Les Nouvelles

de

Chrétienté

N° 173

Au 17 avril 2009

 

L’enseignement du Pape durant la Semaine Sainte 2009

 

A la messe Chrismale

 

 

Nous publions ci-dessous le texte intégral de l'homélie que le pape Benoît XVI a prononcé le jeudi matin, 9 avril, dans la basilique Saint-Pierre, au cours de la messe chrismale.

 

 

Chers frères et sœurs,

 

Au Cénacle, la veille de sa passion, le Seigneur a prié pour ses disciples réunis autour de Lui, regardant en même temps par avance vers la communauté des disciples de tous les temps, vers « ceux qui accueilleront leur parole et croiront en moi » (Jn 17, 20). Dans sa prière pour tous ses disciples de tous les temps, il a pensé aussi à nous et il a prié pour nous. Ecoutons ce qu'il demande pour les Douze et pour nous qui sommes réunis ici : « Consacre-les par la vérité : ta parole est vérité. De même que tu m'as envoyé dans le monde, moi aussi, je les ai envoyés dans le monde. Et pour eux je me consacre moi-même, afin qu'ils soient, eux aussi consacrés par la vérité » (Jn 17, 17ss). Le Seigneur demande notre sanctification, notre sanctification dans la vérité. Et il nous envoie pour continuer sa propre mission. Mais il y a dans cette prière une phrase qui attire notre attention, qui nous semble peu compréhensible. Jésus dit : « Pour eux je me consacre moi-même ». Qu'est-ce que cela signifie ? En soi, Jésus n'est-il pas « le Saint de Dieu », comme Pierre l'a déclaré à un moment décisif à Capharnaüm (cf. Jn 6, 69) ? Comment peut-il à présent se consacrer, c'est-à-dire se sanctifier lui-même ?

Pour le comprendre, nous devons surtout expliquer ce que veulent dire dans la Bible les mots « saint » et « consacrer/sanctifier ». « Saint » - ce mot indique avant tout la nature même de Dieu, sa manière d'être toute particulière, sa divinité, qui est propre à Lui seul. Lui seul est le véritable et authentique Saint au sens originaire. Toute autre sainteté provient de Lui, est une participation à sa manière d'être. Il est la Lumière très pure, la Vérité et le Bien sans tâche. Consacrer quelque chose ou quelqu'un signifie donc donner cette chose ou cette personne en propriété à Dieu, la retirer du cadre de ce qui est nôtre et l'introduire dans son domaine, afin qu'elle ne nous appartienne plus, mais soit totalement de Dieu. Consacrer c'est donc enlever du monde et remettre au Dieu vivant. La chose ou la personne ne nous appartient plus, et ne s'appartient même plus à elle-même, mais elle est plongée en Dieu. Se priver de cette manière d'une chose pour la donner à Dieu, c'est ce que nous appelons aussi sacrifice : cela ne sera plus ma propriété, mais sera sa propriété à Lui. Dans l'Ancien Testament, la remise d'une personne à Dieu, c'est-à-dire sa « sanctification », s'identifie avec l'Ordination sacerdotale, et, de cette manière, est défini aussi ce en quoi consiste le sacerdoce : c'est un passage de propriété, c'est être enlevé du monde et donné à Dieu. Ainsi sont mises en évidence les deux directions qui font partie du processus de sanctification/consécration. C'est sortir du contexte de la vie mondaine - c'est « être mis à part » pour Dieu. Mais, pour cette raison précisément, ce n'est pas une ségrégation. Etre remis à Dieu, cela signifie plutôt être placé pour représenter les autres. Le prêtre est soustrait aux liens mondains et donné à Dieu, et ainsi, à partir de Dieu, il est disponible pour les autres, pour tous. Quand Jésus dit : « Je me consacre », Il se fait en même temps prêtre et victime. C'est pourquoi Bultmann a raison en traduisant l'affirmation : « Je me consacre » par « Je me sacrifie ». Comprenons-nous à présent ce qui se produit quand Jésus dit : « Je me consacre pour eux » ? C'est là l'acte sacerdotal par lequel Jésus - l'homme Jésus, qui ne fait qu'un avec le Fils de Dieu - se donne au Père pour nous. C'est l'expression du fait qu'il est à la fois prêtre et victime. Je me consacre - je me sacrifie : cette expression abyssale, qui nous laisse percer l'intimité du cœur de Jésus Christ, devrait être continuellement l'objet de notre réflexion. En elle est englobé tout le mystère de notre rédemption. Et l'origine du sacerdoce de l'Eglise y est aussi contenue, celle de notre sacerdoce.

A présent seulement, nous pouvons comprendre pleinement la prière que le Seigneur a présentée à son Père pour les disciples - pour nous. « Consacre-les par la vérité » : c'est là l'entrée des apôtres dans le sacerdoce de Jésus Christ, l'institution de son sacerdoce nouveau pour la communauté des fidèles de tous les temps. « Consacre-les par la vérité » : c'est là la véritable prière de consécration pour les apôtres. Le Seigneur demande que Dieu lui-même les attire à lui, dans sa sainteté. Il Lui demande de les soustraire à eux-mêmes et de les faire siens, afin que, à partir de Lui, ils puissent remplir leur service sacerdotal pour le monde. Cette prière de Jésus apparaît deux fois sous une forme légèrement modifiée. Les deux fois, nous devons l'écouter avec beaucoup d'attention pour commencer à comprendre au moins un peu le fait sublime qui est en train de s'accomplir. « Consacre-les par la vérité ». Jésus ajoute : « Ta parole est vérité ». Les disciples sont donc attirés dans l'intimité de Dieu par leur immersion dans la parole de Dieu. La parole de Dieu est, pour ainsi dire, le bain qui les purifie, le pouvoir créateur qui les transforme dans l'être de Dieu. Qu'en est-il alors dans notre vie ? Sommes-nous vraiment imprégnés de la parole de Dieu ? Est-elle vraiment la nourriture qui nous fait vivre, plus encore que le pain et les choses de ce monde ? La connaissons-nous vraiment ? L'aimons-nous ? Intérieurement, nous préoccupons-nous de cette parole au point qu'elle façonne réellement notre vie et informe notre pensée ? Ou bien notre pensée n'est-elle pas plutôt sans cesse modelée sur tout ce qui se dit et tout ce qui se fait ? Les opinions prédominantes ne sont-elles pas très souvent les critères sur lesquels nous nous basons ? Ne demeurons-nous pas, en fin de compte, dans la superficialité de tout ce qui s'impose en général à l'homme d'aujourd'hui ? Nous laissons-nous vraiment purifier dans notre for intérieur par la parole de Dieu ? Nietzsche a décrit ironiquement l'humilité et l'obéissance comme des vertus serviles, par lesquelles les hommes auraient été diminués. Il a mis à leur place la fierté et la liberté absolue de l'homme. Or, il y a des caricatures d'une humilité erronée et d'une soumission erronée, que nous ne voulons pas imiter. Mais il y a aussi l'orgueil destructeur et la présomption qui désintègrent toute communauté et aboutissent à la violence. Savons-nous apprendre du Christ la juste humilité qui correspond à la vérité de notre être, et l'obéissance qui se soumet à la vérité, à la volonté de Dieu ? « Consacre-les par la vérité ; ta parole est vérité » : ces mots qui introduisent dans le sacerdoce éclairent notre vie et nous appellent à devenir toujours à nouveau disciples de cette vérité, qui se révèle dans la parole de Dieu.

Dans l'interprétation de cette phrase nous pouvons faire encore un pas de plus. Jésus n'a-t-il pas dit de lui-même : « Je suis la vérité » (cf. Jn 14. 6) ? Est-ce qu'il n'est pas lui-même la Parole vivante de Dieu, à laquelle se rapportent toutes les autres paroles ? Consacre-les par la vérité - cela veut donc dire, au sens le plus profond : fais qu'ils ne soient qu'un avec moi, le Christ. Attache-les à moi. Attire-les en moi. Et, de fait, il n'existe en dernière analyse qu'un seul prêtre de la Nouvelle Alliance, Jésus lui-même. Et le sacerdoce des disciples, par conséquent, ne peut être qu'une participation au sacerdoce de Jésus. Notre être de prêtres n'est donc pas autre chose qu'une nouvelle façon d'être unis au Christ. Substantiellement, cela nous a été donné pour toujours dans le Sacrement. Mais ce nouveau sceau sur notre être peut devenir pour nous un jugement de condamnation si notre vie ne se déploie pas dans la vérité du Sacrement. Les promesses que nous renouvelons aujourd'hui disent à ce propos que notre volonté doit être orientée ainsi : Domino Iesu arctius coniungi et conformari, vobismetipsis abrenuntiantes. S'unir au Christ suppose le renoncement. Cela implique que nous ne voulons pas imposer notre route, ni notre volonté ; que nous ne désirons pas devenir ceci ou cela, mais que nous nous abandonnons à Lui, sans nous préoccuper de savoir où et de quelle manière il voudra se servir de nous. « Je vis, mais ce n'est plus moi, c'est le Christ qui vit en moi » (Ga 2, 20) a dit saint Paul à ce sujet. Dans le « oui » de l'Ordination sacerdotale nous avons fait ce renoncement fondamental à la volonté d'être autonomes, à l'« autoréalisation ». Mais, jour après jour, il faut réaliser ce grand « oui » dans les nombreux petits « oui » et dans les petits renoncements. Ce « oui » des petits pas qui mis ensemble forment le grand « oui », pourra se réaliser sans amertume et sans apitoiement sur soi, seulement si le Christ est vraiment le centre de notre vie. Dans la mesure où nous entrons dans une authentique familiarité avec Lui. Alors, en fait, au milieu des renoncements qui au début peuvent être cause de souffrances, nous faisons l'expérience de la joie croissante de l'amitié avec Lui, de tous les petits et parfois aussi des grands signes de l'amour qu'il nous donne continuellement. « Qui perd sa vie la trouve ». Si nous osons nous perdre nous-mêmes pour le Seigneur, nous vérifions alors par l'expérience combien cette parole est vraie.

Etre plongés dans la Vérité, dans le Christ - la prière fait partie de ce processus dans lequel nous apprenons à devenir ses amis et aussi nous apprenons à le connaître : sa manière d'être, de penser, d'agir. Prier est un cheminement dans une communion personnelle avec le Christ, lui présentant notre vie quotidienne, nos succès et nos échecs, nos épreuves et nos joies - il s'agit simplement de se présenter devant Lui. Mais pour éviter que cela ne devienne une auto contemplation, il est important que nous apprenions continuellement à prier en priant avec l'Eglise. Célébrer l'Eucharistie veut dire prier. Nous célébrons l'Eucharistie de manière juste, si en pensée et par tout notre être nous entrons dans les paroles que l'Eglise nous propose. En elles se trouve la prière de toutes les générations qui nous entraînent avec elles sur le chemin vers le Seigneur. Comme prêtres, nous sommes ceux qui, dans la célébration eucharistique, par leur prière, ouvrent la route à la prière des fidèles d'aujourd'hui. Si nous sommes intérieurement unis aux paroles de la prière, si nous nous laissons guider et transformer par elles, alors les fidèles eux aussi trouvent l'accès à ces paroles. Alors, nous devenons tous véritablement « un seul corps et une seule âme » avec le Christ.

Etre plongés dans la vérité et ainsi dans la sainteté de Dieu, cela signifie pour nous accepter aussi le caractère exigeant de la vérité ; s'opposer, dans les grandes choses comme dans les petites au mensonge, qui de manière extrêmement variée est présent dans le monde ; accepter le combat pour la vérité, parce que sa joie la plus profonde est présente en nous. Quand nous parlons d'être consacrés par la vérité, nous ne devons pas non plus oublier qu'en Jésus Christ vérité et amour sont une seule réalité. Etre plongés en Lui signifie être plongés dans sa bonté, dans l'amour vrai. L'amour vrai ne se trouve pas à bon marché, il peut même être très exigeant. Il oppose résistance au mal, pour conduire l'homme vers le bien véritable. Si nous devenons un avec le Christ, nous apprenons à Le reconnaître dans ceux qui souffrent, dans les pauvres, dans les petits de ce monde ; alors nous devenons des personnes qui servent, qui reconnaissent les frères et sœurs du Christ et qui en eux le rencontrent Lui-même.

« Consacre-les par la vérité » - c'est la première partie de cette parole de Jésus. Mais il ajoute après : « Pour eux, je me consacre moi-même, afin qu'ils soient, eux aussi, consacrés par la vérité » - c'est-à-dire authentiquement (Jn 17, 19). Je pense que cette deuxième partie a une signification particulière. Il existe dans les diverses religions dans le monde de multiples modes rituels de « sanctification », de consécration d'une personne humaine. Mais tous ces rites peuvent rester à un niveau purement formel. Le Christ demande pour ses disciples la vraie sanctification, qui transforme leur être, qui les transforme eux-mêmes ; que cela ne reste pas purement rituel, mais soit une véritable appropriation par le Dieu saint. Nous pourrions dire encore : le Christ a demandé pour nous le Sacrement qui nous touche dans les profondeurs de notre être. Mais il a prié aussi pour que cette transformation qui s'accomplit jour après jour en nous se traduise en vie ; il a prié pour que dans notre vie quotidienne, dans le concret de notre vie de chaque jour, nous soyons vraiment envahis par la lumière de Dieu.

A la veille de mon Ordination sacerdotale, il y a 58 ans, j'ai ouvert la Sainte Ecriture, parce que je voulais encore recevoir une Parole du Seigneur pour ce jour et pour le chemin que j'aurai à parcourir comme prêtre. Et mon regard est tombé sur ce passage : « Consacre-les par la vérité : ta parole est vérité ». Alors j'ai su : le Seigneur est en train de parler de moi, et il est en train de me parler. C'est exactement ce qui arrivera pour moi demain. En dernière analyse, nous ne sommes pas consacrés par des rites, même s'il y a besoin de rites. Le bain dans lequel le Seigneur nous plonge, c'est Lui-même - la Vérité en personne. Ordination sacerdotale, veut dire : être immergés en Lui, dans la Vérité. Je lui appartiens d'une manière nouvelle et de cette manière j'appartiens aux autres, « pour que ton règne vienne ». Chers amis, au moment du renouvellement des promesses, nous voulons prier le Seigneur afin qu'il fasse de nous des hommes de vérité, des hommes d'amour, des hommes de Dieu. Prions-le de nous attirer toujours plus en lui, afin que nous devenions véritablement prêtres de la Nouvelle Alliance. Amen.

 

 

A la Messe de la Dernière Cène le Jeudi Saint

 

 

- Nous publions ci-dessous le texte intégral de l'homélie que le pape Benoît XVI a prononcée au cours de la messe de la Dernière Cène, célébrée en fin d'après-midi en la basilique Saint-Jean-du-Latran, par le pape Benoît XVI.

 

Chers frères et sœurs,

 

Qui, pridie quam pro nostra omniumque salute pateretur, hoc est hodie, accepit panem : ainsi dirons-nous aujourd'hui dans le Canon de la Messe. «Hoc est hodie» - la Liturgie du Jeudi Saint insère dans le texte de la prière la parole « aujourd'hui », soulignant ainsi la dignité particulière de cette journée. C'est aujourd'hui qu'Il l'a fait : pour toujours, il s'est donné lui-même à nous dans le Sacrement de son Corps et de son Sang. Cet « aujourd'hui » est avant toute chose le mémorial de la Pâques d'alors. Mais il est davantage encore. Avec le Canon, nous entrons dans cet « aujourd'hui ». Notre aujourd'hui rejoint son aujourd'hui. Il fait cela maintenant. Par la parole « aujourd'hui », la Liturgie de l'Église veut nous amener à porter une grande attention intérieure au mystère de ce jour, aux mots dans lesquels il est exprimé. Cherchons donc à écouter de façon neuve le récit de l'institution comme l'Église l'a formulé sur la base de l'Écriture, tout en contemplant le Seigneur.

En premier lieu, il est frappant que le récit de l'institution ne soit pas une phrase autonome, mais qu'il débute par un pronom relatif : qui pridie. Ce « qui » rattache le récit entier aux paroles précédentes de la prière, « ... qu'elle devienne pour nous le corps et le sang de ton Fils bien-aimé, Jésus Christ, notre Seigneur ». De cette façon, le récit de l'institution est lié à la prière précédente, à l'ensemble du Canon, et il devient lui-même une prière. Ce n'est pas simplement un récit qui est ici inséré, et il ne s'agit pas davantage de paroles d'autorité indépendantes, qui viendraient interrompre la prière. C'est une prière. C'est seulement dans la prière que s'accomplit l'acte sacerdotal de la consécration qui devient transformation, transsubstantiation de nos dons du pain et du vin dans le Corps et le Sang du Christ. En priant, en cet instant central, l'Église est en accord total avec l'événement du Cénacle, puisque l'agir de Jésus est décrit par ces mots : « gratias agens benedixit - il rendit grâce par la prière de bénédiction ». Par cette expression, la Liturgie romaine a énoncé en deux mots ce qui dans l'hébreu berakha n'est qu'un seul mot et qui dans le grec apparaît en revanche à travers les deux termes eucharistie et eulogie. Le Seigneur rend grâce. En rendant grâce, nous reconnaissons que telle chose est un don que nous recevons d'un autre. Le Seigneur rend grâce et par là il rend à Dieu le pain, « fruit de la terre et du travail des hommes », pour le recevoir à nouveau de Lui. Rendre grâce devient bénir. Ce qui a été remis entre les mains de Dieu, nous est retourné par Lui béni et transformé. La Liturgie romaine a donc raison en interprétant notre prière en ce moment sacré par les paroles : « offrons », « supplions », « prions d'accepter », « de bénir ces offrandes ». Tout cela est contenu dans le terme « eucharistie».

Il y a une autre particularité dans le récit de l'institution rapporté dans le Canon romain, que nous voulons méditer en ce moment. L'Église priante regarde les mains et les yeux du Seigneur. Elle veut comme l'observer, elle veut percevoir le geste de sa prière et de son agir en cette heure singulière, rencontrer la figure de Jésus, pour ainsi dire, même à travers ses sens. "Il prit le pain dans ses mains très saintes...". Regardons ces mains avec lesquelles il a guéri les hommes; les mains avec lesquelles il a béni les enfants; les mains, qu'il a imposées aux hommes; les mains qui ont été clouées à la Croix et qui pour toujours porteront les stigmates comme signes de son amour prêt à mourir. Maintenant nous sommes chargés de faire ce qu'Il a fait: prendre entre les mains le pain pour que, par la prière eucharistique, il soit transformé. Dans l'Ordination sacerdotale, nos mains ont reçu l'onction, afin qu'elles deviennent des mains de bénédiction. Prions le Seigneur pour que nos mains servent toujours plus à porter le salut, à porter la bénédiction, à rendre présente sa bonté!

De l'introduction à la prière sacerdotale de Jésus (cf. Jn 17, 1), le Canon reprend les paroles suivantes: "Les yeux levés au ciel, vers toi, Dieu, son Père tout-puissant..." Le Seigneur nous enseigne à lever les yeux et surtout le cœur. À élever le regard, le détachant des choses du monde, à nous orienter vers Dieu dans la prière et ainsi à nous relever. Dans une hymne de la prière des heures nous demandons au Seigneur de garder nos yeux, afin qu'ils n'accueillent pas et ne laissent pas entrer en nous les "vanitates" - les vanités, les futilités, ce qui est seulement apparence. Nous prions pour qu'à travers nos yeux n'entre pas en nous le mal, falsifiant et salissant ainsi notre être. Mais nous voulons surtout prier pour avoir des yeux qui voient tout ce qui est vrai, lumineux et bon; afin que nous devenions capables de voir la présence de Dieu dans le monde. Nous prions afin que nous regardions le monde avec des yeux d'amour, avec les yeux de Jésus, reconnaissant ainsi les frères et les sœurs, qui ont besoin de nous, qui attendent notre parole et notre action.

En bénissant, le Seigneur rompit ensuite le pain et le distribua à ses disciples. Rompre le pain est le geste du père de famille qui se préoccupe des siens et leur donne ce dont ils ont besoin pour la vie. Mais c'est aussi le geste de l'hospitalité par lequel l'étranger, l'hôte est accueilli dans la famille et il lui est consenti de prendre part à sa vie. Partager - partager avec, c'est unir. Par le fait de partager une communion se crée. Dans le pain rompu, le Seigneur se distribue lui-même. Le geste de rompre fait aussi mystérieusement allusion à sa mort, à son amour jusqu'à la mort. Il se distribue lui-même, le vrai "pain pour la vie du monde" (cf. Jn 6, 51). La nourriture dont l'homme a besoin au plus profond de lui-même est la communion avec Dieu lui-même. Rendant grâce et bénissant, Jésus transforme le pain, il ne donne plus du pain terrestre, mais la communion avec lui-même. Cette transformation, cependant, veut être le commencement de la transformation du monde. Afin qu'il devienne un monde de résurrection, un monde de Dieu. Oui, il s'agit d'une transformation. De l'homme nouveau et du monde nouveau qui prennent leur commencement dans le pain consacré, transformé, transsubstantié.

Nous avons dit que le fait de rompre le pain est un geste de communion, d'union par le fait de partager. Ainsi, dans le geste même est déjà indiquée la nature profonde de l'Eucharistie: elle est agape, elle est amour rendu corporel. Dans le mot "agape" les significations d'Eucharistie et d'amour s'interpénètrent. Dans le geste de Jésus qui rompt le pain, l'amour auquel nous participons a atteint sa radicalité extrême: Jésus se laisse rompre comme pain vivant. Dans le pain distribué nous reconnaissons le mystère du grain de blé, qui meurt et qui ainsi porte du fruit. Nous reconnaissons la nouvelle multiplication des pains, qui vient de la mort du grain de blé et qui continuera jusqu'à la fin du monde. En même temps nous voyons que l'Eucharistie ne peut jamais être seulement une action liturgique. Elle est complète seulement si l'agape liturgique devient amour dans le quotidien. Dans le culte chrétien les deux choses deviennent une - le fait d'être comblés par le Seigneur dans l'acte cultuel et le culte de l'amour à l'égard du prochain. Demandons en ce moment au Seigneur la grâce d'apprendre à vivre toujours mieux le mystère de l'Eucharistie si bien que de cette façon la transformation du monde trouve son commencement.

Après le pain, Jésus prend la coupe remplie de vin. Le Canon romain qualifie la coupe que le Seigneur donne à ses disciples, de "praeclarus calix" (de coupe glorieuse), faisant allusion ainsi au Psaume 22 [23], ce Psaume qui parle de Dieu comme du Pasteur puissant et bon. On y lit: "Tu prépares la table pour moi devant mes ennemis... ma coupe est débordante" - calix praeclarus. Le Canon romain interprète ces paroles du Psaume comme une prophétie qui se réalise dans l'Eucharistie: Oui, le Seigneur nous prépare la table au milieu des menaces de ce monde, et il nous donne la coupe glorieuse - la coupe de la grande joie, de la vraie fête, à laquelle tous nous aspirons ardemment - la coupe remplie du vin de son amour. La coupe signifie les noces : maintenant est arrivée l'«heure », à laquelle les noces de Cana avaient fait allusion de façon mystérieuse. Oui, l'Eucharistie est plus qu'un banquet, c'est un festin de noces. Et ces noces se fondent dans l'auto-donation de Dieu jusqu'à la mort. Dans les paroles de la dernière Cène de Jésus et dans le Canon de l'Église, le mystère solennel des noces se cache sous l'expression « novum Testamentum ». Cette coupe est le nouveau Testament - « la nouvelle Alliance en mon sang », tel que Paul rapporte les paroles de Jésus sur la coupe dans la deuxième lecture d'aujourd'hui (1 Co 11, 25). Le Canon romain ajoute : « de l'alliance nouvelle et éternelle » pour exprimer l'indissolubilité du lien nuptial de Dieu avec l'humanité. Le motif pour lequel les anciennes traductions de la Bible ne parlent pas d'Alliance mais de Testament, se trouve dans le fait que ce ne sont pas deux contractants à égalité qui ici se rencontrent, mais entre en jeu l'infinie distance entre Dieu et l'homme. Ce que nous appelons nouvelle et ancienne Alliance n'est pas un acte d'entente entre deux parties égales, mais le simple don de Dieu qui nous laisse en héritage son amour - lui-même. Certes, par ce don de son amour, abolissant toute distance, il nous rend finalement vraiment « partenaire » et le mystère nuptial de l'amour se réalise.

Pour pouvoir comprendre ce qui arrive là en profondeur, nous devons écouter encore plus attentivement les paroles de la Bible et leur signification originaire. Les savants nous disent que, dans les temps lointains dont nous parlent les histoires des Pères d'Israël, « ratifier une alliance » signifie « entrer avec d'autres dans un lien fondé sur le sang, ou plutôt accueillir l'autre dans sa propre fédération et entrer ainsi dans une communion de droits l'un avec l'autre. De cette façon se crée une consanguinité réelle bien que non matérielle. Les partenaires deviennent en quelque sorte « frères de la même chair et des mêmes os ». L'alliance réalise un ensemble qui signifie paix (cf. ThWNT II, 105-137). Pouvons-nous maintenant nous faire au moins une idée de ce qui arrive à l'heure de la dernière Cène et qui, depuis lors, se renouvelle chaque fois que nous célébrons l'Eucharistie ? Dieu, le Dieu vivant établit avec nous une communion de paix, ou mieux, il crée une « consanguinité » entre lui et nous. Par l'incarnation de Jésus, par son sang versé, nous avons été introduits dans une consanguinité bien réelle avec Jésus et donc avec Dieu lui-même. Le sang de Jésus est son amour, dans lequel la vie divine et la vie humaine sont devenues une seule chose. Prions le Seigneur afin que nous comprenions toujours plus la grandeur de ce mystère ! Afin qu'il développe sa force transformante dans notre vie intime, de façon que nous devenions vraiment consanguins de Jésus, pénétrés de sa paix et également en communion les uns avec les autres.

Maintenant, cependant, une autre question se pose encore. Au Cénacle, le Christ a donné aux disciples son Corps et son Sang, c'est-à-dire lui-même dans la totalité de sa personne. Mais a-t-il pu le faire ? Il est encore physiquement présent au milieu d'eux, il se trouve devant eux ! La réponse est : en cette heure Jésus réalise ce qu'il avait annoncé précédemment dans le discours sur le Bon Pasteur : « Personne ne m'enlève ma vie : je la donne de moi-même. J'ai le pouvoir de la donner, et le pouvoir de la reprendre... » (Jn 10, 18). Personne ne peut lui enlever la vie : il la donne par sa libre décision. En cette heure il anticipe la crucifixion et la résurrection. Ce qui se réalisera là, pour ainsi dire, physiquement en lui, il l'accomplit déjà par avance dans la liberté de son amour. Il donne sa vie et la reprend dans la résurrection pour pouvoir la partager pour toujours.

Seigneur, aujourd'hui tu nous donnes ta vie, tu te donne toi-même à nous. Pénètre-nous de ton amour. Fais-nous vivre dans ton « aujourd'hui ». Fais de nous des instruments de ta paix ! Amen.

 

 

Allocution de Benoît XVI à la fin du Chemin de Croix au Colisée

 

La Passion de Jésus, sommet de la révélation de l’amour de Dieu

 

Benoît XVI a prononcé l'allocution suivante, au terme du Chemin de Croix du Vendredi Saint, au Colisée.

 

Chers frères et sœurs !

 

Au terme du récit dramatique de la Passion, l'évangéliste saint Marc relève : « Le centurion qui était là en face de Jésus, voyant comment il avait expiré, s'écria : ‘Vraiment, cet homme était le Fils de Dieu !' » (Mc 15, 39). La profession de foi de ce soldat romain, qui avait assisté au déroulement des différentes étapes de la crucifixion, ne peut pas ne pas nous surprendre. Quand les ténèbres de la nuit s'apprêtaient à descendre sur ce Vendredi unique dans l'Histoire, quand désormais le sacrifice de la Croix était consommé et que les personnes présentes se hâtaient pour pouvoir célébrer régulièrement la Pâque juive, les quelques paroles, tombées des lèvres d'un commandant anonyme de la troupe romaine, résonnèrent dans le silence face à cette mort très singulière. Cet officier de la troupe romaine, qui avait assisté à l'exécution de l'un des nombreux condamnés à la peine capitale, sût reconnaître en cet homme crucifié le Fils de Dieu, ayant expiré dans l'abandon le plus humiliant. Sa fin ignominieuse aurait dû marquer le triomphe définitif de la haine et de la mort sur l'amour et sur la vie. Mais il n'en fut pas ainsi ! Sur le Golgotha, se dressait la Croix sur laquelle était suspendu un homme désormais mort, mais cet homme était « le Fils de Dieu », comme devait le confesser le centurion - « en le voyant mourir ainsi », précise l'évangéliste.

La profession de foi de ce soldat nous est proposée de nouveau chaque fois que nous réentendons le récit de la Passion selon saint Marc. Ce soir, nous aussi, comme lui, nous nous arrêtons pour fixer le visage inanimé du Crucifié, au terme de cette traditionnelle Via Crucis, qui a réuni, grâce aux liaisons radiotélévisées, beaucoup de gens de toutes les parties du monde. Nous avons revécu l'histoire tragique d'un Homme unique dans l'histoire de tous les temps, qui a changé le monde sans tuer les autres, mais en se laissant mettre à mort, suspendu sur une croix. Cet Homme, apparemment l'un d'entre nous, qui, alors qu'il est assassiné, pardonne à ses bourreaux, est le « Fils de Dieu », qui - comme nous le rappelle l'Apôtre Paul - « n'a pas jugé bon de revendiquer son droit d'être traité à l'égal de Dieu ; mais au contraire, il se dépouilla lui-même en prenant la condition de serviteur (...) il s'est abaissé lui-même en devenant obéissant jusqu'à mourir, et à mourir sur une croix » (Ph 2, 6-8).

La douloureuse Passion du Seigneur Jésus ne peut pas ne pas porter à la pitié même les cœurs les plus endurcis, parce qu'elle constitue le sommet de la révélation de l'amour de Dieu pour chacun de nous. Saint Jean observe : « Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique : ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas, mais il obtiendra la vie éternelle » (Jn 3, 16). C'est par amour pour nous que le Christ meurt sur la croix ! Au long des millénaires, des foules d'hommes et de femmes se sont laissés fasciner par ce mystère et l'ont suivi, faisant à leur tour, comme Lui et avec son aide, de leur propre vie un don à leurs frères. Ce sont les saints et les martyrs, dont beaucoup demeurent inconnus de nous. Encore à notre époque, combien de personnes, dans le silence de leur existence quotidienne, unissent leurs souffrances à celles du Crucifié et deviennent les apôtres d'un véritable renouveau spirituel et social ! Que serait l'homme sans le Christ ? Saint Augustin observe : « Tu serais toujours dans un état de misère, s'Il ne t'avait fait miséricorde. Tu n'aurais pas retrouvé la vie, s'Il n'avait partagé ta mort. Tu manquerais, s'Il n'était venu à ton aide. Tu serais perdu, s'Il n'était arrivé » (Discours 185, 1). Pourquoi alors ne pas l'accueillir dans notre vie ?

Arrêtons-nous ce soir à contempler son visage défiguré : c'est le visage de l'Homme des douleurs, qui s'est chargé de toutes nos angoisses mortelles. Son visage se reflète sur celui de toute personne humiliée et offensée, malade et souffrante, seule, abandonnée et méprisée. En versant son sang, il nous a rachetés de l'esclavage de la mort, il a brisé la solitude de nos larmes, il est entré dans toutes nos peines et dans tous nos soucis.

Frères et sœurs ! Alors que pointe la Croix sur le Golgotha, le regard de notre foi se projette vers l'aube du Jour nouveau et nous goûtons déjà la joie et l'éclat de Pâques. « Si nous sommes passés par la mort avec le Christ, - écrit saint Paul - nous croyons que nous vivrons aussi avec lui » (Rm 6, 8). Avec cette certitude, poursuivons notre chemin. Demain, Samedi, nous veillerons et prierons avec Marie, la Vierge des Douleurs. Prions avec tous les affligés, prions surtout avec tous les souffrants de la région de L'Aquila frappée par le tremblement de terre. Prions afin que pour eux aussi, en cette nuit obscure, apparaisse l'étoile de l'espérance, la lumière du Seigneur ressuscité. Dès maintenant, je souhaite à tous une Bonne Pâque dans la lumière du Seigneur ressuscité !