de
Chrétienté
N° 179
Au 29 mai 2009
Le testament
politique de Louis XVI retrouvé
Source : Le Figaro du 19 mai 2009
Lire le testament politique de Louis
XVI
Il avait disparu depuis
Dans ce texte long et
parfois assez mal structuré, Louis XVI entend exprimer sa conception politique
la plus profonde. Au moment de le rédiger, il se sent libéré des contraintes,
des faux-semblants et des réserves qu'il a toujours dû s'imposer depuis le
début de
C'est donc un texte
d'une portée considérable. Dans sa biographie de Louis XVI, Jean-Christian Petitfils, insiste à juste titre sur son caractère
essentiel pour bien comprendre l'évolution de la pensée du monarque : «La
plupart des historiens, écrit Petitfils à propos de
la déclaration royale, ne lui ont pas donné l'importance qu'elle mérite. Ils
l'ont soit négligée, soit hâtivement lue et commentée» (1). Son contenu n'était
en effet pas ignoré des savants, dans la mesure où le texte a été reproduit
dans de nombreux documents parlementaires, notamment les Archives
parlementaires (publiées sous le Second Empire), mais l'original avait disparu.
C'est lui qui vient enfin d'être retrouvé. Il ne fait aucun doute qu'il s'agit
du document authentique. Son acquéreur, Gérard Lhéritier,
président de la société Aristophil, une société qui
achète des manuscrits anciens et propose ensuite à des collectionneurs de
devenir en partie propriétaires de ces documents (tout en les conservant dans
son Musée des lettres et manuscrits), insiste sur son caractère unique. «C'est
une pièce exceptionnelle, vibrante d'histoire, que nos experts ont pu retrouver
aux États-Unis.» Cette certitude est confirmée par des spécialistes de grand
renom, comme Thierry Bodin, expert en autographes près la cour d'appel de
Paris. Pour ce dernier, la paternité du document est évidente. «C'est la signature
du roi et, surtout, il a été paraphé et signé par le président de l'Assemblée
nationale, Alexandre de Beauharnais.» D'autant que la prise de Gérard Lhéritier est double. Il y a non seulement le document en
lui-même mais un autre manuscrit de huit pages rédigées par le propre frère de
Louis XVI, le comte de Provence, futur Louis XVIII. Ce texte avait été demandé
par le roi à son frère peu de temps avant son départ, afin que celui-ci retrace
les injustices subies par la famille royale depuis
Comment un tel trésor
a-t-il pu s'évanouir dans la nature ? La plupart des historiens et des
spécialistes avouent leur ignorance sur les circonstances de la disparition de
ces documents capitaux. C'est un mystère digne du Da Vinci Code. Jean-Christian
Petitfils rappelle que ce n'est pas le seul
document officiel qui ait disparu sous
Car
Le roi critique aussi
l'excessive décentralisation, la suppression de son droit de grâce, etc. Mais, sur le plan social, il se rallie pourtant à la
révolution juridique de l'été 1789 ; il ne rejette plus l'abolition des
ordres, comme dans sa Déclaration du 23 juin 1789. Il admet l'égalité
civile et insiste même sur les réformes qu'il avait cherché à faire, notamment
en 1787, en matière fiscale, afin que les privilégiés ne bénéficient plus
d'exemptions indues. Il conclut, sur le ton de l'époque : «Français, et
vous surtout Parisiens (…), revenez à votre roi ; il sera toujours votre
père, votre meilleur ami.»
La rédaction du texte
lui a pris à peu près quatre ou cinq mois de réflexion. Il y a travaillé seul,
à l'insu de ses ministres, et il n'y associera son frère qu'à la dernière
minute, le samedi 18 juin, comme en témoigne ce dernier. On sait comment
tout cela finira. Son arrestation à Varennes va, comme le rappelle Mona Ozouf, se révéler fatale
pour la monarchie (3). La déclaration du roi se montrera bien incapable de lui
sauver la mise. Bien au contraire. Le prestige de la monarchie
sera pour jamais terni par cette équipée malheureuse. Pourtant, comme le
remarque à juste titre Jean-Christian Petitfils, ce
testament politique de Louis XVI prouve que le roi n'avait jamais été aussi
conciliant. C'est ce triste paradoxe que met en évidence le document laissé à
l'Assemblée : «Jamais Louis XVI n'avait été aussi proche de
(1)
«Louis XVI», Perrin, 2005, p. 810.
(2)
«Moniteur», tome XV, p. 715.
(3) «Varennes,
la mort de la royauté (21 juin 1791)», Gallimard, 2008.
(4)
«Louis XVI», op. cit.,
p. 815.
Tant que le Roi a pu espérer voir renaître
l'ordre et le bonheur du royaume par les moyens employés par l'Assemblée
nationale, et par sa résidence auprès de cette Assemblée dans la capitale du
Royaume, aucun sacrifice personnel ne lui a coûté ; il n'aurait pas même
argué de la nullité dont le défaut absolu de liberté entache toutes les
démarches qu'il a faites depuis le mois d'octobre 1789, si cet espoir eût été rempli.
Mais aujourd'hui que la seule récompense de tant de sacrifices est de voir la
destruction de la royauté, de voir tous les pouvoirs méconnus, les propriétés
violés, la sûreté des personnes mise partout en danger, les crimes rester
impunis, et une anarchie complète s'établir au-dessus des lois, sans que
l'apparence d'autorité que lui donne la nouvelle Constitution soit suffisante
pour réparer un seul des maux qui affligent le royaume, le Roi, après avoir
solennellement protesté contre tous les actes émanés de lui pendant sa
captivité, croit devoir mettre sous les yeux des Français et de tout l'Univers
le tableau de sa conduite, et celui du Gouvernement qui s'est établi dans le
royaume.
On a vu Sa Majesté, au mois de juillet 1789,
pour écarter tout sujet de défiance, renvoyer les troupes qu'elle n'avait
appelées auprès de sa personne qu'après que les étincelles de révolte s'étaient
déjà manifestées dans Paris et dans le régiment même de ses gardes. Le Roi,
fort de sa conscience et de la droiture de ses intentions, n'a pas craint de
venir seul parmi les citoyens armés de
Au mois d'octobre de la même année, le Roi,
prévenu depuis longtemps des mouvements que les factieux cherchaient à exciter,
dans la journée du 5 fut averti assez à temps pour pouvoir se retirer où il eût
voulu ; mais il craignit qu'on ne se servit de cette démarche pour allumer
la guerre civile, et il aima mieux se sacrifier personnellement, et ce qui
était plus déchirant pour son cœur, mettre en danger la vie des personnes qui lui
sont le plus chères. Tout le monde sait les événements de la nuit du 6 octobre,
et l'impunité qui les couvre depuis près de deux ans. Dieu seul a empêché
l'exécution des plus grands crimes, et a détourné de la nation française une
tache qui aurait été ineffaçable.
Le Roi, cédant au vœu manifesté par l'armée
des Parisiens, vint s'établir avec sa famille au château des Tuileries. Il y
avait plus de cent ans que les Rois n'y avaient fait de résidence habituelle,
excepté dans la minorité de Louis XV. Rien n'était prêt pour recevoir le Roi,
et la disposition des anciens appartements est bien loin de procurer les
commodités auxquelles Sa Majesté était accoutumée dans les autres maisons
Royales, et dont tout particulier qui a de l'aisance peut jouir. Malgré la
contrainte qui avait été apportée, et les incommodités de tout genre qui
suivaient le changement de séjour du Roi, fidèle au système de sacrifice que Sa
Majesté s'était fait pour procurer la tranquillité publique, elle crut, dès le
lendemain de son arrivée à Paris, devoir rassurer les provinces sur son séjour
dans
Mais un sacrifice plus pénible était réservé
au cœur de Sa Majesté ; il fallut qu'elle éloignât d'elle les gardes du
corps de la fidélité desquels elle venait d'avoir une preuve bien éclatante
dans la funeste matinée du 6 ; deux avaient péri victimes de leur
attachement au Roi et à sa famille, et plusieurs autres blessés grièvement en
exécutant strictement les ordres du Roi qui leur avait défendu de tirer sur la
multitude égarée. L'art des factieux a été bien grand pour faire envisager sous
des couleurs si noires une troupe aussi fidèle, et qui venait de mettre le
comble à la bonne conduite qu'elle avait toujours tenue. Mais ce n'était pas
tant contre les gardes du corps que leur intention était dirigée, c'était
contre le Roi lui-même. On voulait l'isoler entièrement en le privant du
service de ses gardes du corps dont on n'avait pas pu égarer les esprits, comme
on avait réussi auprès de ceux du régiment des Gardes Françaises qui, peu de
temps auparavant, était le modèle de l'armée.
C'est aux soldats de ce même régiment, devenu
troupe soldée par la ville de Paris, et aux Gardes Nationaux volontaires de
cette même ville, que la garde du Roi a été confiée. Ces troupes sont
entièrement sous les ordres de la municipalité de Paris, dont le commandant
général relève, et le Roi s'est vu par là prisonnier dans ses propres
Etats ; car comment peut-on appeler autrement l'état d'un Roi qui ne
commande à sa Garde que pour les choses de parade, qui ne nomme à aucune des
places, et qui même est obligé de se voir entouré de plusieurs personnes dont
il connaît les mauvaises intentions pour lui et pour sa famille ?
Ce n'est pas pour inculper
Mais plus le Roi a fait des sacrifices pour
le bonheur de ses peuples, plus les factieux ont travaillé pour qu'ils en
méconnussent le prix, et présenter la royauté sous les couleurs les plus
fausses et les plus odieuses.
La convocation des États Généraux, le
doublement des députés du Tiers État, les peines que le Roi a prises pour
aplanir toutes les difficultés qui pouvaient retarder l'assemblée des États
Généraux, et celles qui s'étaient élevées depuis leur ouverture ; tous les
retranchements que le Roi avait faits sur sa dépense personnelle, tous les
sacrifices qu'il a faits à ses peuples dans la séance du 23 juin, enfin la
réunion des Ordres, opérée par la manifestation du vœu du Roi, mesure que Sa
Majesté jugea alors indispensable pour l'activité des États Généraux :
tous ses soins, toutes ses peines, toute sa générosité, tout son dévouement
pour son peuple, tout a été méconnu, tout a été dénaturé.
Lorsque les États Généraux s'étant donnés le
nom d'Assemblée nationale, ont commencé à s'occuper de
Que reste-t-il au Roi autre chose que le vain
simulacre de la royauté ? On lui a donné vingt-cinq millions pour sa Liste
civile ; mais la splendeur de
"Une remarque qui coûte à faire au Roi,
est l'attention qu'on a eue de séparer, dans tous les arrangements sur la
finance et toutes les autres parties, les services rendus au Roi
personnellement, ou à l'Etat, comme si ces objets n'étaient pas vraiment
inséparables, et que les services rendus à la personne du Roi ne l'étaient pas
à l'Etat.
Qu'on examine ensuite les diverses parties du
gouvernement :
L'ADMINISTRATION INTÉRIEURE. Elle est tout entière dans
les mains des départements, des districts et des municipalités, ressorts trop
multipliés qui nuisent au mouvement de la machine, et qui souvent peuvent se
croiser. Tous ces corps sont élus par le peuple et ne ressortissent du
gouvernement, d'après les décrets, que pour leur exécution et celle des ordres
particuliers qui en sont la suite. D'un côté ils n'ont aucune grâce à en
attendre, et de l'autre les manières de punir ou de réprimer leurs fautes,
comme elles sont établies par les décrets, ont des formes si compliquées qu'il
faudrait des cas bien extraordinaires pour pouvoir s'en servir, ce qui réduit à
bien peu de chose la surveillance que les ministres doivent avoir sur eux. Ces
corps ont d'ailleurs acquis peu de force et de considération, et les Sociétés
des Amis de
Les corps électoraux, quoiqu'ils n'aient
aucune action, et soient restreints aux élections, ont une force réelle par
leur masse, par leur durée biennale, et par la crainte naturelle aux hommes, et
surtout à ceux qui n'ont pas d'état fixe, de déplaire à ceux qui peuvent servir
ou nuire.
La disposition des forces militaires est, par
les décrets, dans la main du Roi. Il a été déclaré chef suprême de l'Armée et
de
AFFAIRES ÉTRANGÈRES. La nomination aux places
de ministres dans les Cours étrangères a été réservée au Roi, ainsi que la
conduite des négociations ; mais la liberté du Roi pour ces choix est
aussi nulle que pour ceux des officiers de l'Armée ; on en a vu l'exemple
à la dernière nomination. La révision et confirmation des traités, que s'est
réservé l'Assemblée nationale, et la nomination d'un Comité diplomatique,
détruit (sic) absolument la seconde disposition. Le droit de faire la
guerre ne serait qu'un droit illusoire, parce qu'il faudrait être insensé pour
croire qu'un roi qui n'est ni ne veut être despote, allât, de but en blanc,
attaquer un autre royaume lorsque le vœu de la nation s'y opposerait et qu'elle
n'accorderait aucun subside pour la soutenir. Mais le droit de faire la paix
est d'un tout autre genre. Le Roi, qui ne fait qu'un avec la nation, qui ne
peut avoir d'autre intérêt que le sien, connaît ses besoins et ses ressources,
et ne craint pas alors de prendre les engagements qui lui paraissent propres à
assurer son bonheur et sa tranquilité. Mais quand il faudra que les conventions
subissent la révision et la confirmation de l'Assemblée nationale, aucune
puissance étrangère ne voudra prendre des engagements qui peuvent être rompus
par d'autres que par celui avec qui elle contracte ; et alors, tous les
pouvoirs se concentrent dans cette même Assemblée. D'ailleurs, quelque
franchise qu'on mette dans les négociations, est-il possible d'en confier le
secret à une Assemblée dont les délibérations sont nécessairement
publiques !
FINANCES. Le Roi avait déclaré, bien
avant la convocation des États Généraux, qu'il reconnaissait dans les
Assemblées de la nation le droit d'accorder des subsides, et qu'il ne voulait
plus imposer les peuples sans leur consentement. Tous les cahiers des députés
aux États Généraux s'étaient accordés à mettre le rétablissement des finances
au premier rang des objets dont cette Assemblée devait s'occuper ;
quelques-uns y avaient mis des restrictions pour des articles à faire décider
préalablement. Le Roi a levé les difficultés que ces restrictions auraient pu
occasionner, en allant au-devant lui-même et accordant, dans la séance du 23
juin, tout ce qui avait été désiré. Le 4 février 1790, le Roi a pressé
l'Assemblée de s'occuper efficacement d'un objet si important ; elle ne
s'en est occupé que tard et d'une manière qui peut paraître imparfaite. Il n'y
a point encore de tableau exactement fait des recettes et des dépenses, et des
ressources qui peuvent servir à combler le déficit. On s'est laissé aller à des
calculs hypothétiques. L'Assemblée s'est pressée de détruire plusieurs impôts
dont la lourdeur, à la vérité, pesait beaucoup sur le peuple, mais qui donnaient
des ressources assurées ; elle les a remplacés par un impôt presque unique
dont la levée exacte sera peut-être très difficile. Les contributions
ordinaires sont à présent très arrièrées, et la ressource extraordinaire des
douze premiers millions d'assignats est déjà presque consommée. Les dépenses
des départements de
Enfin par les décrets le Roi est déclaré chef
suprême de l'administration du royaume ; d'autres décrets subséquents ont
réglé l'organisation du ministère, de manière que le Roi, que cela doit
regarder plus directement, ne peut pourtant y rien changer sans décision de
l'Assemblée. Le système des chefs du parti dominant a été si bien suivi, de
jeter une telle méfiance sur tous les agents du gouvernement, qu'il devient
presque impossible aujourd'hui de remplir les places de l'administration. Tout
gouvernement ne peut pas marcher ni subsister sans une confiance réciproque
entre les administrateurs et les administrés, et les derniers règlements
proposés à l'Assemblée nationale sur les peines à infliger aux ministres ou aux
agents du pouvoir exécutif qui seraient prévaricateurs, ou seraient jugés avoir
dépassé les limites de leur puissance, doivent faire naître toutes sortes
d'inquiétudes, — ces dispositions pénales s'étendent même jusqu'aux
subalternes, ce qui détruit toute subordination, les inférieurs ne devant
jamais juger les ordres de leurs supérieurs qui sont responsables de ce qu'ils
ordonnent —. Ces règlements, par la multiplicité des précautions et des genres
de délits qui y sont indiqués, ne tendent qu'à inspirer de la méfiance au lieu
de la confiance qui serait nécessaire.
Cette forme de gouvernement, si vicieuse en
elle-même, le devient plus encore par deux causes :
1er/ L'Assemblée, par le moyen
de ses Comités, excède à tout moment les bornes qu'elle s'est prescrites ;
elle s'occupe d'affaires qui tiennent uniquement à l'administration intérieure
du royaume et à celle de
2°/ Il s'est établi dans
presque toutes les villes, et même dans plusieurs bourgs et villages du
Royaume, des associations connues sous le nom des Amis de
Mais plus l'Assemblée approche du terme de
ses travaux, plus on voit les gens sages perdre de leur crédit, plus les
dispositions qui ne peuvent mettre que de la difficulté et même de
l'impossibilité dans la conduite du gouvernement, et inspirer pour lui de la
méfiance et de la défaveur, augmentent tous les jours. Les autres règlements,
au lieu de jeter un baume salutaire sur les plaies qui saignent encore dans
plusieurs provinces, ne font qu'accroître les inquiétudes et aigrir les
mécontentements. L'esprit des Clubs domine tout et envahit tout, les mille
journaux et pamphlets calomniateurs et incendiaires qui se répandent
journellement ne sont que leurs échos, et préparent les esprits de la manière
dont ils veulent les conduire. L'Assemblée nationale n'a jamais osé remédier à
cette licence bien éloignée d'une vraie liberté; elle a perdu son crédit et
même la force dont elle aurait besoin pour revenir sur ses pas et changer ce
qui lui paraîtrait bon à être corrigé. On voit par l'esprit qui règne dans les
Clubs, et la manière dont ils s'emparent des nouvelles assemblées primaires, ce
qu'on doit attendre d'eux ; et s'ils laissent apercevoir quelques
dispositions à revenir sur quelque chose, c'est pour détruire les restes de la
royauté que les premiers décrets ont laissé subsister, et établir un
gouvernement métaphysique et philosophique impossible dans son exécution.
Français, est-ce là ce que vous attendiez en
envoyant vos représentants à l'Assemblée nationale ? Désiriez-vous que
l'anarchie et le despotisme des Clubs remplaçât le gouvernement monarchique
sous lequel la nation a prospéré pendant quatorze cents ans ?
Désiriez-vous voir votre Roi comblé d'outrages et privé de sa liberté pendant
qu'il ne s'occupait que d'établir la vôtre ?
L'amour pour ses rois est une des vertus des
Français, et Sa Majesté en a reçu personnellement des marques trop touchantes
pour pouvoir jamais les oublier. Les factieux sentaient bien que tant que cet
amour subsisterait, leur ouvrage ne pourrait jamais s'achever. Ils sentirent
également que pour l'affaiblir, il fallait, s'il était possible, anéantir le
respect qui l'a toujours accompagné ; et c'est la source de tous les
outrages que le Roi a reçus depuis deux ans, et de tous les maux qu'il a
soufferts. Sa Majesté n'en retracerait pas ici l'affligeant tableau si elle ne
voulait faire connaître à ses fidèles sujets l'esprit de ces factieux qui
déchirent le sein de la patrie en feignant de vouloir la régénérer.
Ils profitèrent de l'espèce d'enthousiasme où
l'on était pour M. Necker, pour lui procurer sous les yeux mêmes du Roi un
triomphe d'autant plus éclatant que dans le même instant les gens qu'ils
avaient soudoyés pour cela affectèrent de ne faire aucune attention à la
présence du Roi. Enhardis par ce premier essai, ils osèrent dès le lendemain, à
Versailles, faire insulter M. l'archevêque de Paris, le poursuivre à coup de
pierres, et mettre sa vie dans le plus grand danger. Lorsque l'insurrection
éclata dans Paris, un courrier que le Roi avait envoyé fut arrêté, publiquement
fouillé, et les lettres du Roi même furent ouvertes. Pendant ce temps l'Assemblée
nationale semblait insulter à la douleur de Sa Majesté en ne s'occupant qu'à
combler de marques d'estime ces mêmes ministres dont le renvoi a servi de
prétexte à l'insurrection, et que depuis elle n'a pas mieux traités pour cela.
Le Roi s'étant déterminé à aller porter lui-même des paroles de paix dans la
capitale, des gens apostés sur toute la route eurent grand soin d'empêcher ces
cris de vive le Roi si naturels aux Français, et les harangues qu'on lui fit,
loin de porter l'expression de la reconnaissance, ne furent remplies que d'une
ironie amère.
Cependant on accoutumait de plus en plus le
peuple au mépris de la royauté et des lois : celui de Versailles essayait
de pendre deux housards à la grille du château, arrachait un parricide au
supplice, s'opposait à l'entrée d'un détachement de chasseurs destiné à
maintenir le bon ordre, tandis qu'un énergumène faisait publiquement au Palais
Royal la motion de venir enlever le Roi et son fils, de les garder à Paris, et
d'enfermer
Enfin arrivèrent les journées du 5 au 6
octobre : le récit en serait superflu, et Sa Majesté l'épargne à ses
fidèles sujets ; mais elle ne peut pas s'empêcher de faire remarquer la
conduite de l'Assemblée pendant ces horribles scènes. Loin de songer à les
prévenir ou du moins à les arrêter, elle resta tranquille et se contenta de
répondre à la motion de se transporter en corps chez le Roi, que cela n'était
pas de sa dignité.
Depuis ce moment, presque tous les jours ont
été marqués par de nouvelles scènes plus affligeantes les unes que les autres
pour le Roi, ou par de nouvelles insultes qui lui ont été faites. A peine le
Roi était-il aux Tuileries qu'un innocent fut massacré, et sa tête promenée
dans Paris presque sous les yeux du Roi. Dans plusieurs provinces, ceux qui
paraissaient attachés au Roi ou à
A la fédération du 14 juillet
Les ministres du Roi, ces mêmes ministres que
l'Assemblée avait forcé le Roi de rappeler, ou dont elle avait applaudi la
nomination, ont été contraints, à force d'insultes et de menaces, de quitter
leurs places, excepté un.
Mesdames, tantes du Roi, et qui étaient
restées constamment près de lui, déterminées par un motif de religion, ayant
voulu se rendre à Rome, les factieux n'ont pas voulu leur laisser la liberté
qui appartient à toute personne, et qui est établie par la déclaration des
droits de l'homme. Une troupe, poussée par eux, s'est portée vers Bellevue pour
arrêter Mesdames. Le coup ayant été manqué par leur prompt départ, les factieux
ne se sont pas déconcertés, ils se sont portés chez Monsieur sous prétexte
qu'il voulait suivre l'exemple de Mesdames ; et quoiqu'ils n'aient
recueilli de cette démarche que le plaisir de lui faire une insulte, elle n'a
pas été tout à fait perdue pour leur système. Cependant, n'ayant pu faire
arrêter Mesdames à Bellevue, ils ont trouvé les moyens de les faire arrêter à
Arnay-le-Duc, et il a fallu des ordres de l'Assemblée nationale pour les
laisser continuer leur route, ceux du Roi ayant été méprisés. A peine la
nouvelle de cette arrestation était-elle arrivée à Paris, qu'ils ont essayé de
faire approuver par l'Assemblée nationale cette violation de toute
liberté ; mais leur coup ayant manqué, ils ont excité un soulèvement pour
contraindre le Roi à faire revenir Mesdames. Mais la bonne conduite de
Il ne leur avait pas été difficile d'observer
qu'au moindre mouvement qui se faisait sentir, une grande quantité de fidèles
sujets se rendait aux Tuileries et formait une espèce de bataillon capable d'en
imposer aux malintentionnés. Ils excitèrent une émeute à Vincennes, et firent
courir à dessein le bruit que l'on se servirait de cette occasion pour se
porter aux Tuileries, afin que les défenseurs du Roi pussent se rassembler
comme ils l'avaient déjà fait, et qu'on pût dénaturer leurs intentions aux yeux
de
Cependant le Roi ayant été malade, se
disposait à profiter des beaux jours du printemps pour aller à Saint-Cloud,
comme il y avait été l'année dernière une partie de l'été et de l'automne.
Comme ce voyage tombait dans
Son premier soin fut d'envoyer chercher le
directoire du département, chargé par état de veiller à la tranquillité et à la
sûreté publique, et de l'instruire de ce qui venait de se passer. Le lendemain,
elle se rendit elle-même à l'Assemblée nationale pour lui faire sentir combien
cet événement était contraire même à la nouvelle constitution. De nouvelles
insultes furent tout le fruit que le Roi retira de ces deux démarches ; il
fut obligé de consentir à l'éloignement de sa Chapelle et de la plupart de ses
grands officiers, et d'approuver la lettre que son ministre a écrite en son nom
aux Cours Étrangères, enfin d'assister le jour de Pâques à la messe du nouveau
curé de Saint-Germain-l'Auxerrois.
D'après tous ces motifs, et l'impossibilité
où le Roi se trouve à présent d'opérer le bien et d'empêcher le mal qui se
commet, est-il étonnant que le Roi ait cherché à recouvrer sa liberté et à se
mettre en sûreté avec sa famille ?
Français, et vous surtout Parisiens, vous
habitants d'une ville que les ancêtres de Sa Majesté se plaisaient à appeler la
bonne ville de Paris, méfiez-vous des suggestions et des mensonges de vos faux
amis, revenez à votre Roi, il sera toujours votre père, votre meilleur ami.
Quel plaisir n'aura-t-il pas d'oublier toutes ses injures personnelles, et de se
revoir au milieu de vous lorsqu'une Constitution qu'il aura acceptée librement
fera que notre sainte religion sera respectée, que le gouvernement sera établi
sur un pied stable et utile par son action, que les biens et l'état de chacun
ne seront plus troublés, que les lois ne seront plus enfreintes impunément, et
qu'enfin la liberté sera posée sur des bases fermes et inébranlables.
A Paris, le 20 juin 1791, Louis.
Le Roi défend à ses ministres de signer aucun
ordre en son nom jusqu'à ce qu'ils aient reçu ses ordres ultérieurs, et il
enjoint au Garde du Sceau de l'Etat, de le lui renvoyer d'abord qu'il en sera
requis de sa part.
A Paris, le 20 juin 1791, Louis.