Les Nouvelles
de
Chrétienté
n° 72
Deux interviews,
L’un de Mgr Fellay
à Nice Matin
L’autre de M l’abbé de Tanoüarn
A- Interview de Mgr Fellay par Nice-Matin
- Nice-Matin : Cette division entre les catholiques n’est-elle
pas une injure à l’amour du Christ ?
-
Mgr Fellay : C’est vrai, l’amour est le signe
authentique de l’Eglise. Mais Saint Paul dit aussi : «Opportet
heraeses esse» : il y aura toujours des
divisions et des oppositions. L’Eglise a pour but de sauver les âmes, pour cela
elle doit les tirer d’une situation de conflit contre Dieu liée au péché
originel.
- Les églises
et les presbytères se vident. Pas les vôtres. La messe à l’ancienne vous paraît
être le remède à la crise de l’Eglise et de la société ? Même pour ceux qui
désertent les paroisses et ne connaissent pas le latin ?
-
Ce n’est pas une question de langue à comprendre ou pas. L’important, c’est le
rite sacré qui met l’homme devant Dieu. Autrefois, tout le monde ne comprenait
pas le latin, et pourtant tout le monde venait à la messe. Aujourd’hui, les
gens veulent comprendre, et c’est normal. Mais c’est le rite qu’ils doivent
comprendre, qu’il faut leur expliquer. Pour les rapports avec Dieu, il faut une
langue sacrée. Les juifs aussi ont gardé leur langue sacrée, l’hébreu. En
langue courante (ou «vernaculaire» : NDLR pour nous, le français), le sens du
sacré se perd.
- Communautés
nouvelles et charismatiques font aussi le plein... sans renier le concile !
-
Sur le fond (la foi, les commandements, la morale...), l’Eglise ne change pas .
Dieu ne change pas, le cœur de l’homme non plus.
- Le pape dit
que le concile doit être lu à la lumière de
-
Il n'y a pas contradiction. Cette expression «à la lumière de la
tradition», bien que nécessaire en soi pour comprendre le concile, s'est avérée
insuffisante. Elle est trop ambigüe, nous ne
voulons plus l’utiliser. Certains textes du concile sont
irréconciliables avec
- Qu’est-ce
que vous jugez «irréconciliable» ?
-
Trois points : le principe de l’œcuménisme, la liberté
religieuse, et la collégialité.
- Le principe
de l’œcuménisme ?
-
A force d’avoir une vision tellement positive des autres religions, on ne dit
plus qu’elles n’ont pas les moyens de sauver. Rome a toujours dit : «Hors
de l’Eglise, point de salut». En dehors de cela, seuls les individus
de bonne foi qui ne connaissent pas l’Eglise, s’il suivent leur conscience,
peuvent être sauvés.
- La liberté
religieuse ?
-
C’est une notion très ambiguë. Bien sûr qu’on n’a pas le droit d’obliger
quelqu’un à adhérer à la religion. Ce que nous contestons, c’est
l’attribution à la nature humaine d’un droit qui n’existe pas. L’homme
a le devoir de chercher la vérité, mais il n’a pas un droit de se tromper.
Quand on dit que l’Etat doit donner les mêmes droits à toute religion, nous ne
sommes pas d’accord : l’Etat, créature de Dieu, irait alors contre Dieu.
- Ce que vous
dites des autres religions s'applique aussi au judaïsme ?
-
Certes, le christianisme a ses racines dans le judaïsme. Mais les juifs n’ont
pas cru au Christ. Le train leur a été annoncé, ils l’ont raté. Sans le
Christ, ils ont perdu la clé d’interprétation de
- La collégialité
?
-
L’Eglise n’a qu’une tête : le pape, vicaire du Christ. C’est
dans l’Evangile : le Seigneur a dit à l’apôtre Pierre «Tu es Pierre et sur
cette pierre je bâtirai mon Eglise». Les évêques, successeurs des autres
apôtres, ont une responsabilité de droit divin sur leur diocèse, mais limitée à
ce diocèse. La collégialité donne trop de pouvoir aux évêques et rend l’Eglise
très difficile à gouverner. Sur ce sujet, Lumen Gentium
est tellement ambigü que le pape Paul VI a dû
l’expliquer par une note préliminaire ! Laquelle reste à appliquer.
- Pour
Vatican II, que demandez-vous ? Un nouveau concile ?
-
Non, c’est une question de prudence, et de crédibilité. L’Eglise ne peut se
contredire. Mais il y a trop de non-dit, trop d’ambiguïtés. On atttend du concile qu’il soit clair. Il faudrait que le
Saint-Père puisse reprendre petit à petit tous ces termes de manière
compréhensible.
- Jean Paul
II et Benoît XVI n’ont-ils pas commencé à le faire ?
-
Le discours de Benoît XVI en décembre 2005 est intéressant. Mais il n’est pas
suffisant, surtout sur la liberté religieuse. Le pape veut éviter une tyrannie
de l’Etat sur l’Eglise, ce qui est légitime, mais selon des principes modernes,
alors que ce que l’Eglise disait autrefois était suffisant.
- Qu’est-ce
qui concourt au rapprochement ?
-
Benoît XVI veut visiblement réformer la liturgie, qui en a grand besoin. Il
veut rappeler l’idée de sacrifice, ce qui remet l’homme à sa place devant Dieu.
Le pape a une exigence d’intégrité, de rigueur et de discipline pour
les hommes et les institutions religieuses. Pour ceux qui ont prononcé
des vœux d’obéissance, de pauvreté et de chasteté, le renoncement doit par
exemple être plus marqué qu’aujourd’hui.
- Le texte de
la dernière assemblée plénière des évêques de France sur les traditionnalistes paraît encourageant ?
-
Il est difficile à interpréter.
- Que
demandez-vous ?
-
Pour ce qui est du principe : que l’ancienne messe soit réellement
permise. Pour l’application pratique : que tout le monde soit de bonne
volonté. Que l’on ne voie pas a priori l’arrivée de l’ancien rite comme un
problème.
- On dit que
vous êtes sur le point de demander par écrit la levée de l’excommunication
contre
-
C’est inexact. Depuis l’an 2000, nous l’avons déjà demandé plusieurs fois, y
compris par écrit. Le cardinal Castrillon,
chargé du dossier, a reconnu publiquement que nous n’étions pas schismatiques.
- Depuis
votre audience avec Benoît XVI le 29 août 2005, que s’est-il passé ?
-
Au printemps, les termes d'un accord ont été discutés à plusieurs reprises par
les cardinaux et les responsables de la curie.
- A quand un
accord avec Rome ?
- C'est impossible à dire. On
nous avait assuré que le texte "libéralisant" la messe tridentine
serait publié en octobre 2005. Ce n'est pas encore fait. Le pape veut
aller vite. Nous lui disons : doucement. C'est une bombe atomique, à ne pas
faire exploser ! Avant l'atterrissage, nous nous efforçons de préparer
la piste. Nous avons proposé une feuille de route. On ne pose pas de conditions
à Rome, mais il faut regagner la confiance brisée.
La "libéralisation" de la messe et la levée de
l'excommunication constitueraient un signe qui ouvrirait une phase de
discussion doctrinale. Des efforts de Rome pour sortir l'Eglise de sa
situation de paralysie actuelle seraient aussi un signe.
Je suis certains du "happy end".
Mais quand ? Nous prions. Pour nous, l'Eglise est surnaturelle. L'essentiel est
de l'ordre de la grâce
B- Interview de M l’abbé de Tanoüarn
Abbé
Guillaume de Tanoüarn : "J'ai rejoint Rome à
cause de Benoît XVI"
- Pourquoi
avoir rejoint l'Eglise ?
-
Nous avons la chance d'avoir un nouveau pape théologien. On ne peut pas refuser
la main qu'il tend aux traditionnalistes, d'autant
qu'il a entamé un travail de fond déjà amorcé par Jean Paul II, qui avait
commencé un recentrage liturgique avec son instruction Redemptionis
Sacramentum, sur certaines choses à observer et
à éviter concernant l'eucharistie" et avec l'encyclique "Ecclesia de eucharistia,
sur les rapports de l'eucharistie avec l'Eglise". La "détabouisation" du concile commence enfin.
- Vous vous
dites toujours traditionaliste. Le traditionalisme, "combien de
divisions" ?
-
On compte en France environ 200 000 personnes attachées à la messe de Saint-Pie-V. Mais cela représente un enjeu symbolique
beaucoup plus important. Sinon, Coluche n'en aurait sans doute pas fait un
sketch, ni Brassens une chanson.
- Qu'est-ce
que
-
C'est la transmission du message évangélique formulé dans les dogmes et les
rites (liturgie). Les traditionnalistes demandent un
accès libre aux formes de
- La messe de
Saint-Pie V est-elle le vrai cheval de bataille des traditionnalistes, ou un cheval de Troie contre le concile
?
-
Que les évêques de France nous expliquent ce qu'est Vatican II. Qu'on arrête de
se contenter d'invocations et qu'on aborde le contenu du concile. C'est le sens
du n° 7 de notre revue "Objections".
- Pensez-vous
comme l'évêque lefebvriste Mgr Tissier
que l'on ne peut pas lire Vatican II à la lumière de
-
Il a dérapé.
- Mais
vous-même, pensez-vous toujours, comme vous l'avez écrit dans "Vatican II
et l'Evangile", que le concile, c'est "Ebola"
? Que c'est un "espace où sont concentrées toutes les erreurs théologiques
caractéristiques de notre temps ? Faites-vous toujours "profession d'être anticonciliaire "? Pensez-vous toujours que la
"Révolution conciliaire est un véritable demi-tour de l'Eglise, une inversion
de son message" ?
-
Aujourd'hui, je dirais les choses autrement. Vatican II a osé poser les
questions qu'il fallait poser en tant que catholique face à la modernité :
liberté religieuse, oecuménisme, question juive... Vatican II ouvre
des pistes à explorer, parfois à déminer. Il y a un travail théologique à
accomplir, mais le travail théologique du XXIe siècle n'est pas celui du XXe
siècle. Dans ses voeux à
- On dit que
Rome est sur le point de faciliter la messe de Saint-Pie-V
? Les lefebvristes vont-ils bientôt réintégrer
l'Eglise ?
-
Je ne suis pas sûr qu'ils soient pressés de le faire. La réintégration de