L’œcuménisme romain jugé par un spécialiste du monde orthodoxe

 

Le P. Taft, jésuite, l’un des meilleurs spécialistes de la liturgie byzantine, et qui ne passe pas, loin de là, pour un traditionaliste, mais qui a son franc parler, « mets les pieds dans le plat ». Le non-prosélytisme du Conseil pour l’Unité des chrétiens est, selon lui, absurde.

 

Rome, Vidimus Dominum, 12 février 2004 – Dialoguer est une bonne chose, mais si "les autres" sont dans l'erreur il faut le leur dire en public, non pas en privé et à voix basse comme on l'a toujours fait jusqu'ici. Telle est du moins l'idée du père Robert Taft, SJ, professeur émérite à l'Institut Pontifical Oriental et un des pionniers dans le dialogue avec l'orthodoxie.

Le père Taft a accordé une longue interview au National Catholic Reporter, l'hebdomadaire catholique progressiste américain, en se livrant à des jugements critiques à l'égard de la politique actuelle du Saint-Siège, trop prudente, et en particulier du cardinal Kasper, à la veille du voyage qu'il fera à Moscou du 16 au 20 février.

Selon le père Taft, il devrait y avoir avant tout un Patriarcat gréco-catholique en Ukraine et l'archevêque de Lviv, le cardinal Husar, devrait être Patriarche. Le Vatican s'oppose parce qu'il craint une dure réaction du Patriarcat orthodoxe de Moscou.

"Mon conseil au Ukrainiens – explique le père Taft – a été de faire deux choses. Tout d'abord, déclarer publiquement l'existence d'un patriarcat. Ensuite, demander la reconnaissance de Rome et si elle n'arrive pas renvoyer toutes les lettres non adressés au patriarcat. Ne pas le supposer mais le faire. Le Secrétariat d'Etat envoie-t-il une lettre à l'archevêque? La renvoyer sans l'ouvrir, avec l'inscription: adresse inconnue".

Le jugement à l'encontre du cardinal Kasper et de sa politique de prudence envers les orthodoxes, pour ne pas les mécontenter, est également sévère: "Kasper a pour tâche de construire des ponts avec les orthodoxes et non de les détruire".

"Absurdes": ainsi sont définies les prétentions orthodoxes selon lesquelles l'Eglise ne doit pas faire œuvre d'évangélisation. "Le problème est que personne ne parle clairement parce que personne ne sait pas ce que moi, en revanche, je connais bien. Il y a des prêtres orthodoxes qui font du prosélytisme parmi les catholiques, et de cela nous sommes certains.

Les orthodoxes russes ont ouvert une paroisse à Palerme (en Sicile, dans le sud de l'Italie, ndr). Qui est le prêtre? Un catholique converti. Lorsqu'elle a été ouverte, le journal du Patriarcat de Moscou a dit clairement qu'il s'agit d'un pas en avant dans la redécouverte de l'héritage byzantin de la Sicile".

Au sein du monde orthodoxe russe, d'après la reconstruction du père Taft, on distingue au moins "trois groupes". Le premier est celui de droite "qui est d'accord pour qualifier Raspoutine de saint et ainsi de suite avec ce genre d'ordure".

Ensuite il y a ceux qui ont étudié, "tels que le métropolite Kirill de Smolensk, ouvert, œcuménique et intelligent", mais "ils constituent une minorité". Et enfin, il y a "un groupe conservateur" mais qui n'apparaît pas en public à visage découvert.

Ainsi, dans toute cette situation, le Patriarche est un "otage". Et dans les relations réciproques il faut "affronter" les orthodoxes, leur dire "en face" ce qui ne va pas, "au lieu des remontrances faites en privé".