Les Nouvelles
de
Chrétienté
n°59
Le 3 août 2006
Les
nouvelles du Liban
Nous poursuivons notre
lecture du Journal « Présent » sur cette terrible guerre que l’on
fait au Liban
Dans Présent du 29 juillet.
Liban : mobilisations
De notre correspondant à Beyrouth –
Vendredi 28 juillet, 0 h 46.
Après une journée étrange où nous semblions
tous encore sonnés par la découverte de notre évidente solitude et
de l’isolement de notre gouvernement que ceux des «
pays amis » semblaient pourtant si fort soutenir, le soir de ce jeudi est venu
nous apporter l’annonce de mobilisations qui ne sont pas celles que dans notre
illusoire naïveté nous espérions.
« A Rome, nous avons obtenu l’autorisation pour
continuer nos opérations jusqu’à ce que le Hezbollah ne soit plus présent dans
le sud du Liban et soit désarmé », a
affirmé le ministre israélien de
Alors que la
mobilisation des réservistes était décidée par le gouvernement
israélien. Selon le chef d’étatmajor, Dan Haloutz, trois divisions devraient
être appelées – soit environ 18 000 hommes – pour faire face à la
situation à Gaza et au Liban d’où le Hezbollah a tiré plus de 1 400
roquettes sur le nord d’Israël.
Le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a
d’ailleurs annoncé que ces tirs continueront et viseront bien plus loin
que Haïfa et qu’ils porteront la guerre jusqu’au sud d’Israël.
Les Israéliens selon un sondage d’opinion – que pour une fois nous
pouvons estimer fiable – font nettement plus confiance à Nasrallah
qu’à leurs dirigeants.
D’une part, il faut avoir écouté ne serait-ce
qu’une fois cet homme au timbre de voix parfaitement posé et si
rompu aux règles de la prise de parole en public
pour comprendre l’engouement du public.
De l’autre, depuis le début du conflit, il a toujours
dit ce qu’il allait faire et a fait ce qu’il avait dit.
A Damas, il y a la mobilisation des alliés du
Hezbollah – alliés ? parrains ? commanditaires ? aujourd’hui la presse locale
hésitait sur les termes à employer. Il semblerait, selon des sources, pour l’instant
non vérifiées mais pourtant fiables, qu’un sommet devrait réunir dans la
capitale syrienne Ali Larijani, secrétaire du Conseil suprême de la sécurité
nationale iranien, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah et le
président syrien Bachar el Assad. L’information est donnée d’une part par
l’agence de presse iranienne Mehr qui annonce le déplacement de Larijani et par
le journal koweitien Al-Siyassah. Si ce média est connu par sa farouche
opposition au régime syrien, il est aussi réputé pour ses informations
exclusives. Selon les Koweitiens, Nasrallah se serait rendu à Damas à bord
d’une voiture banalisée et blindée des services de renseignements (lesquels ?),
habillé en civil. Est-ce pour cela, que cette nuit, l’aviation israélienne intensifie
ses raids dans
Et enfin il y a la mobilisation d’Al Qaïda annoncée
par son numéro deux, Ayman al-Zawahri, dans un message diffusé par la chaîne
satellitaire panarabe Al-Jazira, canal habituel des hommes de Ben Laden : «
Nous ne pouvons pas regarder ces roquettes pleuvoir sur nos frères
à Gaza et au Liban et rester inactifs et soumis (…). Les roquettes et
les missiles déchirant les corps des musulmans à Gaza et au Liban ne
sont pas purement israéliens. Ils sont financés par tous les pays de
l’alliance des croisés. Ainsi, quiconque a pris part au crime doit en
payer le prix (...). La guerre avec Israël n’est pas basée sur un accord
ou un conflit frontalier (...). C’est le djihad au nom d’Allah, pour
libérer tous les Palestiniens de l’occupation et pour chasser les
croisés de toutes les maisons de l’Islam. Le monde entier est notre terrain
de bataille. Comme ils nous attaquent partout, on les attaquera aussi
partout. » Et il ajoute : « La guerre contre Israël ne dépend pas
de cessez-le-feu (...). C’est une guerre sainte pour l’amour de Dieu, et
elle durera jusqu’à ce que notre religion l’emporte... de l’Andalousie
à l’Irak. »
Longue citation de ce communiqué. En fait simplement
proportionnelle à la place que lui ont donnée les médias locaux qui l’ont
répété jusqu’à plus soif. Outre la menace réelle que cela représente, on
relèvera que le Hezbollah n’est pas nommé mais que le texte appelle à l’union
de tous les musulmans alors que, quelques communiqués plus tôt, il fustigeait
et attaquait les chiites en Irak.
Au 16e jour de cette guerre sans merci que se livrent
Israël et le Hezbollah, le Liban compte ses morts : 600 civils dont environ 200
seraient encore sous les décombres des immeubles. Ces morts ne semblent pas pour
l’instant ébranler l’attachement des chiites au Hezbollah et surtout leur
fidélité indéfectible à son chef Hassan Nasrallah – au point que le Mouvement
Amal de Nabih Berry, président de
Il ne faut pas oublier, que, comme le Hamas en Terre
sainte et à Gaza, le Hezbollah fait parti du paysage social libanais où il
s’est parfaitement intégré en palliant l’absence d’Etat des années de plombs
et, ce, dans tous les domaines. Son infrastructure parallèle à celle de l’Etat
– y compris dans ses charges régaliennes – tient tout le pays chiite et menace
le reste et nous fait dire que notre chemin sera encore long et douloureux avec
lui.
MAROUN
CHARBEL
Vendredi 28 juillet 2006, 2 h 55
Présent du mardi 1 août
La guerre faite au Liban : l’avant et l’après-Cana
De notre correspondant à Beyrouth
– Lundi 31 juillet, 1 h 33.
A en croire Adam Ereli, porte-parole du Secrétaire
d’Etat américain, Condoleezza Rice en visite à Jérusalem,
Israël « aurait accepté de suspendre pendant 48
heures ses raids aériens sur le sud du Liban. (…) Les Etats-Unis se félicitent
de cette décision et espèrent qu’elle contribuera à soulager les souffrances
des enfants et des familles du sud du Liban. (…) Nous espérons qu’Israël
appliquera ces décisions afin d’accélérer et d’améliorer de façon significative
le flux de l’aide humanitaire. »
Mais Ereli précise qu’Israël « se réserve le droit
d’attaquer des objectifs s’il était informé que des attaques du Hezbollah sont
en préparation contre des cibles israéliennes ».
Cette annonce reprise par la plupart des
chaînes d’information malgré l’heure tardive n’était pas
confirmée par le service de
presse de l’armée israélienne qui « disait ne pas
être au courant d’une telle suspension des raids ».
Les responsables israéliens n’ont pu être joints par
les correspondants à Jérusalem.
Nous, nous
posons la question toute simple : « Quand commencent les 48 heures ? » Question
de savoir ! C’est que, depuis le début de la soirée, les avions passent et
repassent avec une intensité inégalée depuis le début du conflit et qu’à l’est
de Baalbek une tentative de débarquement de troupes héliportées semble avoir
été déjouée par un tir de barrage de
Quand et où ? Une suspension des hostilités qui
concernerait seulement le Sud-Liban et qui permettrait l’évacuation
des blessés et des villageois pris au piège de la
guerre comme les plus de 60 morts civils dont près de 40 enfants
tués par un raid israélien dans leur abri à Cana ?
Vendredi dernier, date de mon dernier courrier, nous
étions installés dans la routine de la guerre. Aux jeunes générations qui n’ont
jamais connu la guerre, les abris, les soucis de ravitaillement, la peur et
l’angoisse, l’inconnu du lendemain et
l’avenir qui se résume à la minute présente, je
voudrais dire que la guerre aussi a sa routine, ses habitudes quotidiennes.
Sans fatalisme aucun mais avec une volonté de vivre notre quotidien comme Dieu
permet qu’il nous soit donné. Nous
semblons installés dans une guerre longue, une guerre
d’usure qui pourrait atteindre n’importe qui n’importe où. Mon voisin, qui
s’était amusé au début de la belle saison à installer dans son jardin une
immense tente qu’il avait recouverte
d’un filet militaire de camouflage, s’est empressé de
retirer le filet samedi matin. Comprenant enfin qu’il ne jouait plus à la
guerre et à se faire peur en treillis devant ses jeux vidéo et que la guerre,
il la vivait et la subissait.
Samedi soir, 18 h 30.
Comme une traînée de poudre, la nouvelle d’un prochain
discours du secrétaire général du Hezbollah se répand et
nous voilà tous rivés à nos écrans ou à nos postes
radios. 18 h 50. Silence dans les rues ! Nasrallah parle et le pays entier est
à l’écoute comme en Israël aussi d’ailleurs.
C’est absolument impressionnant combien cet homme
réussit à subjuguer son auditoire. Tout y est. Avec un art consommé du
discours, il trouvera les mots et les accents qu’il faut pour s’adresser à ses
troupes « à la modestie des épis de
blé » et
dont « il baisera les pieds enracinés dans leur terre » comme pour
s’adresser à tous les Libanais. « Il ne faut pas avoir peur de notre
victoire, elle sera pour tous les Libanais, de toutes les confessions, dans
toutes les régions, de toutes
les mouvances, pour tous, les musulmans et les chrétiens,
et pour tous les Arabes, qui sont à nos côtés contre l’agression. (…) Personne
ne doit avoir peur d’une victoire de la résistance, mais plutôt avoir peur de
sa défaite. (…) Nous avons une occasion historique au Liban de libérer chaque
pouce de notre terre, de récupérer nos prisonniers et de garantir notre
souveraineté nationale afin que notre ciel, notre eau, notre terre et notre
peuple ne soient plus soumis à la violation et
l’agression sioniste. »
Menaçant Israël, il a annoncé qu’il passait à la phase
« de l’au-delà de Haïfa », en clair que désormais les fusées du
Hezbollah allaient toucher des villes du sud d’Israël
toujours plus loin à l’intérieur du pays. Dimanche ce ne seront pas moins de
144 roquettes qui s’abattront sur le nord du pays.
Plus tôt dans la journée de samedi, le Hezbollah avait
fait annoncer par l’entremise du président de
Croire Hassan Nassrallah ? pour l’instant
certainement. A l’heure où se pose, en particulier chez les sunnites, la
question de la « libanité » du Hezbollah, de son allégeance au Liban ou au
parti de l’étranger (Syrie et Iran), rien de tel pour se faire
une « libanité » sans faille. Le plan Siniora prônant,
entre autres, le désarmement du Hezbollah et le déploiement de l’armée
libanaise au sud en application de la résolution 1559, toutes choses que
Nasrallah avait toujours refusées. Et le Hezbollah a besoin de cette « union
nationale ». Attaquant Israël comme chiite, la riposte « libanaise » d’Israël, frappant
tous le pays est, croit-il, la meilleure sauvegarde de sa pérennité sur la
scène politique libanaise.
« Le Hezbollah a tout intérêt dans les circonstances
actuelles à renforcer la position de négociation du gouvernement, tout en
poursuivant son combat sur le terrain », souligne les observateurs de la chose politique libanaise.
Nous sommes, pour notre part, sans illusion
quant « à cette fraternité des abris ». Mais pour l’heure, le
gouvernement,
comme tout le pays et chacun d’entre nous, fait face à
une agression militaire sans précédent, à des bombardements qui labourent – au sens
propre du terme – tout le territoire national – ou presque – détruisant systématiquement
toute l’infrastructure si péniblement reconstituée après les autres guerres et souvent
tout juste inaugurée.
Derrière ces destructions, il y a des hommes, des
femmes, des enfants. Qui ont peur, qui ont faim, qui hurlent et qui meurent.
Comme à l’aube de ce dimanche lorsque l’aviation israélienne bombarde la ville de Cana, à l’est de Tyr. Un immeuble est
touché, par deux fois. Dans son abri des villageois avaient trouvé refuge pour
la plupart des familles, des vieillards, des femmes et beaucoup d’enfants. On y
avait mis « à l’abri » de jeunes handicapés mentaux ou physiques. Par la «
grâce » des télévisions, ceux d’entre vous qui « ne se sont pas délivrés
des chaînes » ont pu voir en direct la recherche des corps et celle des
très rares rescapés. Vision terrible de ces jeunes corps disloqués, de ces
enfants morts dans leur sommeil dans les bras de leurs mères mortes qui les
serraient fort, pensant faire de leurs corps un abri plus sûr que les murs. Mais,
mon Dieu ! dix ans tout juste après le précédent bombardement de Cana en mai
1996 lors de l’opération israélienne de l’époque, « Raisins de la colère »,
on ne peut s’empêcher de se poser des questions face à une telle bavure de
l’armée israélienne. Aujourd’hui il y a Cana-2 comme disent les confrères des
chaînes locales. En 1996 Cana-1 – 105 morts – avait obligé Israël à interrompre
« Raisins de
Cana et cette trêve de 48 heures annoncée cette nuit
en marque les prémices. Mais il ne faut pas oublier ce qu’Ehud Olmert déclarait
en début de soirée : « En dépit de cet incident pénible, je ne
demanderai pas aux forces de défense de stopper le feu ou de
modifier leurs opérations. Nous continuerons à agir sans hésitation contre
le Hezbollah. Nous ne
cesserons pas cette opération. »
Simultanément, le Hezbollah et le Hamas ont appelé à
des représailles. Les militaires israéliens ont annoncé
qu’après avoir lancé des tracts prévenant la
population civile et lui demandant d’évacuer les zones qui seront bombardées
dans l’heure ou les heures qui suivent, ils considèrent toute personne présente
sur la zone comme un milicien du Hezbollah. Le porte-parole de Tsahal a déclaré
: « A Cana, nous avons attaqué des sites d’où sont tirées des roquettes
vers Nahariya et vers l’ouest de
comme de savoir s’il y avait des armes et des
munitions entreposées dans le bâtiment. On ne le saura jamais. Et au vu de
l’information dont nous disposons aujourd’hui – en aurons-nous plus dans quelques
jours ou quelques mois ? – nous sommes bien incapables de répondre.
Reste la vision terrible de ces corps que l’on cherche
et que l’on tire des gravats à Cana et ailleurs au Liban.
Devons-nous faire le lien avec ce qui se passe dans
d’autres villages de la bande frontalière ? Selon certaines sources et en
particulier le correspondant de l’AFP sur place, les habitants de ces villages
commencent à organiser des patrouilles pour empêcher les miliciens du Hezbollah
de venir poser leurs rampes de lancement et de tirer leurs roquettes avant de
s’enfuir et d’échapper à la réponse de l’aviation israélienne. Les villageois,
eux, n’ont souvent même pas le temps de comprendre ce qui leur arrive. « Je
n’ai secouru pour le moment que des civils et pas de combattants. La
souffrance des survivants est terrible et me retourne plus encore que
la vision des cadavres », déclare un secouriste de
commencent à s’organiser. Premières fissures à la «
fraternité des abris » ?
On le saura très vite. Les avions sont toujours là qui
passent et repassent.
L’aube va bientôt se lever sur Beyrouth. Et nous
rendrons grâce à Dieu pour ce jour nouveau qu’il nous ait donné de voir. Il
faudra penser à vérifier l’essence, le niveau d’eau des réservoirs de la maison
et remplacer ce qui a été consommé en matière d’alimentation et de médicaments.
Le Liban n’est plus relié au monde que par la route du nord. Le poste frontière
du Masna’, à l’est du pays, a été bombardé samedi soir
et dimanche, fermant ce qui restait de la route internationale
Beyrouth-Damas.
MAROUN CHARBEL
lundi 31 juillet 2006, 4 h 33
Présent
du 2 août
Introniser l’Iran ?
Le drame de Cana risque de « coûter cher » à Israël en
termesd’image et de soutiens politiques, éstime lundi la presse russe,
condamnant les frappes israéliennes contre la ville libanaise qui ont fait
plusieurs dizaines de morts
parmi les civils.
Les frappes contre Cana « pourraient coûter cher aux
Israéliens », titre à la une le quotidien des affaires Kommersant. « Si
le nombre d’enfants tués est dix fois supérieur à celui des hommes armés de
fusils automatiques et de lance-grenades,
-on dire que
c’est une guerre contre le terrorisme ? » s’interroge le journal. « L’aviation
israélienne a rayé tous les espoirs d’une fin rapide de la guerre au Liban »,
souligne pour sa part le quotidien Izvestia. Les enfants tués à Cana, «
étaient-ils
membres du Hezbollah ? » s’interroge Izvestia avec
amertume. « Les événements de dimanche à Cana vont causer un dommage
irréparable à l’image « antiterroriste de l’armée israélienne », relève de son
côté le quotidien Gazeta.
La presse allemande de lundi est globalement très
sévère pour Israël après le bombardement qui a fait plus de 50 victimes civiles
dimanche à Cana, et souligne que l’Etat hébreu devra payer un prix politique
pour ce drame.
Même le quotidien populaire Bild traditionnellement
indéfectible soutien d’Israël, estime que « face à de nombreuses
morts violentes », le bilan du carnage de Cana semble « une
addition incompréhensible et cynique ». « C’est exactement ce que
veulent les terroristes. Ils espèrent que les larmes rendent aveugles,
et n’en versent eux-mêmes pas une seule », observe toutefois le journal,
qui souligne que le Hezbollah porte une part de responsabilité dans
ce drame, dans la mesure où il
s’abrite au sein de la population civile. « C’est
comme si on envoyait au front les mères et les enfants », relève
l’éditorialiste de Bild.
De son côté le Financial Times Deutschland estime
que « même si le Hezbollah sort grandement affaibli de cette
guerre, (…) il peut remporter une nette victoire de propagande ».
« Les islamites radicaux, invaincus sur le terrain, vont renforcer
dans la région leur image de héros, seuls capables de
combattre le sionisme », relève-t-il.
De notre correspondant à Beyrouth
–
Mardi 1er août
2006, 0 h 02.
L’annonce de la trêve de 48 heures prenant effet à 2 h
du matin dans la nuit de dimanche à lundi jusqu’à 2 h du matin
dans la nuit de mardi à mercredi aura eu comme premier
effet de déclencher un soulagement chez plus d’un qui
n’avait pas été jusqu’au bout de l’information et
s’arrêtant au mot « trêve » l’avait pris pour un synonyme de « cessez-le-feu ».
Que de téléphones reçus ce matin ! Nous étions heureux de savoir tant de lignes
encore en fonctionnement mais que d’espoirs déçus. Ce n’était qu’une trêve de bombardements
aériens dans le sud du pays qui n’a pas empêché quelques
bombardements en soutien aux opérations sur le terrain
comme plusieurs raids dans
du poste frontière libano-syrien de Masna’.
Mais pour les populations du sud quel soulagement !
L’aide humanitaire a commencé à arriver jusqu’à elles et ce qu’ont trouvé les
équipes de
et toute la douleur des survivants se lisent dans
leurs yeux. Par convois entiers, à pied ou en voiture, drapeau blanc de fortune
flottant à bout de bras, c’est l’exode vers la côte. Vers Tyr (?) ou Saïda ou encore
Beyrouth ou
voyage long et atroce, slalom des morts-vivants au
milieu de l’enfer.
Bint Jbail est une ville fantôme ! une ville morte !
Les secours trouveront environ 200 personnes, surtout des vieillards et des
invalides et quelques familles prises au piège – elles pensaient que cela
serait « comme d’habitude » une question de jours. Deux ou trois au grand
maximum ! Face à ceux qui quittaient le sud il y avait ceux qui y retournaient
dans l’espoir de pouvoir récupérer quelques effets ou avoir des nouvelles de
parents ou de voisins. Comme beaucoup d’habitants de la banlieuesud qui ont
essayé de retrouver au milieu des décombres et des gravats ce qui avait été
leur maison, leur échoppe
ou l’impasse où jouaient leurs enfants. Tout est gris,
noir, fumant. Mais les miliciens du Hezbollah sont là comme dans les villages
du sud. Obligeants ils répondent aux questions et d’un simple coup d’œil
rappellent à l’ordre ceux des rescapés qui, dans leurs réponses aux très
nombreux journalistes, s’écartent un peu trop de la ligne du parti. Phénomène
relevé par
plus d’un, à Beyrouth ou ailleurs. Face aux militants
du Hezb, on se tait et beaucoup avouent leur peur.
Ailleurs cela a été la ruée vers les stations
d’essence. La nouvelle aussi était tombée hier, mais avait été éclipsée par les
morts de Cana. Le Liban n’a quasiment plus de réserve de fuel. Ni essence ni
mazout. Cela veut dire aussi que très vite nous n’aurons plus d’électricité.
Les rares centrales encore debout ont besoin de mazout comme d’ailleurs les
fournisseurs privés qui prennent le relais pendant les heures de rationnement.
Sur le plan diplomatique, Beyrouth a été le théâtre
d’un chassé-croisé entre le ministre des Affaires étrangères français Philippe
Douste-Blasy et l’Iranien Manouchehr Mottaki,venus tous deux pour des réunions
et des entretiens à tous les niveaux dans l’espoir de faire avancer la cause de
la paix ou du moins d’une trêve durable, d’un cessez-le-feu.
De ces poignées de mains, de ces accolades, de ces
sourires crispés, je ne retiendrai qu’une chose. Une phrase
de Douste-Blasy que j’ai tournée et retournée, terrifié,
dans ma tête. « Il est évident que nous ne devons pas accepter
une déstabilisation du Liban qui pourrait entraîner
une déstabilisation de la région. (…) Dans la région, il y
a bien sûr un pays comme l’Iran, un grand pays, un
grand peuple et une grande civilisation, qui est respecté et qui joue un rôle
de stabilisation. »
L’information est passée en boucle et j’ai eu tout le
loisir de la retenir et de la méditer en attendant mon tour à la
station d’essence.
Voilà en 3 lignes, l’Iran intronisé « stabilisateur de
la région ». Ce même Iran que l’on qualifiait il n’y a pas si
longtemps d’Etat voyou, d’Etat terroriste. Ce même
Iran à qui l’ONU donne un mois pour régler son dossier nucléaire et donner sa
réponse définitive sur l’offre de solution proposée. Pourquoi aurait-il envie
de rentrer dans le rang ? On pourrait comprendre à Téhéran que c’est justement
le programme nucléaire qui renforce « le rôle stabilisateur du pays ». Vu de
Beyrouth, on voit se profiler une nouvelle tutelle. Nous avons subi 30 ans de
tutelle syrienne, aujourd’hui elle risque fort
d’être iranienne et chiite alors même que tout le
monde – Arabes, Europe et Etats-Unis – semble d’accord pour réduire d’une façon
drastique la force du Hezbollah pourtant bras armé de l’Iran. Et comme en écho
me revient l’éditorial déjà vieux de quelques jours de L’Orient-le Jour :
« Otage d’une guerre éminemment régionale se déroulant
essentiellement sur son sol, le Liban aura du mal, une fois de plus,
à distinguer les pyromanes des pompiers. »
Que Dieu nous garde et nous préserve du pire !
MAROUN CHARBEL
Mardi 1er août 1 h 18
Présent du 3
août.
La guerre faite au Liban : un pays otage
De notre correspondant à Beyrouth
Mardi 1er août, 0 h 00. –
Journée étrange que ce mardi 1er août ! Le
tic-tac de nos montres et horloges était presque assourdissant et
les aiguilles semblaient faire la course sur les cadrans. Et
pourtant, comme elle fut longue cette journée ! Alors que moins
de deux tours de cadran nous séparent de 2 heures du matin et de la
fin de la suspension des raids israéliens sur le Sud-Liban.
Qu’attendions-nous ? Qu’espérions- nous ?
A minuit, je peux bien le dire : rien. L’aviation
israélienne survole depuis plus de deux heures et à très basse altitude le
Mont-Liban, la région de Byblos et
faille, ont fouillé, souvent à main nue, les tas de
gravats des villes et des villages en ruine. Hagards et toute la douleur monde
dans les yeux, ils ont compté les morts, sorti des caves des survivants,
évacuant les blessés et les malades. Les images passent en boucle. Et nous ne
savons plus si ce sont les mêmes ou d’autres tant une ville réduite à un tas de
pierres et de ferrailles tordues ressemble à une autre ville réduite à un même
tas. Sur les écrans, des bandeaux font le
décompte des morts par village et les additionnent. A
la radio, le speaker lit sa liste village après village et plus d’une fois sa
voix s’étrangle.
Hier, c’était Cana-2. Aujourd’hui, on ne sait plus si
nous sommes à Cana-10 ou à Cana-20 tant ces visions d’horreur dépassent tout
entendement. Et les secours n’ont pu encore fouiller complètement Bint Jbail.
Sur le terrain militaire, l’offensive terrestre
israélienne s’est poursuivie toute la journée. « Nous menons pour le
moment à peu près six actions à l’intérieur du Liban (…) chacune
au niveau de la brigade (1 000 hommes) ou à plus grande échelle
», a déclaré le général Shuki Shahur. Il a annoncé que « Tsahal contrôlait
la plus grande partie du fleuve Litani, qui coule à environ
aux habitants de quitter leurs habitations en
prévision de nouvelles opérations dans le secteur et Shahur, comme plusieurs
membres du gouvernement Olmert, a confirmé la reprise
des raids aériens dès le début de la matinée de mercredi.
0 h 30.
Plusieurs sources viennent tout juste d’annoncer que
des hélicoptères israéliens auraient procédé à un débarquement à proximité de
Baalbeck sur les collines entourant la ville.
Mais cette
journée aura été, aussi, celle de la tenue d’un sommet islamo- chrétien qui a
réuni à Bkerké au patriarcat maronite les principaux chefs des communautés ou
leurs représentants. Que dire de cette réunion ? Qu’en penser ?
D’abord, que dans un pays comme le Liban, il est
impératif qu’une telle instance existe et se réunisse le plus souvent possible.
Se parler, c’est déjà commencer à trouver une solution. Ensuite, lire leur
communiqué. J’en retiendrai deux phrases, leur soutien au gouvernement et leur
hommage au Hezbollah : « Le recouvrement par l’Etat de son entière
souveraineté et de ses responsabilités sur l’ensemble du territoire
libanais constitue le socle national rassemblant tous les Libanais,
qui y trouvent leur salut. Les participants ont rendu hommage à
la résistance dont le Hezbollah représente l’axe essentiel et qui
constitue une des principales composantes de la société libanaise.
»
Aucun bémol, aucune réserve quant aux méthodes de
combat du Hezbollah qui prend en otage des villages entiers, souvent chrétiens,
des femmes, des enfants, en venant tirer ses roquettes avant de courir mettre à
l’abri. Mais avaient-ils vraiment le choix aujourd’hui à Bkerké ? Le pays
est-il plus que jamais l’otage de ses chiites ? et donc l’otage de
Premier acte, l’intronisation de l’Iran par le
ministre français des Affaires étrangères, Philippe Douste-
Blazy (voir Présent d’hier). Un problème de
connexion et de communication avec Paris nous a empêchés
de vous informer, en sus de l’hommage de
son homologue iranien qui venait d’arriver à Beyrouth.
La rencontre eut lieu à l’ambassade d’Iran qui avait « bien » fait les choses
en invitant, à l’insu du ministre français, quelques journalistes pour immortaliser
l’événement. Au terme de sa
visite, Manouchehr Mottaki se posera, au fil de ses
déclarations, comme le ministre d’un pays incontournable pour qui cherche une
solution stable. Estimant, par exemple, que le projet français de solution
pouvait être divisé en deux parties, l’une pour laquelle l’unanimité sera
facile à trouver et une autre qu’il faudrait encore négocier.
A la lumière du dossier nucléaire?
« Les événements au Liban et en Palestine ont
influencé notre examen de l’offre des grandes puissances », avait déclaré dimanche dernier le président
iranien Mahmoud Ahmadinejad. Les Israéliens sont sur la même
longueur d’onde
quand Amir Peretz, le ministre israélien de
Entre eux, il y a tous les autres peuples du Liban
pris en otage dans une guerre qui n’est pas la leur.
En tendant l’oreille au milieu du fracas des bombes, des
génériques des flashs d’information, on reconnaît de plus en plus le timbre de
d’importance. Faux, a répondu Damas, nous n’avons rien
fait de tel. Vrai, rétorque Jérusalem. Puis, la condamnation de Cana par le
président syrien sorti de son mutisme. Puis encore, menace à peine voilée, l’annonce
que l’envoi de
troupes internationales au Liban reviendrait à
transformer le pays en nouvel Irak.
Il est 1 h 53. Nous
n’avons plus de connexion internet. Le vrombissement des avions est continu et
se fait
plus intense. Dans 10 mn, la période de 48 heures aura
expiré et la guerre faite au Liban entrera dans une nouvelle phase plus dure,
plus âpre, plus meurtrière. Mais elle ne devra jamais nous distraire du jeu des
politiques où se joue l’avenir du pays et de ses communautés.
MAROUN
CHARBEL
Mercredi 2 août 2006, 1 h 59