Les Nouvelles
de
Chrétienté


n° 68

Le 17 novembre  2006

Pour donner suite à ma critique de la pensée de Mgr Vingt-Tois exprimée dans son intervention lors du  colloque du cinquantième anniversaire de l’institut supérieur de Liturgie, je publie ici la pensée du cardinal Stickler sur la réforme liturgique et le Concile. Ce fut le thème de la conférence que le cardinal Stickler donna en 1997 en Autriche, son pays d’origine. Cette conférence sera un des chapitres  du  prochain livre à paraître en février 2007, intitulé « L’enjeu ». Le titre du chapitre sera : Le cardinal Stickler et la réforme liturgique de Vatican II.

J’en donne ici quelques extraits…

« Décembre 2001

 

Le cardinal Stickler, enfin s’exprime sur la réforme liturgique issue du concile Vatican II et entre, à son tour, dans cette bataille gigantesque. Son témoignage est tardif, certes. Il a du poids cependant.

Pensez !

En poste à Rome depuis 1937, le cardinal est canoniste, canoniste reconnu. Il fut professeur d’université puis recteur préfet de la bibliothèque vaticane et des archives secrètes du Vatican Il a été membre des commissions préparatoires du concile Vatican II, puis expert auprès des différentes commissions conciliaires en particulier la Commission liturgique.

 

On ne peut avoir meilleur témoin de la pensée conciliaire surtout en matière liturgique.

Or il se trouve que cet « expert » autrichien – c’est son origine – vient de parler … ou du moins que sa pensée vient d’être connue en France grâce à un beau travail de traduction réalisé par l’équipe du CIEL, le centre international d’Etudes Liturgiques.

 

En effet, en mai, le CIEL publie un petit livre blanc intitulé « Témoignage d’un expert au concile ». Loic Merian m’en fait adresser un exemplaire. Je l’ai dévoré, dés réception.  J’y ai trouvé des merveilles, des témoignages extraordinaires, des jugements fondés tels que celui-ci que j’ai déjà plusieurs fois cité : « pour résumer nos réflexions, nous pouvons dire que les bienfaits théologiques de la messe tridentine correspondent aux déficiences théologiques de la messe issue de Vatican II »

 

C’est la conclusion de la fameuse conférence qu’il donnait aux USA, à Fort Lee (New Jersey), le 20 mai 1995, à l’invitation de l’association « Christi fideles » sur le thème : « les bienfaits de la messe tridentine ». Vous trouverez ce jugement intéressant à la page 22 de ce petit fascicule

 

…..

 

Mon attention fut attirée par cette conclusion. J’en poursuivais  la lecture sur le champ.

Je poursuivais donc la lecture, toujours passionné. Là, Loic nous transcrit de l’allemand en français, une conférence du cardinal qu’il intitule « Souvenirs et expériences d’un expert de la Commission conciliaire sur la liturgie ». La conférence est assez longue. Elle va de la page 31 à 66 du livret qui n’en fait que 99. Elle fut donnée en 1997 à « l’ Internationalen théologischen Sommerakademie 1997 des linzer Priesterkreises ». Elle fut publiée, d’abord, en allemand par Franz Breid – Die heilige liturgie – Ennsthaler.

Malgré la longueur, je la dévorais

 

….

 

Le cardinal Stickler se présente

 

Ce n’est pas le dernier personnage de l’Eglise, pensais-je. « J’ai été professeur de droit canonique et d’histoire du droit ecclésistique à l’Université salésienne, fondée en 1940, puis pendant 8 ans, de 1958 à 1966, recteur de cette université. En cette qualité, j’ai bientôt été nommé consulteur de la Congrégation Romaine pour les Séminaires et les Universités, puis, depuis les travaux antépréparatoires jusqu'à la mise en œuvre des décisions du Concile, membre de la commission dirigée par ce dicastère romain. En outre, j’ai été nommé expert de la commission pour le clergé, et plus spécifiquement pour les problèmes relatifs aux droits patrimoniaux : il s’agissait surtout de débarrasser le Droit canon du système des bénéfices.

 

« Peu avant le concile, le cardinal Laraona, dont j’avais été élève pendant mes études de droit canon et de droit ecclésiastique au Latran et qui avait été nommé président de la Commission conciliaire pour la liturgie, me fit venir chez lui et m’annonça qu’il m’avait

proposé comme expert  de cette commission. Je lui objectais que j’avais déjà beaucoup à faire en tant qu’expert de deux autres commissions, surtout celles des séminaires et universités. Pourtant il maintint sa proposition en faisant remarquer que, considérant l’importance canonique des prescriptions relatives à la liturgie, il fallait également inclure des canonistes dans cette commission. C’est par cette fonction non recherchée que j’ai ensuite vécu le Concile Vatican II depuis ses débuts puisque, comme on le sait, la liturgie fut le premier sujet inscrit à l’ordre du jour. Je fus ensuite affecté à la sous-commission qui

devait rédiger les modifications apportées aux trois premiers chapitres et aussi  préparer l’ultime formulation des textes qui devaient être soumis, pour discussion et approbation, à la commission réunie en plénière avant d’être présentés dans l’aula conciliaire. Cette sous-commission se composait de trois évêques : Mgr Callewaert, archevêque de Gand, qui en était le président, Mgr Enciso Viana, de Majorque et, si je ne me trompe, Mgr Pichler, de Banjaluka (Yougoslavie), ainsi que de trois experts Mgr Martimort, le père Martinez de Antoniana, clarétin espagnol, et moi-même. Vous comprendrez aisément que, dans le cadre de ces travaux, on pouvait se faire une idée exacte de ce que souhaitaient les Pères conciliaires ainsi que du sens réel des textes votés et adoptés par le concile ».

 

 

Puis il donne un témoignage personnel – fort intéressant – sur la réforme liturgique : son jugement sur « l’édition définitive » du nouveau missel romain : « Mais vous pourrez également comprendre ma stupéfaction lorsque, prenant connaissance de l’édition  définitive du Nouveau Missel Romain, je fus bien obligé de constater que, sur bien des points, son contenu ne correspondait pas aux textes conciliaires qui m’étaient si familiers, que beaucoup de choses avait été changées ou élargies, ou allaient même directement au rebours des instructions données par le Concile ».

 

N’y tenant plus – il doit avoir du caractère – il demande une audience au cardinal Gut, alors préfet de la Congrégation des Rites : « Comme j’avais précisément vécu tout le déroulement du Concile, les discussions souvent très vives et longues et toute l’évolution des modifications jusqu’aux votes répétés qui eurent lieu jusqu'à leur adoption définitive,et que je connaissais aussi très bien  les textes contenant les prescriptions détaillées pour la réalisation de la réforme souhaitée, vous pouvez vous imaginer mon étonnement, mon malaise croissant et même ma fureur devant certaines contradictions particulières, surtout considérant les conséquences nécessairement graves que l’on pouvait en attendre. C’est ainsi que je décidais d’aller voir le cardinal Gut qui, le 8 mai 1968, était devenu préfet de la Congrégation des Rites en remplacement du cardinal Larraona, qui s’était retiré le 9 janvier précédent.

Je lui demandais une audience dans son logement au monastère bénédictin de l’Aventin, audience qu’il m’accorda le 19 novembre 1969. Je ferai remarquer en passant que, dans ses mémoires parus en 1983, Mgr Bugnini fait erreur sur la date de la mort de Mgr Gut, l’avançant d’un an : Mgr Gut est mort le 8 décembre 1970 et non 1969.

Mgr Gut me reçut très aimablement, bien qu’il fût visiblement malade et, comme l’on dit, j’ai pu déverser tout ce que j’avais sur le cœur. Il me laissa parler une demi-heure sans m’interrompre, puis il me dit qu’il partageait entièrement mes inquiétudes. Mais, ajouta-t-il, la faute n’en incombait pas à la Congrégation des Rites : en effet, toute la réforme était l’œuvre du « Consilium » constitué expressément à cette fin par le pape, dont il avait nommé le cardinal Lercaro Président et le père Bugnini Secrétaire. Dans ses travaux, ce conseil n’avait eu de comptes à rendre qu’au pape ».

 

Au passage, il donne son jugement sur Mgr Bugnini. Il faut le dire, ce n’est pas sans intérêt : « A ce sujet, une précision s’impose : le Père Bugnini avait été Secrétaire de la Commission sur la liturgie pendant la période préparatoire du Concile. Comme son travail, effectué sous la direction du cardinal Gaetano Cigogani, n’avait pas été jugé satisfaisant, il fut le seul à ne

pas être promu Secrétaire de la Commission conciliaire correspondante : cette fonction fut attribuée au P Antonelli, o.f.m, ultérieurement nommé cardinal. Le groupe des liturgistes, d’inspiration plutôt moderniste, fit valoir à Paul VI qu’il s’agissait là d’une injustice faite au Père  Bugnini et obtint du nouveau pape, qui était très sensible à ce genre de choses, que, en compensation  de cette injustice, le père Bugnini fut nommé Secrétaire du nouveau Consilium chargé d’opérer la réforme. Ces deux nominations  - celle du cardinal Lercaro et celle du P. Bugnini  - aux postes clefs du Concilium offrirent la possibilité de se faire entendre, pour l’exécution de la réforme, à des gens qui jugeaient ne l’avoir pas suffisamment été pendant le Concile, et aussi d’en faire taire d’autres : en effet les travaux du Concilium se déroulaient dans des zones de travail non accessibles aux non-membres.

Et pourtant, bien qu’ils se soient consacrés corps et âme aux travaux énormes et délicats réalisés par le Concilium, notamment sur le cœur même de la réforme, à savoir le nouvel Ordo Missale Romanum qui fut réalisé dans les délais les plus brefs, seul l’avenir nous expliquera pourquoi les deux principaux  acteurs sont visiblement tombés en disgrâce : le cardinal dut renoncer à son siège épiscopal, et le Père Bugnini, nommé archevêque dès 1968 et nouveau secrétaire de la Congrégation des Rites, ne reçut pas la pourpre cardinalice qui accompagne une telle fonction : il avait été nommé nonce à Téhéran lorsque, suite à une opération, la mort vint  interrompre son activité terrestre, le 3 juillet 1982 ».

 

 

Ce préambule étant fait, le Cardinal donne le thème de sa conférence : il veut juger « de la concordance ou de la contradiction entre les dispositions conciliaires et la réforme effectivement appliquée » (p. 35)

….

 

Tout au début, le cardinal nous rappelle quelques grands principes liturgiques heureusement soulignés par la Constitution « Sacrosanctum Concilium ». Il nous rappelle l’article 2 qui affirme que, dans la liturgie, «  tout ce qui est humain doit être subordonné et soumis au divin, le visible à l’invisible, l’action à la contemplation, le présent à la cité divine future que nous recherchons ». C’est à la page 35 du livret.
Qui ne serait d’accord avec ce principe…fut-il conciliaire !

 

Et vous savez le jugement du cardinal sur ce point. Tout simplement, les réformateurs ont échoué en cette affaire. Il écrit vers la fin : « Ma conférence, mes souvenirs et expériences, je pense, ont permis d’évaluer dans quelle mesure la réforme avait satisfait aux exigences d’ordre théologique et ecclésiastique énoncées par le Concile, en d’autres termes, de voir si, dans la Liturgie  - et surtout dans ce qui en constitue le centre,  la Sainte Messe – ce qui est humain a véritablement été ordonné et soumis au divin, ce qui est visible à l’invisible, ce qui relève de l’action à la contemplation et ce qui est présent à la cité future que nous recherchons. Et l’on arrive à se demander si, au contraire, la nouvelle liturgie n’a pas, souvent, ordonné et soumis le divin à l’humain, le mystère invisible au visible, la contemplation à l’activisme, l’éternité future au présent humain quotidien ». (p. 64).

 

Le cardinal fait tout simplement un constat d’échec total ; de sorte que, lui aussi, avec le cardinal Ratzinger, forme des vœux pour lancer la réforme de la réforme. La première aurait donc échoué ?  « C’est précisément parce que l’on se rend toujours plus clairement compte de la situation actuelle  (NDLR i.e : de la déconfiture de la réforme liturgique et son infidélité à la pensée conciliare…Mais à qui la faute…) que se renforce l’espoir d’une éventuelle restauration que le cardinal Ratzinger voit dans un nouveau mouvement liturgique qui éveillera à une vie nouvelle le véritable héritage du Concile Vatican II ». Et de citer le livre du Cardinal « Ma Vie », op cit p. 135. Mais c’est peut être Loïc qui a rajouté cette citation… !

Intéressant, intéressant, me disais-je. Enfin un cardinal de l’Eglise romaine qui parle et enseigne clairement.

Je poursuivais ma lecture. Je le fais aujourd’hui pour vous.

Le cardinal survole et résume quelques articles  fondamentaux du Concile. Des rappels tout a  fait évidents et traditionnels.

 

L’article 21, l’article 23 qui affirme qu’il ne faut  rien changer - en matière liturgique  - « avant que ne soit élaborée une soigneuse étude théologique, historique , pastorale, en s’assurant d’un développement organique harmonieux ».

 

Qui ne serait d’accord !

 

L’article 33 rappelle la finalité de la liturgie : «La liturgie est principalement le culte de la majesté de Dieu ». A la bonne heure !

 

L’article 34, l’article 54 sur la langue latine. Là, le cardinal donne son témoignage.

C’est fort instructif ! « Au bout de quelques jours de débats au cours desquel tous les arguments pour ou contre furent vivement discutés, on en est arrivé à la conclusion bien claire  - tout à fait en accord avec le Concile de Trente  - qu’il fallait conserver le latin comme langue cultuelle du rite latin mais que des exceptions étaient possibles et même souhaitables ». (p. 38-39)

Sur le chant grégorien, sur les orgues, le cardinal rappelle l’article 116 de la Constitution : « Le grégorien est le chant propre de la liturgie catholique romaine depuis l’époque de Grégoire le Grand et qu’en tant que tel, il doit être conservé ». (p. 39)

 

Il rappelle l’article 108 qui souligne spécialement l’importance des fêtes du Seigneur et surtout celles du « propre du Temps », lequel doit  avoir la priorité sur les fêtes des saints pour ne pas affaiblir la pleine efficacité de la célébration des mystères du salut (p. 39). Mais c’était l’enseignement qu’à Ecône, Dom Guillou, professeur de liturgie, dispensait aux séminaristes  avec énergie et conviction  - pour toujours.

 

Ces principes liturgiques  - et d’autres encore  - rappelés, le cardinal passe à la critique de la réforme liturgique  - l’œuvre conciliaire par excellence - C’est la deuxième partie de la conférence.

 

Sans vouloir être exhaustif en cette affaire, le cardinal aborde cette critique avec énergie et fraîcheur. Sous sa plume, je retrouvais l’enseignement de mes maîtres. J’étais heureux.

J’avais appris chez Dom Guillou, chez  Monsieur l’abbé Dulac que la liturgie devait exprimer la foi catholique. Que de fois, en effet, avais-je entendu de la bouche de Mgr Lefebvre, cet axiome : « legem credendi, lex statuit supplicandi » ou plus simplement dit : « lex orandi, les credendi ».

 

Je retrouvais dans ces pages, la même doctrine, la doctrine de toujours. Le cardinal écrivait : « la liturgie contient et exprime la foi de façon juste et compréhensible » (p.40). De sorte que « la pérennité de la liturgie participe de la pérennité de la foi, elle contribue même à la préserver ». Et comme la foi est immuable, la liturgie qui l’exprime l’est aussi. « C’est pourquoi il n’y a jamais eu de  rupture, de re-création radicale dans ancun des rites chrétiens, catholiques, y compris dans le rite romain latin » (p 40-41). L’évolution liturgique  - dès lors – est lente, nécessairement organique.

 

Je me régalais en lisant ces rappels. « Dans tous les rites, la liturgie est quelque chose qui s’est développée et continue de croître lentement ; partie du Christ et repris par les Apôtres, elle a été organiquement développée par leurs successeurs, en particulier par les figures les plus marquantes tels les Pères de l’Eglise, tout cela en préservant consciencieusement la substance, i.e ; le corpus de la Liturgie en tant que tel ».

 

Mais Dom Guillou nous enseignait la même chose ! Il écrivait en 1975, en la fête de la Pentecôte, dans un texte merveilleux qui constitue la préface du livre « Le livre de la Messe », édité par Philippe Héduy  - ce grand poète : « La messe est d’institution divine  et apostolique. Mais elle ne nous est pas parvenue telle que les Apôtres l’ont célébrée (bien qu’elle n’ait jamais été une pure imitation de la Cène…) elle est  maintenant la fleur d’une croissance « sui generis ». Ses éléments constitutifs se sont développés sans évolution, ni changement (substantiel) au cours des siècles …sous la conduite de l’Esprit Saint dont l’assistance a été promise à l’Eglise. » (p 17-18)

 

L’Esprit Saint est un et véridique. Ce qu’il inspire ne peut-être que un et véridique, le même à travers le temps. J’aime cette expression du cardinal. C’est clair, c’est net : « C’est pourquoi, il n’y a jamais eu de rupture, de re-création radicale…dans le rite latin romain ».

 

Il poursuivait  : « Il n’y a jamais eu rupture dans le rite romain latin à l’exception de la liturgie post-conciliaire actuelle, en application de la réforme…bien que le Concile…ait toujours réaffirmé que cette réforme devait préserver absolument la tradition ». (p. 40-41)

 

Jamais de rupture…à l’exception de la liturgie post-conciliaire actuelle !

 

Mais c’est l’enseignement du cardinal Ottaviani, me disais-je. Je me régalais.

Je courais prendre la lettre du cardinal Ottaviani à Paul VI et lisais :

« Le nouvel Ordo Missae, si l’on considère les éléments nouveaux, susceptibles d’appréciations fort diverses qui y paraissent sous-entendues ou impliquées, s’éloignent de façon impressionnante dans l’ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique de la sainte Messe, telle qu’elle a été formulée à la 22ème Session du Concile de Trente ».

 

C’est donc bien à une rupture que l’on assiste avec le Nouvel Ordo Missae. Cet éloignement est une véritable rupture avec la Tradition. Du reste le cardinal Ottaviani utilise lui-même le mot : « Les raisons pastorales avancées pour justifier une si grave rupture… ».

 

Le cardinal Stickler a la même analyse. Avec le Nouvel Ordo Missae, on assiste à une véritable rupture  avec la Tradition, « à une véritable et radicale nouveauté ». Il l’affirme tout de go : « L’ordo Missae (est) radicalement nouveau ».

 

Et ceci est une véritable nouveauté, la nouveauté par excellence… « Alors que toutes les réformes antérieures adoptées par les papes et tout particulièrement celle entreprise sous l’impulsion du Concile de Trente  et mis en œuvre par le pape Pie V et jusqu’à celles de Pie X, de Pie XII et de Jean XXIII, ne furent pas des révolutions mais uniquement des corrections qui ne touchaient pas l’essentiel, des ajustements et des enrichissements » (p. 41)

C’est ce que demandait, du reste, le Concile en son article 23 : « Le Concile  a expressément dit, à propos de la restauration souhaitée par les pères, qu’aucune innovation ne devait être faite qui ne fut vraiment exigée par l’utilité de l’Eglise ».

 

Non ! L’Ordo Missae est radicalement nouveau ! Je me souvenais de notre savant abbé Dulac qui, dans l’analyse qu’il faisait de la Bulle « Quo Primum » ne cessait de rappeler les termes de la Bulle : « Restaurata », « restaurata ».

 

Non ! Nous n’avons rien de tel avec Paul VI. Nous avons un « Novus Ordo Missae ». Rien de comparable.

 

J’étais, vous dis-je, aux anges en lisant tout cela…Mais je me souvenais aussi des affirmations du cardinal Médina et du Cardinal Castrillon Hoyos… qui parlent, eux, de continuité dans le rite romain, d’un « Ordo » à l’autre. Le cardinal Castrillon Hoyos  - en particulier  - ne disait-

il pas qu’il ne fallait pas « contraposer les deux rites. Ils seraient substantiellement identiques… »

 

Le Pape lui-même, alors qu’il recevait les communautés relevant du Motu Proprio « Ecclesia Dei », le 26 octobre 1998  - venues à Rome en action de grâces, leur tenait même langage : « les derniers Conciles œcuméniques – Trente, Vatican I, Vatican II  - se sont particulièrement attachés à éclairer le  mystère de la Foi et ont entrepris des réformes nécessaires pour le bien de l’Eglise, dans le souci de la continuité avec la Tradition apostolique déjà recueillie par saint Hippolyte ». (La Nef, n° 89. dec 1998).

 

Que les choses sont bizarres !

Même au plus haut niveau du gouvernement ecclésial…les jugements des autorités divergent  fondamentalement sur le même objet : la réforme liturgique.

Pour les uns, nous aurions « une nouveauté radicale ». Pour les autres, « une continuité parfaite ». Le magistère est vraiment divisé. C’est un des éléments de la crise de l’Eglise. Qui croire ?

 

Mais poursuivons la pensée de notre cardinal.

Il nous dit : « Nous allons maintenant présenter quelques exemples  marquants (sans vouloir être exhaustif) de ce qui a été créé dans la réforme post-conciliaire et en particulier dans son cœur : l’Ordo Missae est radicalement nouveau » (p. 41)

 

Alors le cardinal passe en revue  le nouvel Ordo. Il feuillette le nouvel Ordo. Il n’insiste pas sur l’introduction de la messe. Elle est « nouvelle », dit-il,  page 42 et surtout comporte de « multiples variantes » (id), ce qui souvent aboutit à une  diversité  presque illimitée mais il en vient, tout de suite, à l’Offertoire. Là, il parle à ce sujet de « révolution ». « L’offertoire, dans sa forme et sur le fond, constitue une révolution : il n’est, en effet, plus prévu d’offrande préalable des dons mais simplement d’une préparation des oblats avec une teneur nettement humaniste mais qui, en fin de compte, donne tout de suite, une impression de dépassé » (p. 42) Il parle même de symbolisme « malheureux ». L’industrialisation a envahi l’agriculture et la culture des céréales …

 

Il poursuit : « Quand aux signes hautement loués par le Concile de Trente et exigés par  le Concile de Vatican II, tels que les nombreux signes de croix qui renvoient à la Très Sainte Trinité, les baisers de l’autel et les génuflexions de tout cela, on a fait table rase ». (p. 42)

Il parle ensuite du sacrifice qui est l’essence de la Messe. Il écrit : « Le centre essentiel de la messe qui était précisément l’action sacrificielle elle-même, a été déplacé au profit de la communion, (…) le sacrifice de la messe a été transformé en un repas eucharistique. Ce faisant, si l’on considère les termes utilisés, la communion est devenue, dans la conscience des fidèles, la seule partie de la messe ayant un effet intégrateur en lieu et place de la partie essentielle qui est l’action sacrificielle de la transsubstantiation »… « Il  est faux de faire de l’Eucharistie un repas, ce qui se produit presque toujours dans la nouvelle liturgie » (p. 43)

On a envie de dire au cardinal : alors quoi ! Cette nouvelle Messe est-elle sacrifice ou repas ? L’un est-il l’autre ? Le sacrifice n’est pas un repas, ni un repas, un sacrifice. Mais le cardinal Castrillon Hoyos  vous dit qu’il ne faut pas « contraposer » les deux rites…

Je me souvenais du « Bref Examen Critique », de la critique du fameux article 7 qui, dans cette affaire  liturgique, est capital.

 

Je le relisais : « La définition de la messe  est réduite  à celle de la Cène et cela apparaît continuellement (aux n° 8 –48-55-56). Cette Cène est, en outre, caractérisée comme étant celle de l’Assemblée présidée par le prêtre, celle de l’assemblée réunie afin de réaliser « le mémorial du Seigneur », qui rappelle ce qu’Il fit le Jeudi Saint ».

« Tout cela n’implique ni la présence réelle, ni la réalité du Sacrifice, ni le caractère sacramentel du prêtre qui consacre, ni la valeur intrinsèque du sacrifice eucharistique indépendamment de la présence de l’Assemblée ».

« En un mot, cette nouvelle définition ne contient aucune des données dogmatiques qui sont essentielles à la Messe et qui en constituent la véritable définition. L’omission, en un tel endroit  de ces données dogmatiques, ne peut qu’être volontaire. Une telle omission volontaire signifie leur dépassement et au moins, en pratique, leur négation » (Bref exament  critique).

 

 

 

J’avais encore en mémoire toutes ces phrases quand  j’arrivais au §2 de la page 43, je tombais sur ces paroles fulgurantes : « Ainsi, sont posés les fondements d’un  autre détournement de fonction : à la place du sacrifice présenté à Dieu par le prêtre ordonné en tant qu’un « alter Christus », s’instaure la communauté de repas des fidèles assemblés sous la résidence du prêtre ». (p. 43).

 

Mais attention, le cardinal poursuit : « La définition de la Messe qui, dans la première édition du N.O.M. confirmait cette conception, a pu être supprimée, au dernier moment, grâce à la lettre écrite à Paul VI par les cardinaux Ottaviani et Bacci : cette édition fut mise au pilon sur ordre de pape. Pourtant, la concession de cette définition n’a entraîné aucune modification  de l’Ordo Missae en lui-même »  (p. 43)

 

J’étais estomaqué !

Avouez, sous la plume d’un cardinal, c’était cinglant, court, bref. Les mots choisis particulièrement exemplaires. J’espère que Loïc Merian a bien traduit.

On comprend que le cardinal Stickler puisse – lui aussi  parler « de bouleversement du cœur même du  sacrifice de la messe ».

 

Il insiste. Il veut enfoncer le clou.

 

« Ce bouleversement du cœur même du sacrifice de la messe fut confirmé et accentué par la célébration, « versus populum », pratique autrefois interdite et renversement de toute la tradition de la célébration vers l'orient et dans laquelle le prêtre n'était pas l'interlocuteur du peuple mais se tenait à sa tête pour le guider vers le Christ avec te symbole du soleil levant à l'est ». (p. 43)

 

Je n'en croyais pas mes yeux.

 

Je retrouvais tout l'enseignement d'Ecône, celui que nous avait donné Dom Guillou dans des pages célèbres qui ne le sont pas assez même dans nos milieux.  En voici un exemple à faire exulter de joie :

« Toute l’ histoire de l'Église elle-même, est une montée de lumière dans l'accroissement du nombre des élus et dans l'épanouissement du développement de ses dogmes et de son mystère propre, jusqu'à son achèvement dans les éblouissantes splendeurs de la Jérusalem éternelle où l’introduira, toute blanche, lavée dans le sang de l'Agneau, l'Époux divin, revenu en gloire pour établir son règne définitif, apparaissant sur les nuées du Ciel comme un éclair qui part de l'Orient « sicut fulgur exit ab oriente…» .

« Faut-il redire ici, après ce bref aperçu, le dommage causé à l'esprit et à la manière liturgique par l'abandon de la règle de l'orientation des églises et de la messe et de la prière orientée, règle qui se relie à un immense contexte éminemment humain, biblique et chrétien. Les Anciens voulaient que le sanctuaire de leurs églises soit comme un Orient spirituel que la lumière matinale inonde à cette première heure de l'office de Laudes qui se termine, chaque jour, par le chant du « Benedictus » de Zacharie, célébrant l'Orient « ex alto », illuminant ceux qui sont assis à l'ombre de la mort… Comme elle est significative ensuite, dans la joyeuse clarté de l'aurore, cette prière du prêtre au bas des degrés lorsqu'il s'apprête à monter dans la nuée lumineuse de l'autel: « Emitte lucem tuam et veritatem tuam : ipsa me deduxerunt et adduxerunt in montem sanctum tuum ... et introibo ad altare Dei, ad Deum qui laetificat juven-tutem meam » (Ps. 42). Sera-t-il dit que tout ce poème des choses, que toutes ces correspondances merveilleuses échapperont à la myopie réformiste ? Pourtant, même au strict point de vue pastoral, quelle plus belle illustration de cette vérité : notre vie toute entière est comme une messe qui nous conduit à l'union au Christ, à la céleste illumination où tout sera renouvelé dans une jeunesse éternelle, par les mérites de la Passion et de la Résurrection du Sauveur » (Lumen Christi - Nouvelles de Chrétienté - numéro spécial de Pâques 1952). Oh, merveille de culture !

 

Puis le Cardinal en arrive à la formule de la consécration du pain et du vin.

 

 

Là, sur ce sujet, il est également très sévère. Jugez vous même !

Il parle de la très grave atteinte à la formule de consécration du vin en le Sang du Christ en raison de la suppression des mots « Mysterium fidei ».

 

« Les mots « Mysterium fidei », en ont été supprimés pour être ajoutés à l'appel du peuple à la prière, après la consécration, ce qui fut présenté comme un gain majeur du point de vue de la « participatio actuosa » » (p. 44 ).

 

Là, le Cardinal part en guerre, il se déchaîne. C'est le cardinal, recteur d'Université, archiviste, qui parle. Il enseigne. Il cite ses sources. Il démontre que « Mysterium fidei » - ces deux mots - sont d'origine apostolique. Il ne fallait en rien y toucher.

 

Saint Basile l’enseigne. Saint Augustin aussi. Le « Sacramentarium Gelasianum » également. « Le « Sacramentarium Gelasianum » qui est le livre de messe le plus ancien de l'Église romaine, dans le Codex Vaticanus, Reg. Lat. 316, in folio 181v, dans le texte original (il ne s'agit donc pas d'une addition postérieure) inclut clairement le mysterium fidei » (p.45). Il poursuit - on sent le Cardinal en colère, sainte colère - il cite la lettre de Jean de Lyon, en l202, au pape Innocent III et donne la réponse du Pape avec les références. C'est argumenté : « En décembre de la même année, dans une longue lettre, le Pape répondait que ces paroles et d'autres encore du Canon que l'on ne trouvait pas dans les Évangiles, devaient être crues en tant que paroles transmises par le Christ aux Apôtres et par ceux-ci, à leurs successeurs » (p. 45).

 

Il donne les références historiques. C'est le professeur qui enseigne. Son affirmation est incontournable- Elle est scientifique. Vous la trouverez là, dit-il : X, III , 41, 6 ; Friedberg III, p. 636, sq.

 

C'est net.

 

Il continue : « Le fait que cette décrétale qui fait partie du recueil de décrétales d'Innocent III dans le grand recueil du liber X, établi par Raymond de Pegnafort à la demande de Grégoire IX, n'ait pas été abandonnée  comme dépassée, ce qui fut le cas de bien d'autres  mais ait continué à être transmise par la Tradition, prouve qu'une valeur durable était attribuée à cette déclaration de ce grand Pape » (p. 45).

 

Nul doute que l'on ne pouvait toucher à ces deux mots dans la forme de la consécration du vin, les supprimer, les déplacer en en changeant le sens. On ne le pouvait pas sans être infidèle à la Tradition catholique et de toute évidence, en rupture avec elle.

 

C'est la pensée du Cardinal.

 

Il invoque aussi l'autorité de saint Thomas d’Aquin. Il écrit :  « Saint Thomas s'exprime clairement sur cette question dans sa « Somme théologique » (III, 78, 3 ad nonum) : à propos des paroles de consécration du vin, rappelant la nécessaire discipline secrète de l'Église ancienne dont parle aussi Denis l'Aréopagyte, il écrit: « les paroles ajoutées « éternelle » et « mystère de foi » viennent de la tradition du Seigneur qui est parvnue  à l'Église par l'intermédiaire des Apôtres » ; il renvoie lui-même à 1 Cor., 10, 23 et 1 Tim, 3, 4. En note de ce texte de saint Thomas, le commentateur, se référant à DD Gousset dans l'édition Marietti de 1939 (V. p. 155), ajoute « sarebbe un grandissimo errore sustituire un ’altra forma eucharistiea a quella del Missale Romano… Si sopprimere ad esempio la parola aeterni et quella mysterium fidei che abbiamo della tradizione » (p. 46).

Et puis, il invoque l’autorité du Concile de Florence – le XVIIème Concile œcuménique -« Dans la bulle d’union avec les Coptes, le Concile œcuménique de Florence complète expressément les formules de consécration de la Sainte Messe qui n’avaient pas été incluses en tant que telles dans la Bulle d’union avec les Arméniens et que l’Église romaine avait toujours utilisées sur la base de l’enseignement et de la doctrine des Apôtres Pierre et Paul (conc.oeucu. decreta, ed Herder, 1962, p.557) » (p. 46).

 

Ayant le document, je suis allé vérifier. C’est bien exact. Le concile de Florence, dans le décret pour les Grecs – qui suit celui d'avec les Arméniens – cite bien expressément le mysterium fidei dans la formule de consécration. Il y est dit : « mais parce que dans le décret des Arméniens rapporté ci- dessus, n'a pas été expliquée la formule qu'a toujours eu coutume d'employer, dans la consécration du Corps et du Sang du Seigneur, la sacro-sainte Église romaine, affermie par la doctrine et l'autorité des apôtres Pierre et Paul, nous pensons qu'il faut l'introduire dans les présentes » – en latin –  « illam praesentibus duximus inserendam ». « Duximus », c'est le parfait du verbe « ducere ». Il vaudrait mieux traduire: nous estimons, nous commandons. « Nous pensons » me paraît un peu faible. « Ducere », c'est le commandement, c'est le chef qui affirme.

 

Mais ce n’est pas tout. Le Cardinal ne s'en tient pas pour satisfait... Il poursuit sa démonstration de théologie positive. Là, pour le coup, il est exhaustif.

 

Il invoque, cette fois, le catéchisme – le catéchisme « de référence », dit-il, - ce sont ses mots. Je m'attendais à voir citer le nouveau

 

catéchisme de l'Église catholique. Mais pas du tout ! Il cite le catéchisme du Concile de Trente. A la bonne heure ! Il donne toutes les

 

références. Manifestement, quand il préparait sa conférence, le Cardinal est allé chercher, dans sa bibliothèque, ce catéchisme. Il vous

 

dit qu'au chapitre 9, au n° 21, à propos de l'Eucharistie… le catéchisme enseigne que « les mots « mysterium fidei » et « aeterna »

 

viennent de la Sainte Tradition qui est l’interprète et la gardienne de la vérité catholique » (p. 46).

 

Je regrette que le Cardinal n'ait pas poursuivi sa lecture du catéchisme car il aurait aussi rappelé qu'en changeant de place cette

expression très traditionnelle, les auteurs de la réforme liturgique en changeaient le sens. Alors que le « mysterium fidei » placé dans la

formule de la consécration porte sur la présence réelle qui vient d'être réalisée par l'énonciation de la formule consécratoire, le «

mysterium fidei » mis après la consécration – comme acclamation populaire – dirige l'attention du peuple, non plus sur le mystère de la

Transsubstantiation réalisée « hic et nunc », mais bien sur le retour en gloire du Seigneur qui est aussi l’objet de notre foi : « donec

veniat ». Il y a, là, dans ce changement de place, une malice, une duplicité, une ruse, une équivoque. La foi ici affirmée ne porte plus

sur la Transsubstantiation mais sur le retour en gloire du Seigneur. Ainsi l'attention des fidèles – et leur « participatio actuosa » sont

détournés de la présence du Christ réalisée par la Transsubstantiation. Ils devraient adorer la présence réelle de Notre Seigneur Jésus-

Christ sur l’autel, on leur fait acclamer le retour en gloire du Seigneur.

 

Voyez l’enseignement du catéchisme du Concile de Trente, p. 216 de l’édition d’Itinéraires.

 

Fort de cet exposé très savant, le Cardinal ne mâche pas ses mots et ses critiques contre les réformateurs. Il parle de « légèreté

 

souveraine » d’un Lercaro, d’un Bugnini et de leurs collaborateurs. « On peut à juste titre s’interroger sur la légèreté dont ont fait

 

preuve, ici les collaborateurs du cardinal Lercaro et du Père Bugnini, avec nécessairement leur accord » (p. 46). « Ils ont purement

 

et simplement « ignoré », non seulement ignoré mais aussi « méprisé » l’obligation  de procéder à une recherche historique et

 

théologique exacte » (p. 46). C’est ce que réclamait expressément le Concile Vatican II dans son article 23 de la Constitution liturgique

 

(cf. p. 36).

 

Mais rien de tel n’a été fait et le Cardinal de conclure et de lancer la suspicion sur l’ensemble de l’œuvre réformée : « Si cela s’est produit dans ce cas qu’en aura-t-il été de cette importante obligation pour les autres modifications » (p. 46).

 

C’est terriblement grave !

 

Nous nous trouvons devant une réforme infidèle à la Tradition… »

 

Monseigneur Vingt-Trois pourrait-il dire que le cardinal Stickler, à cause  et en raison de cette critique de la réforme

 

liturgique suite au Concile Vatican II,  n’était en  la « communion ecclesiale » ?

 

Pour comprenxdre cette conclusion, il faut lire préalablement le « regard sur le monde » du 17  novembre 2006