Les Nouvelles
de
Chrétienté


n° 67

Le 11 novembre  2006

 

Assemblée des évêques de France à Lourdes

Du 3  au 9 novembre 2006

 

I- Les textes officiels.

Les évêques de France se sont réunis en Assemblée plénière  début Novembre, du 3 au 9 novembre, à Lourdes.

Trois textes retiendront notre attention :

A-le discours d’ouverture du cardinal Jean-Pierre Ricard, le 4 novembre,

B-le texte de l’Assemblée des évêques de France au cardinal Ricard, président de la Conférence des évêques de France. .

C-Le discours de clôture du Cardinal

 

II - Les réactions de la Presse

a) Présent

b) le Figaro

c) La croix

.

 

Le cardinal Jean-Pierre Ricard, archevêque de Bordeaux et président de la Conférence des évêques de France a prononcé à Lourdes le discours d’ouverture le samedi 4 novembre

A-                   Discours d’ouverture du Cardinal Jean-Pierre Ricard

 

Nous attirons particulièrement votre attention  sur le Troisième paragraphe qu’il intitule : «Notre Eglise changerait-elle de cap ? » L’Eglise change-t-elle de cap ? La création par Rome de l’Institut du Bon Pasteur est clairement abordée ainsi que  le « projet » pontifical du retour, dans l’Eglise, de la messe dite de saint Pie V.

« Permettez-moi d’ouvrir cette Assemblée avec ces mots de l’apôtre Paul invitant les chrétiens de Philippe à contempler le Christ ressuscité : « Il s’agit de le connaître, lui, et la puissance de sa résurrection et la communion à ses souffrances, de devenir semblables à lui dans sa mort, afin de parvenir, s’il est possible, à la résurrection d’entre les morts » (Ph 3, 10). La résurrection du Christ est la clef de voûte de notre foi. Elle est, par la vie nouvelle qu’elle nous communique, la source-même de notre expérience chrétienne.

Je suis frappé, chaque année, au moment de l’appel décisif des catéchumènes, de voir avec quelle force et quelle justesse bien des adultes qui demandent le baptême nous parlent de cette vie nouvelle qui transforme au jour le jour leur existence. Ils ont expérimenté, dans cet accueil personnel du Christ, ces fruits de l’Esprit que sont la foi, la paix du coeur, la confiance retrouvée, la joie, la liberté intérieure, la force pour pardonner, le courage pour témoigner et l’appel à découvrir l’autre comme un frère à aimer.

Fraternité et confiance, dons du Ressuscité

Deux de ces dons du Ressuscité me paraissent particulièrement précieux pour les temps que nous vivons : la fraternité et la confiance. Il y a d’ailleurs un lien intime profond entre ces deux réalités. La fraternité est liée à notre filiation divine. Fils du même Père, les autres nous sont donnés comme des frères à aimer. La confiance, elle, repose sur notre foi en la fidélité de la présence de Dieu et sur l’assurance de la venue de son Règne. Elle chasse la peur et soutient l’espérance. Elle invite à l’engagement.

Comme chrétiens, nous avons à recevoir de l’Esprit cette confiance et cette fraternité, à en vivre et à en témoigner. Car, elles sont les conditions indispensables à la réussite d’un épanouissement personnel ou d’une société véritablement humaine.

I. Les futures échéances électorales, une occasion de réfléchir sur notre société

Nous sommes entrés dans la période de préparation d’échéances électorales importantes pour notre pays. Officiellement, la campagne n’est pas encore ouverte. Pourtant, nous sommes déjà, de fait, en pleine campagne électorale ! Il n’est pas dans la mission de l’Eglise de désigner un candidat ni de faire le choix d’un parti. Mais il est de son devoir d’apporter sa contribution au bien de la société en proposant sa réflexion et l’engagement politique de ses membres. C’est ce que vient de faire le Conseil permanent en publiant son Message Qu’as-tu fait de ton frère ? Dans ce Message, qui sera certainement suivi par d’autres prises de parole de membres de notre Assemblée, nous mettons l’accent sur l’importance de la fraternité et de la confiance pour un renforcement de notre vie démocratique.

Un déficit de fraternité ?

La fraternité fait partie, avec la liberté et l’égalité, des valeurs fondatrices de la République. Mais n’assistons-nous pas aujourd’hui à un déficit de fraternité ? Dans une société où une économie de consommation exacerbe les besoins de l’individu, nous risquons de ne voir s’exprimer que la défense des intérêts individuels, voire catégoriels. On défendra plus ses droits qu’on n’obéira à ses devoirs. La perspective du bien commun, avec les sacrifices et les ajustements qu’il exige, court le risque d’être oubliée. Dans sa déclaration Réhabiliter la politique, la Commission sociale des évêques de France écrivait en 1999 : « L’organisation politique existe par et pour le bien commun, lequel est plus que la somme des intérêts particuliers, individuels ou collectifs, souvent contradictoires entre eux. Il "comprend l’ensemble des conditions de vie sociale qui permettent aux hommes, aux familles et aux groupements de s’accomplir plus complètement et plus facilement" (Gaudium et spes, 74 § 1). Aussi doit-il être l’objet d’une recherche inlassable de ce qui sert au plus grand nombre, de ce qui permet d’améliorer la condition des plus démunis et des plus faibles. Il se doit de prendre en compte non seulement l’intérêt des générations actuelles, mais également, dans la perspective d’un développement durable, celui des générations futures » (n° 9).

Il est, bien sûr, du rôle de l’Etat de veiller au bien commun. Il revient aux hommes politiques de proposer un projet mobilisateur pour la nation. Mais il ne faut pas tout attendre de l’Etat. Dans une vie démocratique, chacun doit être attentif au bien commun et artisan de fraternité. A quoi sert-il de dénoncer la constitution de ghettos dans de grands ensembles si personne ne veut, dans son voisinage, des familles en grande difficulté ou des populations immigrées ? Comment peut-on tout à la fois souligner l’absolue nécessité de biens collectifs comme une autoroute ou le contournement d’une ville et refuser unanimement que leur réalisation passe près de chez soi ?

La fraternité n’a pas de frontière. Certes, un citoyen est invité à aimer son pays, à y vivre concrètement cette fraternité. Le cardinal Roger Etchegaray disait fort justement : « Il trompe et se trompe celui qui prétend aimer les peuples lointains avec lesquels il ne vit pas et n’aime point son propre pays auquel il se frotte chaque jour » (Homélie de la Messe pour la France, Strasbourg, 10 juillet 2005). Mais le véritable amour de son pays n’implique pas la xénophobie ou le repli nationaliste. Il désire au contraire, pour son pays, des relations de paix, de justice et de solidarité avec les autres peuples. Il y a aussi un bien commun de l’humanité qu’il est vital de promouvoir.

Contre le fatalisme et la peur, la confiance

Notre vie démocratique risque d’être marquée, non seulement par un déficit de fraternité, mais aussi par un déficit de confiance. Plusieurs observateurs et sociologues ont pu parler de notre société comme d’une société de défiance. Tout d’abord, nous constatons souvent une défiance vis-à-vis de l’avenir. La notion de risque a pris le pas sur celle de progrès, le principe de précaution sur celui de transformation. La conviction qu’on pouvait faire des prévisions économiques à moyen ou à long terme décline. Certains sont aussi tentés par une défiance concernant le politique. Ils doutent du désintéressement des hommes politiques, du sérieux des promesses électorales souvent démenties dans les faits, de la marge de transformation possible de notre société par nos gouvernants.

Désintérêt, fort taux d’abstention de vote, réduction des enjeux politiques à une « politique spectacle », réactions populistes risquent de marquer, chez nous, comme d’ailleurs dans d’autres pays d’Europe, notre vie démocratique. Pourquoi s’engager si on est marqué par le fatalisme, si on croit que rien ne changera vraiment, si on pense que le divorce, le chômage, la pauvreté sont des réalités contre lesquelles il est inutile de lutter ?

Le fatalisme peut parfois s’accompagner d’un sentiment de peur. Certes, il y a bien des raisons de s’inquiéter devant la violence dans certaines banlieues, le terrorisme international, l’utilisation du religieux par des forces extrémistes, la destruction de notre environnement, les difficultés de transmission de notre savoir et de nos valeurs aux générations qui montent.

Mais il est dangereux de passer de l’inquiétude à la peur. L’homme qui a peur n’a plus de distance intérieure face aux événements. Sa raison et ses choix politiques risquent d’être soumis au diktat de ses émotions, de son angoisse ou de son agressivité. Il est prêt alors à toutes les aventures. La confiance intérieure permet au contraire de prendre du recul, d’analyser les situations plus rationnellement, de rester ouvert à cette dynamique du souci du frère si importante pour notre société. Face au fatalisme, la confiance fait naître l’espérance. Elle sait qu’il y a un avenir pour l’homme et que l’engagement de tous dans la préparation de cet avenir est aussi souhaitable qu’indispensable.

Soutenir le mariage et la famille

Dans le Message du Conseil permanent dont je viens de parler trois principaux chantiers de la fraternité ont été retenus : la famille, le travail et l’emploi, la mondialisation et l’immigration. Ce choix n’est pas exclusif d’autres préoccupations mais il nous a paru s’imposer dans les circonstances actuelles. Je ne vais pas reprendre chacun de ces points. Je vous renvoie au texte du Message.

Je souhaite simplement souligner ici l’enjeu des questions familiales. Nous sommes convaincus qu’il est important de soutenir aujourd’hui le mariage et la famille. Nous disons : « Le Message de l’Eglise veut s’adresser à la conscience de chacun : il appelle à bâtir des familles stables, fondées sur des couples, unissant un homme et une femme, qui prennent le temps de se préparer à leurs responsabilités d’époux et de parents. Soutenir la famille, c’est d’abord garder au mariage son caractère unique d’union acceptée librement, ouverte à la procréation et institutionnellement reconnue » (p. 8).

La famille est un des lieux majeurs où peut grandir la confiance. C’est vrai pour les époux. C’est vrai pour les enfants. Cela implique des familles stables. Il s’agit là d’un élément fondateur de notre société.

Il est donc important que notre législation défende le statut du mariage et que l’Etat soutienne les familles. On ne peut que les fragiliser si on admet des modèles pluriels d’unions et de familles, si on pense que tous se valent et qu’il faut aujourd’hui s’aligner sur la pluralité de fait des situations. Un enfant a le droit de vivre avec un père et une mère dans un foyer stable. En disant cela, nous ne défendons pas une image passéiste de la famille mais nous tirons la sonnette d’alarme à partir de notre expérience de pasteurs. Il ne s’agit pas, pour nous, de condamner les personnes qui divorcent ni de dire que tous les enfants de personnes divorcées sont traumatisés. Mais nous voulons attirer l’attention, par les confidences d’enfants et de jeunes que nous recevons, sur le fait que le divorce de leurs parents est souvent pour eux une source de souffrances vives, de déstabilisation personnelle et de perte de confiance. Notre société est-elle suffisamment attentive à la souffrance des enfants du divorce ? N’a-t-elle pas tendance à la minimiser ? C’est toute une réflexion qui est à poursuivre à ce sujet. En lien avec ces questions, notre Assemblée nous fournira l’occasion, avec l’étude du dossier intitulé Trois différences structurantes de la vie sociale : homme/femme, père/mère, frère/soeur d’approfondir de façon interdisciplinaire nos convictions anthropologiques et de partager nos expériences pastorales.


II. Confiance et assurance dans notre vie ecclésiale

Notre vie ecclésiale n’est pas exempte d’inquiétudes, elle non plus. Nous sentons que se poursuit un mouvement profond de sécularisation dans notre société. L’appartenance à la vie ecclésiale diminue et beaucoup n’ont plus automatiquement de références chrétiennes. Des courants d’opinion relègueraient volontiers le christianisme dans la pure sphère du privé et de l’intime. Le pluralisme religieux inquiète, surtout quand on le met en relation avec des phénomènes terroristes ou avec les persécutions de chrétiens de par le monde.

Beaucoup s’interrogent : quel sera l’avenir du ministère presbytéral en France, de nos communautés, de nos paroisses ? Quelle fidélité de l’Enseignement catholique à sa propre mission ? L’Enseignement supérieur catholique aura-t-il dans les années qui viennent les moyens de relever les défis qu’aujourd’hui il rencontre ? Quelle communion dans la foi et la charité fraternelle avec des catholiques qui ont quitté durant des années la famille ecclésiale ? Le Concile Vatican II reste-t-il toujours cette « boussole » guidant la marche de l’Eglise, dont parlait le pape Jean-Paul II ? Les inquiétudes ne manquent pas. Ce sont des questions qu’il faut prendre au sérieux. Mais il est important de ne pas se laisser habiter par la peur. Celle-ci nous fait percevoir le monde d’une manière catastrophiste. Elle facilite le complexe du persécuté, la tentation de la forteresse assiégée, le repli sur un « pré carré catholique » qu’il s’agit de défendre et de préserver. Celui qui a peur est prêt à sauter sur la moindre suggestion pastorale proposée, surtout s’il a l’impression qu’elle le sécurise et lui donne l’espoir de pouvoir faire disparaître la cause de ce qui l’angoisse. Ce n’est pas ainsi que notre Eglise en France veut se situer.

Ceux qui sont disciples du Christ ne sauraient avoir la nostalgie de retourner dans la maison aux portes verrouillées dans laquelle les disciples se tenaient avant la résurrection du Seigneur (cf. Jn 20, 19). C’est bien sur la place publique que, comme Pierre, ils doivent rendre compte, à quiconque le leur demande, de l’espérance qui les habite (cf. 1 P 3, 15).

Le Christ nous invite à la confiance. Comme à ses disciples affolés de voir la barque submergée par des vagues d’une mer en furie, il nous dit aujourd’hui : « Pourquoi avez-vous peur, gens de peu de foi ? » (Mt 8, 26). Notre confiance repose sur cette foi en la présence du Seigneur avec nous dans la barque et sur le don de son Esprit qui nous accompagne. C’est cette confiance qui nous permet de vivre avec assurance la mission que nous confie le Ressuscité : « Comme le Père m’a envoyé, à mon tour je vous envoie » (Jn 20, 21). C’est bien dans cet esprit que nous aborderons les dossiers proposés par le Comité Etudes et Projets.

Le travail du Comité Etudes et Projets

En novembre dernier, nous avions mandaté le Comité Etudes et Projets pour constituer trois groupes de travail sur les thèmes retenus par notre Assemblée. Le premier groupe sur les Trois différences structurantes de la vie sociale a terminé son travail et nous présente aujourd’hui le résultat de sa réflexion. Je souhaite remercier vivement, au nom de notre Conférence, tous ceux et celles qui, au titre de leurs diverses compétences, nous ont aidés dans l’élaboration de ce dossier. Les deux autres groupes sur L’enseignement catholique en France : un engagement éducatif chrétien et sur Ministères des prêtres et vie des communautés chrétiennes nous offrent un rapport d’étape et attendent nos réactions et suggestions pour poursuivre leur réflexion. Je ne reparlerai pas ici du premier dossier. J’ai évoqué brièvement le contexte et les enjeux de société dans lesquels il s’inscrit. Je souhaite présenter rapidement les deux autres dossiers.

L’Enseignement catholique en France

On peut toujours se plaindre de la loi Debré du 31 décembre 1959 et de ses contraintes. Si elle n’existait pas, l’Enseignement catholique en France poserait moins de questions, tant sa surface serait réduite et sa réalité devenue confidentielle. Près de cinquante ans après, il est bon pourtant de faire le point. Notre enseignement est-il toujours pleinement fidèle à sa mission ? Comment s’articulent, dans sa proposition, le souci éducatif de chaque enfant, le respect de sa liberté personnelle et l’annonce de la Bonne nouvelle du Christ qui est au coeur même de la mission de l’Eglise ? Chaque établissement catholique est appelé à être un lieu ecclésial, en lien avec d’autres lieux d’Eglise, et en particulier avec les paroisses. Qu’en est-il aujourd’hui ? Comment cela est-il possible ? Comment articuler les exigences du service public qu’il rend avec celles de sa mission ecclésiale ?

Il ne faut pas avoir peur de poser clairement ces questions. Il en va de l’avenir et de la mission de l’Enseignement catholique, à la fois dans l’Eglise et dans la société. Je remercie tous ceux et celles qui, au jour le jour, dans les établissements catholiques, s’affrontent à ces questions, les prennent en charge et essaient d’y répondre. Leur collaboration nous est particulièrement précieuse.

Les ministères des prêtres et la vie des communautés chrétiennes. Les prêtres portent fortement aujourd’hui le poids du jour. J’admire leur présence pastorale et leur dévouement apostolique, malgré la lassitude et la fatigue qu’ils peuvent ressentir certains jours. Que pourrions-nous faire sans ces premiers collaborateurs dans le ministère apostolique ?

Je crois important de réfléchir à nouveaux frais avec eux sur leurs conditions de vie et sur celles de l’exercice de leur ministère. Moins nombreux, ils ont une responsabilité de plus en plus lourde, sur un territoire de plus en plus vaste. Face à une situation de sécularisation avancée, ils ressentent fortement les difficultés de demandes sacramentelles qui n’ont pas été précédées par une première évangélisation. Ils se demandent comment rester proches de ce peuple dont ils sont les pasteurs. Ils souhaitent pouvoir trouver du temps pour souffler, se ressourcer, continuer à se former.

Il est important d’entendre ces interrogations. Nous ne pourrons y répondre qu’en les mettant en relation avec celles de la vie des communautés chrétiennes, de leur animation, de leur avenir, des initiatives que nous prenons pour soutenir leur vitalité et leur dynamisme missionnaire. C’est bien à un véritable travail à faire, de lucidité, de discernement et d’imagination pastorale, que nous sommes appelés.



III. Notre Eglise changerait-elle de cap ?

En avril dernier, nous avions souhaité poursuivre, lors de cette Assemblée de novembre, notre réflexion sur l’accueil des prêtres et des fidèles traditionnalistes dans l’Eglise. L’actualité de ces dernières semaines a donné à ce sujet une tout autre ampleur. Avec la création de l’Institut du Bon Pasteur, le 8 septembre dernier, puis avec l’annonce, dans les médias, d’une libéralisation possible de l’autorisation de célébrer la messe d’avant la réforme conciliaire, une émotion profonde, tant chez les prêtres que chez les laïcs, s’est exprimée dans nos diocèses.

Certains se sont demandés si cet accueil de groupes ayant toujours refusé l’enseignement du Concile Vatican II et sa réforme liturgique ne venait pas relativiser les orientations conciliaires et remettre en question tout le travail apostolique fait sur le terrain depuis une quarantaine d’années. Les évêques des provinces de Rouen et de Besançon (I)nt senti le besoin de répondre à l’interrogation de beaucoup par une lettre ou un communiqué qu’ils ont rendus publics. Il nous faudra prendre du temps en Assemblée pour revenir et échanger sur tout cela. Il sera intéressant d’entendre sur cette question quelqu’un qui est plus à distance de la situation française, le cardinal Marc Ouellet, archevêque de Québec, que je suis heureux d’accueillir et qui vient parler à notre Assemblée du Congrès eucharistique mondial qui se tiendra au Canada en 2008.

Revenant à notre sujet, je voudrais faire trois remarques :

1. La décision de libéraliser pour les prêtres la possibilité de dire la messe selon le missel de 1962 n’a pas encore été prise. Le Motu proprio annoncé n’a pas été signé. Son projet va faire l’objet de consultations diverses. Nous pouvons faire part, dès maintenant, de nos craintes et de nos souhaits.

2. Ce projet ne s’inscrit pas dans une volonté de critiquer le missel dit de « Paul VI » ni de procéder à une réforme de la réforme liturgique. Les livres liturgiques rédigés et promulgués à la suite du Concile sont la forme ordinaire et donc habituelle du rite romain. (Voir l’article de M l’abbé Barthe dans le § D ndlr) Ce projet s’origine plutôt dans le désir de Benoît XVI de faire tout ce qui est en son pouvoir pour mettre fin au schisme lefevbriste. (Voir l’article du Rédacteur en Chef du Figaro, par Guillaume Tabard, dans le § D ndlr) Il sait que plus les années passent, plus les relations se distendent et les positions se durcissent. Devant l’histoire des grands schismes, on peut toujours se demander s’il n’y a pas eu des occasions manquées de rapprochement. Le Pape souhaite faire son possible pour que la main soit tendue et qu’un accueil soit manifesté, au moins à ceux qui sont de bonne volonté et qui manifestent un profond désir de communion. C’est dans cet esprit qu’il faut comprendre ce projet de Motu proprio.

3. L’accueil de quelques-uns dans la communion ecclésiale ne saurait remettre en question le travail pastoral de l’ensemble. Non, l’Eglise ne change pas de cap. Contrairement aux intentions que certains lui prêtent, le pape Benoît XVI n’entend pas revenir sur le cap que le Concile Vatican II a donné à l’Eglise. Il s’y est engagé solennellement.

Dès son élection, il affirmait : « A juste titre, le Pape Jean-Paul II a indiqué le Concile Vatican II comme une "boussole" selon laquelle nous pouvons nous orienter dans le vaste océan du troisième Millénaire (cf. Lettre apostolique Novo millennio ineunte, 57-58). Et il notait aussi dans son Testament spirituel : "Je suis convaincu que longtemps encore il sera donné aux nouvelles générations de puiser dans les richesses que ce Concile du XXe siècle nous a prodiguées" (17 mars 2000). Par conséquent, moi aussi, tandis que je me prépare à accomplir le service qui est celui du Successeur de Pierre, je veux affirmer avec force ma très ferme volonté de poursuivre la tâche de la mise en oeuvre du Concile Vatican II, sur la trace de mes Prédécesseurs et dans une fidèle continuité avec la Tradition bimillénaire de l’Eglise » (Message à l’issue de la messe à la chapelle Sixtine, 20 avril 2005, DC n° 2337, p. 539).

Dans son discours à la Curie romaine où il critique un faux « esprit du Concile », le Pape déclare : « Quarante ans après le Concile, nous pouvons souligner que le positif est plus grand et plus vivant que ce qu’il paraissait dans l’agitation des années 1968. Nous voyons aujourd’hui que la bonne semence, tout en se développant lentement, grandit cependant, et ainsi grandit aussi notre profonde gratitude pour l’oeuvre accomplie par le Concile » (DC n° 2350, p. 60). Ces paroles méritent d’être entendues.

Je crois qu’il ne faut pas être habité aujourd’hui par la crainte et la peur. Là aussi, vivons la confiance. Pourquoi les événements récents ne seraient-ils pas l’occasion, pour nous en France, de faire une relecture paisible de notre réception du Concile, d’en relire les grands textes fondateurs, d’en saisir à nouveaux frais les grandes intuitions et d’en repérer les points qui méritent encore d’être pris en compte ? Ce n’est pas à une lecture idéologique de Vatican II que nous sommes appelés mais bien à une relecture spirituelle, dans l’action de grâce de ce que le Seigneur nous a donné de vivre et dans une disponibilité renouvelée pour la mission.

Entrons donc maintenant dans notre travail d’Assemblée en nous laissant guider par le Seigneur. Appuyons-nous sur celui qui vient vers les siens et leur dit : « Confiance ! C’est moi, n’ayez pas peur ! » (Mt 14, 27).

Cardinal Jean-Pierre RICARD
Archevêque de Bordeaux
Président de la Conférence des évêques de France

 

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(1) : Article paru dans l'Est Républicain en page Région Lorraine



 

 

Nous reproduisons ci-dessous le texte intégral du communiqué co-signé par les évêques du grand Est :

 



« Réunis le 25 octobre 2006 à Lons-le-Saunier, dans le cadre de l'instance régionale évêques-prêtres (Irep), les évêques de la province ecclésiastique de Besançon et les évêques des diocèses concordataires de Strasbourg et de Metz ont décidé de faire part au Saint-Siège de leurs inquiétudes suscitées par la création de l'Institut du Bon Pasteur, dans l'archidiocèse de Bordeaux et l'éventualité de la publication du Motu proprio du Pape Benoît XVI, généralisant l'usage du rite tridentin pour la célébration de la messe.

Les évêques soucieux du bien commun et de l'unité de l'Eglise, ont pris cette initiative en raison du trouble ressenti par beaucoup de fidèles, de diacres et de prêtres de leurs diocèses respectifs.

Estimant que la liturgie est l'expression de la théologie de l'Eglise, les évêques redoutent que la généralisation de l'usage du Missel romain de 1962 ne relativise les orientations du concile Vatican II. Une telle décision risquerait aussi de mettre à mal l'unité entre les prêtres, autant qu'entre les fidèles.

Depuis de nombreuses années, d'importants efforts de formation liturgique ont été réalisés, les évêques s'en réjouissent et encouragent leurs diocésains à poursuivre le travail engagé ».

Le texte est signé par Mgr André Lacrampe, archevêques de Besançon, Mgr Claude Schockert, évêque de Belfort-Montbéliard, Mgr Jean-Louis Papin, évêque de Nancy et de Toul, Mgr Jean Legrez, évêque de Saint-Claude, Mgr Jean-Paul Mathieu, évêque de Saint-Dié, Mgr François Maupu évêque de Verdun, Mgr Joseph Doré, administrateur apostolique de Strasbourg, Mgr Christian Kratz, évêque auxiliaire de Strasbourg, Mgr Jean-Pierre Grallet, évêque auxiliaire de Strasbourg, Mgr Pierre Raffin, évêque de Metz.

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Article paru dans l'Est Républicain en page Région Lorraine

Remous autour de la messe en latin
Depuis l'annonce de la réintégration de l'abbé Laguérie et d'un décret du Vatican réhabilitant l'ancienne liturgie, le monde catholique français est en ébullition.

NANCY. _ La prise de position sans équivoque des évêques de l'Est hier reste la plus forte de toutes celles qui ont été rendues publiques depuis l'annonce en septembre du retour de l'abbé Laguérie, l'ancien curé de Saint-Nicolas du Chardonnet à Paris, le fief des intégristes, et de la création à Bordeaux de l'Institut du Bon pasteur, chargé d'accueillir les prêtres pas si repentis que cela. De plus, en décembre, le Vatican a l'intention de publier un motu proprio, un décret, autorisant à nouveau dans toutes les paroisses la messe selon le rite Saint-Pie V, seulement célébrée aujourd'hui avec un indult, une autorisation spéciale, de l'évêque dans une seule église par diocèse.

Très vite, le cardinal Ricard, président de la conférence épiscopale et archevêque de Bordeaux a demandé des explications au Vatican. Mgr Claude Dagens, évêque d'Angoulême, a quasiment tapé du poing sur la table tout comme celui de Lille, puis les évêques de Normandie et même jusqu'à Mgr Vingt-Trois, archevêque de Paris qui a appelé à l'unité liturgique la semaine dernière, se sont insurgés contre le retour de la messe en latin du rite du concile de Trente, à la fin du XVIe siècle après la Réforme. Parce qu'on l'oublie trop souvent, il existe aussi une messe en latin dans le rite Paul VI.


«
L'unité de l'Eglise »

Derrière le rite, en effet, se cachent des enjeux autrement plus conséquents. Dans un sermon prononcé le 10 septembre à l'église Saint-Eloi à Bordeaux, l'abbé Laguérie n'a pas caché ses intentions : en finir avec le concile Vatican II. Autrement dit, il souhaite le retour à l'ancien rite qui développe une vision sacrificielle de la messe et non pas une théologie de la communion et telle qu'on la pratique aujourd'hui, mais s'oppose aussi à l'oecuménisme avec les protestants et les orthodoxes, au dialogue inter-religieux avec les religions non chrétiennes, ainsi qu'à la liberté religieuse. Avant le concile, la Vérité ne pouvait être que catholique !

La semaine dernière, Mgr Ricard et Mgr Vingt-Trois se sont rendus au Vatican pour faire part des remous provoqués par les décisions du Vatican. L'abbé Lagueyrie doit y aller, à son tour, dans les prochains jours. A Rome, l'Eglise de France est encore regardée avec méfiance : c'est dans notre pays qu'il y eut le plus d'expérimentations liturgiques, pas toujours heureuses, dans les années 70, sans compter une tradition de contestation qui a connu son apogée avec l'affaire Gaillot.

L'enjeu a été défini par Mgr Pierre Raffin de Metz dans un texte de la revue d'éthique et de théologie morale : « Si elle devait s'installer durablement, cette coexistence (entre le rite Paul VI et le rite Pie V) finirait par nuire à l'unité de l'Eglise catholique ».

Patrick PEROTTO
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Article paru dans l'Est Républicain en page Région Franche-Comté

Le trouble des évêques de l'Est
Ils font part de leur inquiétude face à la main tendue du pape aux prêtres intégristes.

BESANÇON. _ La création récente dans l'archidiocèse de Bordeaux de l'institut pontifical du Bon Pasteur inquiète visiblement nombre de fidèles, prêtres et évêques de France. On le sait, cet institut doit recevoir des prêtres intégristes à qui le pape Benoît XVI a récemment tendu la main pour les faire revenir dans le giron de l'Eglise. « Ces prêtres ne peuvent venir dans un diocèse sans l'accord de l'évêque des lieux, il n'est pas dans mon intention d'en accueilir, on ne peut rayer d'un trait le concile Vatican II », confiait récemment Mgr André Lacrampe, archevêque de Besançon.

Cette inquiétude, les six évêques de la province ecclesiastique de Besançon et les évêques des diocèses concordataires de Strasbourg et Metz ont décidé de la relayer à Lons-le-Saunier et d'en faire part directement au Saint-Siège. Face à « l'éventualité de la publication d'un Motu proprio du pape généralisant l'usage du rite tridentin pour la célébration de la messe », les évêques réagissent donc. Ensemble, les évêques, Mgrs Lacrampe de Besançon, Claude Schockert de Belfort-Montbéliard, Jean-Louis Papin de Nancy et Toul, Jean Legrez de Saint-Claude, Jean-Paul Mathieu Saint-Dié, François Maupu de Verdun, Joseph Doré, Christian Kratz et Jean-Pierre Grallet administrateur apostolique et évêques auxiliaires de Strasbourg, Pierre Raffin de Metz, se disent d'autant plus « soucieux du bien commun et de l'unité de l'Eglise » que beaucoup de fidèles, diacres et prêtres de leurs diocèses respectifs sont troublés.

Ensemble, ils affirment : « Estimant que la liturgie est l'expression de la théologie de l'Eglise, les évêques redoutent que la généralisation de l'usage du missel romain de 1962 ne relativise les orientations du concile Vatican II. Une telle décision risquerait aussi de mettre à mal l'unité entre les prêtres autant qu'entre les fidèles ».

Groupe Jonas

Par ailleurs, le groupe de réflexion Jonas du diocèse de Besançon composé de prêtres et laïcs avec des responsabilités ecclésiales, réagit aussi. Il a adressé un point de vue au président de la conférence des évêques de France et au Nonce apostolique à Paris. Pour lui, une restauration du rite Saint-Pie V (messe en latin) serait une remise en cause de Vatican II : « Il faut accueillir avec charité ces prêtres traditionnalistes, nous dit-on. Pendant 40 ans, ces prêtres ont combattu avec des méthodes discutables les textes de Vatican II et les évêques, prêtres et fidèles qui ont accueilli ces textes. Il s'agirait donc d'accueillir ces prêtres alors qu'ils proclament haut et fort n'avoir fait aucune concession et ne vouloir en faire aucune ».

Bref, les signataires attendent au moins une volonté réciproque de réconciliation. Ils rappellent que les tradis refusent bien des pans de Vatican II, ainsi « la liberté religieuse, l'engagement oecuménique, le dialogue inter-religieux ».

Enfin, pour eux, « demander au président de la conférence épiscopale de France d'appliquer la décision unilatérale de Rome semble une marque de mépris voire de négation de la collégialité » justement affirmée par Vatican II.


Y.A.

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Article paru dans l'Est Républicain en page Région Franche-Comté

La pétition des jeunes prêtres
Une cinquantaine d'entre eux ont déjà signé un texte, qui circule par internet, adressé aux évêques et au nonce apostolique.

NANCY. _ Ils ont tous moins de quinze ans de prêtrise. Donc moins de quarante ans. Ils représentent l'avenir et un avenir où le nombre de clercs aura fondu. De la messe Pie V, ils ne veulent pas et ils l'ont fait savoir dans un court document daté du 18 octobre et adressé « à nos évêques, au président de la Conférence épiscopale de France et au Nonce apostolique à Paris ».

« Nous affirmons notre attachement au rituel de Paul VI. Depuis notre baptême, il nous accompagne dans notre progression de foi et dans notre quête de Dieu », écrivent des dizaines de signataires de la France entière, dont les rangs grossissent chaque jour grâce à internet. Ils poursuivent : « A l'aise avec l'esprit de notre temps, nous avons choisi d'être des témoins d'Evangile en tant que prêtres et nous avons reconnu dans la vie de l'Eglise un équilibre entre la fidélité au Christ et l'actualité du monde. Prendre le risque de rompre cet équilibre par la décision symbolique de proposer un retour à un ancien rite est de nature à nous déstabiliser et à menacer l'unité du groupe de jeunes prêtres aux sensibilités déjà bien diverses ».

Ils concluent sévèrement à l'égard du pape : « Nous ressentons comme un besoin plus urgent de recevoir de Benoît XVI des signes d'encouragement à nous insérer dans le monde tel qu'il est pour y porter le témoignage d'une vie authentiquement chrétienne plutôt qu'à nous replonger dans une vie liturgique d'un autre âge ».

Soutien de l'archevêque

Pour Pierre Guerigen de Thionville (Moselle) « à Rome, on n'a pas mesuré que derrière la question liturgique, il y a la volonté de tirer un trait sur le concile Vatican II. Notre texte reflète le trouble sans être une pétition revendicative ».

Alors que Michel Sebald de Toul (Meurthe-et-Moselle) s'en tient à la lettre sans autre commentaire, le Bisontin Eric Brocard, qui a reçu le soutien de son archevêque, Mgr André Lacrampe, estime que « ce souhait de Benoît XVI de se raccommoder avec les intégristes risque de provoquer une scission non une réconciliation ». Pour lui, le bi-ritualisme est « dangereux », parce que « derrière la liturgie se cache une théologie : se retrouver face au tabernacle, réceptacle de Dieu, a une autre signification que de retrouver face au peuple ».

Ce jeune prêtre aime « l'esprit du concile » et se refuse à « devenir adepte d'une théologie de l'expiation », préférant « une théologie du don de soi ». Pour Eric Brocard, à l'évidence, « la liturgie, ce n'est pas seulement une guerre de sensibilité ».

P.P

Site de l'Est Républicain

 

 

B-Message de l’Assemblée des évêques de France au Cardinal Jean-Pierre Ricard, Président de la Conférence

 

Réunis à Lourdes pour leur Assemblée plénière, les évêques de France tiennent à exprimer leur communion avec le Pape Benoît XVI.

 

Avec lui, ils reconnaissent les richesses de l’enseignement du Concile Vatican II, fruit de la Tradition vivante de l’Eglise.

 

Avec lui, ils souhaitent poursuivre l’accueil des divers fidèles du Christ attachés aux formes liturgiques antérieures à ce Concile.

 

Avec lui, ils  partagent le désir de la réconciliation des prêtres et des laïcs qui se sont séparés de la communion ecclésiale après ce Concile

 

Les évêques attendent de la part de ces fidèles un geste d’assentiment sans équivoque aux enseignements du Magistère authentique de l’Eglise. L’histoire française a sa propre complexité : la question liturgique n’est pas la seule source des difficultés. Dans sa Tradition, l’Eglise a toujours associé la liturgie à sa foi.

 

Les évêques affirment leur attachement à la rénovation liturgique voulue par le Concile Vatican II, dont la mise en œuvre, toujours à promouvoir témoigne de la fidélité de tant de prêtres et de communautés.

 

L’Assemblée exprime sa fraternelle confiance au Président de la Conférence, le cardinal Jean-Pierre Ricard. Elle redit au Saint-Siège la volonté des évêques de France d’œuvrer pour la réconciliation dans la vérité et la charité.

 

Le 9 novembre 2006-11-10 En la fête de la Dédicace de Saint-Jean du Latran.

 

C-Discours de clôture du Cardinal Ricard

 

 

Jeudi 9 novembre 2006

 

« Notre Assemblée s’achève. Elle a expérimenté avec satisfaction la nouvelle méthode de travail que nous avons mise en place. Autour d’un thème choisi par notre Assemblée, des évêques intéressés se sont réunis, ont réfléchi, ont souvent fait appel à des experts et nous ont proposé le fruit de leur réflexion. Je souhaite ce matin, au nom de notre Conférence, dire nos plus vifs remerciements au Comité Etudes et Projets, aux présidents des groupes de travail, aux évêques et aux experts pour l’investissement précieux qui a été le leur.

 

 

LES DOSSIERS DU COMITE ETUDES ET PROJETS

 

Nous avons abordé successivement les dossiers suivants.

 

a-Trois différences structurantes dans notre société :

homme/femme, père/mère, frère/sœur

 

En choisissant ce thème de travail, nous sentions le besoin de revisiter et d’approfondir nos convictions anthropologiques concernant des réalités aussi fondamentales que la différence sexuelle, le couple, la parenté, la filiation… Le groupe d’évêques qui a mené à bien ce travail a voulu le conduire de façon interdisciplinaire. Il a donc commencé par solliciter la collaboration de théologiens, de psychanalystes, de philosophes, d’historiens et de juristes. Ceux-ci ont reçu la commande de rédiger des fiches de compréhension et d’argumentation. Nous en avons reçu une quinzaine. L’objectif était de nous faire travailler et ainsi de mieux comprendre cette modernité dans laquelle nous exerçons notre ministère de pasteurs et de docteurs.

 

L’exposé, dense et technique, donné par Monsieur Jacques Arènes le premier jour, nous a fait entrer dans la « théorie du gender ». Celle-ci est devenue la matrice idéologique d’où sont issues la plupart des remises en cause du moment. Les défis qu’elle lance sont redoutables. Nous voulons les aborder de face. Comment dialoguer avec une philosophie individualiste et « constructiviste » ? Comment rejoindre un être humain qui souhaite se construire sans se référer à une filiation, à une tradition et à un héritage ? Les échanges entre nous, dans un climat de grande liberté, nous ont permis de redire quelques convictions fondamentales.

 

Les textes bibliques de la création demeurent pour nous des textes d’inspiration qu’il convient de relire et de réinterpréter continuellement. Des approfondissements restent plus que jamais nécessaires : la figure masculine, l’autorité, la fraternité et la filiation, d’autres encore… Pourquoi ne pas intéresser à cette réflexion, vitale pour l’avenir de notre société, des cercles plus larges : des philosophes, des spécialistes des sciences humaines, des responsables politiques… ? La voie de la recherche sera longue. Nous sommes heureux d’en avoir parcouru aujourd’hui les premiers pas.

 

 

b- L’Enseignement catholique en France : un engagement éducatif chrétien

 

Nous avions également souhaité, lors de notre Assemblée plénière de novembre 2005, que soit mis en œuvre un groupe de travail sur la mission de l’Enseignement catholique aujourd’hui. Son objectif était de préciser ce qui définit le « caractère propre » des établissements catholiques d’enseignement et d’inciter tous leurs responsables à le mettre en œuvre avec confiance et courage.

 

Or cette référence au « caractère propre » est pour beaucoup de parents et d’enseignants source d’interrogation et de perplexité. Il désigne pourtant ce qui fait l’originalité et la particularité de l’Enseignement catholique : d’une part, un projet éducatif inspiré par une conception de l’homme qui a sa source dans l’Evangile et, d’autre part, une proposition explicite de la foi chrétienne et de la vie ecclésiale. Nous sommes tous d’accord sur les principes. Mais il nous faut voir comment ce « caractère propre » est mis en œuvre très concrètement sur le terrain. Cela implique un souffle, un esprit, l’engagement chrétien des responsables, une traduction institutionnelle dans les propositions pratiques faites aux enfants et aux jeunes. Cela ne se fait pas sans tension car nos établissements sont ouverts à tous les jeunes et sont souvent des lieux d’une première évangélisation.

 

Nous sommes conscients que les chefs d’établissement et leurs collaborateurs sont engagés dans un travail exaltant mais difficile. Ils l’accomplissent et le vivent comme une mission reçue de l’Eglise. Nous les assurons à nouveau de notre confiance et de notre soutien, notamment dans l’exercice de la responsabilité pastorale et missionnaire qui est prioritairement la leur. Mieux que quiconque, ils savent bien qu’on n’a jamais fini d’évangéliser ni de se laisser évangéliser.

 

Nous avons besoin de la collaboration de tous – communauté éducative, familles, enfants et jeunes – pour continuer à réaliser le projet de l’Enseignement catholique, avec sa vocation propre et au bénéfice de toute la société.

 

 

c- Ministères des prêtres et vie des communautés chrétiennes

 

Les échanges proposés par le groupe de travail sur « Ministères des prêtres et vie des communautés chrétiennes » nous ont permis de lancer une réflexion qui va se poursuivre dans les mois à venir, en Assemblée mais aussi avec les prêtres de nos diocèses. Dans nos partages, nous avons pu mesurer une nouvelle fois la générosité avec laquelle les prêtres portent le poids de la  mission, mais aussi l’ampleur des évolutions qui leur sont demandées.

 

En ces circonstances, l’importance du presbyterium, autour de l’évêque, nous est apparue comme une réalité dont il fallait redécouvrir la richesse théologique et spirituelle. Mais cette dimension constitutive du ministère presbytéral demande aussi des mises en œuvre pratiques, en particulier pour permettre aux différentes générations de prêtres de s’enrichir mutuellement.

 

La réflexion est également à poursuivre pour mieux discerner les conditions à favoriser afin de mettre en œuvre la dimension missionnaire du ministère des prêtres.

 

Beaucoup de prêtres ont découvert la richesse de leurs collaborations avec des diacres, des laïcs, des communautés religieuses. Il ne s’agit pas d’un transfert de tâches, mais bien d’une collaboration à la même mission, dans le respect de la spécificité de chacun. Nous pressentons encore combien les communautés chrétiennes sont appelées à avancer pour que la charge de cette mission soit réellement portée par tous.

 

Avec les prêtres, nous n’échapperons pas également au nécessaire discernement pour hiérarchiser les tâches de leur ministère en fonction de la mission concrète qui est la leur aujourd’hui.

 

Les pistes que continuera de nous donner le groupe de travail seront une chance pour avancer dans cette réflexion.

 

 

d- De nouveaux chantiers

 

Sur proposition du Comité Etudes et Projets l’Assemblée a décidé de lancer deux nouveaux groupes de travail : l’un sur Catholiques et Musulmans dans la France d’aujourd’hui et l’autre sur La Formation des futurs prêtres.

 

Par ailleurs, l’Assemblée a décidé aussi la création d’un Observatoire Foi et Culture qui devrait permettre à notre Conférence d’être particulièrement attentive à l’environnement culturel dans lequel nous avons à inscrire l’Evangile.

 

 

 

UNITE DE L’EGLISE, RECONCILIATION ET LITURGIE

 

Durant notre Assemblée, nous sommes revenus sur deux événements qui ont marqué notre actualité ecclésiale récente : la création de l’Institut du Bon Pasteur et l’information donnée par la presse de la publication prochaine d’un motu proprio qui élargirait les conditions mises à la célébration de la messe dite de « saint Pie V ». Nous savons l’émotion que ces deux nouvelles ont provoquée chez bien des prêtres, diacres et laïcs de nos diocèses. J’ai eu l’occasion d’aborder ce point un peu longuement dans mon discours d’ouverture. Je voudrais résumer ici, en quelques mots, le fruit de nos échanges et les convictions qui se sont exprimées lors de notre Assemblée et qui sont rappelées dans le message que vous m’avez adressé. Je vous remercie à ce propos de votre confiance et de votre soutien qui sont pour moi un grand réconfort.

 

1-      Evêques de la Conférence épiscopale, nous voulons, en premier lieu, exprimer notre communion profonde avec le pape Benoît XVI. Il sait qu’il peut compter sur notre collaboration fraternelle et l’aide de notre prière.

 

2-Nous partageons son souci de travailler à l’unité de l’Eglise et d’offrir un chemin de réconciliation à tous ceux qui, à la suite de Mgr Lefebvre, ont quitté la pleine communion avec le Siège de Pierre. Nous portons dans notre prière cette œuvre de réconciliation qui est un fruit de l’Esprit.

 

3-Nous avons la conviction que cette œuvre ne pourra se faire qu’en redécouvrant ensemble la réalité sacramentelle de l’Eglise et qu’en accueillant, avec humilité et simplicité, la fraternité chrétienne comme un don de Dieu. Voir toutes les relations dans l’Eglise en termes de stratégies à mener, de combats à livrer, de victoires à remporter et de polémiques à intensifier ne peut que nuire à cette œuvre de réconciliation.

 

4-Nous affirmons que l’enseignement du Concile et le dynamisme apostolique qu’il a impulsé à toute l’Eglise restent la « boussole » qui oriente notre marche. Nous disons notre vive reconnaissance à tous ceux, prêtres, diacres, religieux, religieuses et laïcs, qui ont contribué, avec beaucoup de générosité, à mettre en œuvre les orientations et les décisions conciliaires. Ils sont de bons serviteurs de l’Evangile.

 

Mais le Concile Vatican II est encore à recevoir. Il faut toujours vérifier que son souffle anime bien en profondeur la vie et le fonctionnement de nos communautés chrétiennes. Il s’agit de vérifier également que l’on ne met pas sous son patronage des façons de vivre, de penser, de célébrer ou de s’organiser qui n’ont rien à voir avec lui.

 

Rester fidèle au Concile ne veut pas dire non plus qu’on demeure nostalgique des premières décennies de sa mise en œuvre. Le Concile lui-même nous invite à vivre au sein d’une Eglise pérégrinante, d’une Eglise en marche vers le Royaume, qui reçoit au jour le jour les charismes et les ministères que l’Esprit Saint lui envoie, aussi déconcertants soient-ils.

 

5-Nous savons bien que les différends avec les fidèles qui ont suivi Mgr Lefebvre dans son « non » à Rome ne sont pas d’abord liturgiques, mais théologiques – autour de la liberté religieuse, de l’œcuménisme, du dialogue interreligieux – et politiques. Mais nous ne voulons pas pour autant minimiser l’importance de la liturgie qui est au cœur de la vie ecclésiale. Nous remercions à ce propos tous ceux et celles qui se sont formés, qui contribuent à la qualité de nos liturgies et qui permettent que nous ayons, dans bien des lieux, des célébrations belles et priantes, joyeuses et recueillies.

 

6-Nous souhaitons poursuivre l’accueil de ceux qui gardent un attachement à la messe dite de « saint Pie V ». Une diversité est possible. Mais celle-ci doit être régulée. Il en va de l’unité de la liturgie et de l’unité de l’Eglise. On ne saurait livrer le choix d’une des formes du rite romain – messe de « saint Pie V » ou messe de « Paul VI » – à sa seule subjectivité. Une Eglise où chacun construirait sa chapelle à partir de ses goûts personnels, de sa sensibilité, de son choix de liturgie ou de ses opinions politiques ne saurait être encore l’Eglise du Christ. Il faut résister aujourd’hui à la tentation d’une « religion à la carte ». Comme évêques, nous sommes prêts à veiller, avec le Saint-Père et sous son autorité, à l’unité et à la communion au sein de nos Eglises locales et entre nos Eglises.

 

 

 

PORTER LA BONNE NOUVELLE AUX PAUVRES

 

La communion est au service de la mission. Le Christ ne dit-il pas : « Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu’eux aussi soient un en nous, afin que le monde croie que tu m’as envoyé » (Jn 17, 21) ? Le travail de réconciliation dans l’Eglise est important à condition qu’il soit vraiment au service de l’annonce de l’Evangile. Il ne doit pas contribuer à refermer l’Eglise sur elle-même, en centrant toutes ses énergies sur des problèmes internes. C’est d’abord aux pauvres que nous sommes envoyés.

 

Dans la synagogue de Nazareth, Jésus annonce que, par sa venue, se réalise ce qui avait été annoncé par le prophète Isaïe : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a consacré par l’onction, pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres. Il m’a envoyé annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer en liberté les opprimés, proclamer une année de grâce du Seigneur » (Lc 4, 18-19).

 

A la suite du Christ, nous sommes invités à témoigner de l’amour du Père, de l’amitié du Fils et de la force de l’Esprit auprès de tous les hommes, et tout particulièrement des pauvres, de ceux qui souffrent, de tous ceux et celles qui sont fragilisés par la vie. Oui, « l’amour du Christ nous presse » (2 Co 5, 14). Nous ne pouvons pas nous dérober à l’appel du Seigneur.

 

Que la Vierge Marie, Notre Dame de Lourdes, nous fasse participer à sa joie, à sa confiance et à sa pleine disponibilité à la volonté du Seigneur !

 

 

 

+ Jean-Pierre cardinal RICARD

Archevêque de Bordeaux

Président de la Conférence des évêques de France

 

 

 

 

 

II-Les réactions de la Presse.

 

 

a-Un article de M. l’abbé Barthe, dans Présent du samedi 28 octobre 2006.

 

Il aborde le problème de la « forme ordinaire » ou de la « forme extraordinaire » du rite rite romain.

 

La forme “ordinaire” et la forme “extraordinaire” du rite romain
par l’abbé Claude Barthe


Faut-il que la joie de la libéralisation annoncée de la messe tridentine soit ternie par les qualifications de « forme ordinaire » du rite romain, employée pour désigner la liturgie de Paul VI, et de « forme extraordinaire », pour qualifier la liturgie traditionnelle ?
Passé un premier mouvement d’agacement, on conviendra que, somme toute, elles s’appliquent merveilleusement aux deux formes liturgiques. La liturgie
nouvelle, en effet, est par essence ordinaire. Cela résume même avec beaucoup de justesse les reproches et critiques de fond que l’on peut lui adresser : elle est une liturgie de la banalité, ou pour mieux dire de la banalisation, une liturgie ordinaire, ou pour mieux dire de réduction à l’ordinaire. Les signes en sont multiples, l’élément le plus immédiatement sensible ayant été pour les fidèles du rang celui du retournement de l’autel, qui fait en sorte
que la célébration des saints mystères se déroule désormais dans ce « face au peuple », dont la signification ne peut pas ne pas avoir une portée idéologique.
D’une manière plus générale, la nouvelle liturgie entre dans le projet d’une certaine acculturation moderne du christianisme. Or, cet accommodement partiel
ne peut être neutre (à la différence de l’acculturation du christianisme dans la civilisation slave, par exemple), car il représente l’impossible gageure de
christianiser une civilisation de masse, idéologiquement sécularisée, étrangère par essence à la culture qui faisait corps avec la culture chrétienne. Et sur cette pente de réduction à l’ordinaire, le nouveau rite de la messe, dans les innombrables variations de sa célébration, manifeste une immanentisation du message chrétien : la doctrine du sacrifice propitiatoire, l’adoration de la présence réelle du Christ, la spécificité du sacerdoce hiérarchique et généralement le caractère sacré de la célébration eucharistique s’y trouvent visiblement atténués. Extraordinaire est au contraire, et non moins essentiellement, la liturgie traditionnelle. Tout en elle est d’ordre ascendant : les gestes, les objets, les paroles, sont conçus pour arracher du profane,
du banal, de l’ordinaire. Le culte divin en sa forme traditionnelle, avec toute l’esthétique ou toute la poétique liturgique qui l’enclôt, est destiné à disposer l’âme chrétienne à l’infusion du surnaturel, de l’extraordinaire, que les actes sacramentels procurent : il a un caractère « humiliant » qui procure la « glorification » du pécheur réconcilié, par le biais d’un rite qui, parce que « donné » et non pas « fabriqué », parce que porteur d’une symbolique longuement mûrie, a précisément cette vertu de retirer le chrétien du « monde », certes afin qu’il y retourne apostoliquement, mais une fois rendu libre spirituellement.
Cette liturgie est d’autant plus adaptée à la véritable libération du pécheur qu’elle est inadaptée au monde moderne en tant que moderne. Pour le dire autrement et plus généralement : dans un monde du tout technique, qui repose sur la désacralisation en même temps qu’il la provoque, la mise en oeuvre du sacré que représente la liturgie traditionnelle est toute à l’opposé de cette « ouverture au monde », au monde ordinaire, celui d’une société de masse, machine à étouffer la culture qui porte le sacré, et à étouffer le sacré lui-même.
C.B.

b-- Pourquoi Benoît XVI fait de la réconciliation avec les « intégristes » une priorité, par Guillaume Tabard 

 

 

 

Pétitions, lettres et interviews d'évêques parlant de choix « grave » ou « préoccupant »... La simple perspective d'une « libéralisation » du rite tridentin, c'est-à-dire de la célébration de la messe selon le missel de Pie V, en vigueur jusqu'en 1969, suscite la polémique au sein de l'Église de France. En cherchant à mettre un terme à la dissidence lefebvriste, Benoît XVI aurait-il déclenché ou réveillé une crise au sein de l'Église ? À l'inverse, la vivacité des réactions traduit-elle la persistance du vieux « complexe antiromain » en France, celui qu'avait diagnostiqué le théologien Urs von Balthasar ?

 

Il y a dans, cette affaire, beaucoup de confusions. Pour bien des chrétiens, et a fortiori pour l'ensemble de l'opinion publique, prise à témoin du débat, les questions de liturgie sont des questions « techniques ». Dès lors, on parle de « retour de la messe en latin », expression impropre puisque le latin reste la langue officielle de la liturgie catholique et qu'une messe selon le rite de Paul VI peut tout aussi bien être célébrée en latin.

 

 

 

Parler de « rite latin » est tout aussi faux puisque l'expression ne renvoie pas à un clivage historique (avant ou après le concile), mais à une différence géographique et culturelle avec les « rites orientaux ». Surtout, même sur la base du texte qui circule, il ne serait nullement question de remplacer la messe de Paul VI par celle de saint Pie V, mais simplement de généraliser la possibilité de célébrer la seconde. Autrement dit, pour les fidèles de la première, l'écrasante majorité des pratiquants, rien ne serait changé.

 

L'autre source de confusion vient de ce que les réactions sont venues avant la décision. Certes, certains, à Rome, comme le cardinal Castrillon Hoyos, président de la commission Ecclesia Dei chargée du rapprochement avec les lefebvristes, poussent à une solution rapide et très généreuse et ont utilisé des vecteurs de communication faisant fi de la concertation avec les évêques les plus directement concernés. Mais les précisions apportées dimanche à Lourdes par le cardinal Ricard ont rappelé, utilement mais tardivement, que Benoît XVI n'était pas homme à imposer sans dialoguer.

 

Il n'en est pas moins vrai qu'en rouvrant la question du retour plénier dans l'Église des lefebvristes, Benoit XVI a assumé le risque de turbulences, à ses yeux moins graves que l'acceptation d'une rupture définitive.

 

L'ancien préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi n'a jamais pris son parti de l'échec in extremis des négociations de 1988.

 

La création, à cette époque, de la Fraternité Saint-Pierre et la reconnaissance de communautés attachées au missel de saint Pie V, ont permis à certains « traditionalistes » de rester en pleine communion avec Rome. Mais sans vider les rangs de ce que l'on a appelé les « intégristes ». Certains, au sein de l'Église, s'en sont accommodés, voire réjouis ; d'autres ont tablé sur une érosion numérique de cette sensibilité. Il n'en a rien été. La Fraternité Saint Pie X compte 450 prêtres. En France, les lefebvristes sont estimés à 35 000. Quelle communauté, quelle famille religieuse peut se targuer d'une mouvance de pareille ampleur ?

 

Pour Benoît XVI, l'impératif est spirituel avant que d'être arithmétique. Le Pape sait que plus les années passeront, plus la réconciliation sera impossible, il y a urgence.

 

La question du prix à payer pour cette réconciliation n'est pas mineure et les évêques qui se sont exprimés ont raison de souligner que le « schisme » (dont les « intégristes » contestent la réalité au regard du droit canon) ne repose pas uniquement sur des questions liturgiques et que les lefébvristes ne peuvent oublier que l'Église est fondée sur les évêques, successeurs des apôtres.

 

D'une certaine façon, Benoît XVI est dans la position du père de la célèbre parabole de l'enfant prodigue : en « tuant le veau gras » pour le fils qui s'est rebellé, il s'attire les foudres du fils qui est resté fidèle.

 

On peut s'étonner par ailleurs de trouver les plus hostiles à l'égard de ces catholiques séparés de Rome (« Pourquoi cet homme devait rester dehors », titrait La Vie au lendemain de la réintégration de l'abbé Laguérie) parmi les plus ouverts au dialogue avec les autres confessions chrétiennes et les autres religions. Il est également paradoxal que ceux qui s'inquiètent de la coexistence de deux missels et défendent mordicus l'unité liturgique au sein de l'Église ne se soient pas émus jusqu'à présent de l'extrême diversité née des libertés prises au nom de la « créativité ».

 

Le pari de Benoît XVI est en fait double : mettre un terme à la division entre catholiques, d'une part, et favoriser un meilleur respect, par tous, des règles liturgiques, d'autre part. « La différence entre la liturgie selon les livres nouveaux, comme elle est pratiquée en fait, est souvent plus grande que celle entre la liturgie ancienne et la liturgie nouvelle, célébrées toutes les deux selon les livres liturgiques prescrits » , faisait remarquer le cardinal Ratzinger en 1998.

 

Devenu Pape, il ne veut pas plus d'un « camaïeu liturgique » où chacun façonnerait les célébrations à son goût, mais que partout, quel que soit le missel utilisé, la liturgie soit vécue comme une oeuvre du Christ et non comme une mise en scène humaine.

 

Certes, les abus les plus criants des années 1970 ont presque tous disparu. Mais les intentions droites d'aujourd'hui s'accompagnent encore parfois d'un manque de formation quant à la signification profonde de la liturgie ; Benoît XVI veut pallier ce manque.

 

Le cardinal Barbarin le rappelait lundi dans Le Figaro : « Relisons attentivement la constitution du concile sur la liturgie qui demande aux célébrants une grande humilité. »

 

* Rédacteur en chef adjoint au Figaro

 

 

c- Dans la Croix, du 23 octobre 2006, un article de l’abbé de Ligugé, dom Lean-Pierre Longeat.

 L’unité de la liturgie romaine en question

Dom Jean-Pierre Longeat Bénédictin, abbé de Ligugé
Vouloir encourager dans l’Église latine le retour à un autre accent théologique par extension de l’Ordo de 1962, c’est générer un trouble très profond dans le peuple de Dieu


Les informations qui nous arrivent par bribes à propos d’une décision probable du Saint-Siège d’élargir la possibilité de célébrer la messe selon le rituel de 1962 (dernier état de la messe dite « de saint Pie V ») ou de 1969 (messe dite « de Paul VI ») au choix de chaque prêtre, nous invitent à réagir. Plusieurs points sont en question.
Le motu proprio annoncé semble dicté par deux motivations principales. La première est liée à l’intime conviction du Saint-Père qui, comme théologien, avait pris parti depuis longtemps pour un élargissement de la pratique de l’Ordo Missæ de 1962, tout en proclamant clairement par ailleurs que la coexistence de deux rites de la messe dans l’Église latine posait un « problème d’ecclésialité (1) ». La deuxième motivation est à mettre en relation avec la pression de groupes marqués par une sensibilité traditionaliste. Cette tendance est en désaccord avec des décisions du Concile, dont plusieurs de la constitution sur la liturgie. Mais on ne peut oublier que certains membres de ces groupes ont mis directement en cause le lien de subordination ecclésiastique, allant malheureusement jusqu’au schisme. La réintégration souhaitable de ces chrétiens séparés de Rome mériterait une consultation suffisamment large pour permettre aux évêques d’apporter un avis substantiel sur ces questions, qui touchent de près à la responsabilité de leur ministère.
Par ailleurs, autoriser un choix individuel pour l’un ou l’autre Ordo Missæ, de 1962 ou de 1969 (si tel est bien le cas dans l’éventuel motu proprio) n’encourage-t-il pas ce que Benoît XVI dénonce en matière de subjectivisme ? Favoriser ainsi le choix personnel de telle ou telle manière de faire au gré de ses convictions ouvre la porte non à la concorde que l’on souhaiterait, mais plutôt à la discorde, qui fera crier à beaucoup victoire plutôt que réconciliation.
Si cependant la décision est promulguée, il serait capital qu’elle ne concerne que l’Ordo de la messe, et non les rituels des autres sacrements et sacramentaux.
S’il n’y avait là qu’une question de sensibilité liturgique, des aménagements auraient pu être facilement trouvés. Le latin reste la langue officielle des éditions typiques du Missel : nous ne sommes donc pas dans une querelle de langue liturgique. L’orientation du prêtre durant la messe n’est pas précisée par le Missel romain, la messe « dos au peuple » peut être pratiquée dans le rituel de 1969 : ce n’est pas ce point qui fait difficulté. Les rites d’entrée et d’offertoire auraient pu recevoir des adaptations ad libitum. Par ailleurs, on aurait pu veiller davantage à ce que, pour la mise en oeuvre du Missel romain actuel, des initiatives malvenues quant à l’intelligence de la liturgie soient mises en question ou sanctionnées.
Visiblement, cela ne serait pas encore suffisant, car le vrai problème est ailleurs. La liturgie est un lieu théologique. L’Ordo Missæ de 1969 met en oeuvre en particulier la théologie de la constitution dogmatique sur l’Église. Lumen gentium présente l’Église à la fois comme Corps mystique du Christ et comme Peuple de Dieu réuni au nom du Christ ; ainsi le Concile dit que l’Église est « en quelque sorte le sacrement, c’est-àdire à la fois le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » (LG n. 1).
Face aux dangers de l’individualisme lié à l’évolution des mentalités depuis plusieurs siècles, Vatican II et la réforme liturgique qui en est issue insistent sur le rassemblement ecclésial comme sacrement global. Un tel sacrement se déploie dans la liturgie, mais aussi en relation avec la communion fraternelle à l’intérieur des communautés ecclésiales et entre elles. La communauté par excellence, c’est le Peuple de Dieu réuni en Église locale autour de son évêque, chaque membre tenant sa place dans cette unique eucharistie en étroite communion avec tous : assemblée, presbyterium (dont on comprend bien, dans cette perspective, qu’il soit encouragé à la concélébration), diacres et autres ministres.
La priorité théologique du concile de Trente était autre (même si l’aspect ecclésial y était présent) : mettre en valeur la réalité de la présence du Christ dans le pain et le vin eucharistiés et le rôle sacramentel du prêtre, contre la Réforme protestante. C’est pourquoi l’action sacrée du prêtre y est tant valorisée. Les paroles qu’il prononce in persona Christi permettent la transsubstantiation du pain et du vin en Corps et Sang du Christ. Certes, dans le rituel de 1969, les ministres gardent bien un rôle essentiel dans ce domaine, mais l’insistance porte aussi sur le fait qu’ils agissent comme ministres de la communauté ecclésiale (in persona Ecclesiæ), ministres « de la Tête et du Corps ».
Avec l’une et l’autre de ces théologies, des abus sont toujours possibles. Cependant, l’Ordo Missæ promulgué par Paul VI, établi sur une relecture approfondie de la tradition occidentale, n’est pas attaquable. Le Saint-Siège a engagé son autorité sur la théologie qui s’y déploie et qu’il a jugée, en communion avec les évêques réunis en concile oecuménique, bonne et nécessaire pour la vie de l’Église catholique. Vouloir encourager dans l’Église latine le retour à un autre accent théologique par extension de l’Ordo de 1962, c’est générer un trouble très profond dans le peuple de Dieu, dont les membres seront dangereusement livrés aux choix de leur subjectivité selon leurs goûts et leur sensibilité du moment.
En fils de Dom Guéranger qui défendit tellement l’unité de la liturgie romaine, il paraît aujourd’hui nécessaire d’affirmer haut et fort les magnifiques développements de la théologie et de la liturgie issues de Vatican II, pour permettre à l’Église de développer l’heureux message qu’elle reçoit de Jésus Sauveur dans un monde qu’elle aime et au service duquel elle veut donner sa vie avec amour.

(1) Cf. Actes des journées liturgiques de Fontgombault (22-24 juillet 2001), p. 179.