Les Nouvelles
de
Chrétienté


n°59

Le 3 août 2006

 

Les nouvelles du Liban

Nous poursuivons notre lecture du Journal « Présent » sur cette terrible guerre que l’on fait au Liban

 

 

Dans Présent du 29 juillet.

 

Liban : mobilisations

 

De notre correspondant à Beyrouth –

 

Vendredi 28 juillet, 0 h 46.

 

 Après une journée étrange où nous semblions tous encore sonnés par la découverte de notre évidente solitude et

de l’isolement de notre gouvernement que ceux des « pays amis » semblaient pourtant si fort soutenir, le soir de ce jeudi est venu nous apporter l’annonce de mobilisations qui ne sont pas celles que dans notre illusoire naïveté nous espérions.

 

« A Rome, nous avons obtenu l’autorisation pour continuer nos opérations jusqu’à ce que le Hezbollah ne soit plus présent dans le sud du Liban et soit désarmé », a affirmé le ministre israélien de la Justice, Haïm Ramon.

 

 Alors que la mobilisation des réservistes était décidée par le gouvernement israélien. Selon le chef d’étatmajor, Dan Haloutz, trois divisions devraient être appelées – soit environ 18 000 hommes – pour faire face à la situation à Gaza et au Liban d’où le Hezbollah a tiré plus de 1 400 roquettes sur le nord d’Israël.

 

Le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a d’ailleurs annoncé que ces tirs continueront et viseront bien plus loin que Haïfa et qu’ils porteront la guerre jusqu’au sud d’Israël. Les Israéliens selon un sondage d’opinion – que pour une fois nous pouvons estimer fiable – font nettement plus confiance à Nasrallah qu’à leurs dirigeants.

 

D’une part, il faut avoir écouté ne serait-ce qu’une fois cet homme au timbre de voix parfaitement posé et si rompu aux règles de la prise de parole en public

pour comprendre l’engouement du public.

De l’autre, depuis le début du conflit, il a toujours dit ce qu’il allait faire et a fait ce qu’il avait dit.

 

A Damas, il y a la mobilisation des alliés du Hezbollah – alliés ? parrains ? commanditaires ? aujourd’hui la presse locale hésitait sur les termes à employer. Il semblerait, selon des sources, pour l’instant non vérifiées mais pourtant fiables, qu’un sommet devrait réunir dans la capitale syrienne Ali Larijani, secrétaire du Conseil suprême de la sécurité nationale iranien, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah et le président syrien Bachar el Assad. L’information est donnée d’une part par l’agence de presse iranienne Mehr qui annonce le déplacement de Larijani et par le journal koweitien Al-Siyassah. Si ce média est connu par sa farouche opposition au régime syrien, il est aussi réputé pour ses informations exclusives. Selon les Koweitiens, Nasrallah se serait rendu à Damas à bord d’une voiture banalisée et blindée des services de renseignements (lesquels ?), habillé en civil. Est-ce pour cela, que cette nuit, l’aviation israélienne intensifie ses raids dans la Bekaa à la frontière avec la Syrie ?

 

Et enfin il y a la mobilisation d’Al Qaïda annoncée par son numéro deux, Ayman al-Zawahri, dans un message diffusé par la chaîne satellitaire panarabe Al-Jazira, canal habituel des hommes de Ben Laden : « Nous ne pouvons pas regarder ces roquettes pleuvoir sur nos frères à Gaza et au Liban et rester inactifs et soumis (…). Les roquettes et les missiles déchirant les corps des musulmans à Gaza et au Liban ne sont pas purement israéliens. Ils sont financés par tous les pays de l’alliance des croisés. Ainsi, quiconque a pris part au crime doit en payer le prix (...). La guerre avec Israël n’est pas basée sur un accord ou un conflit frontalier (...). C’est le djihad au nom d’Allah, pour libérer tous les Palestiniens de l’occupation et pour chasser les croisés de toutes les maisons de l’Islam. Le monde entier est notre terrain de bataille. Comme ils nous attaquent partout, on les attaquera aussi partout. » Et il ajoute : « La guerre contre Israël ne dépend pas de cessez-le-feu (...). C’est une guerre sainte pour l’amour de Dieu, et elle durera jusqu’à ce que notre religion l’emporte... de l’Andalousie à l’Irak. »

 

Longue citation de ce communiqué. En fait simplement proportionnelle à la place que lui ont donnée les médias locaux qui l’ont répété jusqu’à plus soif. Outre la menace réelle que cela représente, on relèvera que le Hezbollah n’est pas nommé mais que le texte appelle à l’union de tous les musulmans alors que, quelques communiqués plus tôt, il fustigeait et attaquait les chiites en Irak.

 

Au 16e jour de cette guerre sans merci que se livrent Israël et le Hezbollah, le Liban compte ses morts : 600 civils dont environ 200 seraient encore sous les décombres des immeubles. Ces morts ne semblent pas pour l’instant ébranler l’attachement des chiites au Hezbollah et surtout leur fidélité indéfectible à son chef Hassan Nasrallah – au point que le Mouvement Amal de Nabih Berry, président de la Chambre, a immédiatement déclaré son alliance avec le Hezbollah.

Il ne faut pas oublier, que, comme le Hamas en Terre sainte et à Gaza, le Hezbollah fait parti du paysage social libanais où il s’est parfaitement intégré en palliant l’absence d’Etat des années de plombs et, ce, dans tous les domaines. Son infrastructure parallèle à celle de l’Etat – y compris dans ses charges régaliennes – tient tout le pays chiite et menace le reste et nous fait dire que notre chemin sera encore long et douloureux avec lui.

 

                                                                                                         MAROUN CHARBEL

                                                                                                                            Vendredi 28 juillet 2006, 2 h 55

Présent du mardi 1 août

 

 

La guerre faite au Liban : l’avant et l’après-Cana

 

De notre correspondant à Beyrouth

 

– Lundi 31 juillet, 1 h 33.

 

 A en croire Adam Ereli, porte-parole du Secrétaire d’Etat américain, Condoleezza Rice en visite à Jérusalem,

Israël « aurait accepté de suspendre pendant 48 heures ses raids aériens sur le sud du Liban. (…) Les Etats-Unis se félicitent de cette décision et espèrent qu’elle contribuera à soulager les souffrances des enfants et des familles du sud du Liban. (…) Nous espérons qu’Israël appliquera ces décisions afin d’accélérer et d’améliorer de façon significative

le flux de l’aide humanitaire. »

 

Mais Ereli précise qu’Israël « se réserve le droit d’attaquer des objectifs s’il était informé que des attaques du Hezbollah sont en préparation contre des cibles israéliennes ».

 

Cette annonce reprise par la plupart des chaînes d’information malgré l’heure tardive n’était pas confirmée par le service de

presse de l’armée israélienne qui « disait ne pas être au courant d’une telle suspension des raids ».

 

Les responsables israéliens n’ont pu être joints par les correspondants à Jérusalem.

 

 Nous, nous posons la question toute simple : « Quand commencent les 48 heures ? » Question de savoir ! C’est que, depuis le début de la soirée, les avions passent et repassent avec une intensité inégalée depuis le début du conflit et qu’à l’est de Baalbek une tentative de débarquement de troupes héliportées semble avoir été déjouée par un tir de barrage de la DCA de l’armée libanaise.

Quand et où ? Une suspension des hostilités qui concernerait seulement le Sud-Liban et qui permettrait l’évacuation

des blessés et des villageois pris au piège de la guerre comme les plus de 60 morts civils dont près de 40 enfants

tués par un raid israélien dans leur abri à Cana ?

 

Vendredi dernier, date de mon dernier courrier, nous étions installés dans la routine de la guerre. Aux jeunes générations qui n’ont jamais connu la guerre, les abris, les soucis de ravitaillement, la peur et l’angoisse, l’inconnu du lendemain et

l’avenir qui se résume à la minute présente, je voudrais dire que la guerre aussi a sa routine, ses habitudes quotidiennes. Sans fatalisme aucun mais avec une volonté de vivre notre quotidien comme Dieu permet qu’il nous soit donné. Nous

semblons installés dans une guerre longue, une guerre d’usure qui pourrait atteindre n’importe qui n’importe où. Mon voisin, qui s’était amusé au début de la belle saison à installer dans son jardin une immense tente qu’il avait recouverte

d’un filet militaire de camouflage, s’est empressé de retirer le filet samedi matin. Comprenant enfin qu’il ne jouait plus à la guerre et à se faire peur en treillis devant ses jeux vidéo et que la guerre, il la vivait et la subissait.

 

Samedi soir, 18 h 30.

 

 Comme une traînée de poudre, la nouvelle d’un prochain discours du secrétaire général du Hezbollah se répand et

nous voilà tous rivés à nos écrans ou à nos postes radios. 18 h 50. Silence dans les rues ! Nasrallah parle et le pays entier est à l’écoute comme en Israël aussi d’ailleurs.

C’est absolument impressionnant combien cet homme réussit à subjuguer son auditoire. Tout y est. Avec un art consommé du discours, il trouvera les mots et les accents qu’il faut pour s’adresser à ses troupes « à la modestie des épis de

blé » et dont « il baisera les pieds enracinés dans leur terre » comme pour s’adresser à tous les Libanais. « Il ne faut pas avoir peur de notre victoire, elle sera pour tous les Libanais, de toutes les confessions, dans toutes les régions, de toutes

les mouvances, pour tous, les musulmans et les chrétiens, et pour tous les Arabes, qui sont à nos côtés contre l’agression. (…) Personne ne doit avoir peur d’une victoire de la résistance, mais plutôt avoir peur de sa défaite. (…) Nous avons une occasion historique au Liban de libérer chaque pouce de notre terre, de récupérer nos prisonniers et de garantir notre souveraineté nationale afin que notre ciel, notre eau, notre terre et notre peuple ne soient plus soumis à la violation et

l’agression sioniste. »

 

Menaçant Israël, il a annoncé qu’il passait à la phase « de l’au-delà de Haïfa », en clair que désormais les fusées du

Hezbollah allaient toucher des villes du sud d’Israël toujours plus loin à l’intérieur du pays. Dimanche ce ne seront pas moins de 144 roquettes qui s’abattront sur le nord du pays.

 

Plus tôt dans la journée de samedi, le Hezbollah avait fait annoncer par l’entremise du président de la Chambre et patron de l’autre parti chiite Amal, Nabih Berri, son ralliement au plan présenté par le Premier ministre Fouad Siniora au sommet de Rome la semaine dernière.

 

Croire Hassan Nassrallah ? pour l’instant certainement. A l’heure où se pose, en particulier chez les sunnites, la question de la « libanité » du Hezbollah, de son allégeance au Liban ou au parti de l’étranger (Syrie et Iran), rien de tel pour se faire

une « libanité » sans faille. Le plan Siniora prônant, entre autres, le désarmement du Hezbollah et le déploiement de l’armée libanaise au sud en application de la résolution 1559, toutes choses que Nasrallah avait toujours refusées. Et le Hezbollah a besoin de cette « union nationale ». Attaquant Israël comme chiite, la riposte « libanaise » d’Israël, frappant tous le pays est, croit-il, la meilleure sauvegarde de sa pérennité sur la scène politique libanaise.

« Le Hezbollah a tout intérêt dans les circonstances actuelles à renforcer la position de négociation du gouvernement, tout en poursuivant son combat sur le terrain », souligne les observateurs de la chose politique libanaise.

 

Nous sommes, pour notre part, sans illusion quant « à cette fraternité des abris ». Mais pour l’heure, le gouvernement,

comme tout le pays et chacun d’entre nous, fait face à une agression militaire sans précédent, à des bombardements qui labourent – au sens propre du terme – tout le territoire national – ou presque – détruisant systématiquement toute l’infrastructure si péniblement reconstituée après les autres guerres et souvent tout juste inaugurée.

Derrière ces destructions, il y a des hommes, des femmes, des enfants. Qui ont peur, qui ont faim, qui hurlent et qui meurent. Comme à l’aube de ce dimanche lorsque l’aviation israélienne bombarde la  ville de Cana, à l’est de Tyr. Un immeuble est touché, par deux fois. Dans son abri des villageois avaient trouvé refuge pour la plupart des familles, des vieillards, des femmes et beaucoup d’enfants. On y avait mis « à l’abri » de jeunes handicapés mentaux ou physiques. Par la « grâce » des télévisions, ceux d’entre vous qui « ne se sont pas délivrés des chaînes » ont pu voir en direct la recherche des corps et celle des très rares rescapés. Vision terrible de ces jeunes corps disloqués, de ces enfants morts dans leur sommeil dans les bras de leurs mères mortes qui les serraient fort, pensant faire de leurs corps un abri plus sûr que les murs. Mais, mon Dieu ! dix ans tout juste après le précédent bombardement de Cana en mai 1996 lors de l’opération israélienne de l’époque, « Raisins de la colère », on ne peut s’empêcher de se poser des questions face à une telle bavure de l’armée israélienne. Aujourd’hui il y a Cana-2 comme disent les confrères des chaînes locales. En 1996 Cana-1 – 105 morts – avait obligé Israël à interrompre « Raisins de la Colère ». Aujourd’hui Cana-2, « Raisins de la haine », comme l’a qualifié Fouad Siniora, sera-t-il aussi le point de fracture de cette guerre faite au Liban ? Nul doute qu’il y aura un avant et un après-

 

Cana et cette trêve de 48 heures annoncée cette nuit en marque les prémices. Mais il ne faut pas oublier ce qu’Ehud Olmert déclarait en début de soirée : « En dépit de cet incident pénible, je ne demanderai pas aux forces de défense de stopper le feu ou de modifier leurs opérations. Nous continuerons à agir sans hésitation contre le Hezbollah. Nous ne

cesserons pas cette opération. »

 

 Simultanément, le Hezbollah et le Hamas ont appelé à des représailles. Les militaires israéliens ont annoncé

qu’après avoir lancé des tracts prévenant la population civile et lui demandant d’évacuer les zones qui seront bombardées dans l’heure ou les heures qui suivent, ils considèrent toute personne présente sur la zone comme un milicien du Hezbollah. Le porte-parole de Tsahal a déclaré : « A Cana, nous avons attaqué des sites d’où sont tirées des roquettes vers Nahariya et vers l’ouest de la Galilée. » Et de se poser des questions sur la nature exacte de l’explosion qui a suivi le bombardement

comme de savoir s’il y avait des armes et des munitions entreposées dans le bâtiment. On ne le saura jamais. Et au vu de l’information dont nous disposons aujourd’hui – en aurons-nous plus dans quelques jours ou quelques mois ? – nous sommes bien incapables de répondre.

Reste la vision terrible de ces corps que l’on cherche et que l’on tire des gravats à Cana et ailleurs au Liban.

Devons-nous faire le lien avec ce qui se passe dans d’autres villages de la bande frontalière ? Selon certaines sources et en particulier le correspondant de l’AFP sur place, les habitants de ces villages commencent à organiser des patrouilles pour empêcher les miliciens du Hezbollah de venir poser leurs rampes de lancement et de tirer leurs roquettes avant de s’enfuir et d’échapper à la réponse de l’aviation israélienne. Les villageois, eux, n’ont souvent même pas le temps de comprendre ce qui leur arrive. « Je n’ai secouru pour le moment que des civils et pas de combattants. La souffrance des survivants est terrible et me retourne plus encore que la vision des cadavres », déclare un secouriste de la Défense civile à L’Orient-Le Jour daté de ce lundi. Il semblerait, aussi, que plus au nord, dans la grande banlieue de Beyrouth, de pareilles patrouilles

commencent à s’organiser. Premières fissures à la « fraternité des abris » ?

On le saura très vite. Les avions sont toujours là qui passent et repassent.

 

L’aube va bientôt se lever sur Beyrouth. Et nous rendrons grâce à Dieu pour ce jour nouveau qu’il nous ait donné de voir. Il faudra penser à vérifier l’essence, le niveau d’eau des réservoirs de la maison et remplacer ce qui a été consommé en matière d’alimentation et de médicaments. Le Liban n’est plus relié au monde que par la route du nord. Le poste frontière

du Masna’, à l’est du pays, a été bombardé samedi soir et dimanche, fermant ce qui restait de la route internationale

Beyrouth-Damas.

 

                                                                                                            MAROUN CHARBEL

                                                                                                                          lundi 31 juillet 2006, 4 h 33

 Présent du 2 août

 

Introniser l’Iran ?

 

 

Le drame de Cana risque de « coûter cher » à Israël en termesd’image et de soutiens politiques, éstime lundi la presse russe, condamnant les frappes israéliennes contre la ville libanaise qui ont fait plusieurs dizaines de morts

parmi les civils.

 

Les frappes contre Cana « pourraient coûter cher aux Israéliens », titre à la une le quotidien des affaires Kommersant. « Si le nombre d’enfants tués est dix fois supérieur à celui des hommes armés de fusils automatiques et de lance-grenades,

 -on dire que c’est une guerre contre le terrorisme ? » s’interroge le journal. « L’aviation israélienne a rayé tous les espoirs d’une fin rapide de la guerre au Liban », souligne pour sa part le quotidien Izvestia. Les enfants tués à Cana, « étaient-ils

membres du Hezbollah ? » s’interroge Izvestia avec amertume. « Les événements de dimanche à Cana vont causer un dommage irréparable à l’image « antiterroriste de l’armée israélienne », relève de son côté le quotidien Gazeta.

 

La presse allemande de lundi est globalement très sévère pour Israël après le bombardement qui a fait plus de 50 victimes civiles dimanche à Cana, et souligne que l’Etat hébreu devra payer un prix politique pour ce drame.

 

Même le quotidien populaire Bild traditionnellement indéfectible soutien d’Israël, estime que « face à de nombreuses morts violentes », le bilan du carnage de Cana semble « une addition incompréhensible et cynique ». « C’est exactement ce que veulent les terroristes. Ils espèrent que les larmes rendent aveugles, et n’en versent eux-mêmes pas une seule », observe toutefois le journal, qui souligne que le Hezbollah porte une part de responsabilité dans ce drame, dans la mesure où il

s’abrite au sein de la population civile. « C’est comme si on envoyait au front les mères et les enfants », relève l’éditorialiste de Bild.

 

De son côté le Financial Times Deutschland estime que « même si le Hezbollah sort grandement affaibli de cette guerre, (…) il peut remporter une nette victoire de propagande ». « Les islamites radicaux, invaincus sur le terrain, vont renforcer

dans la région leur image de héros, seuls capables de combattre le sionisme », relève-t-il.

 

La Süddeutsche Zeitung critique durement le gouvernement israélien pour son « entêtement à ignorer l’opinion publique du monde entier ».

 

La Frankfurter Allgemeine Zeitung relève de son côté que « le nombre de victimes civiles dans ce conflit est asymétrique. Le Liban a beaucoup plus de morts à déplorer qu’Israël ».

De notre correspondant à Beyrouth

 

       Mardi 1er août 2006, 0 h 02.

 

L’annonce de la trêve de 48 heures prenant effet à 2 h du matin dans la nuit de dimanche à lundi jusqu’à 2 h du matin

dans la nuit de mardi à mercredi aura eu comme premier effet de déclencher un soulagement chez plus d’un qui

n’avait pas été jusqu’au bout de l’information et s’arrêtant au mot « trêve » l’avait pris pour un synonyme de « cessez-le-feu ». Que de téléphones reçus ce matin ! Nous étions heureux de savoir tant de lignes encore en fonctionnement mais que d’espoirs déçus. Ce n’était qu’une trêve de bombardements aériens dans le sud du pays qui n’a pas empêché quelques

bombardements en soutien aux opérations sur le terrain comme plusieurs raids dans la Bekaa en particulier celui

du poste frontière libano-syrien de Masna’.

 

Mais pour les populations du sud quel soulagement ! L’aide humanitaire a commencé à arriver jusqu’à elles et ce qu’ont trouvé les équipes de la Croix-Rouge ne peut se raconter. On pensait avoir atteint le maximum de l’horreur avec le charnier de Cana, mais ce sont d’autres Cana que les secouristes ont trouvé tout au long de la journée ! Toute l’horreur de la guerre

et toute la douleur des survivants se lisent dans leurs yeux. Par convois entiers, à pied ou en voiture, drapeau blanc de fortune flottant à bout de bras, c’est l’exode vers la côte. Vers Tyr (?) ou Saïda ou encore Beyrouth ou la Bekaa. Un

voyage long et atroce, slalom des morts-vivants au milieu de l’enfer.

 

Bint Jbail est une ville fantôme ! une ville morte ! Les secours trouveront environ 200 personnes, surtout des vieillards et des invalides et quelques familles prises au piège – elles pensaient que cela serait « comme d’habitude » une question de jours. Deux ou trois au grand maximum ! Face à ceux qui quittaient le sud il y avait ceux qui y retournaient dans l’espoir de pouvoir récupérer quelques effets ou avoir des nouvelles de parents ou de voisins. Comme beaucoup d’habitants de la banlieuesud qui ont essayé de retrouver au milieu des décombres et des gravats ce qui avait été leur maison, leur échoppe

ou l’impasse où jouaient leurs enfants. Tout est gris, noir, fumant. Mais les miliciens du Hezbollah sont là comme dans les villages du sud. Obligeants ils répondent aux questions et d’un simple coup d’œil rappellent à l’ordre ceux des rescapés qui, dans leurs réponses aux très nombreux journalistes, s’écartent un peu trop de la ligne du parti. Phénomène relevé par

plus d’un, à Beyrouth ou ailleurs. Face aux militants du Hezb, on se tait et beaucoup avouent leur peur.

 

Ailleurs cela a été la ruée vers les stations d’essence. La nouvelle aussi était tombée hier, mais avait été éclipsée par les morts de Cana. Le Liban n’a quasiment plus de réserve de fuel. Ni essence ni mazout. Cela veut dire aussi que très vite nous n’aurons plus d’électricité. Les rares centrales encore debout ont besoin de mazout comme d’ailleurs les fournisseurs privés qui prennent le relais pendant les heures de rationnement.

 

Sur le plan diplomatique, Beyrouth a été le théâtre d’un chassé-croisé entre le ministre des Affaires étrangères français Philippe Douste-Blasy et l’Iranien Manouchehr Mottaki,venus tous deux pour des réunions et des entretiens à tous les niveaux dans l’espoir de faire avancer la cause de la paix ou du moins d’une trêve durable, d’un cessez-le-feu.

De ces poignées de mains, de ces accolades, de ces sourires crispés, je ne retiendrai qu’une chose. Une phrase

de Douste-Blasy que j’ai tournée et retournée, terrifié, dans ma tête. « Il est évident que nous ne devons pas accepter

une déstabilisation du Liban qui pourrait entraîner une déstabilisation de la région. (…) Dans la région, il y

a bien sûr un pays comme l’Iran, un grand pays, un grand peuple et une grande civilisation, qui est respecté et qui joue un rôle de stabilisation. »

L’information est passée en boucle et j’ai eu tout le loisir de la retenir et de la méditer en attendant mon tour à la

station d’essence. La France nous prépare- t-elle à un pas-de-deux avec l’Iran ?

 

Voilà en 3 lignes, l’Iran intronisé « stabilisateur de la région ». Ce même Iran que l’on qualifiait il n’y a pas si

longtemps d’Etat voyou, d’Etat terroriste. Ce même Iran à qui l’ONU donne un mois pour régler son dossier nucléaire et donner sa réponse définitive sur l’offre de solution proposée. Pourquoi aurait-il envie de rentrer dans le rang ? On pourrait comprendre à Téhéran que c’est justement le programme nucléaire qui renforce « le rôle stabilisateur du pays ». Vu de Beyrouth, on voit se profiler une nouvelle tutelle. Nous avons subi 30 ans de tutelle syrienne, aujourd’hui elle risque fort

d’être iranienne et chiite alors même que tout le monde – Arabes, Europe et Etats-Unis – semble d’accord pour réduire d’une façon drastique la force du Hezbollah pourtant bras armé de l’Iran. Et comme en écho me revient l’éditorial déjà vieux de quelques jours de L’Orient-le Jour : « Otage d’une guerre éminemment régionale se déroulant essentiellement sur son sol, le Liban aura du mal, une fois de plus, à distinguer les pyromanes des pompiers. »

 

Que Dieu nous garde et nous préserve du pire !

                                                                                                           MAROUN CHARBEL

                                                                                                                            Mardi 1er août 1 h 18

 

Présent du 3 août.

La guerre faite au Liban : un pays otage

 

De notre correspondant à Beyrouth

 

Mardi 1er août, 0 h 00.

 

Journée étrange que ce mardi 1er août ! Le tic-tac de nos montres et horloges était presque assourdissant et les aiguilles semblaient faire la course sur les cadrans. Et pourtant, comme elle fut longue cette journée ! Alors que moins de deux tours de cadran nous séparent de 2 heures du matin et de la fin de la suspension des raids israéliens sur le Sud-Liban.

 

Qu’attendions-nous ? Qu’espérions- nous ?

 

A minuit, je peux bien le dire : rien. L’aviation israélienne survole depuis plus de deux heures et à très basse altitude le Mont-Liban, la région de Byblos et la Bekaa du nord au sud, multiplie ses raids sur Baalbeck et les villages de sa périphérie et, au sud, sur Tyr et sa périphérie – Tyr est exclu de la zone de suspension. Pas un instant de répit pour les secouristes de la Défense civile, pour les volontaires de la Croix-Rouge et ceux des associations caritatives qui, des heures durant, avec une abnégation sans

faille, ont fouillé, souvent à main nue, les tas de gravats des villes et des villages en ruine. Hagards et toute la douleur monde dans les yeux, ils ont compté les morts, sorti des caves des survivants, évacuant les blessés et les malades. Les images passent en boucle. Et nous ne savons plus si ce sont les mêmes ou d’autres tant une ville réduite à un tas de pierres et de ferrailles tordues ressemble à une autre ville réduite à un même tas. Sur les écrans, des bandeaux font le

décompte des morts par village et les additionnent. A la radio, le speaker lit sa liste village après village et plus d’une fois sa voix s’étrangle.

 

Hier, c’était Cana-2. Aujourd’hui, on ne sait plus si nous sommes à Cana-10 ou à Cana-20 tant ces visions d’horreur dépassent tout entendement. Et les secours n’ont pu encore fouiller complètement Bint Jbail.

Sur le terrain militaire, l’offensive terrestre israélienne s’est poursuivie toute la journée. « Nous menons pour le moment à peu près six actions à l’intérieur du Liban (…) chacune au niveau de la brigade (1 000 hommes) ou à plus grande échelle », a déclaré le général Shuki Shahur. Il a annoncé que « Tsahal contrôlait la plus grande partie du fleuve Litani, qui coule à environ 20 km au nord de la frontière israélienne ». De plus, des tracts ont été lancés au nord du Litani recommandant

aux habitants de quitter leurs habitations en prévision de nouvelles opérations dans le secteur et Shahur, comme plusieurs

membres du gouvernement Olmert, a confirmé la reprise des raids aériens dès le début de la matinée de mercredi.

 

0 h 30.

 

Plusieurs sources viennent tout juste d’annoncer que des hélicoptères israéliens auraient procédé à un débarquement à proximité de Baalbeck sur les collines entourant la ville. La Jazeera, qui a été la première à l’annoncer, affirme que l’opération a été repoussée par le Hezbollah. Côté israélien, on se refuse à tout commentaire. On en saura plus dans quelques heures.

 

 Mais cette journée aura été, aussi, celle de la tenue d’un sommet islamo- chrétien qui a réuni à Bkerké au patriarcat maronite les principaux chefs des communautés ou leurs représentants. Que dire de cette réunion ? Qu’en penser ?

D’abord, que dans un pays comme le Liban, il est impératif qu’une telle instance existe et se réunisse le plus souvent possible. Se parler, c’est déjà commencer à trouver une solution. Ensuite, lire leur communiqué. J’en retiendrai deux phrases, leur soutien au gouvernement et leur hommage au Hezbollah : « Le recouvrement par l’Etat de son entière souveraineté et de ses responsabilités sur l’ensemble du territoire libanais constitue le socle national rassemblant tous les Libanais, qui y trouvent leur salut. Les participants ont rendu hommage à la résistance dont le Hezbollah représente l’axe essentiel et qui constitue une des principales composantes de la société libanaise. »

 

Aucun bémol, aucune réserve quant aux méthodes de combat du Hezbollah qui prend en otage des villages entiers, souvent chrétiens, des femmes, des enfants, en venant tirer ses roquettes avant de courir mettre à l’abri. Mais avaient-ils vraiment le choix aujourd’hui à Bkerké ? Le pays est-il plus que jamais l’otage de ses chiites ? et donc l’otage de la Syrie et de l’Iran ? Cela fait longtemps que nous le savions mais, depuis le 12 juillet, cela devient officiel et internationalement officiel.

 

Premier acte, l’intronisation de l’Iran par le ministre français des Affaires étrangères, Philippe Douste-

Blazy (voir Présent d’hier). Un problème de connexion et de communication avec Paris nous a empêchés

de vous informer, en sus de l’hommage de la France à l’Iran, de la rencontre de Douste-Blazy avec

son homologue iranien qui venait d’arriver à Beyrouth. La rencontre eut lieu à l’ambassade d’Iran qui avait « bien » fait les choses en invitant, à l’insu du ministre français, quelques journalistes pour immortaliser l’événement. Au terme de sa

visite, Manouchehr Mottaki se posera, au fil de ses déclarations, comme le ministre d’un pays incontournable pour qui cherche une solution stable. Estimant, par exemple, que le projet français de solution pouvait être divisé en deux parties, l’une pour laquelle l’unanimité sera facile à trouver et une autre qu’il faudrait encore négocier.

A la lumière du dossier nucléaire?

 

« Les événements au Liban et en Palestine ont influencé notre examen de l’offre des grandes puissances », avait déclaré dimanche dernier le président iranien Mahmoud Ahmadinejad. Les Israéliens sont sur la même longueur d’onde

quand Amir Peretz, le ministre israélien de la Défense, déclare : « Nous combattons le Hezbollah qui n’est rien d’autre que l’avant-garde du régime extrémiste de Téhéran qui finance ses activités meurtrières et les encourage. »

 

Entre eux, il y a tous les autres peuples du Liban pris en otage dans une guerre qui n’est pas la leur.

 

En tendant l’oreille au milieu du fracas des bombes, des génériques des flashs d’information, on reconnaît de plus en plus le timbre de la Syrie présent et encore isolé comme le triangle dans l’orchestre. Et comme le triangle, Damas fait de plus en plus entendre sa voix. Mais par petites touches. Il y eut cette bombe syrienne trouvée sur le chemin de ronde d’une patrouille israélienne dans le Golan syrien occupé depuis 1967. Quand on sait que, depuis trente ans, Damas s’est toujours parfaitement conformée aux textes internationaux, n’attaquant Israël que par le territoire libanais, une telle découverte est

d’importance. Faux, a répondu Damas, nous n’avons rien fait de tel. Vrai, rétorque Jérusalem. Puis, la condamnation de Cana par le président syrien sorti de son mutisme. Puis encore, menace à peine voilée, l’annonce que l’envoi de

troupes internationales au Liban reviendrait à transformer le pays en nouvel Irak.

 

Il est 1 h 53. Nous n’avons plus de connexion internet. Le vrombissement des avions est continu et se fait

plus intense. Dans 10 mn, la période de 48 heures aura expiré et la guerre faite au Liban entrera dans une nouvelle phase plus dure, plus âpre, plus meurtrière. Mais elle ne devra jamais nous distraire du jeu des politiques où se joue l’avenir du pays et de ses communautés.

                                                                                                                            MAROUN CHARBEL

                                                                                                                                                Mercredi 2 août 2006, 1 h 59