Les Nouvelles
de
Chrétienté


n°48

Le 7 avril 2006

1-Les Nouvelles de Rome.

a-Shimon Peres invite Benoît XVI en Israël

b-Rome confirme la « suspens a divinis »  du responsable de "Wir sind Kirche"

c-Le gouvernement chinois confirme pour la première fois ses contacts avec le Vatican

 

2-Les Nouvelles de France.

a-Une nouvelle du « Salon beige » au  7 avril 2006 :

Marine Le Pen et l'avortement

3-Trois articles de Jean Madiran, dans Présent de cette semaine 

 

 

 

1-Les Nouvelles de Rome.

a-Shimon Peres invite Benoît XVI en Israël

M. Shimon Peres, ancien Premier ministre et Prix Nobel de la Paix a invité dans la matinée du  jeudi 6 avril 2006,  Benoît XVI à se rendre en visite en Israël.

C’est ce que révèle un communiqué publié par le directeur de la salle de presse du Saint-Siège, M. Joaquin Navarro Valls.

Le député israélien a en effet été reçu le jeudi 6 avril par Benoît XVI. Il a ensuite été reçu par le cardinal secrétaire d’Etat Angelo Sodano, en présence de l’ambassadeur d’Israël près le Saint-Siège, M. Obed Ben Hur, et du sous-secrétaire du Saint-Siège pour les Relations avec Etats, Mgr Pietro Parolin, indique le même communiqué.

M. Navarro Valls précise que les entretiens ont été l’occasion d’un « échange d’opinions sur le problème de la paix en Terre Sainte, dans le respect des Résolutions des Nations Unies et des Accords conclus jusqu’ici ».

« Dans ce contexte, souligne M. Navarro Valls, il y a eu l’unanimité pour condamner toute forme de terrorisme, quel que soit le prétexte visant à le justifier ».

« On a aussi examiné, indique la même source, les relations entre l’Etat d’Israël et le Saint-Siège, à la lumière des Accords souscrits en 1993 et en 1997, comme les relations entre les autorités israéliennes et les communautés chrétiennes existant dans le pays ».

Rappelons que  les prochaines destinations du Souverain Pontife seront :
la Pologne en mai 2006,
l'Espagne en juillet 2006,
l'Allemagne en septembre 2006,
la Turquie en novembre 2006,
Israël début 2007
et le Brésil en mai 2007.


b-Rome confirme la « suspens a divinis »  du responsable de "Wir sind Kirche"

Il avait refusé de quitter la responsabilité de ce mouvement

5 avril 2006 (Apic) La Congrégation pour le clergé au Vatican a rejeté le recours de Paul Winkler, responsable de "Wir sind Kirche" (Nous sommes l’Eglise) à Ratisbonne, contre sa suspension en tant que professeur de religion. Sa mission canonique lui a été retirée le 8 avril 2005 par son évêque, Mgr Gerhard Ludwig Müller, car il avait refusé de quitter la responsabilité de ce mouvement.

La décision de Vatican a été diffusée sur le site internet du diocèse de Ratisbonne. Dans un document signé le 13 mars, le cardinal Dario Castrillon Hoyos constate que la procédure a été correctement traitée par Mgr Müller.

Paul Winkler, selon le Saint-Siège, a mis en doute la doctrine de l’Eglise catholique, en soutenant l’ordination des femmes à la prêtrise. Par deux fois, il a eu la possibilité de revenir sur sa position, mais a refusé.

L'évêque de Ratisbonne avait reproché à "Wir sind Kirche" un "comportement dommageable pour l'Eglise" et a demandé à Winkler de s'en distancer. Selon Mgr Müller, une collaboration avec ce mouvement est incompatible avec un enseignement religieux sur mandat de l'Eglise catholique. Paul Winkler "s'est exprimé à plusieurs reprises négativement sur des sujets délicats touchant la doctrine de l'Eglise catholique" et "porte la responsabilité d'attaques contre la personne et la fonction de l'évêque". (apic/kna/wm/bb)

c-Le gouvernement chinois confirme pour la première fois ses contacts avec le Vatican

Pas d’intervention du Saint-Siège dans les nominations d’évêques !

Pékin, 4 avril 2006 (Apic) Pour la première fois, un haut fonctionnaire du gouvernement chinois a confirmé publiquement l’existence de contacts entre Pékin et le Vatican. Et un échange d’ambassadeurs pourrait avoir lieu très prochainement, a affirmé le directeur du Bureau d’Etat des affaires religieuses, Ye Xiaowen, interrogé par le quotidien "China Daily".

Mais il est indispensable, poursuit Ye Xiaowen, que le Saint-Siège interrompe ses contacts avec Taiwan et renonce à s’immiscer dans les affaires internes de la Chine. Autrement dit, le Vatican ne devrait pas intervenir dans les nominations d’évêques.

L’Agence Asianews considère les propos du directeur du Bureau d’Etat des affaires religieuses comme une réaction à deux récentes interviews accordées aux médias chinois par le ministre des Affaires étrangères du Vatican, l’archevêque Giovanni Lajolo, à l’occasion de l’élévation au rang de cardinal de l’évêque de Hongkong, Mgr Joseph Zen Ze kiun.

Le représentant du Saint-Siège avait exprimé fin mars l’espoir d’assister à une amélioration des relations entre Pékin et Rome.

Les relations diplomatiques entre le Vatican et la République populaire de Chine sont coupées depuis 1951.

Le Saint-Siège espère depuis longtemps un rétablissement de ces relations, et demande davantage de liberté religieuse pour les catholiques. La Chine compte environ 13 millions de catholiques, partagés entre membres de l’Eglise "officielle", approuvée par le gouvernement et l’Eglise "clandestine". (apic/cic/job/bb)

04.04.2006 - Apic

2-Les Nouvelles de France.

a-Une nouvelle du « Salon beige » au  7 avril 2006 :

Marine Le Pen et l'avortement

Le groupe Verts du Conseil général d'Ile-de-France a fait une proposition pour faciliter l'accès à l'avortement dans la région. Nous avions remarqué en effet que le nombre de centre d'avortements en Ile-de-France avait baissé de 20% depuis 1999. Les Verts ont préconisé une série d'actions, parmi lesquelles figurent l'information auprès des lycéennes et des aides financières à l’ouverture de nouveaux centres IVG.

Seul le groupe FN, dirigé par Marine Le Pen, a voté contre. Dans son intervention, Mme Arnautu (FN) a expliqué :

"Nous, nous prenons le problème à l’envers (...) : l’avortement est un acte terriblement traumatisant, que ce soit pour une jeune fille ou pour une mère de famille qui se résout, souvent avec détresse, à avorter car elle pense qu’elle ne pourra pas, pour raisons financières, élever son 4ème ou 5ème enfant.

(...) [N]ous voulons, nous, réfléchir à une politique familiale, réfléchir aux modalités d’adoption afin d’éviter, autant que faire se peut, que les jeunes filles, que les femmes, aient à se résoudre à un avortement. Car l’IVG laisse des séquelles, laisse des traces. Le libre choix pourrait être aussi celui de ne pas avorter : c’est en ce sens que nous aurions préféré réfléchir et travailler.

Michel Janva

3- Trois articles de Jean Madiran, dans Présent de cette semaine,  à verser au dossier de « La Bataille de la Messe ».

Je les ai portés à la connaissance de certains membres de l’Episcopat français réuni ces trois jours à Lourdes. Leur rencontre est maintenant semestrielle. Mgr Ricard, alors que nous le visitions à Bordeaux, en février, avec  Mgr Rifan et  M l’abbé philippe Laguérie, nous avait dit qu’une journée sur trois serait consacrée à l’examen du problème des « traditionalistes ». Il convenait de réfléchir pour harmoniser un même comportement des évêques dans les diocèses. Vaste et délicat problème !

a- Le laborieux retour liturgique (I)

Intégrer des fidèles ? Accueillir la messe !

Le quotidien (officieusement) officiel a donné lundi des informations que l’ont peut considérer comme (officiellement) officieuses concernant l’état d’esprit de l’épiscopat français devant la faveur croissante, surtout chez les jeunes pratiquants, pour la MESSE CATHOLIQUE TRADITIONNELLE, LATINE ET GRÉGORIENNE SELON LE MISSEL ROMAIN DE SAINT PIE V. Voici ces informations de La Croix reproduites dans leur texte même :

 

 … SUJET DÉLICAT : l’accueil des groupes traditionalistes dans les Eglises diocésaines. Les approches des évêques français sur le sujet sont souvent différentes, voire opposées. Ainsi, à Toulon, Mgr Dominique Rey a-t-il érigé en septembre une “paroisse personnelle” (non territoriale) pour les fidèles attachés à la messe dite de saint Pie V. D’autres évêques se montrent beaucoup plus circonspects dans l’application du motu proprio Eccclesia Dei adflicta disposant de la réinsertion des “transfuges” de Mgr Lefebvre dans le giron romain. Or ces évêques-là se voient régulièrement opposer, par certains de leurs fidèles, l’attitude considérée comme plus “ouverte” de leurs collègues. C’est le cas à Nanterre et à Reims,

où Mgr Gérard Dancourt puis Mgr Thierry Jordan ont subi la fronde du groupe traditionaliste “La Paix Liturgique”. » (La Croix du 3 avril 2006.)

 

 Le « sujet délicat » paraît mal abordé d’emblée. Selon La Croix, en effet, l’épiscopat français considère qu’il s’agit de « l’accueil des groupes traditionalistes dans les Eglises diocésaines ». Ou bien, et c’est le même problème, de « la réinsertion des “transfuges” de Mgr Lefebvre dans le giron romain ».

Je ne prétends nullement que cette question de la « réinsertion » et de « l’accueil des groupes » ne se poserait pas.

Mais c’est prendre les choses sous un aspect réel certes, important, grave, et cependant beaucoup trop subjectif, beaucoup trop restrictif, beaucoup trop limité. Il se saurait suffire de poser la question de l’accueil « des fidèles attachés à la messe dite de saint Pie V ».

En même temps, ou peut-être d’abord, il s’agit d’accueillir la messe elle-même dans les diocèses d’où elle a été brutalement chassée depuis le 12 novembre 1969.

 

Autrement dit, il s’agit des droits de la messe elle-même : LA MESSE CATHOLIQUE TRADITIONNELLE, LATINE ET GRÉGORIENNE SELON LE MISSEL ROMAIN DE SAINT PIE V. Il s’agit de voir comment elle a été chassée des diocèses, y compris de ce que La Croix appelle « le giron romain » ; il s’agit de comprendre pourquoi il faut l’y réintroduire comment cela pourrait se faire.

D’autant plus qu’on ne saurait l’y réintroduire autrement qu’à son rang, qui est (au moins) celui d’une PRIMAUTÉ D’HONNEUR.

 

 Il est possible que sans Mgr Lefebvre et sa FSSPX, il ait fallu plus longtemps encore pour en arriver au point où nous en sommes aujourd’hui. Mais il n’y a pas seulement FSSPX.

Il n’y a pas seulement non plus les autres groupes ou communautés « traditionalistes ». Il y a la vie des diocèses, où grandit, surtout parmi les jeunes séminaristes, le désir plus ou moins conscient, plus ou moins bien informé, d’une liturgie ayant retrouvé dignité, sa piété, sa rectitude explicite, sa solennité traditionnelles.

 

Il y a aussi cette catégorie qui toujours existait, mais qui n’avait jamais été aussi nombreuse : les catholiques non pratiquants. La « révolution d’octobre dans l’Eglise prêchée par le (futur) cardinal Congar, et très précisément sa révolution liturgique, avait vidé beaucoup d’églises, rendu déserts les séminaires. Ces eucharisties aux bavardages improvisés, interminables et souvent provocants, ces communions dans la main, ces tristes célébrations debout, avec les embrassades

finales, toute cette vulgarité débordante avait atteint au cœur blessé à mort la piété d’une grande partie du peuple chrétien qui en était devenue « non pratiquante Et les vocations sacerdotales continuent d’en être anesthésiées dans les diocèses.

 

Aujourd’hui la hiérarchie ecclésiastique reconnaît in petto, et parfois même, explicitement, que la messe traditionnelle n’a « jamais été interdite », ce qui est vrai si l’on veut bien préciser: « jamais valablement interdite ». Elle a été interdite en fait, cruellement, elle l’a été de manière indirecte en 1969, puis directement à partir de 1974-1976. Mais valablement, elle n’a jamais été interdite parce qu’elle ne pouvait, ne peut, ne pourra jamais l’être. Une coutume millénaire ne pourrait être valablement abolie dans l’Eglise que si en elle-même elle était mauvaise. Sinon, à elle seule, la coutume fonde la loi, elle force de loi. A demain.

JEAN MADIRAN

Prix du numéro

b- Le laborieux retour liturgique (II)

Le système de l’« indult »est tombé en désuétude

 

La messe catholique traditionnelle, latine et grégorienne selon le missel romain de saint Pie V : on appelle « communautés Ecclesia Dei » les chapelles, monastères, troupes scoutes, groupes atypiques (etc.) qui la célèbrent en vertu de la lettre Quattuor abhinc annos du 3 octobre 1984 et du motu proprio Ecclesia Dei adflicta du 2 juillet 1988 ; c’est-à-dire d’un « indult » accordé par l’évêque du diocèse. Mais désormais ces indults sont inadéquats : par définition, ils ont perdu toute signification. Voici comment.

 

Un « indult » est une dérogation à un règlement ou une loi en vigueur. Le 3 octobre 1984, la congrégation romaine pour la doctrine avait adressé aux évêques la lettre Quattuor abhinc annos qui disait : « Le Souverain Pontif [Jean- Paul II] lui-même, désireux d’aller au devant de ces groupes [« tradis »] concède aux évêques diocésains la faculté d’user d’un indult par lequel les prêtres et les fidèles (…) pourront célébrer la messe en utilisant le missel romain selon l’édition typique de 1962. » Quatre ans plus tard, par le motu proprio Ecclesia Dei adflicta, Jean- Paul II recommandait aux évêques de faire « une application large et généreuse » de l’indult concédé en 1984.

 

L’indult, quand il était accordé par l’évêque du diocèse, précisait par quels prêtres, dans quelles conditions de lieu et de fréquence, pouvait être célébrée la messe traditionnelle : c’était une dispense de l’obligation imposant la messe nouvelle de Paul VI.

 

L’obligation de célébrer seulement selon le rite nouveau était par le fait même une interdiction du rite ancien. Cette interdiction résultait (notamment) des ordonnances de l’épiscopat français du 12 novembre 1969 et du 14 novembre 1974 ; de la lettre du cardinal Villot, secrétaire d’Etat, du 11 octobre 1975 ; du discours consistorial de Paul VI, le 24 mai 1976.

 

En sens contraire, le cardinal Ottaviani avait déclaré le 9 juin 1971 à Louis Salleron : « Le rite traditionnel de la messe selon l’Ordo de saint Pie V n’est pas, que je sache, aboli. » Mais depuis trois ans le Cardinal était à la retraite, et l’on ne tint pas compte de sa déclaration.

 

En 1986 Jean-Paul II, qui apparemment trouve douteuse la validité de l’interdiction, institue une commission de neuf cardinaux pour tirer la chose au clair et répondre à la question :

 

La célébration de la messe tridentine a-t-elle été interdite ?

La réponse de la commission fut :

 

Elle n’a jamais été [valablement] interdite.

 

Mais on n’en sut rien à l’époque, plusieurs conférences épiscopales ayant exigé du Pape que rien n’en soit publié.

 

Le premier à en parler en public fut le cardinal Stickler, le 20 mai 1995, lors d’une conférence aux USA. En 1998, dans son « enquête sur la messe traditionnelle », la revue La Nef publia en outre une lettre très détaillée qu’Eric de Saventhem avait écrite à ce sujet en 1994. Enfin, en 2005, le livre de l’abbé Paul Aulgnier sur La bataille de la messe rassembla, en une quinzaine de pages, tout ce que l’on peut savoir sur la sentence (et aussi les propositions) de la commission des Cardinaux.

 

La hiérarchie ecclésiastique dans son ensemble avait cru pendant quinze ou vingt ans qu’il fallait considérer la messe traditionnelle comme interdite. Peu à peu, les présidents des conférences épiscopales ayant eu connaissance du jugement des Cardinaux (et aussi du sentiment personnel de Jean-Paul II), la plupart des autorités hiérarchiques furent amenées à changer d’avis, sans trop le dire. Mais enfin cela fut dit de plus en plus, ici où là. Et notamment le 24 mai 2003, à Sainte-Marie-Majeure, quand le cardinal Castrillon Hoyos déclara le « droit de cité » de la messe traditionnelle partout dans l’Eglise.

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Un indult, nous l’avons dit, est la dispense d’une loi ou d’une interdiction. S’il n’y a pas de loi, si l’interdiction n’existe pas, si elle n’a « jamais [valablement] existé », si cette inexistence est maintenant reconnue, il n’y a pas matière à consentir dispense d’une obligation qui n’existe pas. Il n’y a donc aucune raison de continuer à laisser croire aux « communautés Ecclesia Dei » que si elles peuvent célébrer la messe traditionnelle, ce serait seulement en vertu d’un indult, d’ailleurs révocable, ce qui permet des pressions indiscrètes tendant à leur imposer de célébrer aussi la nouvelle messe. Sous le régime de l’indult, la messe traditionnelle ne paraissait légitime que si elle restait à l’écart de la vie des diocèses, en quelque sorte enfermée dans les limites de quelques fraternités sacerdotales, de quelques chapelles et de quelques monastères.

Elle a vocation à sortir de cet enfermement.

Jean Madiran.

 

 

c- Cristina Campo quand éclata la révolution liturgique

IL N’Y A plus grand monde sans doute pour se souvenir de Cristina Campo en 1969, Cristina Campo à son Una Voce Roma, la brillante Cristina Campo et son vin de Toscane à l’heure du thé, en ce 3 de la piazza Sant’Anselmo, sur l’Aventin, qui fut aussi sa dunette de commandement. Elle avait trois ans de moins que Renato Pozzi et que moimême, c’est-à-dire qu’elle appartint à cette génération de laïcs (et de clercs) qui, à l’âge de la maturité et de l’action, eurent à supporter sans hésitation et sans faiblir le premier choc de la messe nouvelle. Cristina Campo y fut un chef de file : c’est elle qui a fait le Bref examen.

EN 2002 sa biographie par Cristina De Stephano avait paru à Milan. La traduction française est sortie en février dernier aux Editions du Rocher, elle a provoqué une page entière dans La Croix et une page entière dans Le Monde. Vie « secrète » de Cristina Campo ? Non, mais extrêmement discrète. J’ai déjà eu l’occasion de dire dans Présent combien La Croix glisse sur son rôle des années 1966-1972, ne lui accordant que la moitié d’une phrase : « … et elle vécut comme une tragédie l’abandon par (sic) Vatican II du latin et du grégorien ». Le Monde est un peu plus explicite là-dessus, mais lui non plus ne mentionne pas le Bref examen critique du nouvel Ordo Missae. On l’a oublié aujourd’hui : quand paraît en 1969 la nouvelle messe de Paul VI, décrétée obligatoire à partir du 1er janvier 1970, la messe traditionnelle est déjà en train de se défaire dans les diocèses. Depuis quatre ans la chasse au latin bat son plein, le grégorien est de plus en plus marginalisé. La première intervention publique de Cristina Campo est pour insurger les laïcs contre cette disparition rapide du latin et du grégorien. En 1967 André Charlier écrivait : « Qu’on ne perde pas courage, mais qu’on s’apprête à une épreuve sévère.

Tout ce que nous voyons et entendons prouve qu’il y a ce qu’on peut bien appeler une conjuration pour éliminer totalement

le latin et le grégorien de la liturgie. » L’année précédente, Cristina Campo avait lancé une lettre-manifeste adressée au Pape en faveur de la liturgie latine. Elle avait obtenu une quarantaine de signatures célèbres ; en France, celles de Mauriac, de Gabriel Marcel, de Julien Green, de Maritain. Le texte en est publié le 5 février 1966. Quelques mois plus tard, elle fonde la section romaine de l’association internationale Una Voce que préside Eric de Saventhem. Sans attendre que Paul VI ait publié son nouvel Ordo Missae, toutes les règles liturgiques ont sauté au nom de l’« esprit du concile ». Dans le bulletin de son Una Voce Roma, Cristina Campo s’exprime sur un ton semblable à celui de Luce Quenette, elle exhorte à « tous les sacrifices pour assister à la messe traditionnelle en langue latine, la seule qui soit doctrinalement sûre » ; elle recommande : « relisez, apprenez par cœur, enseignez vousmêmes à vos enfants le vrai catéchisme, celui de saint Pie X » ; elle invite à « sauver les livres canoniques », à recueillir missels, bréviaires, rituels vendus en masse aux brocanteurs, à rassembler les disques enregistrés à Solesmes. On voit qu’au moment où va arriver la nouvelle messe, elle est prête.

LE 3 AVRIL 1969, la constitution apostolique Missale Romanum fait connaître et promulgue le texte de la nouvelle messe instituée par Paul VI. Cristina Campo entre en campagne pour en préparer le procès. Elle a accès auprès du cardinal Ottaviani. Avec son amie Emilia Pediconi, elle obtient l’accord du Cardinal pour rédiger un réquisitoire qui lui sera soumis et qu’il présentera luimême au Pape. Elle crée alors un groupe de travail d’une demi-douzaine d’ecclésiastiques romains. Il y a parmi eux Mgr Renato Pozzi, le plus décidé et le plus dynamique, ancien expert au concile, membre de la congrégation des études, auditeur à la Rote (1920-1973) ; il y a Mgr Dominico Celada, connu comme liturgiste. Cristina Campo est allée chercher aussi Mgr Lefebvre, qui à son tour amènera le P. Guérard des Lauriers. Le groupe de travail fonctionne intensément en avril et mai 1969, le plus souvent dans le local d’Una Voce Roma, et mène à bien la rédaction du Bref Examen.

SUR la manière dont se fit la rédaction, il existe trois sources concordantes et d’une égale sobriété. Dans sa biographie de Mgr Lefebvre, Mgr Tissier de Mallerais indique (p. 420) : « Le P. Guérard des Lauriers élabora le texte qui, discuté en séance, était au fur et à mesure dicté par lui et traduit immédiatement en italien par V. Guerrini [c’est-à-dire Cristina Campo] qui complétait elle-même et mettait minutieusement au point le document, notamment en ce qui concerne la liturgie. » Dans la nouvelle publication, en 2004- 2005, du Bref examen par Jean-Pierre Maugendre et sa « Renaissance catholique », l’abbé Claude Barthe écrit page 27 (selon la pagination de la seconde édition augmentée) : « A partir de ses notes en français, le P. Guérard dicta un texte à Cristina Campo qui le traduisit sur le champ en italien et le compléta avec minutie sous le titre de Breve esame critico del Novus Ordo Missae. » Compléter, mettre au point du Guérard, ce n’est pas rien ! Le mettre au point avec minutie, notamment en ce qui concerne la liturgie, qui est l’objet principal du document ! Claude Barthe et Bernard Tissier de Mallerais le disent en termes quasiment identiques. C’est sans doute qu’ils avaient présent à l’esprit le témoignage du P. Guérard lui-même, selon lequel le Bref examen « écrit directement en italien par Cristina Campo », fut « complété et minutieusement mis au point par la même, surtout en ce qui concerne la liturgie ». C’est donc que l’on reconnaissait à Cristina Campo une compétence particulière en la matière. Bernard Tissier de Mallerais, qui n’y était pas, mais qui le tient sans doute de Mgr Lefebvre, observe à propos d’Emilia Pediconi et de Cristina Campo : « Sans avoir fait de théologie, ces dames romaines avaient ça dans le sang. » Sans avoir fait de théologie, ce n’est

pas exact. Il est vrai que, d’une famille de tradition catholique plutôt tiède, Cristina Campo n’a été baptisée qu’à huit ans et, dans son enfance et sa jeunesse, est restée, selon son expression, « sans formation religieuse profonde ». Elle a eu jusque vers la quarantaine ce qu’elle appelle « un passé tourmenté ». Je dirais plutôt : sentimentalement anarchique ; mais intellectuellement orienté par une lecture studieuse et passionnée de Simone Weil (la grande, pas la grosse). A partir au

moins de 1964, elle s’est mise à étudier intensément la doctrine catholique, comme elle le décrit elle-même avec un sourire :

« Le matin je prends mon petit déjeuner en étudiant les canons du concile de Trente, à midi je suis toujours en train de lire le Sacramentaire léonien, et le soir je dîne avec le concile de Nicée, pour m’endormir avec la Pascendi. » Si cela n’en fait pas une théologienne confirmée, du moins elle n’est pas non plus doctrinalement ignorante. Mais sa réelle compétence est principalement d’un autre ordre : elle a une sensibilité, une âme et une formation d’artiste. Il le faut pour la liturgie. Car la liturgie catholique traditionnelle, si elle est une règle de foi, et elle l’est, si elle est selon Péguy « de la théologie détendue », et elle l’est, si elle est selon le catéchisme la prière même de l’Eglise, dans la communion des saints, et elle l’est, elle est aussi, en même temps, inséparablement, autre chose. Elle est une œuvre d’art. Elle est même le sommet de l’art humain. Car la plus haute finalité de cette faculté supplémentaire donnée par le Créateur à la nature humaine, est de chanter la gloire de Dieu, l’amour de Dieu, la miséricorde de Dieu. Pour le comprendre il faut d’abord une idée vraie de l’art : « Seuls, explique Henri Charlier, des hommes religieux, païens et chrétiens, peuvent avoir de l’art une idée JUSTE, et les chrétiens une idée COMPLÈTE. » Le païen est « religieux » quand il croit à une divinité supérieure. Du divin il se fait une idée variable et infirme, mais « juste » en ce qu’il pense toute l’activité humaine dominée, aidée, contrecarrée, jugée ou méprisée par un ou plusieurs dieux. C’est en quoi Homère est religieux, en quoi Virgile est religieux, et Eschyle, et Sophocle, et toute l’antiquité égyptienne, gréco-latine et juive. Le peuple juif sait en outre par révélation surnaturelle que Dieu est unique. Tel est l’univers du religieux avant le Christ et la révélation de la Sainte Trinité, un seul Dieu en trois personnes. L’athéisme est demeuré presque toujours une exception, individuelle et rare, jusqu’à la vague mondiale du marxisme-léninisme. Dans cette perspective, qui n’est pas celle d’un esthétisme superficiel et subjectif, plus une âme est artiste, et mieux elle peut ressentir et comprendre que la liturgie traditionnelle de l’Eglise romaine est le plus haut, le plus complet, le plus beau chef-d’œuvre de l’art occidental. On aperçoit alors que Cristina Campo ne fut pas seulement l’intelligence organisatrice

qui mit au travail les artisans du Bref examen. Elle « compléta », elle « mit au point » le texte « avec minutie », notamment « en ce qui concerne la liturgie ». Dans le groupe de travail, les uns comprirent pourquoi, les autres le sentirent obscurément, tous subirent avec enthousiasme son ascendant.

SON combat liturgique et doctrinal a duré six années, de 1966 à 1972. Elle a cinquante ans, elle est épuisée. Elle est née avec une malformation cardiaque qui était alors incurable. Toute sa vie, elle tombe facilement malade, elle souffre de douleurs du côté gauche, elle va de convalescences en rechutes, elle a besoin de périodes de repos. Un corps fragile et souffrant, une âme de poète, une volonté de fer… Mais en 1972 elle n’en peut plus. Elle est profondément endeuillée de n’avoir pu éviter le désastre liturgique qui est partout, dans les diocèses, dans les paroisses, désastre pour la foi, désastre pour les vocations. Elle sait bien que l’Eglise y survivra ; qu’il y aura des monastères, moins nombreux qu’on aurait pu l’imaginer, pour garder la tradition du grégorien et de la messe. Mais elle sait aussi que cette éclipse générale est une catastrophe pour la civilisation, ce qui veut dire malheurs et souffrances pour plusieurs générations. Elle est morte en 1977. Cette âme militante, qui fut aussi une âme souffrante et une âme angoissée, repose maintenant, nous l’espérons, dans la paix du Seigneur, dans l’attente de la résurrection des corps et de la plénitude de la vie éternelle.

JEAN MADIRAN

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 Cristina De Stefano : Belinda et le monstre,                                                            

de la Rote romaine (Vicobarone,

8 avril 1920 ; Rome, 12 juillet 1973) :.