Les Nouvelles
de
Chrétienté


n°58

Le 27 juillet 2006

 

Les nouvelles du Liban

 

Nos regards sont au Liban

pour

comprendre, compatir et prier

 

Après ces quelques jours passés dans un monastère ami, les « Victimes du Sacré Cœur » de Marseille,  un monastère édifiant, je me retrouve dans ce très chaud Paris. L’actualité reprend ses droits…C’est le Liban chrétien qui attire de nouveau,  notre regard et notre compassion.  Et notre prière. Benoît XVI nous y a vivement encouragé lors de l’Angelus du 16 juillet. Faisons le.

 

Le Journal Présent consacre à ce drame de souffrances de belles et intelligentes pages, quotidiennes, émouvantes grâce à son correspondant à Beyrouth, Marouen Charbel. Témoin privilégié, il nous informe justement et nous fait comprendre ce conflit et ses enjeux.

 

Suivons ses articles…au quotidien.

 

Dans Présent du 14 juillet 2006

 

 

POUR COMPRENDRE LE PROCHE-ORIENT

 

De Gaza à Beyrouth : état de guerre au Liban

 

De notre correspondant à Beyrouth.

 

– A l’heure où nous écrivons ces lignes, c’est-à-dire dans la nuit de mercredi à jeudi, une vaste offensive terrestre, aérienne et navale de l’armée israélienne était en cours à 16 kilomètres au sud de Beyrouth. L’aviation et la marine israéliennes bombardent la base palestinienne de Naameh qui est le fief du Front Populaire pour la Libération de la Palestine – Commandement Général (FPLP-CG), mouvement totalement inféodé à Damas. Et à l’heure où vous lirez ces lignes samedi, ou pis lundi matin, les faits se seront encore précipités comme ils se précipitent et se compliquent depuis ce mercredi matin 12 juillet où le Hezbollah enlevait deux soldats israéliens et en tuait 8 autres. D’ici là nous ne pouvons que réfléchir ensemble sur le pourquoi et le calendrier d’une telle opération !

 

Tout commence par le tir de dizaines de Katioucha et d’obus de mortier sur le nord d’Israël faisant les 3 premiers blessés israéliens de la journée. L’armée israélienne riposte en bombardant les villages libanais frontaliers. Le Hezbollah répond en tirant sur le secteur des fermes de Chebaa occupé par Israël. C’est alors que lors d’affrontements, en Israël, selon le gouvernement

israélien, au Liban, selon le Hezbollah et la police libanaise, 8 soldats israéliens sont tués et deux

autres sont enlevés. « Ils sont en lieu sûr et loin » a déclaré le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, dans une conférence de presse où il a, entre autre chose, déclaré que les deux

soldats étaient « dans un lieu sûr et très lointain » et « qu’aucune opération militaire ne les fera

revenir ». Il a ajouté : « Les prisonniers ne seront pas rendus, à une exception près : si des négociations indirectes et un échange ont lieu » avant de lancer à un journaliste présent « connaissez-vous un autre moyen pour libérer les prisonniers ? »

 

En octobre 2000, le Hezbollah avait capturé trois soldats israéliens dans le secteur des fermes de

Chebaa. Leurs corps ont été échangés en janvier 2004 contre des détenus libanais et arabes en Israël. Réuni en urgence sous la présidence d’Emile Lahoud et en présence de tous les ministres, y compris ceux qui boycottent la présidence de la République, le gouvernement libanais a déclaré : « Le gouvernement ne savait pas, ne porte pas la responsabilité et ne cautionne pas ce qui s’est passé. »

 

La réponse d’Israël a été claire :

 

« Le gouvernement libanais, dont le Hezbollah fait partie, tente d’ébranler la stabilité régionale. Le Liban va devoir supporter les conséquences (…) Israël tient le gouvernement souverain du Liban responsable de l’opération lancée à partir de son territoire et du retour, sains et saufs, des soldats enlevés. Israël doit agir avec la sévérité appropriée en réponse à cette attaque et il le fera. Israël répondra d’une manière directe et sévère contre les auteurs responsables et il agira pour prévenir de futurs efforts et actes dirigés contre Israël. »

 

Depuis ce matin ce sont routes bombardées et défoncées, ponts détruits, centrale électrique en partie etc. Sans compter la saison touristique sérieusement compromise. Alors que des tirs de joie saluaient la capture des deux soldats dans l’ensemble des zones chiites et dans les camps palestiniens, le Hamas et les Frères musulmans saluaient l’exploit du Hezbollah. Pour la plupart des observateurs il y a eu coordination entre le Hamas et le Hezbollah avec le soutien et la coopération de la Syrie et de l’Iran. Il est certain que Damas et Téhéran ont prouvé, via leur allié, leur capacité de nuire. Démontrer une telle chose en cours de négociations – nucléaire iranien, dossier libanais – et de redistribution de la donne régionale – bourbier irakien – leur permettra de mieux avancer leurs pions. De mieux négocier leur sortie ou encore mieux la pérennité de leurs positions. Le président égyptien Hosni Moubarak qui avait tenté une médiation entre le Hamas et Israël a révélé avoir « obtenu un engagement d’Israël à libérer un grand nombre de détenus palestiniens, à la suite de contacts avec Khaled Mechaalchef du Bureau politique du Hamas – et Mahmoud Abbas – président de l’autorité palestinienne. Des parties, que je n’identifierai pas, sont intervenues dans les contacts menés par l’Egypte, ce qui a créé des obstacles à l’accord imminent ».

 

Est-ce que c’était prévisible ?

 

C’est la question que nous nous posons aux lendemains de chaque événement de ce type. Il y a quelques semaines, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah faisait solennellement la promesse de ramener chez eux tous les prisonniers libanais détenus en Israël. L’opération de ce 12 juillet a été appelée « promesse tenue ». Un peu prématuré et surtout impudent. Mais peut-être pas avec l’inconnue de la capacité d’Israël à gérer deux fronts militaires.

 

Enfin, aujourd’hui, au Liban, c’est le Hezbollah qui décide seul de la paix ou de la guerre. Et c’est aussi la doctrine syrienne en la matière : « La résistance dans le sud du Liban et au sein du peuple palestinien décide elle-même de ce qu’il convient de faire et pourquoi », a déclaré le vice-président syrien Farouk Al-Charaa. Les résolutions des Nations Unies ordonnant le désarmement du Hezbollah n’ont rien fait que renforcer ses positions au sein de la communauté chiite et à le singulariser dans cette lutte contre Israël prétexte à toutes les résistances dans le monde arabe.

 

Cela fait des semaines, au fil des rendez-vous du dialogue national qui s’étiole de séances en séances, que nous le signalions, le Hezbollah et à travers lui la Syrie ont réussi à être l’axe pivot de ce « dialogue ». L’axe que l’on subit et en fonction duquel on se détermine. Aujourd’hui après les ponts détruits, les routes défoncées et les centrales électriques endommagées, qui osera parler encore du désarmement obligatoire du Hezbollah ? On ne trouvera presque personne.

Alors… Damas et Téhéran pourront jeter les masques.

 

                                                                                                                                                                              MAROUN CHARBEL

 

 

DERNIÈRE MINUTE. –

 

L’aéroport de Beyrouth a été bombardé par l’aviation israélienne à l’aube de jeudi matin entraînant sa fermeture. De source israélienne on affirme que l’objectif de cette attaque était de couper le trafic aérien en provenance et vers la capitale libanaise. L’aéroport de Beyrouth est l’unique aéroport international du Liban. Par ailleurs et en 24 h, dix ponts ont été détruits isolant complètement le Liban-Sud du reste du pays. M.C.

 

 

 

Dans Présent du 18 Juillet :

 

La guerre du Hezbollah et la guerre d’Israël

 

 

De notre correspondant à Beyrouth.-

 

Lundi 17 juillet. 0 h 32.

 

C’est à la lueur d’une bougie que je commence ma chronique, avec l’espoir que le courant soit rétabli avant l’heure du bouclage à Paris. Deux centrales électriques ont été touchées dont une détruite. Les générateurs des fournisseurs privés

d’électricité ne suffisent plus à la demande. Alors de temps en temps, ils laissent reposer leurs moteurs pour les refroidir.

 

Dehors la nuit est profonde. On entend les avions passer et les bombes exploser en de grands éclairs rouges sur les quartiers

chiites de la Banlieue-Sud de Beyrouth ou sur l’usine à Gaz de Choueifate ou pour la nième fois en quatre jours sur les pistes de l’aéroport. Plus tôt les avions étaient passés en route vers la Béqaa où ils ont bombardé un relais Internet sur les cols qui mènent à Zahlé, la ville de Chtaura et les camps palestiniens des environs, Baalbeck a été abondamment bombardé ces dernières 48 h comme le Sud du pays littéralement labouré par les bombardements. Pas un pont, pas une autoroute,

pas une route ou chemin n’a été épargné. Dans certaines zones, il ne reste plus que les sentiers de chèvres pour aller d’un village à l’autre. Tactique israélienne évidente pour éviter le transfert de ses deux soldats otages du Hezbollah.

 

Depuis mercredi dernier – voir Présent du jeudi 13 juillet – c’est l’ensemble du pays qui est touché.

Je dis bien tout le pays. Tout le Sud est détruit, mais aussi l’aéroport international de Beyrouth, les deux aéroports militaires et l’embryon d’aéroport de Hamat. Les centrales électriques du Sud et du Nord et les grands axes routiers qui mènent vers le Sud et la Béqaa, qui sont de plus en plus isolés du reste du pays, comme sont bombardés les ponts et

les postes frontières avec la Syrie. Les cibles sont, d’une part, les positions et quartiers généraux du Hezbollah et des groupes palestiniens inféodés à la Syrie – ce qui fait beaucoup – et de l’autre les infrastructures qui font tenir debout un

pays – ce qui ne nous laisse que le choix de chercher ce qui aura peutêtre des chances d’être épargné. A qui la faute ? qui est responsable ? ces questions nous nous les posons ici à Beyrouth comme vous à Paris. Et nos réponses sont encore des questions. Qui a permis au Hezbollah de devenir un Etat dans l’Etat ? Un Etat plus puissant que l’Etat libanais lui prenant le droit de décider de la guerre et de la paix. On pourrait répondre la Syrie et l’Iran. Ce n’est pas faux, mais cela n’est pas suffisant. Avec Damas et Téhéran il y a tous ceux – Etats-Unis et Royaume-Uni en tête – qui ont refusé de toucher au régime syrien ou de faire payer à Téhéran le prix de son impudence. Jusqu’à hier encore, les Israéliens assuraient ne pas vouloir attaquer la Syrie que si Damas le faisait la première. Peu à peu et fort de son titre de « Résistance » et de l’impunité

qui en découlait, le Hezbollah a pris en otage toute la vie politique du pays. Obligeant tout le monde à se déterminer par rapport à lui et tenant tête à l’ensemble de la communauté internationale, il a empêché l’Etat libanais d’appliquer la résolution 1559 du Conseil de Sécurité. Cette résolution imposait, entre autre son désarmement comme celui de toutes les milices. A cette époque le Hezbollah était l’unique milice armée. Il le restera jusqu’au point de devenir cette armée à l’arsenal redoutable de plus de 12 000 fusées et roquettes dont plusieurs centaines de très longues portées et qui tient tête à Israël. Haïfa, Safad, Tibériade, Acre ou encore Afoula et Nazareth Illit, à une quarantaine de kilomètres au sud de la frontière libanaise, sont touchés par les tirs du Hezbollah faisant des morts et des blessés. Le Hezbollah menace aujourd’hui Tel Aviv et a réussi à détruire un bateau israélien tuant quatre marins. On pourrait aussi s’interroger sur le calendrier de cette attaque du Hezbollah qui a déclenché ce déluge de fer et de feu sur le pays. Pourquoi maintenant ? au seuil d’une saison touristique qui promettait d’être la meilleure depuis des dizaines d’années avec un taux de remplissage des hôtels de près de 100 %. Et ce n’est pas seulement le secteur hôtelier qui est touché aujourd’hui mais toute l’économie du pays. Le tourisme c’est les hôtels, les restaurants, les loueurs de voiture, les festivals… et l’on pense à tous ces saisonniers qui en quatre mois engrangent de quoi tenir toute une année, de quoi payer leur scolarité ou celle de leur petit frère. A Damas, où les touristes arabes et étrangers ont fui, les hôtels sont pleins. Le ministre libanais des Finances, Jihad Azour, a estimé à plus d’un demi milliard de dollars les dégâts causés aux infrastructures depuis le début

de l’offensive israélienne et l’on estime à près de 2,4 milliards de dollars les pertes totales. Azour a cependant souligné que ces chiffres étaient sujets à caution en raison de l’impossibilité d’effectuer un état des lieux exhaustif des destructions, et de la poursuite des raids israéliens contre les infrastructures.

 

La communauté internationale – à l’ONU comme au sein du G8 – n’a pu se retrouver que sur le plus petit dénominateur commun : demander à l’Etat libanais de désarmer le Hezbollah et de le faire entrer dans le rang – Jacques Chirac a ainsi appelé dimanche au « désarmement du Hezbollah dans les délais les plus brefs ». Ubuesque. Mais quand on voit qu’au sein de la Ligue arabe, les pays arabes n’ont même pas été capables de s’entendre, on pleure. Le Liban et les Libanais sont seuls. Isolés. Pris en otage par le Hezbollah ou plutôt par la Syrie et l’Iran via le Hezbollah. « La racine du problème, c’est le Hezbollah, la Syrie et la connexion iranienne » a déclaré Georges Bush qui estime qu’Israël a le droit de se défendre.

 

Samedi, l’Osservatore Romano résumait la situation en quelques lignes : « Les Nations Unies sont encore une fois réduites à l’immobilisme alors que le Liban brûle sous les attaques d’Israël et que l’Hezbollah continue d’attaquer militaires et civils au-delà de la frontière libanaise… la dynamique des veto croisés, propre au Conseil de sécurité, empêche l’adoption de mesures

concrètes de soutien à la légalité internationale. Le principal organe décisionnel de la communauté internationale est donc de nouveau spectateur face à la mort du droit, violé

par les deux parties, Israël et le Hezbollah. »

 

Sur le terrain, l’autre parti chiite, Amal, dirigé par le président de la Chambre Nabih Berri, a rappelé ses « réservistes » et a formé un état-major commun avec le Hezbollah. Nous pouvons comprendre en creux que ce parti avait des hommes qui s’entraînaient etc. Berri est à l’origine de

l’initiative du dialogue national. A cette même table ronde où toutes parties, dont le Hezbollah, s’étaient engagées à sauver la saison touristique et à remettre à la rentrée leurs querelles.

 

Les Chiites du Liban font la guerre à Israël et c’est tout le Liban qui paye le prix.

 

Systématiquement, méthodiquement, le Liban est détruit sous nos yeux impuissants. Israël « inflige une punition collective immorale aux Libanais » a déclaré Premier ministre Fouad Siniora

dans une conférence de presse digne et fier mais la voix brisée par l’émotion, il a fait porter à l’Etat hébreu « la responsabilité de la catastrophe humanitaire et économique qui frappe le Liban. Il a aussi condamné l’action et la provocation du Hezbollah en rappelant que gouvernement « était le seul à décider de la paix et de la guerre ». Israël a annoncé – via l’Italie – prix d’un cessez-le-feu : la libération des soldats pris en otage et le recul du Hezbollah jusqu’au nord du Litani soit à environ 25 kilomètres de frontière. Dans un discours diffusé en direct sur toutes les chaînes locales, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a annoncé à Israël « surprises » et a déclaré : « Nous allons utiliser tous les moyens… Puisque l’ennemi n’a plus de ligne rouge, nous n’avons plus de ligne rouge non plus. »

 

Cette nuit, alors que le courant électrique nous est rendu, les avions passent et repassent au-dessus nos têtes. C’est Tripoli et son port qui sont bombardés au nord pays, Rayak et sa région dans la Békaa, et encore l’aéroport de Beyrouth et encore le Sud ou plus de 15 000 personnes sont arrivées à Tyr fuyant les villages bombardés de la zone frontalière.

 

C’est ce lundi que devrait arriver le premier bateau affrété par France pour évacuer ses ressortissants. L’annonce de la décision française comme celle de l’Allemagne, Royaume-Uni ou des Etats-Unis fait comprendre aux Libanais qu’ils étaient installés dans un conflit qui allait durer. Ce matin quand le jour se lèvera, ils vérifieront les réserves d’eau potable, le niveau d’essence du réservoir de la voiture et entameront une longue liste de téléphone pour avoir des nouvelles des uns des autres. C’est que le chapelet noms de villages et de villes qui défilent à longueur de bulletins d’information a le visage d’êtres chers bloqués dans les zones de combat, pris au piège de cette guerre qu’ils n’avaient pas vu venir.

 

MAROUN CHARBEL

 

Parmi les premières  réactions

 

 

Lundi 17 juillet 04 h

 

ALORS que Dominique de Villepin s’envolait, ce lundi matin, pour le Liban, afin d’exprimer aux autorités et au peuple libanais sa solidarité, les réactions ont été nombreuses en France face à la violence qui déferle sur le Liban. Le Front national a notamment dénoncé, dans un communiqué, cette situation de guerre.

 

« Jean-Marie Le Pen exprime sa vive inquiétude devant l’aggravation des interventions militaires israéliennes en Palestine et désormais au Liban.

« Ces hostilités, qui s’apparentent de plus en plus à des actions de guerre, ne sauraient être justifiées par l’enlèvement, au demeurant, très étonnant, de un ou deux soldats israéliens.

 

« Par ailleurs, l’alourdissement des pressions exercées sur l’Iran, le développement d’une véritable guerre civile en Irak et la persistance des actions armées en Afghanistan constituent une menace de plus en plus grave sur la paix, non seulement de la région, mais du monde. D’ores et déjà, la progression du prix du pétrole met en danger l’équilibre économique mondial.

« Jean-Marie Le Pen appelle les différents responsables nationaux et internationaux

à agir au plus vite pour rétablir les conditions durables de la paix et de la sécurité internationales.»

 

De son côté, le cardinal Ricard, au nom de l’Eglise de France, a envoyé dimanche un message de soutien aux patriarches, évêques et à toutes les communautés catholiques du Liban, les assurant de sa prière « pour que cessent les actes de violence contre le populations innocentes ».

 

« Puissent tous les hommes de bonne volonté s’unir, conclut-il, pour que cessent les violences aveugles et absurdes, qui ne pourront jamais résoudre les conflits. »

 

 

Dans Présent du 19 juillet

 

Situation de guerre au Proche-Orient

 

De notre correspondant à Beyrouth

– mardi 18 juillet, 01 h 20.

 

Cette nuit nous avons du courant et même l’électricité de l’Etat comme on dit au Liban. Ce qui donne les leitmotive quotidiens « nous sommes sur l’Etat ou le moteur ? » Question que nous posons des dizaines de fois par jour pour savoir quels appareils employer et quels autres éviter. Ce soir c’est un luxe inespéré alors qu’une nouvelle centrale électrique était bombardée et détruite. Celle du Jambour au tout début de la route Beyrouth-Damas et à proximité du Collège Notre Dame des pères Jésuites et des Clarisses du Monastère de l’Unité que les lecteurs de Présent connaissent bien.

 

En se réveillant au matin du sixième jour de la guerre israélo- Hezbollah, les Libanais semblaient commencer à comprendre que c’était la guerre. Une guerre totale que se livrent d’une part Israël et de l’autre la Syrie et l’Iran via les Chiites du Hezbollah. Là où la situation le permettait, ils se sont précipités dans les grandes surfaces remplissant les chariots entiers de denrées non périssables – riz, pâtes, conserves, sucre, huile, etc. à 13 h certains produits manquaient

déjà et les distributeurs de billets étaient vides.

 

Dans ses longues files aux caisses, les conversations allaient bon train et un mot revenait sans cesse « baklawa

baklawa ». Nul ne réclamait cette pâtisserie gluante de sirop, mais tous se souvenaient amers de ce mercredi 12 juillet lorsqu’à l’annonce de l’enlèvement des deux soldats, les militants du Hezbollah sont descendus dans les rues portant

d’immenses plateaux de baklawa qu’ils présentaient, en signe de joie et de fierté, aux passants et aux automobilistes.

 

Certains se demandaient s’il ne faudrait pas en faire livrer au chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah.

 

Comment un fin stratège comme lui, qui force même l’admiration des Israéliens, a-t-il pu commettre une telle erreur tactique ? Comment n’a-t-il pas pu prévoir et doser l’ampleur de la réaction israélienne ? A moins que cela ne soit ce qu’il cherchait ou ce que ses commanditaires souhaitaient ?

 

Les Libanais ont aussi compris qu’ils étaient seuls.

 

 Abandonnés de tous. Ils ont parfaitement saisi l’inutilité du ballet diplomatique qui les a, un instant, distraits des communiqués annonçant de nouvelles destructions et de nouveaux morts. Et de l’avoir compris ils ont allongé

leur liste de quelques sacs de riz et de quelques bouteilles d’huiles de plus.

 

Aucune instance, aucune délégation n’a apporté l’espérance d’un cessez-le-feu. Le Premier ministre français, Dominique de Villepin, venu à la demande de Jacques Chirac, a déçu autant qu’il fut annoncé et attendu. Il n’a rien promis, rien

demandé. Après avoir été saluer le premier groupe français à être évacué, il est rentré à Paris en demandant « une trêve humanitaire ».

 

Trêve que personne ne réclame.

 

Quant aux autres délégations, aucune n’a réclamé ou abordé la probabilité d’un possible cessez-le-feu. L’état-major israélien affirme sans ambages que l’opération se poursuivra avec la même intensité pendant encore au moins une semaine.

C’est plus qu’il ne faut pour détruire ce qui reste de l’infrastructure du pays. Quand on connaît la puissance de feu des Israéliens et du Hezbollah (!) et le vivier de martyrs que ce dernier peut être. Chaque action de l’un appelant la réaction immédiate de l’autre. Le Hezbollah prouvant sa capacité de résistance en tirant de Marjeyoun – pourtant au cœur du Sud labouré par les bombes israéliennes – des missiles contre Israël.

 

                                                                                                                                          MAROUN CHARBEL.

                                                                                                                                   Mardi 18 juillet 02 h 30.

 

 

 

 

Dans Présent du 20 juillet

 

Prix du numéro par abonnement postal : 1,20

Liban : un demi million de déplacés

 

De notre correspondant à Beyrouth.

 

– Mercredi 19 juillet, 1 h 10.

 

Assis à ma table depuis un moment, je découvre que le silence de la nuit pouvait être assourdissant quand il est si profond. Pas une voiture, pas un passant… pas un avion israélien allant porter la mort et la destruction.

C’était il y a une demi-heure. Maintenant nous sommes au même régime qu’hier à la même heure, régime qui a été le nôtre toute la journée de mardi. Les avions passent et repassent et l’on entend exploser leurs bombes. Le Liban comptait ce matin 50 ponts détruits, des milliers de kilomètres d’autoroutes détruits, des routes nationales et départementales aussi et jusqu’à certains chemins vicinaux qui étaient, eux, le dernier lien de nombreux villages du sud avec le reste du pays. La Békaa est coupée du reste du pays et le Sud aussi. Les derniers cols et routes qui les reliaient ont été abondamment bombardés aujourd’hui comme les postes-frontières avec la Syrie.

 

Accrochés à nos postes de radio ou à la télévision, la main sur le combiné du téléphone, prêts à appeler pour s’enquérir d’une mère, d’un frère ou d’un cousin. Les émissions sont réduites à des chants patriotiques, à des prières – selon l’obédience de la chaîne – et à des bulletins d’information. Le tout régulièrement interrompu par des flashs qui annoncent un nouveau bombardement ou donnent la liste des victimes du précédent. Très populaires, les chaînes de télévision et les stations radio privées ont un carnet de publicité très chargé. Publicités qui ont été payées et qui sont donc dues. Entre deux flashs d’informations on écoutera vanter les mérites de telles ou telles stations balnéaires ou encore du tout dernier complexe hôtelier et l’on mesure l’abîme vers lequel le pays est précipité. Un demi-million de déplacés pour une population totale de moins de 4 millions, des destructions par milliard selon des pronostics tous les jours revus à la

hausse, un tissu industriel détruit… L’heure avance et je n’ose prendre le temps de vous raconter toute cette journée de mardi. A chaque instant, l’électricité et la connexion internet pouvant être coupées, je ne retiendrai que quelques faits qui sont venus accroître encore plus – et je ne savais pas que c’était possible – mon angoisse pour nous les chrétiens du

Liban.

.

« On pouvait comprendre que l’Etat d’Israël s’en prenne au Hezbollah, parti islamiste chiite menaçant de plus en plus la sécurité avec sa milice financée et alimentée en armes modernes par la coalition irano- syrienne. On pouvait comprendre que tout en frappant et affaiblissant le Hezbollah il mette le gouvernement libanais à la fois dans l’obligation d’en finir avec le Hezbollah, Etat dans l’Etat, dominateur et à terme instaurateur d’une république islamique.

 

« Ce que l’on ne comprend pas à première vue c’est que ce soit le Liban dans son ensemble que frappe et ruine la puissance militaire israélienne. Non seulement dans les zones de peuplement chiite elle ne s’en tient pas à des objectifs militaires mais partout elle frappe des installations civiles vitales pour les populations, détruisant même des laiteries indispensables à la vie des enfants. La milice du Hezbollah prend soin de se replier bien sûr, il fallait s’y attendre, dans des villages chrétiens qui seront autant de cibles. Alors à la réflexion, la question se pose de savoir si ce n’est pas avec le Hezbollah, qu’il n’abattra d’ailleurs pas, la prospérité économique du Liban qui se relevait de ses ruines, qu’Israël veut aussi anéantir.

 

La terreur israélienne a pour effet encore de solidariser dans le malheur toutes les populations du Liban et de les agréger pour un temps au Hezbollah. C’est une erreur tragique. »

 

L’église Saint-Georges de Rachayael- Fokhar, gros bourg du Sud-Liban, où avaient trouvé refuge de nombreux habitants, a été visée par les bombardements de l’aviation israélienne, venant rappeler à ceux qui l’avaient peut-être oublié que le Sud- Liban est d’abord chrétien avant d’être chiite. L’immigration des uns et la croissance démographique des autres avec en sus l’emprise du Hezbollah nous l’ont vite fait oublier. Ils sont des milliers à être bloqués dans leur village bombardé et coupé du monde et des milliers d’autres à tenter de monter vers le nord le plus souvent à pied puisque les routes sont défoncées et les ponts détruits. Il y a quelques jours, nous étions à Tyr. Aujourd’hui Tyr est une ville sinistrée où l’on a faim et où l’on a

peur. Et l’on pense à sa vieille ville exclusivement chrétienne, lovée autour du vieux port. Ses vieilles maisons serrées les unes contre les autres, leurs portes ouvertes sur des cuisines propres et misérables où s’agitent des ménagères un chapelet au poignet. Que sont-ils devenus et que deviendront-ils ? d’eux nul ne parle. Nul doute que ce sont là des candidats potentiels à l’immigration qui saigne les chrétientés d’Orient. Victimes de l’instabilité politique et économique comme leurs voisins musulmans ils doivent en plus en subir les vexations.

 

Le demi million de déplacés a trouvé refuge dans toutes les régions du pays et en particulier dans celles qui sont encore les plus calmes : les régions chrétiennes d’Achrafieh à Beyrouth, du Metn, du Kesrouan, de Zahlé dans la Békaa. Les écoles publiques et privées, les couvents ont ouvert leurs portes. Des familles entières s’y sont installées avec leur maigre bagage. Et nul n’a hésité un instant face à leur détresse. Créant un brassage de la population que le Liban n’avait jamais connu. Lors des années noires, chacun trouvait refuge dans sa zone. Le chrétien dans ses

fiefs et les musulmans dans les leurs.

 

Quand le calme sera revenu – pas avant 3 ou 4 semaines annoncent les Israéliens qui en prévoyaient une seule hier – où ira cette population chiite ? Vu l’état des destructions une infime partie d’entre eux pourra rentrer dans les villages d’origine. Et les autres ? L’hiver sera vite là. Quel chef chrétien se lèvera pour défendre les intérêts de sa communauté à l’heure où chacun pensera à soi ? A l’heure où il faudra trouver impérativement un nouveau pacte national ? Samir Geagea ? il n’a pas encore retrouvé toute sa place. Le général Aoun ? dans un entretien à la Jazeera il déclare soutenir l’action du Hezbollah avec qui il a signé un document d’entente l’hiver dernier – dans ce même entretien Aoun nie avoir donné refuge au chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, qui ne serait plus dans la banlieue sud.

Il est peut être encore trop tôt pour aborder ces questions mais nous nous devons d’être d’autant plus vigilants que notre quotidien est un quotidien de guerre qui occupe toutes nos énergies et qu’il faut se préparer au pire. Israël avait annoncé un très sévère blocus du pays. L’aéroport est presque quotidiennement bombardé.

 

Tous les points de passages avec la Syrie aussi. Le port de Beyrouth et les principaux ports de la côte le sont tout aussi régulièrement. L’évacuation des étrangers se fait au prix de négociations avec les Israéliens qui n’aboutissent pas toujours. Cela a été le cas pour l’Australie ou pour la France qui a dû, lundi soir, interrompre l’embarquement du premier groupe d’évacués. Ceux qui sont restés ont pu prendre le bateau suivant. Aujourd’hui nous sommes passés à l’échelon supérieur avec le bombardement de camions transportant du blé ou encore un convoi d’ambulances neuves offertes par les Emirats arabes unis. Rien ne rentre, rien ne sort. Et après la ruée vers les supermarchés hier ce fut la ruée vers les pharmacies. D’abord les médicaments pédiatriques et les produits pour les bébés, puis les traitements de longue durée.

Ce soir, le Liban chrétien chantera les vêpres de la Saint-Elie. L’un des saints les plus populaires au Liban. Plus d’un oratoire qui orne les bords de routes et les carrefours lui est consacré et des dizaines d’églises lui sont dédiées. Sa fête est prétexte à de très grandes réjouissances populaires. Nul doute que cette année, il sera prié avec encore plus de ferveur.

 

MAROUN CHARBEL

Mercredi 19 juillet 03h05

 

 

 

Communiqué de Bernard Antony

 

« On pouvait comprendre que l’Etat d’Israël s’en prenne au Hezbollah, parti islamiste chiite menaçant de plus en plus la sécurité avec sa milice financée et alimentée en armes modernes par la coalition irano- syrienne. On pouvait comprendre

que tout en frappant et affaiblissant le Hezbollah il mette le gouvernement libanais à la fois dans l’obligation d’en finir avec le Hezbollah, Etat dans l’Etat, dominateur et à terme instaurateur d’une république islamique.

 

« Ce que l’on ne comprend pas à première vue c’est que ce soit le Liban dans son ensemble que frappe et ruine la puissance militaire israélienne. Non seulement dans les zones de peuplement chiite elle ne s’en tient pas à des objectifs militaires mais partout elle frappe des installations civiles vitales pour les populations, détruisant même des laiteries indispensables à la vie des enfants. La milice du Hezbollah prend soin de se replier bien sûr, il fallait s’y attendre, dans des villages chrétiens qui seront autant de cibles. Alors à la réflexion, la question se pose de savoir si ce n’est pas avec le Hezbollah,

qu’il n’abattra d’ailleurs pas, la prospérité économique du Liban qui se relevait de ses ruines, qu’Israël veut aussi anéantir. La terreur israélienne a pour effet encore de solidariser dans le malheur toutes les populations du Liban et de les agréger

pour un temps au Hezbollah. C’est une erreur tragique. » Le bureau de Chrétienté-Solidarité exprime toute sa compassion à l’ensemble des Libanais et particulièrement aux populations chrétiennes menacées de l’extérieur et de l’intérieur. Il annoncera prochainement ses décisions pour manifester son soutien par de l’aide concrète. A cette fin Bernard Antony se rendra dès que possible au Liban ».

 

Dans Présent du  21 juillet 2006

 

Conflit israélo-libanais

Pourquoi ?

 

De notre correspondant à Beyrouth.

 

Mercredi 20 juillet 2006, 1 h 44.

 

 Il est étrange combien, en situation de crise et de danger réel comme celle que nous vivons depuis 8 longs jours, des petits riens nous manquent et nous rappellent la réalité de notre quotidien. A la sortie des vêpres de la Saint-Elie, il n’y avait ni étal pour les pâtisseries de la fête ni feu de joie sur la place. Quant aux traditionnels pétards et feu d’artifice, ils étaient d’une sorte un peu particulière. Restaient les Sms et le téléphone pour souhaiter une bonne fête à tous les Elie de notre agenda.

Le tribut payé aujourd’hui par la population a été le plus lourd depuis le 12 juillet : plus de 70 morts. Le Hezbollah annonce pour sa part la mort de 7 (?) de ses miliciens alors que selon un premier bilan, il y aurait, environ 300 morts et plus de 1000 blessés côté civils libanais, un demi-million de déplacés, les hôpitaux sont paralysés et la pénurie de médicaments et de nourriture s’installe. « Alors que je m’adresse à vous, le massacre quotidien se poursuit. Le pays a été réduit en miettes », a déclaré le Premier ministre libanais Fouad Siniora aux diplomates accrédités au Liban qu’il avait convoqués au Grand Sérail, siège de son gouvernement. Dans cette même allocution, Siniora a critiqué les positions des Etats-Unis qui s’étaient pourtant « posés comme un des principaux défenseurs d’un Liban indépendant, libre et démocratique après le départ des forces syriennes du pays ».

 

Quant au bilan des 745 roquettes tirées par le Hezbollah sur le nord d’Israël il serait de 13 civils tués sans compter les blessés. Auxquels s’ajoutent 12 soldats dont les 4 marins qui étaient à bord de la corvette touchée par un missile du Hezbollah. Les 8 autres sont morts le jour de la capture des deux soldats.

 

Et tout laisse à croire que cela va durer. Israël annonce une « offensive sans limite » et le journal britannique, The Guardian, affirme que Washington aurait donné son feu vert à Tel Aviv pour continuer à frapper le Hezbollah pendant encore une semaine. Au bout de ce délai, les Etats-Unis pourraient éventuellement se joindre à l’appel de la communauté internationale pour un cessez- le-feu. Notre confrère, citant des sources diplomatiques, souligne que l’objectif est de « donner une claque à l’Iran et à la Syrie ».

 

En frappant le Liban ?

 

Répondre à cette question, c’est apporter un début d’explication à l’offensive israélienne. En capturant 2 soldats israéliens, le Hezbollah a donné à Israël l’occasion attendue depuis longtemps. En 2000, Israël a quitté le Liban sous les coups de butoir du Hezbollah – de la Résistance à l’occupant israélien selon la formule en usage au Liban. Depuis, le Hezbollah

n’a cessé de se renforcer et de monter en puissance, aidé et soutenu par la Syrie et l’Iran. Certains qualifiant le Hezbollah de « bras armé de l’Iran ». C’est ainsi qu’en donnant au Hezbollah les moyens de menacer Israël, Téhéran a bénéficié d’un formidable moyen de pression sur la communauté internationale dans ses négociations sur son nucléaire. En autorisant le transit de l’armement iranien destiné au Hezbollah sur son territoire et en faisant voter un texte par les Libanais aux ordres légalisant ce transfert d’armes, la Syrie s’assurait elle aussi un bras armé grâce auquel elle pourrait toujours peser sur la politique libanaise. Et on l’a bien vu lors des séances successives du « dialogue national ».

 

Le 2 septembre 2004, le Conseil de sécurité adopte la résolution 1559 qui stipule le retrait de toutes les forces étrangères du Liban, le désarmement du Hezbollah et le déploiement de l’armée libanaise sur les frontières avec Israël. Rafic Hariri, alors Premier ministre, décide d’appliquer cette résolution. Avec son refus de la prolongation frauduleuse du mandat d’Emile Lahoud, ce sera, sans aucun doute l’une des causes de son assassinat.

 

Nous nous posions la question hier de savoir pourquoi un fin stratège comme Hassan Nasrallah, connaissant la très forte réactivité israélienne, aurait fait enlever en territoire israélien 2 soldats. Mieux que personne il connaît le prix qu’Israël est prêt à mettre pour les ramener à la maison.

 Question classique mais incontournable : à qui profite… ? Téhéran y a vu le meilleur moyen d’enterrer pour un temps le dossier de son nucléaire. Damas qui voit approcher la fin de l’enquête sur l’assassinat de Rafic Hariri et la constitution du Tribunal international y a vu elle aussi un moyen sûr de faire oublier pour un temps « le Premier ministre martyr ».

 

Mais alors, dirions-nous, pourquoi ne pas frapper Damas et Téhéran chez eux, en Syrie, en Iran ?

 

Imaginez-vous un instant l’embrasement généralisé si tel avait été le cas ?

 

Les Israéliens, les Américains et les autres l’ont eux parfaitement imaginé. Alors, comme au temps de la guerre froide, on cure l’abcès de fixation régional. Le Liban se meurt et le monde assiste à la curée.

Que les positions du Hezbollah  soient bombardées et détruites c’est la règle, comme leurs quartiers, leurs camps d’entraînement, leurs centres de commandements et ceux des organisations palestiniennes inféodées

aux mêmes maîtres. Après avoir détruit ponts et routes, l’aviation israélienne bombarde les camions isolés ou en convoi craignant des transferts d’armes, via la Syrie.

Mais ont été bombardés aussi 2 laiteries industrielles dans la Bekaa, un élevage de poulets et une usine de verre et de vitres comme un grand centre de pièces de voitures et de très nombreuses usines… Ce n’étaient pas des dégâts collatéraux comme lorsque ce matin, le centre-ville de Zahlé a été touché par le tir mal ajusté d’un navire israélien. Enfin, est systématiquement bombardé tout ce qui peut ressembler à une rampe de lancement de fusées. Deux foreuses de puits artésiens ont été bombardées par l’aviation israélienne au cœur d’Achrafieh dans la rue Abdel- Wahab. Est-il possible qu’avec les moyens dont elle dispose l’armée israélienne n’ait pas vu que c’étaient des foreuses et dans quelle partie de Beyrouth elles se trouvaient ? Heureusement qu’il n’y a pas eu de victimes mais certainement quelques familles chrétiennes de plus à ajouter aux candidats à l’immigration.

 

Maroun Charbel                              

 Jeudi 20 juillet 2006, 3 h 56

 

Dans Présent du 22 juillet

 

La guerre faite au Liban

 

Des départs et un retour

 

De notre correspondant à Beyrouth.

 

Jeudi 20 juillet, 1 h 38.

 

En début de soirée, à l’heure où le soleil est un magnifique disque rouge qui s’enfonce loin dans l’horizon – les couchers du soleil au Liban sont d’une exceptionnelle beauté –, des bateaux se détachaient des quais du port de Beyrouth et de celui de Dbayé et semblaient vouloir suivre le soleil dans sa course. Le spectacle était magnifique. Figés, nous regardions sans le voir leur sillage. A bord, des Américains, des Anglais, des Français, des fonctionnaires de

l’ONU… Nous ne pensions pas revivre en si peu de temps – moins d’une génération – et dans les mêmes lieux une évacuation d’une telle ampleur. Quelques heures plus tôt, le patriarche maronite qui achevait une tournée pastorale aux Etats-Unis, arrivait à Beyrouth à bord d’un hélicoptère de l’armée américaine. Il a été reçu à sa descente d’avion par l’ambassadeur des Etats-Unis et le ministre libanais de la Justice, Charles Rizk.

 

C’est un soulagement indicible que de savoir le vénérable prélat à nouveau chez lui à Bkerké. Nous, les chrétiens, avons enfin l’impression que notre voix nous est rendue. Faible et forte comme Sfeir lui-même qui a trébuché en sortant de l’hélicoptère, mais qui, grâce à Dieu, n’est pas tombé.

 

Ces deux images sont bien celles que nous retiendrons de ce 20 juillet, alors que sur le terrain un calme relatif a régné pendant les quelques petites heures nécessaires aux opérations d’embarquement. Très rapidement, l’aviation israélienne et la marine ont repris leurs bombardements systématiques sur la banlieue-sud, fief du Hezbollah à Beyrouth, l’aéroport et Baalbeck. Plus tôt dans la journée le Hermel – nord du pays – a été abondamment bombardé ainsi que le sud où l’offensive terrestre israélienne aurait commencé. Il semblerait que neuf soldats israéliens se seraient perdus et l’intensité des bombardements servirait de couverture aux opérations de recherches. En tout cas, on entend bien que l’intensité des bombardements a repris, les avions passent et repassent.

La situation humanitaire est dramatique.

Les réfugiés sont partout, dans les jardins publics, les couvents, les écoles et leur sort est presque heureux quand on pense aux milliers de personnes bloquées du sud au nord du pays dans leurs villages coupés du monde avec leurs blessés et leurs malades, leurs bébés et leurs enfants qui ont faim et peur et leurs morts ensevelis sous les décombres de leurs maisons. Les médicaments d’urgence ou pour les maladies chroniques ou les cancers ne peuvent plus être livrés d’une part parce que les routes sont impraticables et les ponts détruits et de l’autre parce que Israël bombardant les camions il est de plus en plus difficile de trouver des volontaires pour les conduire – d’ailleurs les automobilistes les croisant passent très rapidement ou alors se laissent dépasser par plus téméraire qu’eux. Mais les médicaments, tous les médicaments, finiront par manquer très rapidement si le blocus se poursuivait encore quelques semaines. Ce qui semble bien devoir être le cas. Une lueur d’espoir semble se dessiner avec l’accord du Premier ministre israélien de créer un couloir humanitaire entre Chypre et le Liban. Pour seulement évacuer les ressortissants étrangers ou recevoir aussi l’aide humanitaire ?

 

Diplomatiquement, toutes les tentatives pour obtenir un cessez-le-feu imposé par l’ONU ont échoué face au refus américain, l’opération israélienne faisant « partie de la guerre contre le terrorisme (et) on ne négocie pas avec des terroristes ». Israël se pose la question « avec qui négocier ? ». Et sa réponse est claire : on ne négocie pas avec les terroristes. Et le gouvernement libanais est absolument paralysé. Comme son armée.

 

Comment l’armée libanaise pourra-t-elle faire face au Hezbollah avec son armement antédiluvien ? Comment envoyer une troupe très majoritairement chiite se battre contre ses frères du Hezbollah ? Les officiers – toujours moitié chrétiens et moitié musulmans – pourront-ils contenir leurs hommes et éviter l’éclatement de l’armée comme en 1983- 1984 ? C’est pour cela que tous les projets de résolution prévoient une force d’interposition dotée de tout l’arsenal – diplomatique et militaire – nécessaire à sa mission. C’est-à-dire à des années-lumière du mandat de l’actuel FINUL.

 

Pour l’instant et la Syrie et l’Iran continuent – chacune sur son registre – à défier en toute impudence la communauté internationale et l’ONU. Damas a refusé de recevoir la délégation de l’ONU conduite par Vijay Nambiar, conseiller du secrétaire général de l’ONU Kofi Annan, arguant de la présence du norvégien Terje Roed-Larsen, émissaire du

secrétaire général pour le dossier syro-libanais. Roed-Larsen est chargé de surveiller l’application de la résolution 1559 qui prévoit notamment le retrait de toutes les troupes étrangères du Liban, le désarmement des milices au Liban et le rétablissement de l’autorité du gouvernement libanais sur l’ensemble de son territoire. La délégation est rentrée à New York sans avoir pu rencontrer les responsables syriens. Kofi Annan a alors déclaré que si cette délégation devait retourner à Damas c’est à lui et à lui seul qu’il revenait d’en choisir les membres.

 

L’ambassadeur américain auprès l’ONU, John Bolton, a déclaré : « Je ne vois pas comment l’ONU peut jouer pleinement son rôle si un protagoniste important de conflit, la Syrie, n’est même pas intéressé discuter. C’est grave… Nous savons que cause première du présent conflit sont actes terroristes du Hezbollah soutenu par l’Iran et la Syrie, mais nous voyons maintenant plus clairement le rôle que la Syrie joué et continue à jouer pour enrayer les efforts en vue d’une solution. »

 

A Téhéran et dans un communiqué lu àtélévision d’Etat, l’Iran annonce que « la République islamique d’Iran, conformément plan établi pour produire du combustible nécessaire pour 20 000 mégawatts d’énergie nucléaire d’ici à 20 ans, a décidé la production d’une partie de son combustible nucléaire Iran même et essaie d’en produire le nécessaire… Si le chemin de la confrontation est choisi à la place de celui du dialogue, et cas d’action pour limiter le droit absolu peuple iranien, la République islamique d’Iran n’aura d’autre choix que de réviser ses politiques nucléaires ».

 

Si on ajoute de telles résolutions aux propos des Israéliens, qui s’installent dans la durée et massent plus de 6 000 hommes à frontière avec le Liban, et à ceux de Hassan Nasrallah déclarant solennellement sur chaîne Al-Jazirah que « même si l’univers tout entier faisait pression sur le Hezbollah cela ne ramènerait pas les soldats israéliens, à moins de négociations indirectes et d’un échange de prisonniers »… alors une seule certitude : le conflit sera long, douloureux meurtrier.

 

Nous reste alors la prière. Dans de nombreuses églises et paroisses le Saint-Sacrement est exposé à la dévotion des fidèles et nombreux curés de rites melkites – catholiques et orthodoxes – ont décidé d’avancer prière de la Paraklisis. Prière d’intercession par excellence, elle se récite en temps de guerre ou d’épidémie et du 1er au 15 août accompagnée d’un jeûne appelé carême de la Sainte Vierge. Aux très nombreux amis qui nous demandent quoi faire, je demanderai d’unir leur prière à la nôtre en disant : « O Mère Dieu, délivre tes serviteurs des dangers, car tous, nous nous réfugions, après Dieu, auprès de toi comme auprès d’un rempart inexpugnable et d’une alliée indéfectible. »

MAROUN CHARBEL

Jeudi 20 juillet, 3 h 57.

 

L’appel de Benoît XVI

 

Le pape Benoît XVI a appelé jeudi à une journée de prière dimanche pour un cessezle- feu immédiat au Proche-Orient dans un message soulignant que le pape « suit avec une grande préoccupation le sort de toutes les populations » du Proche-Orient et appelle à une « journée de prière et de pénitence » dimanche pour « un cessez-le-feu immédiat ».

Le Pape appuie aussi la demande de « couloirs humanitaires » pour venir en aide aux populations éprouvées. Comme il l’a déjà fait lors de l’Angélus dominical le 16 juillet sur son lieu de vacances du Val d’Aoste (Alpes italiennes), Benoît XVI

appelle à l’ouverture de négociations « raisonnables et responsables pour mettre fin aux situations objectives d’injustice dans la région ».

 

Il souligne que « les Libanais ont le droit au respect de l’intégrité et de la souveraineté de leur pavs. Les Israéliens ont le droit de vivre en paix dans leur Etat et les Palestiniens ont le droit d’avoir une patrie libre et souveraine ».

 

Il lance enfin un appel aux organisations humanitaires pour qu’elles viennent en aide « à toutes les populations frappées par

conflit impitoyable ». C’est la troisième fois en cinq jours que souverain pontife s’exprime sur le conflit Proche-Orient et ses développements au Liban. Mardi soir, au retour d’une promenade en montagne, il a déclaré à des journalistes

qu’il soutenait la proposition du G8 de Saint- Pétersbourg (Russie) d’envoi d’une force internationale afin d’aider à stabiliser le Liban-Sud.

 

Selon la presse italienne, le chef du gouvernement libanais Fouad Siniora a appelé mercredi le cardinal Angelo Sodano, secrétaire d’Etat du Vatican, pour que le Saint-Siège intervienne en faveur d’un cessez-le-feu. cardinal Sodano devait par ailleurs recevoir jeudi le chef de la majorité parlementaire libanaise, Saad Hariri.

 

Le communiqué de Jean-Marie Le Pen

 

«Même si Israël avait dû répondre à une provocation du Hezbollah (ce qui n’est pas le cas puisqu’il s’agit, au départ, de la capture, sur le territoire libanais, de deux soldats israéliens), le déluge de feu qui s’abat sur les populations civiles libanaises serait indubitablement illégitime. « Les tirs irresponsables de roquettes par le Hezbollah,  et le refus de libérer les deux soldats, ont conduit à une escalade dont le résultat est la destruction du Liban par une armée qui prétend vouloir anéantir son ennemi mais sème essentiellement la mort et la souffrance chez les innocents. « La communauté internationale, paralysée par le soutien inconditionnel des Etats-Unis à Israël, étale son impuissance face à la nouvelle tragédie libanaise.

L’absence de réaction de l’ONU au bombardementdu QG de la FINUL est significative de la démission générale. « On ne peut qu’être encore plus inquiet lorsque Jacques Chirac, se conduisant en petit télégraphiste de la Croix-Rouge, demande l’ouverture de corridors humanitaires, sans même dire à qui il fait cette demande, et que dans le même temps George Bush annonce l’envoi de troupes américaines. »

 

Dans Présent du 25 juillet 

 

Liban : installés dans la guerre

 

De notre correspondant à Beyrouth.

 

– Samedi 22 juillet, 13 h 15.

 

Sainte Marie Madeleine, l’égale des apôtres, comme le chante la liturgie de nos frères melkites. Notre pensée va évidemment vers notre chère abbaye du Barroux à la prière de laquelle nous confions le peuple chrétien du Liban.

La matinée semblait annoncer – selon quels critères ? – une journée calme après une nuit qui ne le fut évidemment pas. C’est peut-être le propre des situations de guerre de créer des rumeurs ou des assertions de cette sorte.

 

Réunis dans une maison amie, quelque part sur les hauteurs de Beyrouth, nous profitions dans la fraîcheur d’un moment d’amitié. Nous savions bien que ce calme n’était qu’une relative accalmie liée à ces bateaux accostés aux quais de Beyrouth et de Dbayé attendant leurs lots désormais quotidiens d’Américains, de Français, de Britanniques,… Bref !

de tous ceux qui souhaitaient partir.

 

N’empêche, nous n’écoutions plus le vrombissement des avions et étions certains de n’entendre que le chant des cigales, quand déchirent le ciel la première explosion puis la seconde.

La guerre est là et nous avions eu tort de vouloir l’occulter.

L’aviation israélienne venait de bombarder les relais de télévision de Fatqa, au-dessus de Jounieh, de Sannine au-dessus de Faraya et de Terbol au nord de Tripoli. Il y aura un mort, le chef de station de la LBC à Fatqa et des blessés dont 15 Français en session de formation dans un couvent à proximité. Ces relais de transmission étaient ceux des principales chaînes de télévisions locales comme la LBC, la FutureTV, Télé-Lumière, la télévision catholique ou encore sa station radio La Voix de la Charité et celle de Sawt Loubnane el-Hor (La Voix du Liban libre). Le relais de Terbol servait aussi à Al-Manar, la chaîne du Hezbollah. Aux mêmes endroits, se trouvaient, aussi, les centraux de la plupart des compagnies de téléphones portables ce qui a considérablement réduit nos moyens de communiquer avec le sud et la Bekaa où déjà le réseau de téléphone fixe est mis à mal par les bombardements. Après une

brève interruption, en crachouillant elles ont toutes très rapidement repris leur diffusion. Des communiqués diffusés à longueur d’antenne annoncent les modifications de longueur d’ondes tant pour les radios que pour les télévisions.

N’empêche que le sud et la région du Akkar dans l’extrême nord du pays sont coupés et ne reçoivent plus que par intermittence quelques images floues. Quant à les joindre par téléphone…

Il est évident qu’Israël se devait de faire taire les télévisions. Cette guerre du Hezbollah et d’Israël était une guerre en direct, donc source permanente d’informations. Nous assistions en direct – grâce à des correspondants dans le moindre des villages – aux bombardements, à l’exode, à la destruction, à la mort, à la recherche des victimes… Que d’images insoutenables qui hantent nos insomnies, priant Dieu de nous épargner.

Et pourtant nous n’avons pas le choix. Nous ne pouvons nous offrir ce luxe de temps de paix de bouder l’information et de nous tenir loin du tumulte du monde. A la cuisine, en voiture, au bureau, pour ceux qui y vont encore, dans les supermarchés et chez l’épicier du coin, l’information règne en maître et sauve parfois et rassure souvent. C’est ainsi que Sawt Loubnane el-Hor (La Voix du Liban libre), comme d’autres station radio d’ailleurs, a mis au point un système pour relier au reste du monde et du pays les villages isolés du sud et de la Bekaa. Un appel est lancé aux habitants de tels ou tels villages : « Y a-t-il un téléphone – portable ou fixe – qui fonctionne au village ? Si oui qu’il se fasse connaître à tel numéro. » Ayant réussi à localiser l’heureux propriétaire d’une ligne en état de marche, la chaîne lui demande alors de convier chez lui les gens du village à telle heure pour qu’ils puissent envoyer un message à leur famille ou lancer un avis de recherche. Et l’animateur d’annoncer aux auditeurs ce rendezvous avec les habitants du village. A l’heure dite, l’animateur appelle le numéro et les villageois se succéderont pour rassurer leurs familles, demander des médicaments, de la farine, pour dire que grâce à Dieu ils vont bien,.. A l’écoute, des mamans, des enfants, des épouses, l’oreille collée au poste goûtent la joie d’entendre la voix de l’être cher et dont le timbre leur dira bien plus de choses que les mots brefs. Et les messages s’égrainent, « Je suis Madame X je recherche mes enfants Jean, Georges et Joseph… », « Je suis Pierre X fils d’Antoine, je vais bien je suis actuellement à …»Et

c’est en les écoutant que nous prenons toute la mesure de ce Sud-Liban chrétien que l’on vous présente presque exclusivement chiite. Et jour après jour se pose, lancinante et urgente, la question de notre avenir – à nous chrétiens – dans ce Liban nouveau ou du moins ce « nouveau Moyen- Orient » annoncé par le Secrétaire d’Etat américain Condoleezza Rice.

 

Aujourd’hui nul ne pourra le dire avec certitude. En tout cas pas moi et pas cet après-midi. Le nez dans notre quotidien de survie nous n’avons qu’une angoisse notre sécurité de demain, d’après-demain quand la douleur, la mort et la haine chercheront un bouc émissaire. Aujourd’hui le pays entier affiche, très officiellement, une magnifique unité de façade qui n’empêche pas des divergences « d’appréciations ». Sur tous les médias, les victimes sont des « martyrs » et les institutions de toutes les communautés sont ouvertes aux déplacés de toutes les communautés. Cela n’a pas empêché des incidents qui, à Dieu ne plaise, seront peut-être un jour classés dans la rubrique « comment cela à commencé… ». Je n’en citerai que deux qui m’ont été reportés par des sources locales – vrais ? faux ? en tout cas fort plausibles vu le climat ambiant.

Dans une des agglomérations qui font de Beyrouth une mégapole qui s’étend vers Jounieh, des réfugiés chiites décident de faire flotter le drapeau jaune du Hezbollah sur le toit de l’école qui les accueille. Il faudra l’intervention de la police pour éviter et les incidents et le drapeau claquant au vent.

Dans un village du Metn chrétien, un réfugié chiite court dans les rues, agitant à bout de bras un immense drapeau frappé du poing du Hezbollah. Les villageois l’arrêtent, lui disent qu’il est chez lui chez eux mais sans son drapeau qu’ils

réduisent en miettes.

Par ailleurs, une institution chrétienne du sud du pays, au cœur de la zone bombardée, a ouvert ses portes aux déplacés des villages frontaliers. Chrétiens et musulmans se partagent les nattes et les mauvais matelas. A chaque explosion d’obus, c’est la bagarre parmi les musulmans, les uns accusant les autres de leur malheur. Chiites contre Sunnites ? Chiites entre eux ? Incidents isolés ou plus graves ? l’avenir seul nous le dira. Aujourd’hui

nous prenons acte et nous sommes attentifs. Toute la journée, les autorités religieuses et les instances supérieures des communautés se sont réunies, multipliant les gestes de solidarité et de soutien au gouvernement

 

Et toute la journée aussi, les bombardements continueront des deux côtés de la frontière comme se répondant et faisant monter (?) d’un cran la violence et la destruction. Le Hezbollah lançant ses roquettes jusqu’à 60 km au cœur du territoire israélien, la ville de Haïfa étant sans aucun doute la plus touchée, et l’aviation israélienne poursuivant ses bombardements

systématiques des positions et des fiefs du Hezbollah. Les Etats-Unis auraient accéléré, à la demande d’Israël, la livraison d’une commande, datant de 2005, de « bombes à guidage de précision ». Le Hezbollah disposant d’un important réseau d’installations souterraines, on constatera que certaines zones, comme la banlieue sud de Beyrouth, sont intensivement

bombardées à plusieurs reprises. Mais cette guerre, le Hezbollah l’attendait, cela veut dire qu’il s’y préparait depuis de longues années au point qu’il aura fallu des jours et des nuits de bombardements pour qu’Israël puisse amorcer les opérations terrestres.

 

En Israël, on n’hésite pas à comparer le Hezbollah au Vietcong. Au soir de ce samedi, nous apprendrons

que parmi les fonctionnaires de l’ONU évacués dans la journée se trouvaient les membres de la Commission d’enquête internationale sur l’assassinat de Rafic Hariri, qui ont assuré qu’ils continueront leur travail d’ailleurs. Loin du terrain ? Beaucoup ont alors tourné leurs yeux vers Damas et nous avons, là, la première réponse à nos pourquoi cette guerre.

Comme en écho, on découvre la déclaration du secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, pour qui la Syrie et l’Iran doivent être inclus dans la recherche d’une solution : « Que nous les apprécions ou non, nous devons impliquer ces deux gouvernements. »

 

Dimanche 23 juillet 2006. 2 h 30.

 

Toute la nuit dernière les bombardements ont repris au sud dans la zone frontalière, dans la banlieue-sud de Beyrouth et dans la Bekaa. Sur le terrain, les premiers combats entre Hezbollah et l’armée israélienne se sont poursuivis toute la journée de dimanche avant qu’Israël n’annonce la prise du village de Maroun Al-Ras, position stratégique sur la frontière. Le Hezbollah confirmera en soirée sa défaite. Ces combats n’empêcheront absolument pas le bombardement de Haïfa et d’autres villes israélienne de Galilée comme Nahariya, Maalot, Carmael, Kiriyat Chmonah, Tibériade et Safed.

 

A l’issue de la messe paroissiale de ce matin, la voix frêle et pas très juste d’une jeune femme, son bébé dans les bras, s’élève spontanément en un cantique de supplication à Notre-Dame.

Surprise, la foule qui commençait à quitter ses bancs, reste et joint sa voix forte pour demander la paix au Liban.

En voiture l’information reprend ses droits et le mot « cessez-le-feu » sera de tous les bulletins comme la préparation de la conférence internationale du 26 juillet prochain à Rome. Nous aurons d’abord la répétition jusqu’à plus soif des propos de la secrétaire d’Etat américaine, Condoleezza Rice, qui a affirmé et martelé qu’« un cessez-le-feu serait une fausse promesse s’il ne faisait que nous ramener au statu quo ante. Il permettrait aux terroristes de lancer des attaques à la date et du type de leur choix, et de menacer des innocents, arabes et israéliens, dans l’ensemble de la région ».

 

Puis nous aurons les propositions syriennes de médiations (?). Le viceministre des Affaires étrangères, Fayçal Moukdad, a annoncé que son pays était prêt à aider à résoudre la crise actuelle au Liban, à condition que Washington cherche aussi à résoudre les autres problèmes de la région, notamment celui des territoires occupés par Israël. Il a ainsi déclaré : « La position de la Syrie a toujours été que nous sommes prêts à avoir un dialogue avec les Etats-Unis. Les Etats-Unis, non seulement ne conduisent pas de dialogue avec la Syrie, mais empêchent les autres d’avoir des conversations et un dialogue avec la Syrie. »

 

La réponse des Etats-Unis fut lapidaire

: « Si les Syriens faisaient toutes les choses qu’ils savent déjà devoir faire, cela représenterait un grand pas en avant », a déclaré l’ambassadeur américain à l’ONU, John Bolton.

 

Concrètement, arrêter de soutenir le Hezbollah.

 

La position d’Israël est invariable depuis le début du conflit : on ne discute pas avec une organisation terroriste.

Et il ne peut y avoir aucun préalable avant la libération des deux soldats pris en otage par le Hezbollah. Il semblerait que le Hezbollah ait accepté de livrer les deux Israéliens au gouvernement libanais pour que ce dernier puisse conduire les négociations. Rien n’est moins sûr. A moins qu’Israël ne casse véritablement le Hezbollah, le gouvernement libanais n’aura jamais les moyens de se tenir aux résultats d’éventuelles négociations. Et puis, nous l’apprenons tout juste – Israël annonce avoir capturé deux miliciens du Hezbollah dans le village de Maroun Al-Ras et le commandant israélien de la région nord, le général Adam, annonce que l’opération israélienne au Liban va durer de très longues semaines. « L’objectif est de vaincre. Combien de temps cela prendra ? A mon avis, plusieurs semaines, a-t-il déclaré avant d’ajouter, la victoire signifie à mes yeux, que le Hezbollah ne soit plus présent sur la ligne de contact à proximité de la frontière israélo-libanaise et n’ait plus la capacité de tirer des roquettes. »

 

Plusieurs semaines ?

 

Alors à Rome, ou ailleurs, les diplomates auront tout le temps de discuter de la nature de l’éventuelle force d’interposition.

Casques bleus ? Forces de l’OTAN ?

Les Allemands et les Américains ont déjà annoncé qu’ils n’en feront pas partie. La préoccupation de l’Etat libanais aujourd’hui est d’abord de continuer à exister et de maintenir coûte que coûte une certaine cohésion des peuples du Liban et ensuite de trouver 100 000 matelas au plus vite. Nul n’a pu encore les fournir et les usines veulent bien travailler 24 h sur

24 pour les fabriquer mais ne pourront le faire faute de matières premières que l’on ne pourra pas importer pour cause de blocus.

MAROUN CHARBEL

 

Benoît XVI renouvelle son appel

 

 

 (…) jeudi dernier, face à l’aggravation de la situation au Moyen-Orient, j’ai proclamé ce dimanche journée spéciale de prière et de pénitence, invitant les pasteurs, les fidèles et tous les croyants à implorer de Dieu le don de la paix. Je renouvelle avec force l’appel aux parties impliquées dans le conflit, afin qu’elles cessent le feu immédiatement et permettent l’envoi d’aides humanitaires, et afin qu’avec le soutien de la communauté internationale, l’on recherche des voies pour ouvrir des négociations.

Je saisis cette occasion pour réaffirmer le droit des Libanais à l’intégrité et la souveraineté de leur pays, le droit des Israéliens à vivre en paix dans leur Etat et le droit des Palestiniens à avoir une patrie libre et souveraine. Je me sens par ailleurs particulièrement proche des populations civiles sans défense, injustement touchées dans un conflit dans lequel elles ne sont que

des victimes : aussi bien à celles de Galilée obligées de vivre dans des abris, qu’aux très nombreux Libanais qui, encore une fois, voient leur pays détruit et qui ont dû tout abandonner et chercher refuge ailleurs. J’élève à Dieu une prière remplie d’une douleur profonde, afin que l’aspiration à la paix de la très grande majorité des populations puisse se réaliser au plus vite, grâce à

l’engagement commun des responsables. Je renouvelle également mon appel à toutes les organisations caritatives, afin qu’elles fassent parvenir à ces populations l’expression concrète de la solidarité commune. (Angélus du 23

juillet 2006)

é

Assemblée plénière extraordinaire

des évêques maronites du Liban

 

Communiqué

 

 

1 - Absolument injustifiables et illogiques sont les douloureux événements que nous vivons au Liban depuis quelques jours, événements qui l’ont paralysé, après le bombardement de ses pistes d’atterrissage, de la plupart de sesponts et routes, de certaines centrales électriques, de ses services et de ses centres de communication. L’enlèvement de deux soldats, quoi qu’on puisse en penser, ne justifie pas qu’on démembre ainsi un pays tout entier, que l’on tue des centaines de personnes et qu’on affame la plus grande partie d’une population.

 

2 - La situation dramatique vécue par les Libanais, en particulier ceux qui ont été forcés à quitter leurs foyers et villages, impose à tous d’oublier les divergences politiques qui les séparent et de faire front commun. L’heure n’est pas aux règlements de comptes politiques, mais à la solidarité, à l’entente et au courage pour faire face autant que possible.

 

3 - Le bombardement délibéré et intensif des axes routiers a abouti à l’isolement de la plupart des villes et villages, en particulier au sud et dans la Bekaa. Il a empêché l’acheminement vers ces régions des aides alimentaires et pharmaceutiques.

De ce fait, les pères exhortent les organisations humanitaires, en particulier le CICR et la Croix-Rouge libanaise, à œuvrer à l’acheminement vers ces populations de nourriture, de médicaments et d’autres produits de première nécessité.

 

4 - L’assemblée exhorte tous les Libanais à accueillir dans l’amour et la solidarité leurs frères forcés par la guerre à abandonner leurs foyers et leurs villages, abstraction faite de leur appartenance communautaire. Le malheur doit nous unir et non nous séparer. Il doit nous placer face à nos responsabilités et aux conséquences de nos actes sans pour autant nous pousser aux

échanges d’accusations.

 

Rompre le cycle de la violence

 

5 - L’assemblée exhorte les membres du Conseil de sécurité de l’ONU à  mettre fin une fois pour toutes au cycle de la violence au Liban en adoptant sans délai une résolution demandant un cessez-le-feu immédiat, par égard pour les civils innocents, et en réglant la crise de façon radicale de sorte que justice entière soit faite à toutes les parties.

 

6 - L’assemblée appuie les efforts du gouvernement et du Premier ministre pour mettre fin à la tragédie libanaise et

poser les fondements d’un Etat juste et fort qui étende son autorité sur l’ensemble du territoire, qui en rassemble

tous les fils et préserve les composantes de la société libanaise.

7 - Les pères pressent les fidèles de répondre à l’appel lancé par le Saint-Père, le pape Benoît XVI, à une journée de prière et de pénitence dimanche pour implorer la paix. Il invite aussi tous les croyants, à quelque religion qu’ils appartiennent, à élever leurs cœurs vers Dieu, seul maître de l’histoire et juge des actions humaines, bonnes et mauvaises. C’est lui que nous implorons d’écourter ces jours d’épreuve et de répandre la paix dans les cœurs et le pays.

 

8 - Les pères remercient les chefs des Eglises sœurs, les conseils épiscopaux, évêques et évêchés dans le monde, qui se sont solidarisés avec le Liban, dans cette épreuve. Ils expriment leurs sincères condoléances aux familles des victimes, souhaitent prompt rétablissement aux blessés et demandent à Dieu de mettre fin à ce terrible malheur. »

 

 

Dans Présent du 26 juillet.

 

Face au jeu trouble des alliances

 

De notre correspondant à Beyrouth.

 

— Mardi 25 juillet 2006,

0 h 53.

 

 Beyrouth et sa région comme d’ailleurs la Bekaa auront bénéficié, tout au long de la journée de lundi et par la grâce de la visite surpise mais néanmoins annoncée de Condoleezza Rice, d’une trêve bienvenue.

 

 Le Hezbollah en a profité pour faire visiter, à un groupe de journalistes, son fief de la banlieue sud de Beyrouth quasiment détruit par l’aviation israélienne.

 

Au Sud-Liban, et des deux côtés de la frontière, les bombardements acharnés n’ont laissé quasiment aucun répit aux populations civiles.

Il était évident que pour nous, Beyrouthins, il était bien plus rassurant de faire ses courses alors que le Secrétaire d’Etat américain est chez le Premier ministre, Fouad Siniora, ou chez le président de la Chambre, Nabih Berry que lorsqu’un tel éminent personnage n’y est pas.

Il faisait très beau et chaud, de cette chaleur humide propre à la fin juillet. Pour la première fois depuis le 12 juillet, je me suis pris à regarder à nouveau les voitures que nous croisions.

Elles étaient comme aux couleurs de la guerre. Si certains avaient oublié d’enlever les fanions aux couleurs de leur champion du Mondial de football, d’autres, beaucoup d’autres, arboraient sur les mêmes petites hampes, ou accrochés au bout de cintres de pressing tordus, des chiffons blancs qui furent des chemises ou des draps. Les ambulances aussi étaient aux couleurs de la guerre avec de très grands drapeaux frappés de la Croix-Rouge qui sont sensés leur assurer protection et sécurité. Sur les trottoirs, les poubelles municipales débordent. Les éboueurs,

Syriens pour la très grande majorité d’entre eux, ont fui dès les premières heures du conflit. Les étals des marchands de meubles de jardin, dont c’est la pleine saison, se sont transformés

en marchands de matelas en latex.

Mais il faut pouvoir les acheter.

La pénurie de matière première nécessaire à leur fabrication en fait une marchandise rare et précieuse.

Les écoles, les institutions et les monastères ont très largement ouvert leurs portes à la demande des patriarches de toutes les communautés chrétiennes. Près de 15 jours après le début du conflit, avec en plus la certitude que cela sera un conflit long et douloureux, les premiers appels à l’aide se font entendre. Ces institutions ont dans un premier temps besoin d’argent. L’on trouve encore au Liban – dont les réserves sont évaluées à 3 mois – de quoi nourrir et vêtir l’ensemble des réfugiés. Mais il faut les acheter. Aux portes de l’automne, ils auront alors besoin de tout.

En voiture, les bulletins d’informations succèdent aux flashs qui interrompent les messages personnels. Le sud continue à être pilonné, après Maroun Al-Rass, c’est Bint-Jbeil, la

capitale du Hezbollah comme l’ont surnommée les Israéliens, qui est prise d’assaut. A l’heure où je vous écris, les pertes sont importantes chez les deux parties, mais la ville n’est pas encore tombée. On évoque à longueur d’antenne l’arrivée de Rice. Ce que Rice va proposer. Ce que Rice va exiger. Et puis ce que Rice a dit à Siniora. Ce qu’elle a exigé de Berri. Mais toute la journée un mot revient sans cesse : la Syrie. A tous les temps et à tous les modes, et de moins en moins

au conditionnel, on évoque son retour sur la scène politique libanaise.

Aujourd’hui, nous avons un front régional et qui semble indestructible, qui est celui que forment l’Iran et la Syrie avec le Hezbollah au Liban et le Hamas dans les Territoires occupés.

De très nombreux pays arabes estiment qu’il serait bon de « désiraniser » la Syrie pour peu à

peu lui faire retrouver sa place dans le concert des nations et rompre son isolement qui est total depuis l’assassinat de Rafic Hariri et le vote de la résolution 1559 par le Conseil de sécurité.

Ces mêmes capitales, et avec elles Washington, estiment que la Syrie est la mieux placée pour faire pression sur le Hezbollah. A quel prix Damas va accepter de rompre une très vieille et très solide alliance avec Téhéran ? La presse officieuse syrienne estime que le Hezbollah

n’est pas entièrement inféodé à la Syrie et que, mouvement libanais, il réagit à des facteurs proprement libanais (!). En tout cas, hormis quelques très rares déclarations de circonstance, la Syrie semble vouloir faire preuve de beaucoup de retenue en se donnant l’image d’un partenaire

obligé et surtout de poids. Les Américains semblent avoir chargé et les Italiens et les Allemands de faire les premiers pas. Les Israéliens, enfin, la ménagent encore. Par ailleurs, Israël semble non piétiner mais hésiter. En 1982, Ariel Sharon annonçait envoyer ses troupes pour 48 h au Liban, elles y seront restées 22 ans avant d’en partir chassées par la guérilla du Hezbollah promu depuis Mouvement de la résistance libanaise. De plus en plus de sources concordantes estiment qu’Israël

« a l’aval des Américains pour continuer les opérations contre le Hezbollah au moins jusqu’à dimanche prochain ». Israël, nous l’avons vu hier, annonce un conflit de plusieurs semaines. Tout le monde semble heureux de voir le Hezbollah cassé, y compris de très nombreux pays arabes et y compris la très vaste communauté des pays de la Conférence islamique. Très divisés, ces derniers n’ont pas jugé bon de convoquer un sommet pour discuter de la crise alors que Hassan Nasrallah avait annoncé au début du conflit que sa guerre était celle de la nation musulmane

et que sa victoire serait celle de toute la nation.

 

Mais une question demeure : jusqu’à quand Israël pourra supporter d’avoir 2 millions d’individus dans les abris et continuer de recevoir son lot quotidien de roquettes – 1 100 depuis le 12 juillet ? Et une autre se fait de plus en plus lancinante : avec qui Israël signera son cessez-le-feu ? Et si le

Hezbollah, ayant prouvé sa capacité d’organisation, de résistance face à l’agression…, devenait brusquement un partenaire ?

A moins de détruire complètement le parti et son organisation, de déployer une force internationale aux moyens et au mandat à la hauteur de l’enjeu tout au long de la frontière sud mais aussi de la frontière avec la Syrie pour empêcher son réarmement, le Hezbollah sera obligatoirement un partenaire. Son jeu subtil d’alliance avec Sleiman Frangié, le général Aoun et quelques ténors de la communauté sunnite peut lui donner les moyens de gouverner, pardon, de

dominer la scène politique libanaise.

 

En attendant, heure après heure, c’est un pays entier qui est méthodiquement détruit avec près du cinquième de sa population qui erre sur les routes et qui n’espère déjà plus rien de cette conférence internationale qui s’ouvre à Rome. Certains présidents de municipalités ayant décidé d’éteindre les stations relais de télécommunications sur le territoire de leur commune pour éviter leur bombardement, j’espère pouvoir vous dire à demain…

 

                                                                                                                              MAROUN CHARBEL

                                                                                                        Mardi 25 juillet, 3 h 22

 

Dans Présent du 27 juillet.

 

Liban : vous avez dit cessez-le-feu ?

 

De notre correspondant à Beyrouth

 

– Mardi 25 juillet 2006,

8 h 50.

J’ai pu vous sembler bien pessimiste hier. Ecoutant à longueur d’antenne les communiqués des ambassades appelant leurs ressortissants au départ… Suivant jusqu’à plus soif le sillage des bateaux quittant le port… Ecoutant le téléphone sonner dans le vide chez plus d’un ami… Nous mesurons, heure après heure, l’abîme au bord duquel nous nous trouvons. « Nous avons vécu beaucoup d’épreuves, mais celle-ci est la plus grave », a déclaré le patriarche maronite.

Mais l’urgence ne laisse la place à aucun état d’âme et heureusement.

 

Notre tragique réalité est là et nous avons envie de hurler quand nous entendons les responsables du Hezbollah dire : « La vérité est que nous ne nous attendions même pas qu’Israël exploite cette opération pour cette grande guerre contre nous. Le Hezbollah escomptait la réponse habituelle, limitée. »

A les croire, ils auraient oublié leur propre expérience avec Israël et occulté dans leurs esprits ce qui se passe à Gaza à la suite de l’enlèvement d’un soldat.

 

Mercredi 26 juillet, 4 h 30.

 

 A Gaza, où l’offensive israélienne continue – et il faut prendre garde de l’oublier et ne plus suivre ce qui s’y passe comme d’ailleurs en Irak –, environ 50 chars sont entrés au cours de la nuit de mardi à mercredi dans le nord du Territoire alors que l’aviation continuait ses raids visant

les domiciles de responsables du Hamas et du Djihad islamique. L’ancien Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, aujourd’hui chef du Likoud dans l’opposition, a affirmé de son côté que le conflit en cours – à Gaza comme au Liban – a été déclenché par l’Iran, par le biais de « ses forces auxiliaires, le Hezbollah et le Hamas ». Il a notamment déclaré : « Le monde a pu voir comment l’Iran a testé ses armes. Il a, dans un premier temps, actionné le Hamas avec des tirs de roquettes artisanales Qassam, puis le Hezbollah avec des tirs de roquettes et de missiles sur les villes d’Israël. »

 

Alors que ceux qui ont encore des illusions portent tous leurs espoirs vers Rome où la conférence sur le Liban commence ses travaux aujourd’hui mercredi, nous sommes, sur le terrain comme dans les plans des belligérants, loin très loin des conditions d’un éventuel cessez-lefeu.

Du temps des autres guerres du Liban, les dépêches d’agences et les manchettes des journaux titraient souvent sur des cessez-le-feu « mort-nés ». Là, il n’a même pas été conçu. Et le mot qui revient le plus souvent est celui de « guerre ». Les Israéliens parlent « de guerre de vie ou de mort » « c’est eux ou nous », a déclaré le vice-Premier ministre Shimon Pérès –, les Saoudiens

craignent une « guerre régionale » si une solution n’est pas très rapidement trouvée. Les Iraniens,

eux, estiment que nous nous dirigeons vers une « guerre d’usure ».

 

Sur le terrain, et des deux côtés de la frontière, c’est tout simplement la guerre. L’aviation israélienne a repris ses raids sur les quartiers chiites de la banlieue sud et les combats ont fait rage toute la nuit autour de la ville de Bint-Jbeil, à la frontière israélo-libanaise. Israël annonçait, aux premières heures de mercredi, dominer la situation et contrôler ses faubourgs. Cette grosse

bourgade du Sud-Liban surnommée « capitale du Hezbollah » est aussi, ou d’abord, une ville chrétienne dont les habitants sont pris au piège d’une guerre qui n’est pas la leur.

 

Le jour se lève sur Beyrouth.

 

Dans notre quartier, ce matin, nous avons de l’électricité – celle de l’Etat ! – mais pas de connexion internet. Sur les ondes, les radios égrènent la liste des raids de la nuit, lancent les premiers appels à l’aide et messages personnels de la journée et décortiquent toutes les petites

phrases autour de la conférence de Rome et la tournée de Condoleezza

Rice dans la région.

 

Selon le ministre libanais de l’Information, le Druze Ghazi Aridi, « les conditions exigées par Rice pour un cessez-le-feu sont difficiles à remplir et la guerre va durer.».

De source proche du président de la Chambre, le Chiite Nabih Berry, on affirme que « Mme Rice a posé comme préalable à un cessez-le-feu un retrait du Hezbollah au nord du Litani, à une vingtaine de kilomètres de la frontière, et le déploiement d’une force internationale dans cette

zone, ce qui faciliterait, selon elle, le retour des déplacés. Mais la secrétaire d’Etat américaine a refusé de discuter d’un échange de prisonniers entre le Liban et Israël ».

Ce qui a fait dire à Berry, par ailleurs chef du mouvement Amal dont les hommes se battent aux côtés du Hezbollah, « les conditions américaines sont dangereuses pour l’unité des Libanais ».

 

Côté israélien, le ministre des Affaires étrangères, Tzipi Livni, a refusé tout cessez-le-feu parce qu’il « permettrait à la Syrie et à l’Iran de réarmer le Hezbollah, et à Hassan Nasrallah de déplacer ses lance- roquettes et de rependre les violences… Le réseau de tunnels, de bunkers, de caches d’armes dans les maisons, les mosquées, les écoles et les hôpitaux doit être détruit ».

 

Les conditions israéliennes pour un cessez-le-feu restent donc inchangées

: « Démantèlement complet de l’appareil militaire du Hezbollah le long de la frontière : interruption totale des livraisons de missiles au parti de Dieu ; retrait de ce dernier au nord de la rivière Litani – soit à une vingtaine de kilomètres de la frontière – et soutien à un déploiement

de l’armée libanaise au sud. » Ce qui correspond aux termes de la résolution 1 559 du

Conseil de sécurité de l’ONU.

 

A quoi servira donc la réunion de Rome alors ?

 

Livni en attend « un plan économique pour le Liban, un programme d’aide et peut-être, avant tout, des signes que la situation a changé, que le monde n’accepte plus un gouvernement libanais faible, pris en otage par un Hezbollah armé de missiles ».

 

Les pays arabes invités et l’Italie comme la France comptent faire pression pour l’adoption d’un cessez- le-feu immédiat, tandis que Condoleezza Rice, pourtant à l’initiative de ce sommet de Rome, a bien expliqué qu’elle « ne cherchait pas d’accord rapide ».

 

A Rome, où le Premier ministre libanais Fouad Siniora a choisi de se rendre accompagné d’un ministre de chaque communauté, on discutera d’abord de l’avenir du Liban, de son existence et de ce qui semble être un préalable à toute amorce de cessez-le-feu, de la formation et du déploiement d’une force multinationale qui ne sera pas chargée, comme la FINUL, « d’envoyer simplement des rapports à l’ONU », comme l’ont souligné les Israéliens. Ce sont

les noms de la France et de la Turquie qui reviennent le plus souvent pour le commandement de cette force qui devra exécuter son mandat les armes à la main. La Turquie

pour éviter – toujours de sources israéliennes – que l’on parle à nouveau comme en Irak de « croisade chrétienne » et la France parce qu’elle a les moyens et l’expérience d’une telle mission. Nous nous souviendrons que la dernière mission de ce type pour la France au Liban s’est achevée dans le sang des paras assassinés dans l’attentat de leur QG le Drakkar en 1983 à Beyrouth.

Attentat dont le Hezbollah – ou en tout cas ceux qui seront le Hezbollah – porte la paternité.

 

                                                                                                                            MAROUN CHARBEL

                                                                                                      Mercredi 26 juillet, 7 h 12.

 A suivre…