de valeur que celui qui semble lui commander. Lorsque celui qui est élevé en dignité aura compris cela, il ne s'enflera pas d'orgueil à cause de son rang plus élevé, mais il saura que son inférieur peut être meilleur que lui, tout comme Jésus fut soumis à Joseph » (Homélie sur St Luc XX, 5, S.C. p. 287).

Chers frères dans le sacerdoce, votre ministère pastoral demande beaucoup de renoncements, mais il est aussi source de joie. Dans une relation confiante avec vos Évêques, fraternellement unis à l'ensemble du presbytérium, et soutenus par la portion du Peuple de Dieu qui vous est confiée, vous saurez répondre avec fidélité à l'appel que le Seigneur vous a fait un jour, comme il a appelé Joseph à veiller sur Marie et sur l'Enfant-Jésus ! Puissiez-vous demeurer fidèles, chers prêtres, aux promesses que vous avez faites à Dieu devant votre Evêque et devant l'ensemble de la communauté ! Le Successeur de Pierre vous remercie pour votre engagement généreux au service de l'Église, et il vous encourage à ne pas vous laisser troubler par les difficultés du chemin. Aux jeunes qui se préparent à vous rejoindre, comme à ceux qui se posent encore des questions, je voudrais redire ce soir la joie qu'il y a à se donner totalement pour le service de Dieu et de l'Église. Ayez le courage de donner un oui généreux au Christ ! 

Vous aussi, frères et sœurs qui vous êtes engagés dans la vie consacrée ou dans des mouvements ecclésiaux, je vous invite à tourner votre regard vers saint Joseph. Lorsque Marie reçoit la visite de l'ange lors de l'Annonciation, elle est déjà promise en mariage à Joseph. En s'adressant personnellement à Marie, le Seigneur associe donc déjà intimement Joseph au mystère de l'Incarnation. Celui-ci a consenti à se lier à cette histoire que Dieu avait commencé d'écrire dans le sein de son épouse. Il a alors pris chez lui Marie. Il a accueilli le mystère qui était en elle et le mystère qu'elle était elle-même. Il l'aima  avec ce grand respect qui est le sceau des amours authentiques. Saint Joseph nous apprend que l'on peut aimer sans posséder. En le contemplant, tout homme, ou toute femme, peut, avec la grâce de Dieu, être conduit à la guérison de ses blessures affectives à condition d'entrer dans le projet que Dieu a déjà commencé à réaliser dans les êtres qui sont auprès de lui, tout comme Joseph est entré dans l'œuvre de la rédemption à travers la figure de Marie et grâce à ce que Dieu avait déjà fait en elle. Puissiez-vous, chers frères et sœurs engagés dans des mouvements ecclésiaux, être attentifs à ceux qui vous entourent et manifester le visage aimant de Dieu pour les plus humbles, notamment à travers l'exercice des œuvres de miséricorde, l'éducation humaine et chrétienne des jeunes, le service de la promotion de la femme et de tant d'autres manières !

La contribution spirituelle apportée par les personnes consacrées est aussi significative et indispensable à la vie de l'Église. Cet appel à suivre le Christ est un don pour l'ensemble du Peuple de Dieu. Selon votre vocation, en imitant le Christ chaste, pauvre et obéissant, totalement consacré à la gloire de son Père et à l'amour de ses frères et sœurs, vous avez pour mission de témoigner devant notre monde qui en a tant besoin, du primat de Dieu et des biens à venir (cf. Vita consecrata, n. 85). Par votre fidélité sans réserve à vos engagements vous êtes dans l'Église un germe de vie qui grandit au service de la venue du Royaume de Dieu. À tout moment, mais d'une façon particulière lorsque la fidélité est éprouvée, saint Joseph vous rappelle le sens et la valeur de vos engagements. La vie consacrée est une imitation radicale du Christ. Il est donc nécessaire que votre style de vie exprime avec justesse ce qui vous fait vivre et que votre activité ne cache pas votre identité profonde. N'ayez pas peur de vivre pleinement l'offrande de vous-mêmes que vous avez faite à Dieu et d'en témoigner avec authenticité autour de vous . Un exemple vous stimule particulièrement à rechercher cette sainteté de vie, celui du Père Simon Mpeke, dit Baba Simon. Vous savez combien « le missionnaire aux pieds nus » dépensa toutes les forces de son être dans une humilité désintéressée, ayant à cœur de secourir les âmes, sans s'épargner les soucis et les peines du service matériel de ses frères.

Chers frères et sœurs, notre méditation sur le parcours humain et spirituel de saint Joseph, nous invite à prendre la mesure de toute la richesse de sa vocation et du modèle qu'il demeure pour tous ceux et toutes celles qui ont voulu vouer  leur existence au Christ, dans le sacerdoce comme dans la vie consacrée ou dans divers engagements du laïcat. Joseph a en effet vécu dans le rayonnement du mystère de l'Incarnation. Non seulement dans une proximité physique, mais aussi dans l'attention du cœur. Joseph nous livre le secret d'une humanité qui vit en présence du mystère, ouverte à lui à travers les détails les plus concrets de l'existence. Chez lui, il n'y a pas de séparation entre la foi et l'action. Sa foi oriente de façon décisive ses actions. Paradoxalement, c'est en agissant, en prenant donc ses responsabilités, qu'il s'efface le mieux pour laisser à Dieu la liberté de réaliser son œuvre, sans y faire obstacle. Joseph est un « homme juste » (Mt 1, 19) parce que son existence est ajustée à la Parole de Dieu.

La vie de saint Joseph, vécue dans l'obéissance à la Parole, est un signe éloquent pour tous les disciples de Jésus qui aspirent à l'unité de l'Église. Son exemple nous incite à comprendre que c'est en se livrant pleinement à la volonté de Dieu que l'homme devient un ouvrier efficace du dessein de Dieu qui désire réunir les hommes en une seule famille, une seule assemblée, une seule ‘ecclesia'. Chers amis membres des autres Confessions chrétiennes, cette recherche de l'unité des disciples du Christ est pour nous un défi majeur. Elle nous conduit d'abord à nous convertir à la personne du Christ, à nous laisser toujours plus attirer par Lui. C'est en lui que nous sommes appelés à nous reconnaître frères, enfants d'un même Père. En cette année consacrée à l'Apôtre Paul, le grand annonciateur de Jésus-Christ, l'Apôtre des Nations, tournons-nous ensemble vers lui, pour écouter et pour apprendre « la foi et la vérité » dans lesquelles sont enracinées les raisons de l'unité parmi les disciples du Christ.

En terminant, tournons-nous vers l'épouse de saint Joseph, la Vierge Marie, « Reine des Apôtres » puisque tel est le vocable sous lequel elle est invoquée comme patronne du Cameroun. Je lui confie la consécration de chacun et de chacune de vous, votre désir de répondre plus fidèlement à l'appel qui vous est adressé et à la mission qui vous est confiée. J'invoque enfin son intercession pour votre beau pays. Amen.