Les Nouvelles
de
Chrétienté


n° 70

 

 

Le voyage du pape en Turquie

Ses discours.

 

 

 

 

A- Le  6 décembre, lors de l’audience générale à Rome, le pape a dressé  le bilan de son voyage en Turquie

Nous en publions ci-dessous le texte intégral.


Chers frères et sœurs!

Comme c'est désormais l'habitude après chaque voyage apostolique, je voudrais, au cours de cette Audience générale, reparcourir les diverses étapes du pèlerinage que j'ai accompli en Turquie, du mardi au vendredi de la semaine dernière. Une visite qui, comme vous le savez, s'annonçait difficile, sous divers aspects, mais que Dieu a accompagnée dès le début et qui a ainsi pu se dérouler de façon heureuse. C'est pourquoi, comme je vous avais demandé de la préparer et de l'accompagner par la prière, je vous demande à présent de vous unir à moi pour rendre grâce au Seigneur pour son déroulement et sa conclusion. C'est à Lui que je confie les fruits qui, je l'espère, pourront naître de cette visite, aussi bien en ce qui concerne les relations avec nos frères orthodoxes, que pour le dialogue avec les musulmans. Je ressens tout d'abord le devoir de renouveler l'expression cordiale de ma reconnaissance au Président de la République, au Premier ministre et aux autres Autorités, qui m'ont accueilli avec tant de courtoisie et qui ont garanti les conditions nécessaires pour que tout puisse se dérouler au mieux. Je remercie ensuite fraternellement les Evêques de l'Eglise catholique qui est en Turquie, avec leurs collaborateurs, de tout ce qu'ils ont fait. J'adresse un remerciement particulier au Patriarche œcuménique Bartholomaios Ier, qui m'a reçu dans sa maison, au Patriarche arménien Mesrob II, au Métropolite syro-orthodoxe Mor Filüksinos et aux autres Autorités religieuses. Tout au long du voyage, je me suis senti spirituellement soutenu par mes vénérés prédécesseurs, les Serviteurs de Dieu Paul VI et Jean-Paul II, qui ont tout deux accompli une mémorable visite en Turquie, et surtout par le Bienheureux Jean XXIII, qui fut Représentant pontifical dans ce noble pays de 1935 à 1944, y laissant un souvenir riche d'affection et de dévotion.

Me référant à la vision que le Concile Vatican II présente de l'Eglise (cf. Const. Lumen gentium, nn. 14-16), je pourrais dire que les voyages pastoraux du pape contribuent aussi à réaliser sa mission, qui se déroule en « cercles concentriques ». Dans le cercle situé le plus à l’intérieur, le Successeur de Pierre confirme les catholiques dans la foi ; dans le cercle intermédiaire, il rencontre les autres chrétiens ; dans le cercle le plus à l’extérieur il s'adresse aux non chrétiens et à toute l'humanité. La première journée de ma visite en Turquie s'est déroulée dans le cadre de ce troisième « cercle », le plus large : j'ai rencontré le Premier ministre, le Président de la République et le Président pour les Affaires religieuses, adressant à ce dernier mon premier discours ; j'ai rendu hommage au Mausolée du «père de la patrie», Mustafa Kemal Atatürk ; j'ai ensuite eu la possibilité de m'adresser au Corps diplomatique à la Nonciature apostolique d'Ankara. Cette intense série de rencontres a constitué une partie importante de ma Visite, en particulier compte tenu du fait que la Turquie est un pays à très large majorité musulmane, réglementé cependant par une Constitution qui affirme la laïcité de l'Etat. Il s'agit donc d'un pays emblématique en ce qui concerne le grand défi qui se joue aujourd'hui au niveau mondial : c'est-à-dire, d'une part, redécouvrir la réalité de Dieu et l'importance publique de la foi religieuse, et, de l'autre, assurer que l'expression de cette foi soit libre, privée de dégénérescences fondamentalistes, capable de rejeter fermement toute forme de violence. J'ai donc eu l'occasion propice de renouveler mes sentiments d'estime à l'égard des musulmans et de la civilisation islamique. J'ai pu, dans le même temps, insister sur l'importance que les chrétiens et les musulmans s'engagent ensemble pour l'homme, pour la vie, pour la paix et la justice, en réaffirmant que la distinction entre le domaine civil et le domaine religieux constitue une valeur et que l'Etat doit garantir au citoyen et aux communautés religieuses la liberté effective de culte. Dans le domaine du dialogue interreligieux, la Divine Providence m'a donné d'accomplir, presque à la fin de mon voyage, un geste qui n'était pas prévu au début, et qui s'est révélé très significatif : la visite à la célèbre Mosquée bleue d'Istanbul. En m'arrêtant quelques minutes pour me recueillir en ce lieu de prière, je me suis adressé à l'unique Seigneur du ciel et de la terre, Père miséricordieux de l'humanité tout entière. Puissent tous les croyants se reconnaître comme ses créatures et rendre le témoignage d'une véritable fraternité!

La deuxième journée m'a conduit à Ephèse, et je me suis donc retrouvé rapidement dans le « cercle » situé le plus à l’intérieur du voyage, en contact direct avec la Communauté catholique. Près d'Ephèse, en effet, dans une charmante localité appelée « colline du rossignol », qui surplombe la mer Egée, se trouve le Sanctuaire de la Maison de Marie. Il s'agit d'une antique petite chapelle qui a été bâtie autour d'une maisonnette que, selon une très ancienne tradition, l'apôtre Jean fit construire pour la Vierge Marie, après l'avoir amenée avec lui à Ephèse. Jésus lui-même les avait confiés l'un à l'autre quand, avant de mourir sur la croix, il avait dit à Marie : « Femme, voici ton fils ! », et à Jean : « Voici ta mère ! » (Jn 19, 26-27). Les recherches archéologiques ont démontré que ce lieu est depuis des temps immémoriaux un lieu de culte marial, également cher aux musulmans, qui s'y rendent habituellement pour vénérer Celle qu'ils appellent «Meryem Ana», la Mère Marie. Dans le jardin devant le Sanctuaire, j'ai célébré la Messe pour un groupe de fidèles venus de la proche ville d'Izmir, ainsi que d'autres parties de la Turquie et également de l'étranger. Auprès de la « Maison de Marie », nous nous sommes véritablement sentis « à la maison » et, dans ce climat de paix, nous avons prié pour la paix en Terre Sainte et dans le monde entier. J'ai voulu rappeler en ce lieu don Andrea Santoro, prêtre romain, témoin de l'Evangile en terre turque, avec son sang.

Le « cercle » intermédiaire, celui des relations œcuméniques, a occupé la partie centrale de ce voyage, qui s'est déroulé à l'occasion de la fête de saint André, le 30 novembre. Cette fête m'a offert le contexte idéal pour consolider les relations fraternelles entre l'Evêque de Rome, Successeur de Pierre, et le Patriarche œcuménique de Constantinople, Eglise fondée selon la tradition par l'apôtre saint André, frère de Simon-Pierre. Sur les traces de Paul VI, qui rencontra le Patriarche Athénagoras, et de Jean-Paul II, qui fut accueilli par le Successeur d'Athénagoras, Dimitrios Ier, j'ai renouvelé avec Sa Sainteté Bartholomaios Ier ce geste d'une grande valeur symbolique, pour confirmer l'engagement réciproque de poursuivre la route vers le rétablissement de la pleine communion entre catholiques et orthodoxes. Pour confirmer cette ferme intention, j'ai signé avec le Patriarche œcuménique une Déclaration commune, qui constitue une étape supplémentaire sur ce chemin. Il a été particulièrement significatif que cet acte ait eu lieu au terme de la Liturgie solennelle de la fête de saint André, à laquelle j'ai assisté et qui s'est conclue par la double Bénédiction donnée par l'Evêque de Rome et par le Patriarche de Constantinople, respectivement Successeurs des apôtres Pierre et André. De cette manière, nous avons montré qu'à la base de chaque effort œcuménique se trouvent toujours la prière et l'invocation persévérante de l'Esprit Saint. Toujours dans ce contexte, à Istanbul, j'ai eu la joie de rendre visite au Patriarche de l'Eglise arménienne apostolique, Sa Béatitude Mesrob II, ainsi que de rencontrer le Métropolite syro-orthodoxe. Je suis heureux en outre de rappeler, dans ce contexte, l'entretien que j'ai eu avec le Grand Rabbin de Turquie. Ma visite s'est conclue, juste avant mon départ pour Rome, en revenant au « cercle » intérieur, et donc en rencontrant la communauté catholique présente dans chacune de ses composantes dans la Cathédrale latine du Saint-Esprit, à Istanbul. Le Patriarche œcuménique, le patriarche arménien, le Métropolite syro-orthodoxe et les Représentants des Eglises protestantes ont également assisté à cette Messe. En somme, tous les chrétiens étaient réunis en prière, dans la diversité des traditions, des rites et des langues. Réconfortés par la Parole du Christ, qui promet aux croyants des « fleuves d'eau vive » (Jn 7, 38), et par l'image des nombreux membres unis dans l'unique corps (cf. 1 Co 12, 12-13), nous avons vécu l'expérience d'une Pentecôte renouvelée.

Chers frères et sœurs, je suis revenu ici, au Vatican, l'âme emplie de gratitude envers Dieu et avec des sentiments d'affection sincère et d'estime pour les habitants de la bien-aimée nation turque, par lesquels je me suis senti accueilli et compris. La sympathie et la cordialité avec lesquelles ils m'ont entouré, malgré les difficultés inévitables que ma visite a créées au déroulement normal de leurs activités quotidiennes, restent en moi comme un souvenir vivant qui m'incite à la prière. Que Dieu tout-puissant et miséricordieux aide le peuple turc, ses dirigeants et les représentants des diverses religions, à construire ensemble un avenir de paix, de manière à ce que la Turquie puisse être un « pont » d'amitié et de collaboration fraternelle entre l'Occident et l'Orient. Nous prions en outre pour que, par l'intercession de la Très Sainte Vierge Marie, l'Esprit Saint rende ce voyage apostolique fécond et anime dans le monde entier la mission de l'Eglise, instituée pour annoncer à tous les peuples l'Evangile de la vérité, de la paix et de l'amour ».

 

B--  Discours de Benoît XVI au Corps diplomatique (28 novembre)

Nous reprenons ci-dessous le texte – publié par la salle de presse du Saint-Siège (cf. www.vatican.va) – du discours que le pape Benoît XVI a adressé au Corps diplomatique à la nonciature apostolique de Ankara, le mardi, 28 novembre, en fin d’après-midi.


Excellences,
Mesdames et Messieurs,

J’ai préparé mon discours en français, car c’est la langue de la diplomatie, espérant qu’il pourra être compris.

Je vous salue avec une grande joie, vous qui, en tant qu’Ambassadeurs, exercez la noble charge de représenter vos pays auprès de la République de Turquie et qui avez bien voulu rencontrer le Successeur de Pierre dans cette Nonciature, et je remercie votre Vice-Doyen, Monsieur l’Ambassadeur du Liban, pour les aimables paroles qu’il vient de m’adresser. Je suis heureux de vous redire l’estime que le Saint-Siège a maintes fois exprimé pour votre haute fonction qui assume aujourd’hui une dimension toujours plus «globale». En effet si votre mission vous conduit, avant tout, à protéger et à promouvoir les intérêts légitimes de chacune de vos nations, «l’inéluctable interdépendance qui aujourd’hui relie toujours davantage tous les peuples du monde invite tous les diplomates à être, dans un esprit toujours neuf et original, les artisans de l’entente entre les peuples, de la sécurité internationale et de la paix entre les nations» (Jean-Paul II, Discours au Corps diplomatique, Mexico, 26 janvier 1979).

Je tiens d’abord à évoquer devant vous le souvenir des visites mémorables de mes deux prédécesseurs en Turquie, le Pape Paul VI, en 1967, et le Pape Jean-Paul II, en 1979. Comment ne pas faire mémoire également du Pape Benoît XV, artisan infatigable de la paix au cours du premier conflit mondial, et du Bienheureux Jean XXIII, le Pape «ami des Turcs», qui fut Délégué apostolique en Turquie et Administrateur apostolique du Vicariat latin d’Istanbul, laissant à tous le souvenir d’un pasteur attentif et plein de charité, spécialement désireux de rencontrer et de connaître la population turque dont il était l’hôte reconnaissant ! Je suis heureux d’être aujourd’hui l’hôte de la Turquie, venu ici en ami et en apôtre du dialogue et de la paix.

Il y a plus de quarante ans, le Concile Vatican II écrivait que «la paix n’est pas une pure absence de guerre et qu’elle ne se borne pas seulement à assurer l’équilibre de forces adverses», mais qu’elle «est le fruit d’un ordre inscrit dans la société humaine par son divin Fondateur, et qui doit être réalisé par des hommes qui ne cessent d’accéder à une justice plus parfaite» (Gaudium et spes, n. 78). Nous avons en effet appris que la véritable paix a besoin de la justice, pour corriger les déséquilibres économiques et les désordres politiques qui sont toujours des facteurs de tensions et de menaces dans toute société. Le développement récent du terrorisme et l’évolution de certains conflits régionaux ont par ailleurs mis en évidence la nécessité de respecter les décisions des Institutions internationales et aussi de les soutenir, en leur donnant notamment des moyens efficaces pour prévenir les conflits et pour maintenir, grâce à des forces d’interposition, des zones de neutralité entre les belligérants. Tout cela reste pourtant inefficace si ce n’est pas le fruit d’un vrai dialogue, c’est-à-dire d’une sincère rencontre entre les exigences des parties concernées, afin de parvenir à des solutions politiques acceptables et durables, respectueuses des personnes et des peuples. Je pense tout particulièrement au conflit du Moyen-Orient, qui perdure de manière inquiétante en pesant sur toute la vie internationale, au risque de voir se généraliser des conflits périphériques et se diffuser les actions terroristes; je salue les efforts des nombreux pays, dont la Turquie, qui se sont engagés aujourd’hui dans la restauration de la paix au Liban, plus nécessaire que jamais. J’en appelle une fois de plus, devant vous, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, à la vigilance de la communauté internationale, pour qu’elle ne se dérobe pas à ses responsabilités et qu’elle déploie tous les efforts nécessaires pour promouvoir, entre toutes les parties en cause, le dialogue qui seul permet d’assurer le respect d’autrui, tout en sauvegardant les intérêts légitimes et en refusant le recours à la violence. Comme je l’ai écrit dans mon premier Message pour la Journée mondiale de la Paix, «la vérité de la paix appelle tous les hommes à entretenir des relations fécondes et sincères; elle les encourage à rechercher et à parcourir les voies du pardon et de la réconciliation, à être transparents dans les discussions et fidèles à la parole donnée» (1er janvier 2006, n. 6).

La Turquie a depuis toujours une situation de pont entre l’Orient et l’Occident, entre le continent asiatique et le continent européen, et de carrefour de cultures et de religions. Au siècle dernier, elle s’est donné les moyens de devenir un grand pays moderne, en faisant notamment le choix d’un État laïque, distinguant clairement la société civile et la religion, afin de permettre à chacune d’être autonome dans son domaine propre, tout en respectant la sphère de l’autre. Le fait que la majorité de la population de ce pays soit musulmane constitue une réalité marquante de la vie sociale dont l’État ne peut que tenir compte, mais la constitution turque reconnaît à tout citoyen les droits à la liberté de culte et à la liberté de conscience. C’est le devoir des Autorités civiles dans tout pays démocratique de garantir la liberté effective de tous les croyants et de leur permettre d’organiser librement la vie de leur communauté religieuse. Je souhaite bien sûr que les croyants, à quelque communauté religieuse qu’ils appartiennent, puissent toujours bénéficier de ces droits, certain que la liberté religieuse est une expression fondamentale de la liberté humaine et que la présence active des religions dans la société est un facteur de progrès et d’enrichissement pour tous. Cela implique bien sûr que les religions elles-mêmes ne recherchent pas à exercer directement un pouvoir politique, car elles n’ont pas vocation à cela, et, en particulier, qu’elles renoncent absolument à cautionner le recours à la violence comme expression légitime de la démarche religieuse. Je salue à cet égard la communauté catholique de Turquie, peu nombreuse mais très attachée à participer de son mieux au développement du pays, notamment par l’éducation de la jeunesse, ainsi qu’à la construction de la paix et à la concorde entre tous les citoyens.

Comme je l’ai rappelé récemment, «nous avons impérativement besoin d’un dialogue authentique entre les religions et entre les cultures, capable de nous aider à surmonter ensemble toutes les tensions, dans un esprit de collaboration fructueuse» (Discours lors de la rencontre avec les ambassadeurs des pays musulmans, Castel Gandolfo, 25 septembre 2006). Ce dialogue doit permettre aux diverses religions de mieux se connaître et de se respecter mutuellement, afin d’œuvrer toujours plus au service des aspirations les plus nobles de l’homme, en quête de Dieu et du bonheur. Je souhaite, pour ma part, redire à l’occasion de ce voyage en Turquie toute mon estime pour les croyants musulmans, les invitant à s’engager ensemble, grâce au respect mutuel, en faveur de la dignité de tout être humain et pour la croissance d’une société où liberté personnelle et attention à autrui permettent à chacun de vivre dans la paix et la sérénité. C’est ainsi que les religions pourront participer à relever les nombreux défis auxquels les sociétés sont actuellement confrontées. Assurément, la reconnaissance du rôle positif que rendent les religions au sein du corps social peut et doit inciter nos sociétés à approfondir toujours davantage leur connaissance de l’homme et à respecter toujours mieux sa dignité, en le plaçant au centre de l’action politique, économique, culturelle et sociale. Notre monde doit réaliser de plus en plus que tous les hommes sont profondément solidaires et les inviter à mettre en valeur leurs différences historiques et culturelles non pour s’affronter mais pour se respecter mutuellement.

L’Église, vous le savez, a reçu de son Fondateur une mission spirituelle et elle n’entend donc pas intervenir directement dans la vie politique ou économique. Cependant, au titre de sa mission et forte de sa longue expérience de l’histoire des sociétés et des cultures, elle souhaite faire entendre sa voix dans le concert des nations, afin que soit toujours honorée la dignité fondamentale de l’homme, et spécialement des plus faibles. Devant le développement récent du phénomène de la mondialisation des échanges, le Saint-Siège attend de la communauté internationale qu’elle s’organise davantage, afin de se donner des règles permettant de mieux maîtriser les évolutions économiques, de réguler les marchés, voire de susciter des ententes régionales entre les pays. Je ne doute pas, Mesdames et Messieurs, que vous ayez à cœur, dans votre mission de diplomates, de faire se rencontrer les intérêts particuliers de votre pays et les nécessités de s’entendre les uns avec les autres, et que vous puissiez ainsi contribuer grandement au service de tous.

La voix de l’Église sur la scène diplomatique se caractérise toujours par la volonté, inscrite dans l’Évangile, de servir la cause de l’homme, et je manquerais à cette obligation fondamentale si je ne rappelais pas devant vous la nécessité de mettre toujours davantage la dignité humaine au cœur de nos préoccupations. Le développement extraordinaire des sciences et des techniques que connaît le monde d’aujourd’hui, avec ses conséquences quasi immédiates sur la médecine, sur l’agriculture et la production des ressources alimentaires, mais également sur la communication des savoirs, ne doit pas se poursuivre sans finalité ni sans référence, alors qu’il est question de la naissance de l’homme, de son éducation, de sa manière de vivre et de travailler, de sa vieillesse et de sa mort. Il est plus que nécessaire de réinscrire le progrès d’aujourd’hui dans la continuité de notre histoire humaine et donc de le conduire, selon le projet qui nous habite tous de faire grandir l’humanité et que le livre de la Genèse exprimait déjà à sa manière : «Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre et soumettez-la» (1, 28). Permettez-moi enfin, en pensant aux premières communautés chrétiennes qui ont grandi sur cette terre et tout particulièrement à l’apôtre Paul, qui en a fondé lui-même plusieurs, de citer son propos aux Galates : «Or vous, frères, vous avez été appelés à la liberté. Mais que cette liberté ne soit pas un prétexte pour vivre de manière égoïste ; au contraire, mettez-vous, par amour, au service les uns des autres» (5, 13). La liberté est un service les uns des autres. Je forme le vœu que l’entente entre les nations, que vous servez les uns et les autres, contribue toujours davantage à faire grandir l’humanité de l’homme, créé à l’image de Dieu. Un si noble objectif requiert le concours de tous. C’est pourquoi l’Église catholique entend renforcer la collaboration avec l’Église orthodoxe et je souhaite vivement que ma prochaine rencontre avec le Patriarche Bartholomaios Ier au Phanar y contribue largement. Comme le soulignait le Concile œcuménique Vatican II, l’Église cherche également à collaborer avec les croyants et les responsables de toutes les religions, et particulièrement avec les musulmans, pour «protéger et promouvoir ensemble, pour tous les hommes, la justice sociale, les biens de la morale, la paix et la liberté» (Nostra Aetate, n. 3). J’espère que mon voyage en Turquie portera de nombreux fruits dans cette perspective.
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, sur vos personnes, sur vos familles et sur tous vos collaborateurs, j’invoque de grand cœur les Bénédictions du Très-Haut.


 

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C-  Discours de Benoît XVI au président des Affaires religieuses de Turquie (28 novembre)

Nous publions ci-dessous le texte intégral du discours que le pape Benoît XVI a prononcé lors de sa rencontre, le mardi 28 novembre, avec le président pour les Affaires religieuses de Turquie, M. Ali Bardakoglu..

Excellences, Mesdames et Messieurs !

Je suis heureux d'avoir l'opportunité de visiter cette terre, si riche d'histoire et de culture, d'admirer ses beautés naturelles, de voir de mes yeux la créativité du peuple turc, et de goûter votre culture ancienne tout comme votre longue histoire, à la fois civile et religieuse.

Dès mon arrivée en Turquie, j'ai été gracieusement reçu par le Président de la République. J’ai également été très heureux de rencontrer et de saluer le Premier ministre M. Erdogan à l’aéroport. En les saluant, j'ai été heureux d'exprimer ma profonde estime pour les habitants de cette grande nation et de rendre hommage, à son Mausolée, au fondateur de la Turquie moderne, Mustafa Kemal Atatürk.

J'ai à présent la joie de vous rencontrer, vous qui êtes le Président du Directoire pour les Affaires religieuses. Je vous exprime mes sentiments respectueux, en reconnaissance de vos grandes responsabilités, et j'étends mes salutations à tous les responsables religieux de Turquie, en particulier aux grands Muftis d'Ankara et d'Istanbul. A travers vous, Monsieur le Président, je salue tous les musulmans en Turquie avec une estime particulière et une considération affectueuse.

Votre pays est très cher aux chrétiens: un grand nombre des premières communautés de l'Eglise ont été fondées ici et y ont connu leur maturité, inspirées par la prédication des Apôtres, en particulier de saint Paul et de saint Jean. La tradition qui est parvenue jusqu'à nous affirme que Marie, la Mère de Jésus, a vécu à Ephèse, dans la maison de l'Apôtre saint Jean.

Cette noble terre a également connu une remarquable floraison de la civilisation musulmane dans les domaines les plus divers, dans l'art et la littérature, ainsi que dans ses institutions.

Un grand nombre de monuments chrétiens et musulmans portent le témoignage du glorieux passé de la Turquie. Vous en tirez à juste titre une grande fierté, en les préservant pour l'admiration d'un nombre toujours croissant de visiteurs qui accourent nombreux.

Je me suis préparé à cette visite en Turquie avec les mêmes sentiments que ceux exprimés par mon prédécesseur le bienheureux Jean XXIII, lorsqu'il arriva ici en tant qu’Archevêque, Mgr Giuseppe Roncalli, pour assurer la charge de Représentant pontifical à Istanbul: «Je ressens de l'amitié pour le peuple turc, auprès duquel le Seigneur m'a envoyé... J'aime les Turcs, j'apprécie les qualités naturelles de ce peuple qui a également toute sa place dans la marche de la civilisation» (Journal d'une âme, pp. 231.237).

Pour ma part, je souhaite moi aussi souligner les qualités de la population turque. Ici, je fais miennes les paroles de mon prédécesseur immédiat, le Pape Jean-Paul II de vénérée mémoire, qui déclara à l'occasion de sa visite en 1979: «Je me demande s'il n'est pas urgent, précisément aujourd'hui où chrétiens et musulmans sont entrés dans une nouvelle période de l'histoire, de reconnaître et de développer les liens spirituels qui nous unissent, afin de protéger et de promouvoir ensemble, pour tous les hommes “la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté”» (Discours à la communauté catholique d'Ankara, 29 novembre 1979, n. 3; cf. ORLF n. 49 du 4 décembre 1979).

Ces questions ont continué à se poser au cours des dernières années ; en effet, comme je l'ai indiqué au tout début de mon pontificat, elles nous poussent à faire progresser notre dialogue comme un échange sincère entre amis. Lorsque j'ai eu la joie de rencontrer des membres des communautés musulmanes l'année dernière à Cologne, à l'occasion de la Journée mondiale de la Jeunesse, j'ai réaffirmé le besoin d'aborder le dialogue interreligieux et interculturel avec optimisme et espérance. Il ne peut pas se réduire à un choix optionnel: au contraire, c'est «une nécessité vitale, dont dépend en grande partie notre avenir» (Discours aux représentants des communautés musulmanes, Cologne, 20 août 2005; cf. ORLF n. 34 du 23 août 2005).

Chrétiens et musulmans, en suivant leurs religions respectives, insistent sur la vérité du caractère sacré et de la dignité de la personne. C'est la base de notre respect et de notre estime mutuels, c'est la base de notre collaboration au service de la paix entre les nations et les peuples, le souhait le plus cher de tous les croyants et de toutes les personnes de bonne volonté.

Pendant plus de quarante ans, l'enseignement du Concile Vatican II a inspiré et guidé l'approche des relations avec les disciples d'autres religions, du Saint-Siège et des Eglises locales du monde entier. En suivant la tradition biblique, le Concile enseigna que toute la race humaine partage une origine commune et un destin commun: Dieu, notre créateur et but de notre pèlerinage terrestre. Chrétiens et musulmans appartiennent à la famille de ceux qui croient dans le Dieu unique et qui, selon leurs traditions respectives, sont les descendants d'Abraham (cf. Concile Vatican II, Déclaration sur les Relations de l'Eglise avec les religions non-chrétiennes, Nostre Aetate 1, 3). Cette unité humaine et spirituelle au niveau de nos origines et de notre destinée nous engage à chercher un itinéraire commun, tout en jouant notre rôle dans cette recherche de valeurs fondamentales qui est si caractéristique des personnes de notre époque. En tant qu'hommes et femmes de religion, nous sommes placés face au défi de l'aspiration largement répandue à la justice, au développement, à la solidarité, à la liberté, à la sécurité, à la paix, à la protection de l'environnement et des ressources de la terre. Parce que nous aussi, tout en respectant l'autonomie légitime des affaires temporelles, avons une contribution spécifique à offrir dans la recherche des solutions adaptées à ces questions pressantes.

En particulier, nous pouvons offrir une réponse crédible à la question qui se dégage clairement dans la société d'aujourd'hui, même si elle est souvent écartée, la question portant sur le sens et le but de la vie, pour chaque individu et pour l'humanité tout entière. Nous sommes appelés à œuvrer ensemble, afin d'aider la société à s'ouvrir au transcendant, en reconnaissant à Dieu tout-puissant la place qui lui revient. Le meilleur moyen d'aller de l'avant passe par le dialogue authentique entre chrétiens et musulmans, fondé sur la vérité et inspiré par le souhait sincère de mieux nous connaître les uns les autres, en respectant les différences et en reconnaissant ce que nous avons en commun. Cela conduira à un respect authentique des choix responsables que fait chaque personne, en particulier ceux qui concernent les valeurs fondamentales et les convictions religieuses personnelles.

Pour illustrer le respect fraternel dans lequel chrétiens et musulmans peuvent œuvrer ensemble, je voudrais citer les paroles adressées par le Pape Grégoire VII en 1076 à un Prince musulman de l'Afrique du Nord qui avait agi avec une grande bienveillance à l'égard des chrétiens dépendant de sa juridiction. Le Pape Grégoire VII parla de la charité particulière que chrétiens et musulmans se doivent mutuellement «parce que nous croyons en un seul Dieu, quoique d'une manière différente, et parce que nous le louons et le vénérons chaque jour comme créateur des siècles et gouverneur de ce monde» (PL 148, 451)

La liberté de religion, garantie par les institutions et respectée de manière effective, tant pour les individus que pour les communautés, constitue pour tous les croyants la condition nécessaire de leur contribution loyale à l'édification de la société, dans une attitude de service authentique, en particulier à l'égard des plus vulnérables et des plus pauvres.

Monsieur le Président, je souhaiterais terminer en rendant grâce à Dieu tout-puissant et miséricordieux pour cette heureuse occasion qui nous permet de nous retrouver ensemble en son nom. Je prie pour que cela constitue le signe de notre engagement commun au dialogue entre chrétiens et musulmans, tout comme un encouragement à persévérer sur ce chemin, dans le respect et l'amitié. Je souhaite que nous puissions mieux nous connaître, en resserrant les liens d'affection entre nous dans notre souhait commun de vivre ensemble dans l'harmonie, la paix et la confiance mutuelle. En tant que croyants, nous tirons de la prière la force nécessaire pour surmonter toutes traces de préjugés et offrir un témoignage commun de notre solide foi en Dieu. Puisse sa Bénédiction être toujours sur nous!

 

D-  Homélie de Benoît XVI à Ephèse (29 novembre)

Nous publions ci-dessous le texte intégral de l’homélie que le pape Benoît XVI a prononcée le mercredi 29 novembre au cours de la messe qu’il a présidée au Sanctuaire « Meryem Ana Evì », à Ephèse.

Chers frères et sœurs,

Au cours de cette célébration eucharistique nous voulons rendre grâce au Seigneur pour la maternité divine de Marie, un mystère qu’ici, à Ephèse, lors du Concile œcuménique de 431, fut solennellement confessé et proclamé. En ce lieu, l'un des plus chers à la Communauté chrétienne, sont venus en pèlerinage mes vénérés prédécesseurs, les Serviteurs de Dieu Paul VI, et Jean-Paul II, qui s'arrêta dans ce Sanctuaire le 30 novembre 1979, un peu plus d'un an après le début de son Pontificat. Mais un autre de mes Prédécesseurs, dont le souvenir suscite encore une grande dévotion et sympathie, s'est rendu dans ce pays, non pas en tant que Pape, mais comme Représentant pontifical, de janvier 1935 à décembre 1944 : le bienheureux Jean XXIII, Angelo Roncalli. Il nourrissait une grande estime et admiration pour le peuple turc. A cet égard, j'ai plaisir à rappeler une expression que l'on peut lire dans son Journal d’une âme : «J'aime les Turcs, j'apprécie les qualités naturelles de ce peuple qui a également toute sa place dans la marche de la civilisation» (n. 741). En outre, il a laissé en don à l'Eglise et au monde une attitude spirituelle d'optimisme chrétien, fondé sur une foi profonde et une union constante avec Dieu. Animé par cet esprit, je m'adresse à cette nation et, de manière particulière, au «petit troupeau» du Christ qui vit au milieu de cette nation, pour l'encourager et lui manifester l'affection de l'Eglise tout entière. Je vous salue avec une grande affection, vous tous qui êtes ici présents, fidèles d'Izmir, de Mersin, d'Iskenderun et d'Antakya, et ceux qui sont venus de différentes parties du monde; ainsi que ceux qui n'ont pas pu participer à cette célébration, mais qui sont spirituellement unis à nous. Je salue, en particulier, Mgr Ruggero Franceschini, archevêque d'Izmir; Mgr Guiseppe Bernardini, archevêque émérite d’Izmir ; Mgr Luigi Padovese, les prêtres et les religieuses. Je vous remercie de votre présence, de votre témoignage et de votre service à l'Eglise, sur cette terre bénie où, aux origines, la communauté chrétienne a connu de grands développements, ainsi que l'attestent également les nombreux pèlerinages qui se rendent en Turquie.

Mère de Dieu - Mère de l'Eglise

Nous avons écouté le passage de l'Evangile de Jean qui invite à contempler le moment de la Rédemption, lorsque Marie, unie au Fils dans l'offrande du Sacrifice, étendit sa maternité à tous les hommes et, en particulier, aux disciples de Jésus. Le témoin privilégié de cet événement est l'auteur même du quatrième Evangile, Jean, le seul des Apôtres qui resta sur le Golgotha avec la Mère de Jésus et les autres femmes. La maternité de Marie, qui commença avec le fiat de Nazareth, s'accomplit sous la Croix. S'il est vrai — comme l'observe saint Anselme — qu'«à partir du moment du fiat, Marie commença à nous porter tous dans son sein», la vocation et la mission maternelle de la Vierge à l'égard des croyants en Christ commença de manière effective lorsque Jésus lui dit: «Femme, voici ton fils!» (Jn 19, 26). En voyant sa Mère du haut de la Croix et le disciple bien-aimé à ses côtés, le Christ mourant reconnut les prémisses de la nouvelle Famille qu'il était venu former dans le monde, le germe de l'Eglise et de la nouvelle humanité. C'est pourquoi il s'adressa à Marie en l'appelant «femme» et non «mère»; un terme qu'il utilisa en revanche en la confiant au disciple: «Voici ta mère!» (Jn 19, 27). Le Fils de Dieu accomplit ainsi sa mission: né de la Vierge pour partager en tout, hormis le péché, notre condition humaine, au moment de son retour au Père il laissa dans le monde le sacrement de l'unité du genre humain (cf. Const. Lumen gentium, n. 1): la Famille «rassemblée par l'unité du Père et du Fils et de l'Esprit Saint» (Saint Cyprien, De Orat. Dom. 23: PL 4, 536), dont le noyau primordial est précisément ce lien nouveau entre la Mère et le disciple. Ainsi, la maternité divine et la maternité ecclésiale demeurent soudées de manière indissoluble.

Mère de Dieu - Mère de l'unité

La première Lecture nous a présenté ce que l'on peut définir comme l'«évangile» de l'Apôtre des nations: tous, même les païens, sont appelés en Jésus Christ à participer pleinement au mystère du salut. Le texte contient en particulier l'expression que j'ai choisie comme devise de mon voyage apostolique: «Le Christ, qui est notre paix» (Ep 2, 14). Inspiré par l'Esprit Saint, Paul affirme non seulement que Jésus Christ nous a apporté la paix, mais qu'il «est» notre paix. Et il justifie cette affirmation en se référant au mystère de la Croix: en versant «son sang» — dit-il —, en offrant «sa chair» en sacrifice, Jésus a détruit l'inimitié «en lui-même» et il a créé «en sa personne les deux en un seul Homme Nouveau» (Ep 2, 14-16). L'Apôtre explique dans quel sens, vraiment imprévisible, la paix messianique a été réalisée en la Personne même du Christ et de son mystère salvifique. Il l'explique en écrivant, alors qu'il est emprisonné, à la communauté chrétienne qui habitait ici, à Ephèse: «au peuple saint qui est à Ephèse, fidèles dans le Christ Jésus» (cf. Ep 1, 1), comme il l'affirme dans l'adresse de la Lettre. L'Apôtre leur souhaite «que la grâce et la paix soient avec vous de la part de Dieu notre Père et de Jésus Christ le Seigneur» (Ep 1, 2). La «grâce» est la force qui transforme l'homme et le monde: la «paix» est le fruit mûr de cette transformation. Le Christ est la grâce; le Christ est la paix. Or, Paul sait qu'il est envoyé pour annoncer un «mystère», c'est-à-dire un dessein divin qui, dans la plénitude des temps uniquement, dans le Christ, s'est réalisé et révélé: c'est-à-dire que «les païens sont associés au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l'annonce de l'Evangile» (Ep 3, 6). Ce «mystère» se réalise, sur le plan historique et salvifique, dans l'Eglise, ce Peuple nouveau dans lequel, une fois abattu le vieux mur de division, se retrouvent unis les juifs et les païens. Comme le Christ, l'Eglise n'est pas seulement un instrument de l'unité, mais elle en est également le signe efficace. Et la Vierge Marie, Mère du Christ et de l'Eglise, est la Mère de ce mystère d'unité que le Christ et l'Eglise représentent et construisent inséparablement dans le monde et au cours de l'histoire.

Demandons la paix pour Jérusalem et le monde entier

L'Apôtre des nations remarque que le Christ «des deux, il a fait un seul peuple» (Ep 2, 14): une affirmation qui se réfère, au sens propre, à la relation entre les Juifs et les Païens en ce qui concerne le mystère du salut éternel; une affirmation qui peut cependant également s'étendre, sur le plan de l'analogie, aux relations entre les peuples et les civilisations présentes dans le monde. Le Christ «est venu annoncer la paix» (Ep 2, 17) non seulement parmi les juifs et les non juifs, mais entre toutes les nations, car tous proviennent du même Dieu, unique Créateur et Seigneur de l'univers. Réconfortés par la Parole de Dieu, d'ici, d’Ephèse, ville bénie par la présence de la Très Sainte Vierge Marie — que nous savons également aimée et vénérée par les musulmans — nous élevons au Seigneur une prière spéciale pour la paix entre les peuples. De cette partie de la péninsule d’Anatolie, pont naturel entre les continents, nous invoquons la paix et la réconciliation, tout d'abord pour ceux qui vivent sur la Terre que nous appelons «sainte», et qui est considérée comme telle par les chrétiens, les juifs et les musulmans: c'est la terre d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, destinée à accueillir un peuple qui deviendra une bénédiction pour toutes les nations (cf. Gn 12, 1-3). Paix pour l'humanité tout entière! Que cette prophétie d'Isaïe puisse se réaliser au plus tôt: «Ils briseront leurs épées pour en faire des socs / et leurs lances pour en faire des serpes. / On ne lèvera plus l'épée nation contre nation, / on n'apprendra plus à faire la guerre» (Is 2, 4). Nous avons tous besoin de cette paix universelle; l'Eglise est appelée à être non seulement l'annonciatrice prophétique de cette paix, mais, plus encore, à en être «le signe et l'instrument». C'est précisément dans cette perspective de pacification universelle, que devient plus profonde et intense l'aspiration vers la pleine communion et la concorde entre tous les chrétiens. Des fidèles catholiques de divers Rites sont présents à la célébration d'aujourd'hui, et cela constitue un motif de joie et de louange à Dieu. En effet, ces Rites sont l'expression de l'admirable variété dont l'Epouse du Christ est ornée, à condition qu'ils sachent converger vers l'unité et le témoignage commun. C'est dans ce but que l'unité entre les Evêques au sein de la Conférence épiscopale, dans la communion et le partage des efforts pastoraux, doit être exemplaire.

Magnificat

La liturgie d'aujourd'hui nous a fait répéter, comme refrain du Psaume responsorial, le cantique de louange que la Vierge de Nazareth proclama lors de la rencontre avec sa parente âgée Elisabeth (cf. Lc 1, 39). Les paroles du Psalmiste ont également retenti de manière réconfortante dans nos cœurs: «Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s'embrassent» (Ps 84, v. 11). Chers frères et sœurs, à travers cette visite, j'ai voulu faire ressentir mon amour et ma proximité spirituelle, ainsi que celle de l'Eglise universelle, à la communauté chrétienne qui ici, en Turquie, est véritablement une petite minorité et qui affronte chaque jour de nombreux défis et difficultés. C'est avec une profonde confiance que nous chantons, avec Marie, le «magnificat» de la louange et de l'action de grâce à Dieu, qui s'est penché sur l'humilité de sa servante (cf. Lc 1, 47-48). Nous le chantons avec joie, même lorsque nous sommes éprouvés par les difficultés et les dangers, comme l'atteste le beau témoignage du prêtre romain Don Andrea Santoro, que j'ai plaisir à rappeler au cours de cette célébration. Marie nous enseigne que la source de notre joie et notre unique soutien solide est le Christ, et elle nous répète ses paroles: «N'ayez pas peur» (Mc 6, 50), «Je suis avec vous» (Mt 28, 20). Et toi, Mère de l'Eglise, accompagne toujours notre chemin! Sainte Marie, Mère de Dieu, prie pour nous! Aziz Meryem Mesih'in Annesi bizim için Dua et». Amen

 

E-  L’homélie de Benôit XVI en la cathédrale de l’Esprit-Saint d’Istambul

Nous publions ci-dessous l’homélie que le pape Benoît XVI a prononcée au cours de la messe qu’il a présidée, le vendredi matin, 29 novembre, en la cathédrale de l’Esprit Saint de Istanbul, en rite latin, en présence du patriarche de Constantinople, Bartholomaios I et du patriarche arménien S.B. Mesrob II, ainsi que de différents représentants des autres communautés ecclésiales et des autres religions.

Chers Frères et Sœurs,

Au terme de mon voyage pastoral en Turquie, je suis heureux de rencontrer la communauté catholique d’Istanbul et de célébrer avec elle l’Eucharistie pour rendre grâce au Seigneur de tous ses dons. Je tiens à saluer en tout premier lieu le Patriarche de Constantinople, Sa Sainteté Bartholomaios Ier, ainsi que le Patriarche arménien, Sa Béatitude Mesrob II, Frères vénérés, qui ont tenu à se joindre à nous pour cette célébration. Je leur exprime ma profonde gratitude pour ce geste fraternel qui honore toute la communauté catholique.

Chers Frères et Fils de l’Église catholique, Évêques, prêtres et diacres, religieux, religieuses et laïcs, appartenant aux différentes communautés de la ville et aux divers rites de l’Église, je vous salue tous avec joie, reprenant pour vous les mots de saint Paul aux Galates : «Que la grâce et la paix soient avec vous de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus-Christ !» (Ga 1, 3). Je tiens à remercier les Autorités civiles présentes pour leur accueil courtois, en particulier toutes les personnes qui ont permis que ce voyage puisse se réaliser. Je veux saluer enfin les représentants des autres communautés ecclésiales et des autres religions qui ont souhaité être présents parmi nous. Comment ne pas penser aux différents événements qui ont forgé ici-même notre histoire commune ? En même temps, je sens le devoir de rappeler de manière particulière les nombreux témoins de l’Evangile du Christ, qui nous pressent de travailler ensemble à l’unité de tous ses disciples, dans la vérité et la charité !

Dans cette cathédrale du Saint-Esprit, j’ai souhaité rendre grâce à Dieu pour tout ce qu’il accomplit dans l’histoire des hommes et invoquer sur tous les dons de l’Esprit de sainteté. Comme vient de nous le rappeler saint Paul, l’Esprit est la source permanente de notre foi et de notre unité. Il suscite en nous la vraie connaissance de Jésus et il met sur nos lèvres les paroles de la foi pour que nous reconnaissions le Seigneur. Jésus l’avait déjà déclaré à Pierre après la Confession de foi de Césarée : «Heureux es-tu, Simon fils de Yonas : ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé ça, mais mon Père qui est aux cieux» (Mt 16, 17). Oui, heureux sommes-nous quand l’Esprit Saint nous ouvre au bonheur de croire et quand il nous fait entrer dans la grande famille des chrétiens, son Église, si multiple à travers la variété des dons, des fonctions et des activités, et en même temps déjà une, «car c’est toujours le même Dieu qui agit en tous». Saint Paul ajoute : «Chacun reçoit le don de manifester l’Esprit en vue du bien de tous». Manifester l’Esprit, vivre selon l’Esprit, ce n’est pas vivre pour soi seulement, mais c’est apprendre à se conformer au Christ Jésus lui-même en devenant, à sa suite, serviteur de ses frères. Voilà un enseignement bien concret pour chacun de nous, Évêques, appelés par le Seigneur à conduire son peuple en nous faisant serviteurs à sa suite ; cela vaut encore pour tous les ministres du Seigneur et également pour tous les fidèles : en recevant le sacrement du Baptême, nous avons tous été plongés dans la mort et la résurrection du Seigneur, «nous avons été désaltérés par l’unique Esprit», et la vie du Christ est devenue la nôtre pour que nous vivions comme lui, pour que nous aimions nos frères comme lui nous a aimés (cf. Jn 13, 34 ).
Il y a vingt-sept ans, dans cette même cathédrale, mon prédécesseur le Serviteur de Dieu Jean-Paul II formait le vœu que l’aube du nouveau millénaire puisse «se lever sur une Église qui a retrouvé sa pleine unité, pour mieux témoigner, au milieu des tensions exacerbées de ce monde, de l’amour transcendant de Dieu manifesté en son Fils Jésus Christ» (Homélie à la cathédrale d’Istanbul, n. 5) . Ce vœu ne s’est pas encore réalisé, mais le désir du Pape est toujours le même et il nous presse, nous tous disciples du Christ qui marchons avec nos lenteurs et nos pauvretés sur le chemin qui veut conduire à l’unité, d’agir sans cesse «en vue du bien de tous», mettant la perspective œcuménique au premier rang de nos préoccupations ecclésiales. Nous vivrons alors vraiment selon l’Esprit de Jésus, au service du bien de tous.

Réunis ce matin dans cette maison de prière consacrée au Seigneur, comment ne pas évoquer l’autre belle image qu’emploie saint Paul pour parler de l’Église, celle de la construction dont les pierres sont toutes solidaires, agencées les unes aux autres pour former un seul édifice, et dont la pierre angulaire, sur qui tout repose, est le Christ. C’est lui la source de la vie nouvelle qui nous est donnée par le Père, dans l’Esprit Saint. L’Évangile de saint Jean l’a proclamé tout à l’heure : «Des fleuves d’eau vive jailliront de son cœur». Cette eau jaillissante, cette eau vive que Jésus a promise à la Samaritaine, les prophètes Zacharie et Ézéchiel la voyaient surgir du côté du Temple, pour qu’elle régénère les eaux de la Mer morte : image merveilleuse de la promesse de vie que Dieu a toujours faite à son peuple et que Jésus est venu accomplir. Dans un monde où les hommes ont tant de mal à partager entre eux les biens de la terre et où l’on commence à s’inquiéter avec raison de la raréfaction de l’eau, ce bien si précieux pour la vie du corps, l’Église se découvre riche d’un bien encore plus grand. Corps du Christ, elle a reçu la charge d’annoncer son Évangile jusqu’aux extrémités de la terre (cf. Mt 28, 19), c’est-à-dire de transmettre aux hommes et aux femmes de ce temps une Bonne Nouvelle qui non seulement éclaire mais bouleverse leur vie, jusqu’à passer et vaincre la mort elle-même. Cette Bonne nouvelle n’est pas seulement une Parole, mais elle est une Personne, le Christ lui-même, ressuscité, vivant ! Par la grâce des Sacrements, l’eau qui s’est écoulée de son côté ouvert en croix est devenue une source jaillissante, «des fleuves d’eau vive», un don que personne ne peut arrêter et qui redonne vie. Comment les chrétiens pourraient-ils garder pour eux seulement ce qu’ils ont reçu ? Comment pourraient-ils confisquer ce trésor et enfouir cette source ? La mission de l’Église ne consiste pas à défendre des pouvoirs, ni à obtenir des richesses, sa mission c’est de donner le Christ, de donner la Vie du Christ en partage, le bien le plus précieux de l’homme que Dieu lui-même nous donne en son Fils.

Frères et Sœurs, vos communautés connaissent l’humble chemin du compagnonnage de chaque jour avec ceux qui ne partagent pas notre foi mais qui déclarent «avoir la foi d’Abraham et qui adorent avec nous le Dieu unique et miséricordieux» (Lumen gentium, n. 16). Vous savez bien que l’Église ne veut rien imposer à personne, et qu’elle demande simplement de pouvoir vivre librement pour révéler Celui qu’elle ne peut cacher, le Christ Jésus qui nous a aimés jusqu’au bout sur la Croix et qui nous a donné son Esprit, vivante présence de Dieu au milieu de nous et au plus intime de nous-mêmes. Soyez toujours accueillants à l’Esprit du Christ et, pour cela, rendez-vous attentifs à ceux qui ont soif de justice, de paix, de dignité, de considération pour eux-mêmes et pour leurs frères. Vivez entre vous selon la parole du Seigneur : «Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c’est l’amour que vous avez les uns pour les autres» (Jn 13, 35).

Frères et Sœurs, remettons en cet instant notre désir de servir le Seigneur à la Vierge Marie, la Mère de Dieu et la Servante du Seigneur. Elle a prié au Cénacle avec la communauté primitive, dans l’attente de la Pentecôte. Avec elle, prions le Christ Seigneur : Envoie ton Esprit Saint, Seigneur, sur toute l’Église ; qu’il habite chacun de ses membres et qu’il fasse d’eux des messagers de ton Évangile !

F- Déclaration conjointe du pape Benoît XVI et du patriarche Bartholomaios I (30 novembre)

Nous publions ci-dessous le texte intégral de la Déclaration conjointe que le pape Benoît XVI et le patriarche œcuménique Bartholomaios I ont signée le jeudi, 30 novembre, au siège du Patriarcat œcuménique, Le texte est publié dans son original en français par la salle de presse du Saint-Siège (cf. www.vatican.va)

DECLARATION CONJOINTE
«Voici le jour que le Seigneur a fait, qu’il soit notre bonheur et notre joie» (Ps 117,24)!

La rencontre fraternelle que nous avons eue, nous, Benoît XVI, Pape de Rome, et Bartholomaios I, Patriarche œcuménique, est l’œuvre de Dieu, et en quelque sorte un don venant de Lui. Nous rendons grâce à l’Auteur de tout bien qui nous permet encore une fois, dans la prière et l’échange, d’exprimer notre joie de nous sentir frères et de renouveler notre engagement en vue de la pleine communion. Cet engagement nous vient de la volonté de notre Seigneur et de notre responsabilité de Pasteurs dans l’Église du Christ. Puisse notre rencontre être un signe et un encouragement pour nous à partager les mêmes sentiments et les mêmes attitudes de fraternité, de collaboration et de communion dans la charité et dans la vérité. L’Esprit Saint nous aidera à préparer le grand jour du rétablissement de la pleine unité, quand et comme Dieu le voudra. Nous pourrons alors nous réjouir et exulter vraiment.

1. Nous avons évoqué avec gratitude les rencontres de nos vénérés prédécesseurs, bénis par le Seigneur, qui ont montré au monde l’urgence de l’unité et qui ont tracé des sentiers sûrs pour y parvenir, dans le dialogue, la prière et la vie ecclésiale quotidienne. Le Pape Paul VI et le Patriarche Athénagoras I, pèlerins à Jérusalem sur le lieu même où Jésus Christ est mort et est ressuscité pour le salut du monde, se sont ensuite rencontrés de nouveau, ici au Phanar et à Rome. Ils nous ont laissé une déclaration commune qui garde toute sa valeur, soulignant que le vrai dialogue de la charité doit soutenir et inspirer tous les rapports entre les personnes et entre les Églises elles-mêmes, «doit être enraciné dans une fidélité totale à l’unique Seigneur Jésus Christ et dans un respect mutuel de leurs propres traditions» (Tomos Agapis, 195). Nous n’avons pas non plus oublié l’échange de visites entre Sa Sainteté le Pape Jean-Paul II et Sa Sainteté Dimitrios I. C’est précisément durant la visite du Pape Jean-Paul II, sa première visite œcuménique, que fut annoncée la création de la Commission mixte pour le dialogue théologique entre l’Église Catholique romaine et l’Église Orthodoxe. Celle-ci a réuni nos Églises dans le but déclaré de rétablir la pleine communion.

En ce qui concerne les relations entre l’Église de Rome et l’Église de Constantinople, nous ne pouvons oublier l’acte ecclésial solennel reléguant dans l’oubli les anciens anathèmes qui, durant des siècles, ont affecté de manière négative les rapports entre nos Églises. Nous n’avons pas encore tiré de cet acte toutes les conséquences positives qui peuvent en découler pour notre marche vers la pleine unité, à laquelle la Commission mixte est appelée à apporter une contribution importante. Nous exhortons nos fidèles à prendre une part active dans cette démarche, par la prière et par des gestes significatifs.

2. Lors de la session plénière de la Commission mixte pour le dialogue théologique qui s’est tenue récemment à Belgrade et qui a généreusement été accueillie par l’Église orthodoxe serbe, nous avons exprimé notre joie profonde pour la reprise du dialogue théologique. Après une interruption de quelques années, due à diverses difficultés, la Commission a pu travailler à nouveau dans un esprit d’amitié et de collaboration. En traitant le thème «Conciliarité et autorité dans l’Église» au niveau local, régional et universel, elle a entrepris une phase d’étude sur les conséquences ecclésiologiques et canoniques de la nature sacramentelle de l’Église. Cela permettra d’aborder quelques-unes des principales questions encore controversées. Nous sommes décidés à soutenir sans cesse, comme par le passé, le travail confié à cette Commission et nous accompagnons ses membres de nos prières.

3. Comme Pasteurs, nous avons tout d’abord réfléchi à la mission d’annoncer l’Évangile dans le monde d’aujourd’hui. Cette mission, «Allez donc, de toutes les nations faites des disciples» (Mt 28, 19), est aujourd’hui plus que jamais actuelle et nécessaire, même dans les pays traditionnellement chrétiens. De plus, nous ne pouvons pas ignorer la montée de la sécularisation, du relativisme, voire du nihilisme, surtout dans le monde occidental. Tout cela exige une annonce renouvelée et puissante de l’Évangile, adaptée aux cultures de notre temps. Nos traditions représentent pour nous un patrimoine qui doit être partagé, proposé et actualisé continuellement. C’est pourquoi nous devons renforcer les collaborations et notre témoignage commun devant toutes les nations.

4. Nous avons évalué positivement le chemin vers la formation de l’Union européenne. Les acteurs de cette grande initiative ne manqueront pas de prendre en considération tous les aspects qui touchent à la personne humaine et à ses droits inaliénables, surtout la liberté religieuse, témoin et garante du respect de toute autre liberté. Dans chaque initiative d’unification, les minorités doivent être protégées, avec leurs traditions culturelles et leurs spécificités religieuses. En Europe tout en demeurant ouverts aux autres religions et à leur contribution à la culture, nous devons unir nos efforts pour préserver les racines, les traditions et les valeurs chrétiennes, pour assurer le respect de l’histoire, ainsi que pour contribuer à la culture de la future Europe, à la qualité des relations humaines à tous les niveaux. Dans ce contexte, comment ne pas évoquer les très anciens témoins et l’illustre patrimoine chrétiens de la terre où a lieu notre rencontre, en commençant par ce que nous dit le livre des Actes des Apôtres, évoquant la figure de saint Paul, Apôtre des nations. Sur cette terre, le message de l’Évangile et l’ancienne tradition culturelle se sont rejoints. Ce lien, qui a tant contribué à l’héritage chrétien qui nous est commun, demeure actuel et portera encore des fruits dans l’avenir pour l’évangélisation et pour notre unité.

5. Notre regard s’est porté sur les lieux du monde d’aujourd’hui où vivent les chrétiens et sur les difficultés auxquelles ils doivent faire face, en particulier la pauvreté, les guerres et le terrorisme, mais également les diverses formes d’exploitation des pauvres, des émigrés, des femmes et des enfants. Nous sommes appelés à entreprendre ensemble une action en faveur du respect des droits de l’homme, de tout être humain, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, du développement économique, social et culturel. Nos traditions théologiques et éthiques peuvent offrir une base solide de prédication et d’action communes. Nous voulons avant tout affirmer que tuer des innocents au nom de Dieu est une offense envers Lui et envers la dignité humaine. Nous devons tous nous engager pour un service renouvelé de l’homme et pour la défense de la vie humaine, de toute vie humaine.

Nous avons profondément à cœur la paix au Moyen-Orient, où notre Seigneur a vécu, a souffert, est mort et est ressuscité, et où vivent, depuis tant de siècles, une multitude de frères chrétiens. Nous désirons ardemment que soit rétablie la paix sur cette terre, que se renforce la coexistence cordiale entre ses diverses populations, entre les Églises et entre les différentes religions qui s’y trouvent. Pour cela, nous encourageons l’établissement de rapports plus étroits entre les chrétiens et d’un dialogue interreligieux authentique et loyal, en vue de lutter contre toute forme de violence et de discrimination.

6. Actuellement, devant les grands dangers concernant l’environnement naturel, nous voulons exprimer notre souci face aux conséquences négatives pour l’humanité et pour la création tout entière qui peuvent résulter d’un progrès économique et technologique qui ne reconnaît pas ses limites. En tant que chefs religieux, nous considérons comme un de nos devoirs d’encourager et de soutenir tous les efforts qui sont faits pour protéger la création de Dieu et pour laisser aux générations futures une terre dans laquelle elles pourront vivre.

7. Enfin, notre pensée se tourne vers vous tous, les fidèles de nos Églises, présents partout dans le monde, évêques, prêtres, diacres, religieux et religieuses, hommes et femmes laïques engagés dans un service ecclésial et tous les baptisés. Nous saluons en Christ les autres chrétiens, les assurant de notre prière et de notre disponibilité au dialogue et à la collaboration. Avec les paroles de l’Apôtre des Gentils, nous vous saluons tous: «À vous, grâce et paix de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus Christ»(2 Co 1, 2).

Phanar, le 30 Novembre 2006.
Benedictus PP. XVI - Bartholomaios I


G-  Discours du pape au Phanar, en la fête de saint André (30 novembre)

Nous publions ci-dessous le texte intégral du discours que le pape Benoît XVI a prononcé le jeudi matin, 30 novembre, après avoir assisté à la Divine liturgie en la mémoire liturgique de l’apôtre André, saint patron de l’Eglise de Constantinople, en l’église patriarcale de Saint-Georges au Phanar, accueilli par le patriarche œcuménique Bartholomaios I.

Cette Divine Liturgie célébrée pour la Fête de saint André Apôtre, saint Patron de l'Eglise de Constantinople, nous ramène à l'Eglise primitive, à l'époque des Apôtres. Les Evangiles de Marc et Matthieu racontent que Jésus appela les deux frères, Simon, que Jésus appelle Képhas ou Pierre, et André: «Venez à ma suite, et je vous ferai pêcheur d'homme» (Mt 4, 19; Mc 1, 17). Le quatrième Evangile présente également André comme le premier à être appelé, «ho protoklitos», ainsi qu'il est connu dans la tradition byzantine. C'est André qui amena ensuite son frère Simon à Jésus (cf. Jn 1, 40sq).

Aujourd'hui, dans cette église patriarcale Saint-Georges, nous pouvons faire l'expérience une nouvelle fois de la communion et de l'appel de deux frères, Simon Pierre et André, à travers la rencontre entre le Successeur de Pierre et son Frère dans le ministère épiscopal, le chef de cette Eglise fondée selon la tradition par l'Apôtre André. Notre rencontre fraternelle souligne la relation particulière qui unit les Eglises de Rome et de Constantinople comme Eglises Sœurs.

Avec une joie profonde je rends grâce à Dieu de donner une nouvelle vitalité aux relations qu'il a développées depuis la mémorable rencontre à Jérusalem en décembre 1964 entre nos prédécesseurs, le Pape Paul VI et le Patriarche Athénagoras. Leur échange de lettres, publié dans un ouvrage intitulé Tomos Agapis, témoigne de la profondeur des liens qui ont grandi entre eux, des liens qui se reflètent dans les relations entre les Eglise Sœurs de Rome et de Constantinople.

Le 7 décembre 1965, à la veille de la session finale du Concile Vatican II, nos vénérables prédécesseurs firent un nouveau pas unique et inoubliable respectivement dans l'Eglise patriarcale Saint-Georges et dans la Basilique Saint-Pierre au Vatican: ils effacèrent de la mémoire de l'Eglise les tragiques excommunications de 1054. De cette manière, ils confirmèrent un changement décisif dans nos relations. Depuis lors, de nombreux pas importants ont été faits sur le chemin d'un rapprochement mutuel. Je rappelle en particulier la visite de mon prédécesseur, le Pape Jean-Paul II, à Constantinople en 1979, et les visites à Rome du Patriarche œcuménique Bartholomaios Ier.

Dans le même esprit, ma présence ici aujourd'hui vise à renouveler notre engagement pour avancer sur la route menant au rétablissement — par la grâce de Dieu — de la pleine communion entre l'Eglise de Rome et l'Eglise de Constantinople. Je peux vous assurer que l'Eglise catholique souhaite faire tout son possible pour surmonter les obstacles et pour chercher, avec nos frères et sœurs orthodoxes, des moyens toujours plus efficaces de coopération pastorale à cette fin.

Les deux frères, Simon, appelé Pierre, et André, étaient des pêcheurs que Jésus appela à devenir des pêcheurs d'homme. Le Seigneur ressuscité, avant son Ascension, les envoya tous deux ainsi que les autres Apôtres avec la mission de faire de toutes les nations ses disciples, en les baptisant et en proclamant ses enseignements (cf. Mt 28, 19sqq; Lc 24, 47; At 1, 8).

Cette tâche qui nous a été laissée par les saints frères Pierre et André est loin d'être achevée. Au contraire, aujourd'hui, elle est encore plus urgente et nécessaire. Car elle ne concerne pas seulement les cultures qui n'ont été touchées que de façon marginale par le message de l'Evangile, mais également les cultures européennes depuis longtemps profondément enracinées dans la tradition chrétienne. Le processus de sécularisation a affaibli l'influence de cette tradition; elle est en effet remise en question, et même rejetée. Face à cette réalité, nous sommes appelés, avec toutes les autres communautés chrétiennes, à renouveler la conscience de l'Europe de ses racines, ses traditions et ses valeurs chrétiennes, en leur donnant une nouvelle vitalité.

Nos efforts en vue de construire des liens plus étroits entre l'Eglise catholique et les Eglises orthodoxes font partie de la tâche missionnaire. Les divisions qui existent entre les chrétiens sont un scandale pour le monde et un obstacle à la proclamation de l'Evangile. La veille de sa Passion et de sa mort, le Seigneur, entouré par ses disciples, pria avec ferveur pour que tous soient un, pour que le monde croie (cf. Jn 17, 21). Ce n'est qu'à travers la communion fraternelle entre les chrétiens et à travers leur amour mutuel que le message de l'amour de Dieu pour tous les hommes et les femmes deviendra crédible. Toute personne qui pose un regard réaliste sur le monde chrétien aujourd'hui verra l'urgence de ce témoignage.

Simon Pierre et André furent appelés ensemble à devenir des pécheurs d'hommes. Mais cette même mission prit une forme différente chez chacun des deux frères. Simon, malgré sa fragilité humaine, fut appelé «Pierre», le «roc» sur lequel l'Eglise devait être construite: c'est à lui en particulier que furent confiées les clés du Royaume des Cieux (cf. Mt 16, 18). Son itinéraire allait le conduire de Jérusalem à Antioche, et d'Antioche à Rome, afin que dans cette ville il puisse exercer une responsabilité universelle. La question du service universel de Pierre et de ses Successeurs a malheureusement été à l'origine de nos différences d'opinion, que nous espérons surmonter, grâce également au dialogue théologique qui a été renoué récemment.

Mon vénérable prédécesseur, le Serviteur de Dieu, le Pape Jean-Paul II, parla de la miséricorde qui caractérise le service d'unité de Pierre, une miséricorde dont Pierre lui-même a été le premier à faire l'expérience (Encyclique Ut unum sint, n. 91). C'est sur cette base que Jean-Paul II lança une invitation à nouer un dialogue fraternel dans le but d'identifier les moyens dont le ministère pétrinien peut être exercé aujourd'hui, tout en respectant sa nature et son essence, afin de «réaliser un service d'amour reconnu par les uns et par les autres» (ibid., n. 95). Je souhaite aujourd'hui rappeler et renouveler cette invitation.

André, le frère de Simon Pierre, reçut une autre mission du Seigneur, une mission suggérée par son propre nom. Comme il parlait le grec, il devint — avec Philippe — l'Apôtre de la rencontre avec les Grecs qui venaient à Jésus (cf. Jn 12, 20sqq). La tradition nous dit qu'il fut missionnaire non seulement en Asie mineure et dans les territoires du sud de la Mer Noire, c'est-à-dire ici dans cette région, mais aussi en Grèce, où il a enduré le martyre.

L'Apôtre André représente par conséquent la rencontre entre le christianisme des origines et la culture grecque. Cette rencontre, notamment en Asie mineure, devint possible en particulier grâce aux grands Pères de la Cappadoce, qui enrichirent la liturgie, la théologie et la spiritualité à la fois des Eglises de l'Orient et de l'Occident. Le message chrétien, comme le grain de blé (cf. Jn 12, 24), tomba sur cette terre et porta beaucoup de fruit. Nous devons être profondément reconnaissants pour l'héritage qui naquit de cette rencontre féconde entre le message chrétien et la culture hellénique. Il a eu une influence durable sur les Eglises de l'Est et de l'Ouest. Les Pères grecs nous ont laissé un précieux trésor dont les Eglises continuent de tirer des richesses anciennes et nouvelles (cf. Mt 13, 52).

La leçon du grain de blé qui meurt afin de pouvoir porter du fruit trouve également un parallèle dans la vie de saint André. La tradition nous dit qu'il a suivi le destin de son Seigneur et Maître, en finissant ses jours à Patras, en Grèce. Comme Pierre, il a enduré le martyre sur une croix, la croix diagonale que nous vénérons aujourd'hui comme la croix de Saint-André. De son exemple nous apprenons que le chemin de chaque chrétien particulier, tout comme de l'Eglise dans son ensemble, conduit à une vie nouvelle, la vie éternelle, à travers l'imitation du Christ et l'expérience de sa croix.

Au cours de l’histoire, l'Eglise de Rome comme celle de Constantinople ont souvent fait l'expérience de la leçon du grain de blé. Ensemble, nous vénérons un grand nombre de martyrs dont le sang, selon les célèbres paroles de Tertullien, devint la semence de nouveaux chrétiens (Apologeticum, 50, 13). Avec eux, nous partageons la même espérance qui pousse l'Eglise à «avancer dans son pèlerinage à travers les persécutions du monde et les consolations de Dieu» (Lumen gentium, n. 8; cf. saint Augustin, De Civitate Dei, XVIII, 51, 2). Pour sa part, le siècle qui vient de s'achever a, lui aussi, vu de courageux témoins de la foi aussi bien à l’Est qu’à l’Ouest. Même aujourd’hui, il existe de nombreux témoins dans différentes régions du monde. Nous nous souvenons d’eux dans notre prière et, de toutes les manières possibles, nous leur offrons notre soutien, tout en demandant instamment aux responsables du monde de respecter la liberté religieuse comme un droit de l'homme fondamental.

La Divine Liturgie à laquelle nous avons participé était célébrée selon le rite de saint Jean Chrysostome. La croix et la résurrection de Jésus Christ ont été présents de façon mystique. Pour nous chrétiens cela est une source et un signe d'espérance constamment renouvelée. Nous trouvons cette espérance magnifiquement exprimée dans un texte ancien connu comme la Passion de saint André: «Je te salue, O croix, consacrée par le Corps du Christ et parée de ses membres comme par de précieuses perles... Puissent les fidèles connaître ta joie, et les dons qui sont conservés en toi...».

Cette foi dans la mort rédemptrice de Jésus sur la croix, et cette espérance que le Christ ressuscité offre à toute la famille humaine, sont partagées par nous tous, orthodoxes et catholiques. Puisse notre prière et notre action quotidiennes être inspirées par un fervent désir non seulement d'être présents à la Divine Liturgie, mais d'être en mesure de la célébrer ensemble, de prendre part à l'unique table du Seigneur, en partageant le même pain et le même calice. Puisse notre rencontre d'aujourd'hui servir d'élan et de joyeuse anticipation du don de la pleine communion. Et puisse l'Esprit de Dieu nous accompagner sur notre chemin ».