Les Nouvelles
de
Chrétienté


n°57

Le 27 juin 2006

Sommaire.

A-Les nouvelles de Rome : les nominations.

B- Le secrétaire d’Etat, premier collaborateur du pape dans le gouvernement de l’Eglise.

C- La Congrégation pour le culte divin et la « réforme » liturgique.

D-Les Nouvelles de France.

« Histoire de la messe interdite »

  

A-Les nouvelles de Rome : les nominations.

Un an après son élection par le Conclave, Benoît XVI fait ses premières nominations

Présent du samedi 24 juin 2006 nous donne cette excellente interview de M  l’abbé Barthe sur la nomination du cardinal Bertone au poste, si important aujourd’hui, de Secrétaire d’Etat.

Le secrétaire d’Etat est le collaborateur le plus proche du Pape.

Un nouveau Secrétaire d’Etat du Vatican

Le cardinal Tarcisio Bertone

 

L’abbé Claude Barthe répond aux questions de “Présent”

 

 

Benoît XVI a nommé jeudi le cardinal Tarcisio Bertone, actuel archevêque de Gênes, et l’un de ses plus proches collaborateurs à la tête de la Congrégation pour la doctrine de la foi, comme successeur du cardinal Sodano, démissionnaire, à la tête de la Secrétairerie d’Etat.

 

Le Pape a également nommé son actuel ministre des Affaires étrangères, Mgr Giovanni Lajolo, au gouvernement de la Cité du Vatican, où il succédera au cardinal américain Szoka. Nous avons demandé à M. l’abbé Barthe, qui connaît le cardinal Bertone, qui était le nouveau Secrétaire d’Etat.

 

— Qui est le cardinal Bertone ?

 

— Le cardinal Tarcisio Bertone est un Italien du Nord, du diocèse d’Ivrea, près de Turin, cinquième enfant d’une famille qui en compte huit. C’est un homme de 71 ans, sérieux mais plein d’humour, d’une forte stature physique et de grande

capacité intellectuelle. Religieux salésien (Don Bosco), ordonné en 1960, il a étudié à Turin, avant d’enseigner à l’Université salésienne de Rome (dont il est devenu « Recteur magnifique »), tant la morale que le droit de l’Eglise.

 

C’est donc tout à la fois un canoniste et un moraliste, spécialiste de droit public ecclésiastique, qui connaît bien le domaine de la liberté religieuse. Sa dissertation de licence avait d’ailleurs pour thème : Tolérance et liberté religieuse.

 

— C’est un proche du cardinal Ratzinger ?

 

— C’est un des plus proches, sinon le plus proche parmi les hauts personnages ecclésiastiques. Quand a-t-il été remarqué par le Cardinal, qui avait les yeux toujours fixés sur le personnel professoral romain ?

Je ne saurais dire. Il s’occupait déjà de la rédaction du Nouveau directoire œcuménique de 1993. Et même avant, en 1988, il faisait partie du groupe qui assistait le cardinal Ratzinger dans la tentative de réconciliation avec Mgr Lefebvre.

 

Il est devenu secrétaire de la Congrégation de la foi (le secrétaire est le second personnage d’une Congrégation, après le préfet) de 1995 à 2002. C’est l’époque de la déclaration Dominus Iesus sur l’unicité et l’universalité salvifique de Jésus-Christ et de l’Eglise (6 août 2000). Il a notamment suivi plusieurs dossiers français très inquiétants. Il « collait » parfaitement à la ligne Ratzinger, étant en outre de formation théologique plus classique. C’est pour cela qu’il est

aujourd’hui choisi pour remplacer le cardinal Sodano à ce poste de « Premier ministre ». Au début du pontificat, la rumeur le voyait à la Congrégation pour la doctrine de la foi. Il semble qu’il ait refusé ce poste. Mais, depuis l’élection de

Benoît XVI, il n’a cessé de faire des allées et venues entre Gênes et Rome. Il est consulté constamment.

 

— Plutôt connu à la Curie comme un homme de doctrine, le voici à la Secrétairerie d’Etat…

 

— Oui ! et c’est très intéressant, car cela confirme que Benoît XVI veut redonner à la doctrine la première place dans le gouvernement de l’Eglise. Il faut se rappeler que, jusqu’à Paul VI, le Saint-Office (devenu ensuite Congrégation de la

doctrine de la foi) était dit la Suprême (congrégation) : c’était le premier de tous les dicastères du Saint- Siège. Le préfet du Saint-Office était d’ailleurs le Pape lui-même. La Congrégation avait donc une indépendance certaine. Un des effets

de Vatican II a été de réduire cette puissance. Le Secrétaire d’Etat a certes, toujours eu une très grande importance, celle d’un Premier ministre qui coordonne les autres et qui s’occupe de toutes les affaires de poids. Mais depuis Paul VI, celui-

ci avait acquis encore plus d’importance. On dit que Benoît XVI veut rendre à la Congrégation pour la doctrine de la foi sa suprématie. Mais déjà, en prenant pour premier collaborateur celui qui l’a secondé au palais du Saint-Office, le Pape

donne un signe d’un rééquilibrage en ce sens.

 

— En effet, la Secrétairerie d’Etat n’était pas connue jusqu’ici comme très proche du cardinal Ratzinger.

 

— Jusqu’à présent, non. Le cardinal Sodano, dans les temps qui ont précédé le dernier conclave n’était certes pas un « ratzinguérien ». Mais les choses changent très vite. Aujourd’hui, les membres de la Secrétairerie connus pour leur sympathie à l’égard de celui qui était le cardinal Ratzinger n’ont plus à se garder prudemment. Et le nouveau Secrétaire d’Etat a la capacité de se donner rapidement les coudées franches.

 

— Le cardinal Bertone a été en relations suivies avec sœur Lucie, à Fatima. Mais nos milieux le connaissent peu.

 

— Le monde traditionnel d’une manière générale ne le connaît pas ; c’est dommage, car c’est un personnage intéressant. Il faut ainsi savoir qu’il a célébré récemment, et pontificalement, la messe de saint Pie V. Sur les questions liturgiques, je

pense qu’il est en parfaite syntonie avec Benoît XVI.

 

— Et en ce qui concerne les relations avec les religions non chrétiennes et l’œcuménisme ?

 

— Il est extrêmement sensible comme Benoît XVI, et comme le cardinal Ruini, autre « ratzinguérien » de poids, au danger de l’islamisme, et à celui du terrorisme. Quant à l’œcuménisme proprement dit, il s’est notamment beaucoup intéressé, quand il était à la Congrégation pour la doctrine de la foi, à la question anglicane. Sur ce sujet, sa position est fermement traditionnelle : il n’est pas question de reconnaître la validité des ordres anglicans.

 

— Que peut-on donc espérer de cette nomination ?

 

— Tout simplement que l’ensemble de la Curie soit davantage dans la ligne du Pape, à commencer par la Secrétairerie d’Etat, ce qui n’était pas acquis au premier abord. Au reste, les manœuvres d’opposition et de sape vont continuer,

s’amplifier peut-être. D’autres nominations vont suivre. La rumeur actuelle veut que Mgr Baldelli, l’actuel nonce à Paris soit nommé à la place de Mgr Lajolo (aux relations avec les Etats), ou à celle de Mgr Sandri comme substitut à la Secrétairerie d’Etat. Le premier vient de recevoir une nouvelle nomination… Il se dit aussi que Mgr Comastri, actuel vicaire général de la Cité du

Vatican, serait nommé pour remplacer le cardinal Castrillon Hoyos à la tête de la Congrégation pour le clergé. Le départ de Joaquín Navarro Valls, directeur de la Salle de presse est imminent : tout porte à croire que l’ensemble du système de communication du Saint-Siège : radio, TV, salle de presse, Osservatore Romano, va être « resserré ».

 

Pour en revenir au cardinal Bertone, c’est un personnage qui, compte tenu de ses capacités et de la confiance que lui porte Benoît XVI, va jouer un rôle important dans le pontificat, et compter pour l’Eglise dans les années à venir.

 

Propos recueillis

par Olivier Figueras

 

 

 

_ Auteur d’un certain nombre d’ouvrages de réflexion sur la crise actuelle de l’Eglise, l’abbé Claude Barthe vient de publier, aux Editions François-Xavier de Guibert (www.fxdeguibert.com), une nouvelle édition de son Trouvera-t-il

encore la foi sur la terre ?, dans laquelle il prolonge son étude jusqu’aux nouveaux développements mis en place par Benoît XVI dans la perspective d’une réforme de la réforme.

 

B- Le secrétaire d’Etat, premier collaborateur du pape dans le gouvernement de l’Eglise

Organisation de la Secrétairerie d’Etat

Le secrétaire d’Etat, qui à partir du 15 septembre prochain sera le cardinal Tarcisio Bertone, S.D.B., est « le Premier collaborateur du pape dans le gouvernement de l'Eglise universelle ».

Nous reprenons l’explication que la page web du Vatican propose de l’histoire et de l’organisation de la Secrétairerie d’Etat (cf. www.vatican.va).

« Le Cardinal Secrétaire d'Etat peut être considéré comme l'acteur principal de l'activité diplomatique et politique du Saint-Siège, représentant, en des circonstances particulières, la personne même du Souverain Pontife.

« L'origine de la Secrétairerie d'Etat remonte au XVe siècle. La Constitution apostolique Non debet reprehensibile, du 31 décembre 1487, institua la Secrétairerie apostolique, composée de vingt-quatre secrétaires apostoliques, dont l'un, qu'on appelait Secrétaire particulier (Secretarius domesticus), tenait un rôle prépondérant. On peut faire remonter à la Secrétairerie apostolique la Chancellerie des Brefs, la Secrétairerie des Brefs aux Princes et la Secrétairerie des Lettres latines.

« Léon X créa un autre poste, celui de Secrétaire privé (Secretarius intimus), pour aider le Cardinal qui prit la direction des affaires d'Etat et pour la correspondance en langue vernaculaire, principalement avec les Nonces apostoliques, qui commençaient alors à être mis en place avec des attributions diplomatiques stables. La Secrétairerie d'Etat commença alors à se développer, surtout pendant la période du Concile de Trente.

« Le Secrétaire privé, que l'on appelait encore Secrétaire du Pape (Secretarius Papæ) ou Premier Secrétaire (Secretarius maior), fut pendant longtemps presque toujours un prélat, souvent revêtu de la dignité épiscopale. Ce n'est qu'au début du pontificat d'Innocent X que fut appelée à cette haute charge une personnalité déjà revêtue de la pourpre et sans rapport de parenté avec lui. Innocent XII abolit définitivement la charge de Cardinal-neveu et le Cardinal Secrétaire d'Etat en assuma seul les pouvoirs.

« Le 19 juillet 1814, Pie VII fonda la Sacrée Congrégation pour les Affaires Ecclésiastiques Extraordinaires, développant la Congrégation pour les Affaires Ecclésiastiques du Royaume des Gaules (Super negotiis ecclesiasticis regni Galliarum) instituée par Pie VI en 1793. Par la Constitution apostolique Sapienti Consilio du 29 juin 1908, saint Pie X divisa la Sacrée Congrégation des Affaires Ecclésiastiques Extraordinaires pour lui donner la forme fixée par le Code de Droit Canonique de 1917 (can. 263) et il détermina les tâches assignées à chacune des trois sections: la première traitait essentiellement des affaires extraordinaires, tandis que la seconde suivait les affaires ordinaires et que la troisième, autonome jusqu'alors (Chancellerie des Brefs Apostoliques), avait la mission de veiller à la préparation et à l'expédition des Brefs pontificaux.
Par la Constitution apostolique Regimini Ecclesiæ Universæ du 15 août 1967, Paul VI, en application de la volonté exprimée par les Evêques au Concile Vatican II, réforma la Curie romaine et donna un nouveau visage à la Secrétairerie d'Etat en supprimant la Chancellerie des Brefs Apostoliques, ancienne troisième section, et en transformant l'ancienne première section, la Sacrée Congrégation des Affaires Ecclésiastiques Extraordinaires, en un organisme distinct de la Secrétairerie d'Etat, qui, tout en lui restant étroitement lié, prit le nom de Conseil pour les Affaires Publiques de l'Eglise.

« Le 28 juin 1988, Jean-Paul II promulgua la Constitution apostolique Pastor Bonus qui réforma la Curie romaine et divisa la Secrétairerie d'Etat en deux Sections, la Section pour les Affaires Générales et la Section pour les Relations avec les Etats, où vint se fondre le Conseil pour les Affaires Publiques de l'Eglise. Ainsi étaient assurées, d'une part, l'unicité, et, d'autre part, la spécificité propre du service que la Secrétairerie d'Etat est appelée à rendre au Pape.

« La Secrétairerie d'Etat est présidée par un Cardinal qui prend le titre de Secrétaire d'Etat. Premier collaborateur du Pape dans le gouvernement de l'Eglise universelle, le Cardinal Secrétaire d'Etat peut être considéré comme l'acteur principal de l'activité diplomatique et politique du Saint-Siège, représentant, en des circonstances particulières, la personne même du Souverain Pontife.

La Section pour les Affaires Générales
« Conformément aux articles 41-44 de la Constitution Pastor Bonus, la Section pour les Affaires générales, ou Première Section, a pour mission d'expédier les affaires qui concernent le service quotidien du Souverain Pontife, tant dans sa sollicitude pour l'Eglise universelle que dans ses relations avec les dicastères de la Curie romaine. Il travaille à la rédaction des documents que lui confie le Saint-Père. Il s'occupe des actes qui concernent les nominations dans la Curie romaine et il garde le sceau de plomb ainsi que l'anneau du Pêcheur. Il régule le service et l'activité des représentants du Saint-Siège, surtout dans leurs rapports avec les Eglises locales. Il traite de tout ce qui concerne les Ambassades près le Saint-Siège. Il exerce sa vigilance sur les organes de communication officiels du Saint-Siège et sur la publication des Acta Apostolicæ Sedis et de l'Annuaire pontifical.

« La Première Section de la Secrétairerie d'Etat est dirigée par un Archevêque, le Substitut pour les Affaires générales, l’ Archevêque Leonardo Sandri, aidé par un Prélat, l'Assesseur pour les Affaires générales. La figure du Substitut apparaît dans la hiérarchie ecclésiastique de la Secrétairerie d'Etat en 1814.

La Section pour les Relations avec les Etats
« Conformément aux articles 45-47 de la Constitution Pastor Bonus, la Section pour les Relations avec les Etats, ou Seconde Section, a pour mission propre de suivre les questions qui doivent être traitées avec les gouvernements civils. Relèvent de sa compétence les relations diplomatiques du Saint-Siège avec les Etats, y compris l'établissement de Concordats ou d'accords similaires, la représentation du Saint-Siège auprès des conférences et des organismes internationaux; dans des circonstances particulières, sur mandat du Souverain Pontife et après consultation des Dicastères compétents de la Curie, la préparation des nominations dans les Eglises particulières, ainsi que la constitution de ces dernières ou leur modification; les nominations des Evêques dans les pays qui ont conclu avec le Saint-Siège des traités ou des accords de droit international, en collaboration avec la Congrégation pour les Evêques....

« La seconde Section de la Secrétairerie d'Etat est dirigée par un Archevêque, le Secrétaire pour les Relations avec les Etats, aidé par un Prélat, le Sous-Secrétaire pour les Relations avec les Etats actuellement et jusqu’au 15 septembre, Mgr Giovanni Lajolo, aidé d’un Prélat et assisté par des Cardinaux et par des Evêques ».

 

C- La Congrégation pour le culte divin et la « réforme » liturgique

 

Mgr Malcom Ranjith, secrétaire de la Congrégation du culte divin, s’exprime sur la réforme de la réforme liturgique

 

Olivier Figuéras, dans Présent de samedi 24 juin donne ce rapide commentaire sur la déclaration de Mgr Malcom Ranjith, secrétaire de la Congrégation des rites.

 

« Mgr Malcom Ranjith, nommé en décembre par Benoît XVI secrétaire de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements, estime, dans un entretien accordé à l’agence I.media (spécialisée dans les questions vaticanes), que l’Eglise « doit être sensible à ces urgences que les gens sentent et retrouver certains aspects de la liturgie du passé ». Il dénonce, en effet, ces « directions erronées comme l’abandon du sacré, la confusion des rôles entre les laïcs et les prêtres, ou encore certains changements qui ont vidé les églises en les protestantisant ». « Ces changements de mentalité, ajoute-t-il, ont affaibli le rôle de la liturgie plutôt que de le renforcer. »

 

Il précise que, après le concile Vatican II, « certains changements peu réfléchis ont été faits, dans la rapidité et l’enthousiasme », qui ont conduit à « une situation opposée à celle que l’on souhaitait ». Bref ! Mgr Ranjith dénonce la trahison d’un esprit, dans la droite ligne de cette réforme de la réforme petit à petit mise en place par le Pape. – O.F.

 

C’est et mieux que la récention qu’en fait « le Salon Beige ».

 

De cette déclaration importante, j’en fais moi-même un commentaire que vous trouverez sur « Regard sur le monde » cette semaine.

 

 

 

D-Les Nouvelles de France.

« Histoire de la messe interdite »

 

On lit dans Présent, sous la plume de Jean Madiran cette « Histoire de la messe interdite » (IV)

 

 

 

 

 

Les trois premières parties de cette histoire ont paru dans Présent des 24, 27 et 31 mai.

 

3 octobre 1984 (suite)

 

L’intégralité du texte latin de la lettre Quattuor abhinc annos est publiée en France par la revue Itinéraires.

 

La voici en traduction : « Il y a quatre ans, à la demande du pape Jean-Paul II, les évêques de toute l’Eglise furent invités à faire une enquête : « sur la manière dont, dans leur diocèse, prêtres et fidèles avaient reçu le missel promulgué

par le pape Paul VI en vertu des décisions du concile Vatican II ;

« sur les difficultés rencontrées ;

« – sur les résistances qu’il avait éventuellement fallu surmonter.

« Le résultat de cette enquête fut communiqué à tous les évêques. D’après leurs réponses, on semblait avoir presque complètement résolu le problème des prêtres et des fidèles qui demeuraient attachés au rite “tridentin”.

« Mais puisque ce problème subsiste, le souverain pontife en personne, désirant se montrer favorable à ces groupes, accorde aux évêques des diocèses la faculté de consentir par un indult que les prêtres et les fidèles qui en feront nommément la demande à leur évêque puissent célébrer la messe en utilisant le missel romain dans son édition officielle de 1962, mais en respectant les règles suivantes :

 

« a) Qu’il soit établi sans ambiguïté et même publiquement que ce prêtre et ces fidèles se tiennent à l’écart de ceux qui mettent en doute la légitimité et l’orthodoxie du missel romain…» [Se tiennent à l’écart de ceux… « Nullam partem habere cum iis…»

 

Le secrétariat de l’épiscopat traduit : « n’ont aucune connivence avec ceux… », mais connivence en français signifie entente secrète, ou au moins accord tacite : voilà une traduction qui pourrait ouvrir la voie à des inquisitions poussées fort

loin, s’il faut enquêter sur les sentiments secrets des personnes… L’Osservatore romano a traduit : « n’ont rien à voir ». Le camarade Joseph Vandrisse, dans le Figaro, a compris qu’il fallait n’avoir « rien de commun ». Quelle que soit la traduction, ceux qui ont des doutes sur la messe de Paul VI continueront donc à être traités comme des parias.

« … La légitimité et l’orthodoxie du missel romain promulgué en 1970 par le pape Paul VI. »

 

La référence « en 1970 » est curieusement imprécise.

La messe de Paul VI a été en principe promulguée par sa constitution apostolique Missale romanum qui est non pas de 1970, mais de 1969 (le 3 avril).

 

Et c’est le 12 novembre 1969 que l’épiscopat français a prétendu la rendre obligatoire : il ne pouvait rendre immédiatement obligatoire une messe qui ne serait promulguée qu’en 1970. Il est vrai que dans son discours consistorial de 1976 (plus haut à la date du 24 mai), Paul VI ne faisait référence à aucun autre document romain sur la messe que « l’instruction du 14 juin 1971 », qui pourtant n’était pas une « promulgation ».

Il est vrai aussi que, d’avril 1969 à juin 1971, le nouvel Ordo missae a connu au moins trois éditions vaticanes successives, avec des versions différentes, et deux définitions successives de la messe ellemême, par les deux versions du triste article 7 de cette Institutio generalis qui énonçait les intentions et la doctrine de la messe nouvelle. Dans les anomalies, ambiguïtés, hésitations et erreurs, de forme et de fond, qui ont marqué la promulgation de la nouvelle messe, on peut voir un autre « cas majeur et particulièrement manifeste » de ce que le P. Joseph de Sainte-Marie Salleron nommait « la division intérieure du

Magistère » (La Pensée catholique de septembre-octobre 1984, p. 31- 34 à propos de « la concélébration

dans la réforme liturgique ».)]

 

« b) Que cette célébration se fasse seulement pour les groupes qui la demandent ; qu’elle ait lieu dans les églises et oratoires désignés par l’évêque du diocèse (mais non point dans les églises paroissiales, à moins que l’évêque ne le permette pour des occasions exceptionnelles) ; et seulement les jours et dans les conditions que l’évêque lui-même aura approuvés soit en laissant se développer une coutume soit par décrets. »

[Que cette célébration se fasse seulement pour des groupes qui…! C’est-à-dire qu’il s’agit d’une célébration

fermée, comme une célébration maçonnique. La célébration de la messe catholique était jusqu’alors ouverte à

tous, même aux incroyants, à la seule condition de s’y tenir convenablement. Il ne doit plus en être ainsi ; la messe traditionnelle doit être strictement réservée aux personnes qui en ont fait nommément la demande à leur évêque (qui in

petitione proprio episcopo exhibenda EXPLICITE INDICABUNTUR).]

 

« c) Que cette célébration soit faite selon le missel romain de 1962 et en latin.

 

« d) Qu’il n’y ait aucun mélange des deux missels quant au texte ou au rite.

 

« e) Que chaque évêque fasse connaître à la congrégation du culte les autorisations qu’il aura données et, un an après cet indult, les résultats qu’il aura ainsi obtenus. « Une telle concession est le signe de la sollicitude du Père commun

pour tous ses enfants. « Elle devra être utilisée sans causer aucun préjudice au renouvellement liturgique qui doit être

respecté par chaque communauté ecclésiale. »

 

Et voilà.

Dans cette lettre de la congrégation romaine pour le culte divin, la contradiction la plus violente est entre le dispositif et les sentiments. Les sentiments exprimés par deux fois sont ceux de Jean- Paul II : sa sollicitude pour ses fils, son désir de se montrer favorable.

Le dispositif est quasiment d’excommunication des traditionalistes : nullam partem.

Finalement, le schéma est soigneusement bouclé. D’un côté, les seuls admis à demander l’autorisation sont ceux qui n’ont aucun motif de le faire : ceux qui n’ont aucun « doute » (dubium) sur la messe de Paul VI. De l’autre côté, ceux qui reçoivent la faculté de donner l’autorisation sont ceux qui, pour la plupart, n’ont aucune intention de la donner : les évêques de la nouvelle messe et du nouveau catéchisme. Néanmoins, on a noté un progrès considérable : officiellement, on a donc renoncé à prétendre que la messe traditionnelle a été abolie et qu’elle n’existe plus. Elle existe, elle ne peut pas ne pas exister, seulement on l’a mise en cage, elle est prisonnière.

 

Dans une enquête menée en 1985, le quotidien Présent demandait aux évêques qui déclaraient n’avoir reçu aucune demande de prêtres ou de fidèles de leur diocèse :– Mais vous-même, Monseigneur,avez-vous demandé pour vous cette

autorisation ?

Ils n’y avaient pas pensé, ils ne l’avaient pas demandée, cette messe qui était celle de leur ordination, ils ne l’avaient donc pas aimée, ou bien ils ne l’aimaient donc plus. En tout cas, désormais, les responsabilités sont claires : à partir du 3 octobre 1984, partout où elle n’est pas célébrée du tout, c’est parce que l’évêque du diocèse l’a obstinément voulu ainsi.

 

Quatre ans après (quattuor abhinc annos) l’enquête du saint-siège auprès des évêques, et malgré leur réponse entièrement négative, Jean-Paul II reste donc suffisamment préoccupé par la messe traditionnelle pour marquer, dans un acte officiel, qu’elle n’est pas interdite.

 

 La question a été posée par le Pape à une commission de neuf cardinaux

:

– La célébration ordinaire de la messe tridentine a-t-elle été juridiquement interdite par le pape Paul VI ou tout autre autorité compétente ?

 

Huit cardinaux sur les neuf ont répondu non. Cette réponse, et l’existence même de cette commission cardinalice, sont restées inconnues pendant une dizaine d’années. A partir de 1995 seulement, divers témoignages publics font connaître premièrement cette réponse sur l’interdiction, et secondement les recommandations et suggestions élaborées par la même commission.

 

L’abbé Aulagnier, dans son livre La bataille de la messe, a recensé (pages 66-71) l’ensemble des sources accessibles à ce sujet. Toutes donnent « 1986 », voire « l’été 86 », comme date de la commission cardinalice et de sa réponse.

Cependant un fait et deux indices contredisent ou nuancent cette datation.

 

Le fait, dans le quotidien Présent du 21 février 1985. Au cours de l’enquête déjà citée sur la messe, Rémi Fontaine pose à Mgr Marcel Lefebvre la question :

 

– Avez-vous eu connaissance de cette commission de huit (sic) cardinaux qui aurait été instituée par le Saint-Père avant la circulaire [Quattuor abhinc annos] du 3 octobre pour établir qu’en définitive la messe tridentine n’avait jamais

été juridiquement interdite ?

 

Mgr Lefebvre répond simplement

:

– J’en ai entendu parler.

 

Une rumeur, donc. Mais singulière : en février 1985 ! Elle aurait anticipé la création d’une commission, son ordre du jour et sa réponse qui ne viendront que plus d’un an plus tard…

 

Premier indice concordant : on imagine mieux Jean-Paul II s’assurant que la messe tridentine n’est pas interdite avant plutôt qu’après la lettre circulaire Quattuor abhinc annos.

 

D’où notre hypothèse : les sources accessibles ont pu opérer ou suggérer une confusion entre deux commissions cardinalices, ou deux sessions de la même commission. Quand la commission élabore des recommandations et suggestions en raison du peu d’effet de Quattuor abhinc annos, c’est évidemment après.

Mais quand elle répond à la question de savoir si la messe tridentine est ou non frappée d’une interdiction juridiquement valable, c’est logiquement avant.

 

Second indice : le cardinal Stickler, dans une conférence du 20 mai 1995, parle d’une commission de neuf cardinaux, dont huit répondent que la messe tridentine n’est pas interdite. Eric de Saventhem, dans sa lettre du 27 mai 1994 à Mgr Giovanni Battista Re, parle de huit, mais c’est alors « une commission de huit cardinaux de curie constituée pour contrôler si l’indult de 1984 était susceptible de fonctionner ». Cela inciterait à supposer qu’il s’agit de la même commission, privée en sa seconde session du cardinal qui avait été discordant en la première.

 

Dans ses recommandations, la commission cardinalice souhaitait d’abord que l’honneur qui lui est dû soit accordé à la langue latine, et qu’à cet effet les évêques aient à s’assurer que tous les dimanches au moins une messe en latin soit célébrée dans chaque localité importante ; et ensuite, que pour toute messe en latin, le célébrant puisse choisir librement entre la messe de Paul VI et la messe traditionnelle.

 

Depuis 1986, ces recommandations sont en quelque sorte sur la table du souverain pontife.

 

6 juin 1985

 

Parution en Allemagne du rapport d’Eric de Saventhem sur l’application par les évêques de l’ « indult » du 3 octobre 1984 (traduction française en septembre suivant dans Una Voce helvetica, reproduction intégrale dans Itinéraires de novembre).

 

C’est une effarante radiographie du corps épiscopal à cette époque : une détestation militante et féroce à l’égard de la messe traditionnelle. Le rapport Saventhem a été établi à la suite des rapports détaillés présentés à l’assemblée générale

bisannuelle de la Fédération internationale Una Voce. Il concerne plus directement la situation en Allemagne, mais précise qu’il en va de même, avec quelques différences, dans la plupart des autres pays.

Selon ce rapport, la résistance à l’application de l’« indult » est générale parmi les évêques. C’est une résistance tantôt retardatrice, tantôt obstructionniste et tantôt aggravante.

 

LA RÉSISTANCE RETARDATRICE consiste à déclarer que Quattuor abhinc annos ne contenait aucune « directive d’application », qu’il fallait les attendre, et pour cette raison les demandes étaient mises en attente. Ou bien les demandes « restent sans réponse pendant des mois, malgré de nombreux rappels très polis ».

 

LARÉSISTANCE OBSTRUCTIONNISTE : « Dans de nombreux cas, les évêques locaux firent aussitôt savoir qu’ils ne voyaient aucune nécessité pastorale de célébrer la messe tridentine dans notre diocèse. Ou bien : L’autorisation romaine est si rigoureusement limitée qu’elle ne peut que difficilement être appliquée dans notre diocèse. Ou encore plus lapidairement :

J’ai décidé de ne pas accorder d’autorisation et je préfère ne pas alourdir cette lettre en donnant mes raisons. Si le refus est motivé, il l’est souvent, spécialement en France, pour non-réalisation des conditions imposées, mais sans indication

de quelles conditions il s’agit. La plupart de ces décisions négatives non motivées semblent résulter d’une profonde aversion de l’évêque actuel (ou de son proche entourage) pour l’ancienne messe comme telle. »

 

LA RÉSISTANCE AGGRAVANTE : « Dans la pratique, de très nombreux évêques ont élargi et aggravé les deux conditions [posées par le document romain du 3 octobre 1984] de telle façon qu’il est de plus en plus difficile et même impossible

de présenter une requête [qui soit reconnue comme] valable. « On se base presque partout sur l’obligation d’une indication explicite pour exiger le dépôt de listes contenant tous les noms de ceux qui veulent assister aux messes sollicitées. Celui qui ne figure pas sur la liste risque d’être refoulé à la porte de l’église. A Columbus, USA, on exige en outre, avec un cynisme à peine voilé, que chaque requérant présente une confirmation écrite du curé local qu’il a

soutenu et encouragé activement la réforme liturgique dans sa paroisse. Dans plusieurs diocèses, principalement

en Amérique du Nord, les intéressés ont été invités par publication officielle dans le bulletin diocésain à s’adresser individuellement à l’évêque : ils recevaient alors une légitimation les autorisant personnellement – mais pas leurs amis ou les membres de leur famille – à assister à une unique ou première messe tridentine qui serait célébrée prochainement.

« Il est incompatible avec la nature de la sainte messe de ne pas permettre à tous les fidèles d’y assister sans autre formalité. Aucun autre rite catholique n’a été soumis à de telles restrictions ! Chaque système d’autorisation comporte en

outre en soi le risque d’abus inquisiteur et de manipulation arbitraire. « Au nombre des résistances obstructionnistes et aggravantes, il faut mentionner la pratique adoptée presque partout de n’autoriser des messes tridentines qu’occasionnellement et de limiter aux jours ouvrables les autorisations éventuelles de célébrer ces messes.

Cette pratique ne tient pas compte du fait que l’Indult concerne la sainte messe et non pas un quelconque exercice de piété préconciliaire. L’assistance à une messe célébrée selon un rite catholique reste obligatoire les dimanches et jours de fête, selon les commandements de l’Eglise. [Mais souvent] les directives diocésaines prévoient que cette autorisation n’est

accordée que pour des messes en semaine (…). Il est insoutenable de prendre méthodiquement soin que les célébrations de l’ancienne messe ne permettent pas de satisfaire à l’accomplissement du devoir dominical. »

JEAN MADIRAN

 

Nous en sommes ainsi arrivés à la première moitié de cette « histoire d’une messe interdite » (1966-2006). La suite, qui n’est pas encore rédigée, sera ultérieurement publiée dans Présent. Le tout constituera en quelque sorte le canevas chronologique d’un livre plus complet et plus détaillé qui ne sera probablement pas publié avant un an ou deux.– J.M.