Les Nouvelles
de
Chrétienté


n° 61

Le 31 août 2006

 

La guerre faite au Liban

 

 

La chronique de Présent assurée tous les jours depuis le début du conflit au Liban par son correspondant à Beyrouth,  Maroun Charbel, est vraiment passionnante. Nous en  poursuivons la publication dans ce nouveau numéro de LNDC au 31 août.

 

Dans Présent du mardi 22 août.

 

Une France responsable

De notre correspondant à Beyrouth

– Dimanche 20 août 2006,

16 h 35.

 

 Au début c’était sourd et lointain. Puis cela s’est fait plus proche. Nous ne savions pas ce que c’était. Reprise des bombardements ? Après l’opération commando de l’armée israélienne à Boudaï, dans la Békaa pas très loin de Baalbeck dans la nuit de vendredi à samedi, c’était bien possible.

 

D’ailleurs cela ressemblait fort à un vrombissement d’avion. Puis ce fut les premières explosions. Rien à la radio. Aucun flash d’information sur aucune chaîne. Et l’orage fut sur nous.

 

Je trouve tout juste les mots pour vous raconter notre soulagement. Il n’y a jamais d’orage en été au Liban.

 

Avant que l’orage n’éclate, les standards des différentes radios et chaînes de télévision ont été submergés

de téléphones inquiets. Il faisait pourtant très beau ce matin à Beyrouth, très clair. Le nuage toxique semble vouloir s’éloigner vers le nord du pays. Mélange de fumée d’amiante des incendies de la banlieue-sud et des miasmes de celui de la centrale électrique de Jiyeh mêlé à ceux de la marée noire, il stagnait sur Beyrouth depuis plusieurs jours.

 

Lundi 21 août 2006. 0 h 35. Plus tôt dans la soirée et alors que le rôle et le mandat de la Finul élargie semblaient se préciser, le Premier ministre israélien, Ehud Olmert, demandait à l’Italie de la diriger en lieu et place de la France qui est, avec sagesse, jour après jour plus réticente à en assumer la responsabilité. « Il est important que la force

multinationale arrive dans la région au plus tôt et que l’Italie y joue un rôle primordial (…) Israël voit dans la participation de l’armée italienne à la Force multinationale au Liban un élément vital pour l’application de la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’Onu et cette participation contribuera à la paix et à la stabilité au Proche-

Orient (…) Israël ne veut pas voir au sein de la force multinationale des soldats de pays dont le gouvernement a soutenu le Hezbollah durant la guerre. » Comme, par exemple, la Malaisie ou encore les

autres Etats musulmans qui n’ont pas de relations diplomatiques avec Israël.

 

Pour comprendre les hésitations de Paris, sa quête urgente de garanties de sécurité de stabilité, il suffit non seulement de se souvenir du Drakkar mais de lire et d’écouter l’autre presse.

 

 Exemple extrait de l’éditorial du 18 août dernier d’Al-Akhbar un tout nouveau quotidien - en kiosque depuis le 14 août – et qui ne cache pas sa « proximité » avec le Hezbollah : « Les troupes françaises ne seront pas accueillies comme des troupes de libération ou de maintien de la paix. Elles seront accueillies comme l’instrument venu compléter l’œuvre dans laquelle a échoué Israël. C’est la stricte vérité. C’est la réalité. La terre du Sud est aujourd’hui hostile à une présence française qui sera animée principalement par la politique française de ces deux dernières années. Si la France veut se donner un rôle réellement positif, elle connaît la voie qui y mène et l’adresse libanaise à laquelle elle doit s’adresser. »

 

La France paye son soutien inconditionnel au Liban, son rôle et ses initiatives à l’Onu comme la promulgation de la résolution 1559 qui stipule le désarmement du Hezbollah, etc., etc.

 

Les Etats-Unis, eux, n’ont pas hésité à critiquer Paris estimant que la France « pouvait faire mieux ». De source diplomatique française, on répondait à Washington – qui refuse de participer à la Finul - en déclarant : « Sur le terrain,

il y a un seul mouvement et c’est la France qui le fait. Aucun autre pays membre permanent du Conseil de sécurité n’en a fait autant (…) Et si chacun des 25 pays de l’Union européenne envoyait 400 hommes, la force serait

presque constituée. »

 

La France est l’unique pays participant à la Finul actuelle – dont le mandat s’achève le 31 août prochain – à avoir envoyer des renforts et à doubler ses effectifs. Un détachement de 150 soldats du 13e régiment du Génie a effectivement quitté ce dimanche le port de Toulon. Ils ont été précédés par une section de 50 hommes. « Sa mission concernera principalement le rétablissement et la réparation d’itinéraires obstrués ou détruits par les cratères

provoqués par les frappes aériennes » a déclaré son commandant, le colonel Christophe Issac. C’est avec beaucoup de reconnaissance que nous avons vu débarquer aujourd’hui l’avant-garde de ce détachement mais aussi avec beaucoup d’inquiétude, bien que le service de communication des armées semble avoir bien fait les choses. Toutes les chaînes insistaient sur leur rôle de soutien logistique pour la reconstruction – mot magique aujourd’hui.

 

Côté libanais, le gouvernement semble vouloir aussi prendre l’initiative sur le terrain en mettant de son côté tous les moyens légaux pour préserver cette suspension des hostilités. Dénonçant l’opération héliportée des Israéliens dans la Békaa, le ministre de la Défense, Elias Murr a annoncé que « cette fois l’armée libanaise avait clairement reçu l’ordre de tirer en cas d’intrusion et si nous partons en guerre contre Israël et bien cette fois la guerre ne sera pas, comme ils disent, entre Israël et les terroristes ». Mais il a surtout solennellement prévenu que « dans la mesure la Résistance s’est engagée à ne pas tirer de roquettes, tout tir depuis le territoire libanais serait considéré comme de la collaboration avec Israël destinée à lui fournir un prétexte pour riposter et ses auteurs arrêtés et déférés devant le

tribunal militaire ».

 

Le ton est nouveau. Il offre aux pays désireux de participer à la Finul de nouvelles garanties, plus sérieuses que ce déploiement au cœur d’une zone dominée par le Hezbollah.

 

Mais le problème demeure. Le Liban a-t-il les moyens de sa volonté de survie, de son instinct de vie qui le poussent désespérément à se défendre contre le Hezbollah ? Je ne sais pas. Du moins j’en doute.

 

Comment lutter contre un tel parti totalitaire – dans le sens propre du mot c’est-à-dire qu’il prend à sa charge totalement l’individu du berceau à la mort – et qui, lui, a les moyens de sa politique. Pour faire face à l’aide de première urgence, le gouvernement doit attendre le bon vouloir des pays donateurs. Et heureusement qu’elle

commence à arriver. Le Hezbollah, lui, donne tout de suite, en espèces et sur simple preuve de contrat de

location ou de titre de propriété, 12 ou 15.000 dollars. A la question pressente quant à l’origine de l’argent, on vous répond invariablement, que « le Hezbollah est riche de ses militants ».

MAROUN CHARBEL

Lundi 21 août 2006, 1 h 52

 

 

 

Dans Présent du mercredi 23 août

 

Finul, Kamikase

 

De notre correspondant à Beyrouth.

Mardi 22 août 2006, 0 h 42.

 

Sept jours. Voici donc 7 jours que la cessation des hostilités est entrée en vigueur entre Israël et le Hezbollah

et a interrompu pour un temps cette guerre faite au Liban. Notre quotidien s’organise autour de cette interrogation : est-ce que cela va durer ? Nos déplacements restent hésitants. La pénurie d’essence se résorbe peu à peu avec l’arrivée de deux navires chargés de fuel, nous pourrions donc nous permettre de sortir de nos quartiers. Les principaux ponts étant détruits, les trajets sont longs, aléatoires. Mais la tension demeure. Et si nous nous retrouvions bloqués dans une zone de combat ? Israël a menacé de tirer sur tout camion – ou tout autre véhicule – soupçonné de transporter

des armes. Difficile de ne pas se trouver devant ou derrière un camion alors que l’aide aux villages du sud commence

à se mettre en place et que les agriculteurs qui ont réussi à ramasser leurs récoltes tentent de les écouler. L’armée libanaise continue, d’une part, à se déployer dans le sud du pays où Israël ne souhaite pas la voir s’approcher à

plus de 2 km de la frontière et de l’autre, prend position tout au long de la frontière du Nord avec la Syrie, occupant les postes de douane et les habituels chemins de contrebande dans l’espoir de réduire le passage des armes à destination

du Hezbollah. Ce soir, une escarmouche semble avoir eu lieu entre Israéliens et miliciens du Hezbollah et il y aurait

des morts et des blessés des deux côtés. Israël nie avoir des victimes et affirme que seuls ses hommes auraient tirés. « Une force a identifié des hommes armés venant vers elle de manière menaçante. Les soldats ont tiré sur eux et identifié trois impacts » a déclaré un porte-parole de l’armée israélienne. Toute la problématique de la force des Nations Unies telle que prévue par la résolution 1701 du Conseil de Sécurité est résumée dans la sécheresse de ce communiqué

militaire : « … venant vers elle de manière menaçante. Les soldats ont tiré sur eux ». Les soldats français et leurs collègues n’auront même pas ce droit. Du moins ils l’auront mais assorti de telles précautions et de tels garde-fous que le temps de réfléchir et d’analyser s’ils ont le droit de tirer ou non, nous aurons commencé à les pleurer. Alors non merci !

Malgré cela, le Premier ministre italien, Romano Prodi, s’estimant fort des bonnes relations qu’entretient l’Italie avec l’Iran et étant agréé par Israël, a déclaré son pays prêt à prendre la responsabilité de la FINUL élargie. L’opposition a

immédiatement donné de la voix pour dénoncer cette décision « potentiellement suicidaire » comme, par exemple, Francesco Storace, membre d’Alliance Nationale, qui a déclaré : « Chirac va envoyer quelques généraux, l’Allemagne un bateau ou deux alors que nous devrons envoyer nos troupes drapées comme des kamikazes dans le drapeau

italien. » Pour comprendre les hésitations des Européens et en particulier celle de la France par ailleurs si impliquée au Liban, il faut constamment garder à l’esprit que la résolution 1701 du Conseil de Sécurité a effectivement stoppé les

hostilités mais elle ne prévoit aucune piste pour le désarmement du Hezbollah. Comment alors envoyer des troupes – qui n’auront pas le droit de prévenir une attaque - dans un terrain susceptible de s’enflammer à la moindre escarmouche ?

 

Répondre à la question c’est régler le problème. Pour l’instant, le Hezbollah garde ses armes - nul ne sait quelle est la part de son arsenal qui a été détruite – et annonce vouloir les garder comme le confirme, un parmi tant d’autre, son représentant à Téhéran. Abdullah Safieddin, a affirmé que la milice chiite non seulement « ne désarmera pas » mais pourra toujours « importer des armes ».

 

Il y a quelques jours, le ministre français de la Défense, Michèle Alliot- Marie souhaitait que les « missions » de la FINUL élargie « soient précises », que « les règles d’engagement soient bien fixées » et qu’elle ait « de vrais moyens » matériels et juridiques, sinon, cela pourrait se « transformer en catastrophe ». Il semblerait si nous devions croire

le président américain, George Bush, qu’une nouvelle résolution serait adoptée par le Conseil de sécurité pour justement fixer et clarifier les règles d’engagements : « Le besoin est urgent. La communauté internationale doit à présent désigner ceux qui prendront la tête de la force internationale, elle doit donner à cette force des règles d’engagement solides et la déployer aussi vite que possible pour assurer le maintien de la paix. »

 

Cette nouvelle résolution sera-telle, comme la 1701, une émanation du Chapitre VI de la Charte des Nations Unies qui traite du Règlement pacifique des différends, ou alors du Chapitre VII qui fixe l’Action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression comme il fut question un temps pour la 1701 ? Si c’est l’option du Chapitre VII – très rarement appliqué – alors les Casques Bleus pourront se défendre et surtout faire leur métier

de militaire et réaliser effectivement la mission de l’ONU. Mission qui a toujours été sur le terrain une utopie. La FINUL – première version – n’avait le droit que d’envoyer des rapports d’observation. Elle observait, impuissante, les

hommes du Hezbollah arriver et tirer leurs roquettes à proximité immédiate de leurs postes d’observation avant de s’enfuir. Elle subissait alors, les tirs de représailles des Israéliens. Résultat : des morts et des

blessés.

MAROUN CHARBEL

Mardi 22 août 2006, 2 h 12

 

 

Dans Présent du jeudi 24 août

 

Les communautés du Liban

 

De notre correspondant à Beyrouth –

Mardi 22 août 2006, 14 h 06.

 

 Cette nuit, et après avoir envoyé mon papier à la rédaction, je poursuivais – à la lueur

d’une bougie (!) – ma réflexion sur ces pauvres soldats de l’ONU signalés à des lieux à la ronde par leurs casques bleus qui brillent sous le soleil d’août comme autant de cible. Si leur mandat, revu et corrigé, était une émanation du chapitre VII de la Charte des Nations Unies estce qu’ils pourraient se défendre et défendre les populations civiles ? Je n’arrive pas à le concevoir dans une zone où « grouillent » – pour reprendre le mot de Nabih Berry – les hommes du Hezbollah surarmés et invisibles et que nul n’ose désarmer. Le malheureux gouvernement libanais chargé de le faire depuis la 1559 continue à temporiser et c’est normal. Pris en otage, il n’a pas le choix. Quant aux candidats à la FINUL, eux non plus ne veulent et ne peuvent assumer une telle mission. L’Italie, ellemême, est aujourd’hui revenue sur son engagement et demande à son tour des garanties avant d’envoyer ses hommes sur le terrain. En attendant et l’Iran et le Hezbollah pavoisent et la Syrie crie, avec eux, victoire.

 

Mercredi 23 août 2006, 5 h 59.

 

Le soleil se lève tout juste. Notre journée sera faite d’attentes. Attendre les réponses à la non-réponse iranienne sur le

nucléaire. Attendre la réunion des ministres européens des Affaires étrangères ce vendredi à Bruxelles. Ces deux jours seront-ils décomptés de ce « vide sécuritaire de 2 à 3 mois » craint et annoncé par l’émissaire de l’Onu Terje Roed-Larsen en visite en Israël ? Ce délai correspond au temps nécessaire selon lui au déploiement de l’armée libanaise

et à l’arrivée de la FINUL élargie – ou FINUL Plus comme on commence à l’appeler. « Tant que ce vide existera, certains seront tentés d’agir. Quand ce vide aura disparu, il sera beaucoup plus difficile de faire dérailler la situation (…) La situation est encore extrêmement fragile, extrêmement compliquée et extrêmement dangereuse (...) Des incidents fortuits peuvent déclencher de nouvelles violences capables de s’intensifier et de devenir incontrôlables »

a notamment déclaré Roed-Larsen qui invite « toutes les parties à la plus grande retenue ». Ce qu’il craint, en

particulier, ce sont les raids frontaliers ou encore des assassinats.

 

Méthodiquement et avec ses pauvres moyens, l’armée libanaise poursuit son déploiement au Sud-Liban et sur la

frontière avec la Syrie en attendant les Casques bleus qui devront aussi contrôler l’aéroport et les ports pour qu’Israël

consente à lever le blocus aérien, maritime et terrestre qui reste imposé au Liban malgré la cessation des hostilités.

La compagnie aérienne nationale, Middle East Airlines (MEA) a repris ses vols depuis Beyrouth qui font tous

une escale de 50 mn à Amman en Jordanie. Officiellement escale technique pour prendre du kérosène qui manque à

Beyrouth mais, selon certaines sources « généralement bien informées », imposée « pour vérification » par Israël.

Pour le président syrien, Bachar el Assad, un tel déploiement de la FINUL serait un acte « hostile » et « un retrait

de la souveraineté libanaise (…) qui nuirait aux relations avec la Syrie ». Il appelle donc le gouvernement libanais

à « assumer ses responsabilités ». Le gouvernement Siniora continue sa « politique nationale, sage et courageuse » comme la qualifie la Ligue maronite.

 

Une politique qui tente de faire recouvrer à l’Etat son droit régalien de décider de la guerre et de la paix (?), d’étendre ses forces armées partout au Liban et en particulier dans ces zones frontalières d’où elles ont été tenues éloignées pendant des décennies et enfin et surtout maintenir coûte que coûte la cohésion intercommunautaire des

peuples du Liban. Il ne se passe pas un jour – et en particulier depuis le 14 août et la cessation des hostilités – sans une « sortie » à très forte visibilité médiatique des responsables chiites et sunnites que l’on voit aller de concert sur les ruines de la Banlieue- Sud de Beyrouth ou ailleurs et multiplier les communiqués communs.

 

Les plus hautes autorités religieuses chiites et sunnites étaient réunies mardi pour souligner que « l’État est le creuset

rassemblant tous les Libanais, la colonne vertébrale de leur unité et le symbole qui les unit et dont ils tirent leur fierté

(…) et que l’unité religieuse entre musulmans sunnites et chiites au Liban, une unité reposant sur la foi en Dieu et

les piliers de l’islam, et l’unité nationale entre musulmans et chrétiens, reposant sur la foi dans le Liban, patrie définitive où tous les Libanais sont égaux en droits et en devoirs, sont les fondements constants et solides de l’unité nationale libanaise, dont chaque Libanais pris individuellement et toutes les familles religieuses au Liban sont les dépositaires et les garants ».

 

Au-delà du ronronnement propre à ce genre de discours nous retiendrons la notion de « patrie définitive » qui semble consacrer la « libanité » de l’islam libanais et en particulier des chiites qui affirment ainsi ne plus regarder audelà

des frontières nationales et nous retiendrons évidemment « l’unité nationale entre musulmans et chrétiens » et « tous les Libanais sont égaux en droits et en devoirs ». Tout ceci évidemment ne peut être que des voeux pieux qui risquent

d’être balayés très vite mais pour l’instant, et en ces temps d’incertitude, ils sont de rigueur et bienvenus. « Nous sommes venus ici parce que c’est une région chrétienne qu’Israël ne bombardera pas. » Que de fois avons-nous entendu ce type d’assertion ? C’était l’intime conviction des Chiites réfugiés dans le Metn ou le Kesrouan ou encore à Achrafieh. Pourtant Israël n’a pas hésité un instant à bombarder des villages ou des quartiers chrétiens parce que le Hezbollah s’y était installé le temps de tirer une fusée ou deux. C’est là toute l’ambiguïté du regard porté sur les Chrétiens du Liban par les autres communautés et en particulier les Chiites. Les Chrétiens du Liban ont été la première victime de cette guerre faite au Liban. Le Général Aoun se sentait fort de son alliance avec le Hezbollah – « je vis avec 1 million de chiites » - Et ses fidèles étaient convaincus que cela protégerait les Chrétiens – « Ma priorité, depuis que je suis rentré au Liban, est de déconfessionnaliser les conflits pour que les Libanais se retrouvent sur un même pied d’égalité en cas de crise » - .

 

 Hassan Nasrallah l’a-t-il prévenu de ses plans de guerre ? La question a été plus d’une fois posée au général qui demande – comme il y a quelques jours encore – que l’on passe à la question suivante.

 

Le Sud-Liban, nous ne le rappellerons jamais assez, est d’abord une terre chrétienne. Si nous ne pouvons pas encore

prendre la mesure exacte des destructions et des églises rasées par les bombardements, nous pouvons anticiper

l’avenir de ces îlots de chrétienté. Combien seront-ils à revenir ? Nous constatons dans tous les centres d’accueil des réfugiés le même phénomène. Les réfugiés chiites sont rentrés en famille dans leur village chez les Chrétiens, seuls les chefs de famille. « Quel est le bilan de cette bataille ? » se demande Samir Geagea. « Nous avons eu plus de 1 200 victimes, près de dix milliards de dollars de pertes, et 200 000 Libanais ont quitté le pays, dont un grand nombre de cadres. Dans quel but ? Jusqu’à présent, de nombreux Libanais n’ont pas compris pourquoi cette bataille a été enclenchée. Le plus important et le plus grave au niveau du bilan négatif est la perte de confiance des Libanais dans le pays. Pour que la confiance soit rétablie, il faut qu’on ait l’assurance que le pays ne sera pas confronté à nouveau, un jour, à un nouveau 12 juillet. Nous avons déployé des efforts pendant de nombreuses années pour reconstruire et subitement, en ce matin du 12 juillet, le ciel nous est tombé sur la tête sans que personne ne comprenne pourquoi. Il n’est pas admissible que cela se reproduise. » Craignez-vous pour la population chrétienne du Liban ? a été la question posée au patriarche maronite, le Cardinal Sfeir. Je donne toute sa réponse accordée à un hebdomadaire parisien et souligne l’essentiel : « L’histoire montre qu’il y a eu beaucoup de menaces pour les chrétiens. Beaucoup de Libanais ont quitté le pays, c’est une menace en soi. Avec la guerre, la peur s’est accentuée. Mais elle a toujours existé, parce que le nombre de chrétiens diminue un peu partout au Proche-Orient. Ils avaient encore au Liban une situation confortable. Ils venaient ici trouver un climat de liberté et de démocratie. Mais si leur nombre continue à diminuer, alors je ne saurais vous dire dans quel pays du Proche-Orient ils se trouveront en sécurité. Lorsque les musulmans sont majoritaires, ils imposent leur doctrine coranique, leur façon de voir la société et de la bâtir. Cela, personne ne peut les en empêcher. »

 

 C’est pour cela qu’aujourd’hui de la Ligue maronite aux Forces Libanaises, on reste extrêmement attaché à l’application intégrale des accords de Taëf – qui avaient exigé en leur temps le désarmement des milices – qui assurent à chaque communauté sa représentativité et son rôle au sein de l’Etat. C’est la même volonté que l’on retrouve chez le patriarche maronite quand il dit dans le même entretien : « Ce n’est pas le nombre de membres qui compte mais

l’existence des communautés, et chaque communauté doit pouvoir se sentir à l’aise et être partie prenante dans les affaires de la République, qu’on soit nombreux ou pas. »

MAROUN CHARBEL

Mercredi 23 août 2006, 8 h 16.

 

 

Dans Présent du vendredi 25 août

 

e notre correspondant à Beyrouth.

Jeudi 24 août 2006. 06 h 36.

 

Ce matin, le survol de l’aviation israélienne me semble plus intense. Dix jours après la cessation des hostilités, on n’y prête plus vraiment attention. Il le faudrait pourtant.

 

Au sud – où des échanges de tirs ont eu lieu pendant 3 heures dans le secteur des fermes de Chebaa – et dans la Békaa ouest des raids « fictifs » de l’aviation nous rappellent, si besoin est, combien le calme est précaire. Combien cela va-t-il durer ? Nul ne peut le dire et rares sont les optimistes. Hier, nos grands adolescents et leurs aînés étaient heureux et fiers de la victoire du Liban sur la France 74 à 73 au tour préliminaire du mondial de basket-ball à Sendaï au Japon.

 

L’attente d’une solution, ou du moins du début de l’application de la résolution 1701 avec le déploiement d’une force des Nations Unies dotée du mandat et des moyens nécessaires à son application ronge, jour après jour, le capital confiance des Libanais quant à l’avenir et à la stabilité du pays. Et l’attente se mue inexorablement en interrogation

: pourquoi ? pour qui ?

 

Au nom du collectif du 14-mars, Dory Chamoun s’adresse au chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah en lui demandant « où sont donc ces victoires annoncées dans le Sud ?.. Auriez-vous le courage de dire aux Libanais : je me suis trompé dans mes choix et mes décisions ? »

 

Chamoun rappelle d’abord à Nasrallah la question soulevée il y a déjà quelques jours par Joumblatt : « Que faites vous de Taëf ? » Et va ensuite plus loin : « Est-ce vrai, ce que pensent beaucoup de Libanais, que vous allez instituer une République islamique chiite au Liban ? Répondez par oui ou par non. Il ne nous suffit plus d’être rassurés par le général Aoun que les armes du Hezbollah ne seront pas employées à l’intérieur » contre les autres

communautés.

 

Samir Geagea, dans un entretien à une agence de presse saoudienne, est encore plus clair quand il affirme

: « Le Hezbollah n’est pas un instrument entre les mains de l’Iran, proprement dit, mais plutôt le visage libanais de la révolution islamique… Toutes les communautés au Liban ont fini par se convaincre qu’il ne faut pas compter sur une puissance non libanaise pour tenter d’infléchir la politique libanaise, sauf une qui continue à considérer que les affaires internes du Liban concernent la oumma, la nation musulmane .»

 

Commentant les dernières déclarations de Bachar el Assad qui refuse le déploiement de l’armée libanaise ou des forces de l’ONU le long de la frontière syro-libanaise, Geagea a rappelé qu’il y avait très peu de chance que la Syrie coopère en la matière avec le Liban : « Pour le Baas, c’est une question idéologique. Ce n’est pas seulement qu’ils ont besoin de la carte libanaise dans leur stratégie régionale, mais leur idéologie leur dicte que le Liban est une province syrienne (...) comme on le voit notamment dans plusieurs de leurs manuels scolaires. » Et il ajoute : « L’influence syrienne au Liban s’est affaiblie, mais elle n’a pas disparu et cette influence se poursuit à travers le rôle que joue le président de la République. »

 

« Que faites-vous de Taëf ? »

C’est dans la réponse à cette question que se trouve l’avenir du Liban et de ses peuples. Du Liban-message de Jean-Paul II. Cet accord de 1989, et qui nous avait fait si mal alors, a désarmé toutes les milices mais a aussi établi le droit de chaque communauté et a défini son rôle dans un Liban inter-communautaire.

 

Consacrant ce que le patriarche maronite, le cardinal Sfeir disait : « Ce n’est pas le nombre de membres qui compte mais l’existence des communautés, et chaque communauté doit pouvoir se sentir à l’aise et être partie prenante dans

les affaires de la République, qu’on soit nombreux ou pas » (voir Présent d’hier).

 

Hier soir, une foule nombreuse célébrait à Achrafieh le 24e anniversaire de l’élection de Béchir Gemayel à la présidence de la République. Une foule où se mêlaient ceux de notre génération et qui se souviennent dans la fidélité, et les plus jeunes qui sont là parce qu’ils adhèrent à ce programme et qui ont applaudi à tout rompre le fils du président assassiné. Nadim Gemayel a rappelé que son père « avait dédié sa victoire à tout le Liban. Cette victoire n’était pas uniquement celle d’une fraction des Libanais ». Et il a très fermement conclu : « Ici, à la place Sassine, la place des martyrs Forces Libanaises et Kataëb, la provocation est interdite. Personne ne doit nous entraîner

vers la discorde. »

Moins d’une heure avant le début de la manifestation, une voiture arborant de grands portraits de Hassan Nasrallah, drapeau du Hezbollah claquant au vent, s’était garée au coeur de la place Sassine, lieu du rassemblement de la manifestation, jusqu’à l’intervention des forces de l’ordre. Il y a quelques jours des motards, étendards jaunes du Hezbollah et drapeau orange des partisans du général Aoun tendus à bout de bras, avaient sillonné les rues

d’Achrafieh. En début de semaine dernière nous les avions croisés, sans les couleurs du général, sur les grands boulevards au pied d’Achrafieh. Enfin les équipes de la LBC, la chaîne de télévision créée par les Forces libanaises, subissent de plus en plus souvent des vexations (et plus) dans la Banlieue-sud ou ailleurs dans les zones chiites ou

dans le Akkar à proximité de la frontière syrienne. Et c’est sans peine que nous croyons sur parole le ministre des Affaires étrangères israélien, Tzipi Livni, en visite à Paris, qui affirme que « nous sommes ces jours-ci dans la situation la plus sensible et la plus explosive qui soit ».

 

MAROUN CHARBEL

Jeudi 24 août 2006, 8h18.

 

Dans Présent du samedi 26 août

 

Merci la France

 

De notre correspondant à Beyrouth.

Vendredi 25 août 2006,

Saint Louis, 5 h 37.

 

« Les conditions mises en avant par la France étant remplies, j’ai décidé de répondre favorablement aux demandes du secrétaire général des Nations Unies, et des gouvernements libanais et israélien (…) Deux bataillons supplémentaires viendront, sur le terrain, étendre notre dispositif au sein de la Finul. Deux mille soldats français seront ainsi placés sous casque bleu au Liban (…) la France est prête, si l’ONU le souhaite, à continuer à assumer le commandement de la force. »

 

C’est en ces termes qu’au cours d’une très brève allocution radiotélévisée, hier soir jeudi, que Jacques Chirac a dit le « oui » de la France à sa participation et au plus haut niveau à la Finul-élargie ou Finul- Plus.

 

Merci la France ! Il n’y a rien d’autre à dire. L’Assomption de Notre-Dame nous aura offert la cessation des hostilités et le Cardinal Etchegaray. La Saint-Louis, 2 000 soldats français. Merci la France !

 

Ici nous n’avons pas le temps de réfléchir et de penser aux équilibres de la scène politique française aux calculs bassement électoraux qui ont peut-être sous-tendu cette décision. Pardon même d’y penser.

 

Mais sur le terrain si peu de choses ont changé que la question de la sécurité de ces hommes demeure presque entière. Vous me direz ce sont des militaires. Certes, mais pas des kamikazes et leurs chefs n’ont pas à les envoyer vers

mort certaine. Disons les choses autrement. La mission sera difficile, très difficile d’autant que hommes, si j’ai bien compris, viendront d’autres théâtres d’intervention ou alors auront tout juste achevé une mission à l’engagement aussi

dur. Pour le Premier ministre libanais, Fouad Siniora, c’est là « preuve supplémentaire de l’attachement français » au Liban. Israël a salué la décision française en qualifiant de « développement positif. La France a joué un rôle important

dans l’idée (...) d’une force internationale et l’annonce d’une orte participation française contribuera à la renforcer ».

 

Le ministre israélien des Affaires étrangères, Tzipi Livni, a, quant à elle, appelé la communauté internationale

à tirer profit au plus vite de cette « occasion » pour la paix en disant : « Nous sommes surveillés (...) par des extrémistes qui veulent embraser la région. »

 

L’Italie, qui, pendant quelques heures, avait pensé remplacer la France dans son rôle de locomotive de la Finul a exprimé son soulagement et sa satisfaction. « Cela participe de l’alliance forte et rapprochée entre l’Italie et la France et nous travaillerons ensemble au Liban pour les intérêts de la paix », a déclaré le Président du Conseil, Romano Prodi. Mais Prodi a lancé aussi un appel aux pays membres de l’Union européenne en espérant qu’à « contrecoeur ou pas, avec le sourire ou sans, il y aura une importante contribution européenne ».

 

Le ministre finlandais des Affaires étrangères, Erkki Tuomioja, dont le pays assure la présidence de l’Union européenne, a déclaré que, même si la situation au Sud-Liban « demeurait précaire » il était « essentiel » que l’UE déploie « le plus rapidement possible » ses renforts au Sud-Liban : « Nous aimerions voir les premiers renforts arriver

dans une semaine si possible (…) L’essentiel de la force devrait s’y trouver dans un délai de quelques semaines, car chaque jour, le cessez- le-feu risque de s’effondrer. »

 

Côté français, il faudra attendre le débat à la Chambre et le vote annoncés par Chirac. Et c’est ce vendredi soir que les ministres européens des Affaires étrangères doivent se réunir à Bruxelles en présence du Secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan.

 

Qu’est-ce qui a changé sur le terrain ou quelles sont les garanties obtenues par Paris ? Je ne pourrais vous les dire avec certitude. Mais nous pouvons essayer de les deviner en observant le terrain et en écoutant nos politiques libanais.

 

L’armée libanaise continue à se déployer dans le Sud et sur les frontières avec la Syrie. On a même appris

hier soir, par une déclaration du ministre de la Défense, qu’une cache d’armes du Hezbollah aurait été découverte, il y a quelques jours et que le « Hezbollah a laissé faire sans réagir » (!?). Ce matin, je ne sais pas si c’est vrai. Mais c’est tragiquement ubuesque et souligne combien est fragile la trêve et combien est dangereux le terrain sur lequel va avancer l’armée française.

 

En d’autres termes, si le Hezbollah ne continue pas à jouer le jeu et Israël aussi, les soldats de l’ONU risquent fort de se trouver pris sous le feu et sans pouvoir vraiment réagir malgré une chaîne de commandement réduite, etc. Le désarmement du Hezbollah reste dans l’escarcelle du gouvernement libanais. Le Hezbollah s’est voulu rassurant

hier et a annoncé que « malgré les violations par Israël de la résolution 1701 des Nations Unies » ils ne réagiront qu’avec « l’autorisation du gouvernement ». J’espère que ce n’est pas là l’une des garanties données à la France ! Nous avons bien vu ce que le Hezbollah fait des garanties qu’il donne et à quoi elles servent. A gagner du

temps pour mieux servir ses intérêts et ceux de sa révolution islamique.

 

Traversant hier soir Achrafieh pour aller à Jounieh après la déclaration de Chirac, je réalisais combien, pour nous à Beyrouth, l’effet d’annonce des 2 000 soldats français supplémentaires a été très vite estompé par la « gestion » de notre quotidien et par toute l’attention que nous portons aux agissements et déclarations de notre voisin syrien. Des queues interminables devant les stations services – un coup d’oeil rapide sur ma jauge me rassure quant à mon réservoir – sont la réaction immédiate des Libanais aux menaces de la Syrie de fermer ses frontières au cas où les troupes internationales s’y déploieraient. Le Premier ministre, Fouad Siniora, a dû, évidemment, faire face à une forte opposition de ses ministres du Hezbollah. Il aura beau avoir dit « qu’il revient au Liban de décider de ce qu’il faut faire pour assurer le contrôle de ses frontières », il s’inclinera et annoncera que seule l’armée libanaise se déploiera sur les frontières avec la Syrie « avec l’assistance technique » que le Liban « souhaiterait » obtenir de l’Allemagne. C’est à cette aune qu’il faut évaluer les « autorisations » que « demandera » le Hezbollah au gouvernement!

La Syrie a commencé à nous donner un avant-goût de fermeture en interrompant sa fourniture d’électricité. Ce qui n’augure rien de bon en matière de rationnement. Et les Libanais n’ont pas cru un instant leur gouvernement qui promet que nos réserves actuelles de fuel nous permettent de « durer longtemps ». Déclaration de Chirac ou pas, ils se

sont précipités dans les stations services. Le chef des renseignements militaires israéliens Amos Yadlin a mis

en garde les Israéliens contre un excès de confiance des Syriens, renforcé par les revers de l’armée israélienne

au Liban. Mise en garde qui vaut, à mon sens, d’abord pour les Libanais et les forces de l’ONU.

 

MAROUN CHARBEL

Vendredi 25 août 2006,

Saint Louis, 7 h 47.

 

 

 

 

Dans Présent du mardi 29 août

 

De notre correspondant à Beyrouth.

Lundi 28 août 2006, 7 h 15.

 

« Si j’avais su que la capture des soldats conduirait à ce résultat, nous ne l’aurions pas fait. » De qui se moque le chef du Hezbollah ? Dans un entretien accordé à une chaîne de télévision libanaise, la NewTv, Hassan Nasrallah essaye de

trouver des « excuses » à son aventurisme criminel et déclare : « Nous ne pensions pas, même à 1 %, que la capture conduirait à une guerre à ce moment-là et de cette ampleurlà… car ce genre de guerre n’est jamais arrivé dans l’histoire. Si j’avais su le 11 juillet (…) que cette opération conduirait à une telle guerre, est-ce que je l’aurais fait ?

Je réponds non. (…) »

 

C’est sans illusion aucune – mais avec beaucoup d’attention – que nous avons écouté Nasrallah justifier sa décision par le fait qu’Israël « allait de toute façon mener cette guerre au début de l’automne, et l’ampleur des destructions aurait

été encore plus importante ». Hassan Nasrallah est très fort.

 

J’ai essayé, tout au long de ce long mois de guerre, de rendre au plus près sa maîtrise de l’espace médiatique et de la prise de parole. Mais, cette fois, je doute que les variations de ton et les vibrations de sa voix si particulière aient pu

convaincre beaucoup de monde. Comment nous fera-t-il croire que le 12 juillet, il avait déjà oublié le 25 juin quand les Palestiniens de Gaza enlevaient un soldat israélien et que le gouvernement israélien envoyait ses chars, ses avions et ses soldats ? En trois semaines, nous avions bien eu le temps de méditer sur les inconséquences de certains actes, de contempler la destruction de l’infrastructure palestinienne et de compter les morts et les blessés dans la Bande de Gaza et la Cisjordanie. Nasrallah, lui-même, sait quel est le prix qu’Israël est prêt à mettre pour récupérer ses soldats vivants ou morts. Il suffit de se souvenir des derniers échanges de prisonniers.

 

En 1985, trois soldats israéliens sont échangés contre 1 150 prisonniers. En 2004, un agent (?) israélien et les corps de trois soldats sont rendus par le Hezbollah en échange de 436 prisonniers et les restes de 59 Libanais.

 

Dans ce même entretien, Nasrallah dit aussi s’être préparé à une telle guerre et que le blocus imposé par Israël n’aura aucune conséquence sur son armement : « Pour l’instant, ils s’embêtent à bloquer les ports, les frontières et tout cela,

mais cela ne servira à rien. Nous nous sommes organisés en prévision d’une guerre longue, dure et destructive. C’est pourquoi ce que nous avons utilisé au cours de la guerre ne représente qu’une petite part de ce que nous avons préparé. »

 

Et la population civile, objet aujourd’hui de toute sa sollicitude, avait-elle été préparée ? Qu’avait-on prévu pour la protéger « d’une guerre longue, dure et destructive » ? Rien.

 

Aujourd’hui, au sein même de la population chiite – qui continue à accueillir l’armée libanaise avec des pluies de riz et de pétales de roses – des voix s’élèvent pour condamner et demander des comptes.

 

Dans un entretien accordé à la LBC – chaîne de télévision fondée par les Forces libanaises – le mufti chiite de Tyr, Ali el-Amine, donne de la voix et ose déclarer « qu’il n’est pas concevable, sous le couvert de l’unité des rangs et de la solidarité, d’occulter le débat sur les résultats et les causes et sur la part de responsabilité dans cette guerre. (…) La population réclamera des comptes et posera des questions ». « Que le Hezbollah ait provoqué ce conflit ou qu’il y ait été entraîné, le résultat est le même : les gens n’étaient pas préparés à cette guerre (…) Nous n’étions préparés ni au niveau des abris ni au niveau des moyens de subsistance les plus élémentaires. Les Israéliens bénéficiaient d’abris luxueux alors que nous, nous étions à l’air libre. Lorsque l’on veut se lancer dans une telle guerre, il faut s’y préparer

sur tous les plans. »

 

Ali el-Amine va plus loin encore en osant toucher à un autre mythe de cette guerre de juillet, la victoire du Hezbollah. « Nous avons tenu bon, nous avons fait face à l’agression et les combattants ont résisté avec courage, mais on ne peut pas parler de victoire. (…) Il n’est pas honteux de dire que nous n’avons pas remporté de victoire. Les pertes que nous avons subies sont de loin supérieures à celles qu’a subies l’ennemi. » Il est heureux qu’une voix chiite autorisée – et non planquée dans un abri à x pouces sous terre – s’élève. Pour dire non seulement la réalité mais pour poser aussi les bonnes questions. Sayyid Ali el-Amine doute que le Hezbollah se détache totalement de la tutelle iranienne mais

il espère que les « derniers événements auront contribué à dégager une conception nouvelle de cette relation

(…) et que l’Iran se laissera convaincre que les chiites dans chaque pays ont leur spécificité nationale et que ses relations avec eux devront passer par l’Etat et non par un parti ou un individu ». Que de fois dans leur histoire, le Liban et ses peuples se sont-ils trouvés à une croisée de chemins ? Aujourd’hui les y voilà à nouveau avec, comme à chaque fois, un pays entier à reconstruire. Quant au Mufti de Tyr, Sayyid el-Amine, il est d’ores et déjà menacé de mort sur plus d’un site ou forum de discussion.

MAROUN CHARBEL

Lundi 28 août 2006, 8 h 38

 

 

 

 

 

Dans PRÉSENT du mercredi 30 août 2006

 

Embouteillages

 

De notre correspondant à Beyrouth

– Mardi 29 août 2006, 5 h 28.

 

Je ne savais pas que l’on pourrait être un jour heureux de retrouver les embouteillages et les bouchons des entrées de Beyrouth. Signes de reprise – timide encore – d’une certaine vie économique, ils sont à nouveau au rendez-vous aux horaires de bureau. Nous le savons bien : ce n’est là qu’un semblant de vie normale. Pays de services, pays de transit vers le Proche et le Moyen-Orient, le Liban et son économie ne peuvent fonctionner en situation de blocus – ce qui peut paraître comme une lapalissade, mais qui ne l’est pas. Et puis la confiance en ce pays est pour l’instant perdue.

 

Malgré ce qui semble être les prémices ou la promesse d’une solution globale, les Libanais ne peuvent y croire avec 15 ans d’efforts à terre. Si c’est sans illusions, c’est avec courage qu’ils reprennent le chemin de leur(s) bureau(x). Les

réductions de salaires sont telles, que la quête d’un second voir d’un troisième emploi est essentielle. Vous coupant les cheveux ou vous servant 500 grammes d’olives, votre coiffeur ou votre épicier préférés auront l’oeil vissé à leur écran

et vous commenteront chaque information.

 

Hier, ils attendaient tous Kofi Annan : « son avion arrive à 12 h 30 »… 12 h 25 « Son avion est arrivé ». Au milieu du clic-clic de ses ciseaux, mon coiffeur m’expliquera le discours de Nasrallah de la veille et conclura en disant « aujourd’hui le président Chirac va parler ». Que de fois, en un mois, avonsnous entendu « X va parler ». Dans

son désespoir, le Libanais est extrêmement sensible à l’effet d’annonce des discours. Ce que Hassan Nasrallah et le Hezbollah ont parfaitement compris en occupant tout l’espace médiatique.

 

« Il y a une chance pour un cessez- le-feu à long terme et une paix à long terme. Nous avons besoin de travailler tous ensemble, et c’est l’objet de ma visite ici », a déclaré le Secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, à son arrivée à Beyrouth hier.

 

A son programme des entretiens avec le chef du gouvernement, Fouad Siniora, et le président de la Chambre, Nabih Berry. Le président de la République Emile Lahoud ne figure pas sur son agenda. Une façon comme une autre de rappeler à Lahoud que l’illégalité de la prolongation de son mandat imposée par Damas n’a pas été oubliée, et encore moins effacée par ce si long mois de guerre. Annan nous a promis que la levée du blocus sera le « premier sujet » qu’il abordera avec ses interlocuteurs israéliens ce mercredi, qu’il y travaille comme à un échange de prisonniers. Dans une conférence de presse commune avec le Premier ministre Siniora, il a rappelé les principaux termes et obligations de la résolution 1701 et a souligné l’obligation « du démantèlement et du désarmement de toutes les milices… Au Liban, il ne doit plus y avoir qu’une seule loi, une seule autorité [...]. Il est temps de regarder vers l’avenir [...]. Il existe une

chance pour la paix et la stabilité ». Il a rappelé que « la Force internationale n’allait pas aller de maison en maison à la recherche des armes. Ce n’est pas sa mission… Nous sommes ici pour surveiller le cessez-le-feu. Mais si des vies sont en danger ou attaquées, [les forces] devront se défendre. J’ai la conviction que la plupart des Libanais, si ce n’est tous, ne veulent plus voir d’armes dans ce pays ». Annan a encouragé le gouvernement libanais et s’est déclaré satisfait « des mesures prises pour contrôler les frontières ». Il abordera cette question des frontières et du trafic d’armes à destination du Hezbollah lors de sa visite en Syrie – « J’examinerai cette question avec les autorités syriennes. Si tout le monde fait comme il faut, nous n’aurons aucun mal à sécuriser cette frontière. »

 

Annan demandera à la Syrie de nouer enfin des relations diplomatiques avec le Liban et de contrôler sa frontière. On verra tout cela en fin de semaine. En attendant, Kofi Annan achève ce mardi le volet libanais de sa tournée proche-orientale avant de se rendre en Israël, en Syrie et en Iran.

 

Je ne suis pas d’un naturel optimiste – vivre au Liban n’arrange pas les choses – mais le discours de Jacques Chirac en ouverture de la conférence des ambassadeurs ouvre quelques portes qui laissent entrevoir ce que pourrait être le début du chemin vers une solution globale.

 

Après avoir brossé un tableau – somme toute bien fait – de la situation, Chirac s’adresse à l’Iran mais aussi à la Syrie pour les encourager à trouver le chemin de la paix : « Le pari de la paix et de la sécurité s’adresse aussi à l’Iran et à la

Syrie. L’Iran ne trouvera pas la sécurité dans le développement de programmes clandestins, mais bien dans sa pleine insertion au sein de la communauté internationale. J’exhorte une fois encore Téhéran à faire les gestes nécessaires pour créer les conditions de la confiance. Il y a toujours place pour le dialogue. L’Iran est un grand pays. Mais la reconnaissance de son rôle lui crée aussi une obligation : celle de dissiper les appréhensions et de travailler à la stabilité régionale, comme il convient à un grand pays responsable. Quant à la Syrie, elle doit sortir de sa logique d’enfermement. Elle a vocation à reprendre sa place à la table des nations en respectant la légalité internationale,

les exigences de l’ONU et la souveraineté de ses voisins. Le Moyen- Orient a besoin d’une Syrie active au service de la paix et de la stabilité régionale. »

 

Aujourd’hui 29 août, décollation de Saint-Jean Baptiste, évidemment nos voeux et notre pensée vont vers nos chers Jean Madiran et Jeanne Smits. Dans quelques instants – du moins là où la coutume perdure – les enfants du Liban se

réveilleront avec une pastèque (!) sur l’oreiller. Pas une tranche ou une moitié de pastèque. Non ! Une belle et grosse et qui « sonne » bien quand on la frappe de la paume. Au petit-déjeuner, les pastèques seront

coupées en mémoire du chef de Jean-Baptiste. Celui qui aura eu la pastèque la plus rouge sera le héros

 

 

Dans Présent du jeudi 31 août.

 

« Vous avez dit des troupes pour Beyrouth »

 

De notre correspondant permanent

au Liban – Mardi 29 août

2006, 19 h 30.

 

Notre quotidien à Beyrouth ? me demandent nos amis.

 

Dans les zones, qui n’ont pas été touchées, ou partiellement, le rythme habituel semble reprendre ses droits avec les mêmes soucis « normaux » d’eau et de rationnement d’électricité d’avant le 12 juillet mais nettement plus graves.

 

Au-delà de ce vernis de « normalité » – exercice dans lequel les Libanais sont passés maîtres – des abîmes d’angoisse du lendemain. Vivons-nous une trêve ou le début de la solution ? Ces réductions de salaires acceptées pour échapper au chômage dureront-elles longtemps ? Ce chômage technique, sera-t-il prolongé en septembre ? Les récoltes et les moissons de septembre pourront-elles être ramassées ? et vendues ? Le blocus sera-t-il maintenu ? Et les questions s’enchaînent sans réponse. Alors les décisions sont remises à plus tard. Les investissements reportés, etc. Et la vie économique s’enlise et certains secteurs – tourisme en particulier – sont au bord de la faillite malgré les aides promises par l’Etat et les dispenses de taxes et d’impôts. Pourtant les prémices de quelque chose que l’on devine, sans deviner, se profilent. Beyrouth a vu défiler en 48 heures des envoyés et des délégations des principaux pays qui comptent dans la région et dans le monde. Y compris l’Iran et l’Irak.

 

La FINUL-élargie, ou FINULPlus, semble devoir se mettre rapidement en place avec l’arrivée des premiers éléments français et italiens. Si notre reconnaissance reste entière pour chacun de ces hommes qui ont accepté une telle mission, une question demeure. Un mot et une interrogation me reviennent sans cesse quand on évoque cette nouvelle FINUL « forte, crédible et solide » comme l’a décrite Kofi Annan : la participation souhaitée – exigée – des pays musulmans. Une exigence que l’on retrouve dès les premières évocations de nouveaux casques bleus au Liban. Lors de son allocution télévisée, Jacques Chirac déclarait « Cette force va se mettre en place. Mais elle doit reposer sur une juste répartition des contingents. Je suis intervenu auprès de mes homologues pour les convaincre d’y prendre toute leur part. Plusieurs partenaires européens vont le faire, de même que d’importants pays musulmans d’Asie. »

 

Samedi dernier, c’était Israël qui « encourageait » les pays musulmans – du moins ceux avec qui des relations diplomatiques existent – à participer activement à la nouvelle FINUL. « Si la Turquie décidait d’envoyer un contingent, nous accueillerions cela favorablement » , a déclaré Mark Regev, le porte-parole du ministère israélien des Affaires étrangères qui a souhaité que l’Egypte et la Jordanie contribuent aussi à former cette force des Nations unies.

 

Alors que Kofi Annan – qui a été conspué lors de sa visite dans la banlieue-sud de Beyrouth par une foule brandissant des portraits de Hassan Nasrallah et des slogans saluant la victoire du Hezbollah – poursuit sa tournée au Proche-

Orient, les pays qui se sont engagés à fournir des soldats à l’ONU se réunissaient à huis clos à New York. Après avoir remercié les pays pour leur promesse de contribution, Hedi Annabi, sous-secrétaire général des opérations de maintien

de la paix, a souligné combien les engagements de pays non européens, tel que l’Indonésie, la Malaisie et la Turquieparce que musulmans – étaient importants pour constituer « une force équilibrée et bien structurée dotée d’une légitimité et d’une efficacité maximum ». Le secrétaire adjoint de l’ONU, Mark Malloch Brown, souhaite, lui, que

la future force ait « un caractère multilatéral afin de bénéficier de la confiance des deux parties ».

 

Vu de chez nous, nous chrétiens du Liban ou Arméniens – on cherche les troupes chrétiennes ! Sans aucun doute nul ne tiendra compte du refus des Arméniens de voir arriver des troupes turques de sinistre mémoire ni du ressentiment des chrétiens du Liban qui se souviennent eux qu’un tiers de la population du Mont-Liban a été décimé par la famine organisée et maintenue par le blocus de la montagne par les forces ottomanes. Alors que nous pouvons parfaitement comprendre qu’un Israélien et un Allemand en uniforme n’aient pas envie de se retrouver face à face. Tenir compte des susceptibilités du Hezbollah quand on doit maintenir la paix fait aussi partie de la règle du jeu.

 

Aucun des contingents européens – qui formeront en principe l’ossature de la FINUL avec près de 7 000 hommes – ne se présente comme une « armée chrétienne » ou comme « l’armée d’un pays chrétien ». Encore une fois, se vérifie le fait que l’Occident qu’il le veuille ou pas, qu’il l’admette ou pas, est perçu et combattu par le monde musulman –

et malgré tous ses reniements – comme l’Occident chrétien. Comme l’Europe chrétienne. Comme la France chrétienne.

 

Est-ce que la participation de contingents de pays musulmans protégeront les autres ? Nous ne pouvons que l’espérer très fort.

MAROUN CHARBEL

Mercredi 30 août 2006, 1 h 29