Monsieur l’abbé de Tanouarn dialogue avec Monsieur l’abbé Aulagnier
Pacte, septembre 2003
Lettre à Monsieur l’abbé Aulagnier
Editorial
Cher Monsieur l’abbé.J’ai
pris connaissance du long entretien que vous avez donné à la revue
américaine the Wanderer
– et dont Présent ne publie qu’une
partie, ce 24 septembre ; je crois que vous cherchez à provoquer la
discussion et c’est dans cet esprit qu’avec affection je vous écris cette
lettre. Je ne me mettrai pas aux côtés de ceux qui vous insultent et qui ne
font même pas l’effort de comprendre votre position, telle qu’elle s’exprime.
Mais je voudrais dire ici les raisons profondes de notre désaccord temporaire.
J’affirme que notre
désaccord est temporaire, car il ne porte absolument pas sur les fins de notre
action. Je sais que vous êtes resté ce combattant sans peur auquel le district
de France de notre Fraternité Saint Pie X doit pratiquement tout ce qu’il est.
Je ne crains donc pas que notre opposition s’éternise, puisque nous avons le
même combat pour l’Eglise de Rome, celui dont vous
avez exprimé les termes avec bonheur dans le livre d’entretiens que j’ai eu la
joie de faire avec vous. Notre opposition risquerait d’être durable si l’un et
l’autre, vous ou moi, cultivions une obsession
schismatique, qui pourrait nous enfermer dans une église parallèle à l’unique
Eglise du Christ. Mais nous nous connaissons assez l’un et l’autre pour être
sûrs que nous sommes des enfants du Pape de Rome, entrés en résistance à cause
du malheur des temps, tout étant restés viscéralement attachés à la vérité et à
la beauté de l’ordre romain, qui est l’ordre divin.
On ressent, chez les
prêtres comme chez les fidèles, une inquiétude diffuse devant une situation que
le long pontificat de Jean-Paul II contribue à rendre comme interminable. Il
est normal d’en souffrir ! Nous ne serions pas catholique sans cela… L’Eglise se meurt, « l’Eglise est effondrée » ainsi que le disait le
cardinal Lustiger dans son tout récent discours de rentrée à l’Ecole cathédrale.
Nous souffrons tous de
voir que la Parole évangélique, qui est la fécondité même, semble ne plus
pouvoir produire son fruit de grâce dans une société matérialisée, érotisée,
lobotomisée. Imaginer qu’il suffira de bâcler un « accord pratique »
avec Rome pour que cesse la crise ou pour que se dissipe notre spleen, c’est
cultiver un leurre ! Qu’aurions-nous à gagner si nous rejoignons
officiellement le dispositif juridique qui se nomme lui-même « Eglise Conciliaire » ? Des
conflits nouveaux avec des autorités sourcilleuses, soupçonneuses et attachées
à nous nuire les trois quarts du temps ! Une liberté de parole et d’action
inexorablement diminuée dans notre pastorale ! Une couche supplémentaire
de langue de buis dans notre discours ! A Dieu ne plaise !
Monsieur l’abbé Aulagnier, vous donnez l’impression
de balayer d’un revers de main ces objections (que vous connaissez bien
vous-même) en opposant à notre manque d’enthousiasme ces mots définitifs :
« Rome veut tout nous donner !
Sur un plateau ! Nous serions criminels, nous serions schismatiques de
refuser ainsi les avances de Rome ! »
ON RESSENT CHEZ LES PRETRES COMME CHEZ LES FIDELES
UNE INQUIETUDE DIFFUSE
Je ferai deux réponses
très différentes :
Voici la première raison :
Vous dites que Rome
veut tout nous donner « tout ».
Non ! Rome ne veut pas nous donner tout. Elle renâcle même à nous donner
raison – elle a du mal à nous laisser nos raisons,
dans le combat que nous menons depuis
trente ans. Pourquoi ? parce qu’elle peine
à se donner tort à elle-même dans la plus terrible crise de son histoire.
« Repentance,
oui ! Mais pour les autres, dans le passé. Pas pour nous », nous disent les Romains. Depuis 1999, lors d’un mémorable congrès
496 qui rassembla 2000 personnes à la Mutualité, je répète que le thème de la
repentance, qui s’est introduit dans le discours ecclésial à l’occasion du
Jubilé de l’an 2000, est un thème providentiel, pour des temps apocalytiques. Si l’Eglise de
Rome, d’après le vaticaniste Luigi Accatoli, a fait
aujourd’hui près de 97 déclarations de repentance sur des sujets différents, on
ne voit pas ce qui pourrait l’empêcher d’en faire une sur les excès du Concile
Vatican II. Il me semble que ce n’est
pas trop demander que de demander cela. Est-ce demander trop tôt ?
Peut-être… En tout cas nous prenons rendez-vous avec l’histoire… Elle nous
donnera raison un jour ou l’autre, parce que les textes du Concile sont ce
qu’ils sont, et qu’on ne pourra pas indéfiniment se contenter de les mettre
sous le boisseau. Quand on range un cadavre dans un placard, il faut s’attendre
à entendre ce mot de l’Evangile : jam foetet ! Ça pue…
Voici la deuxième raison :
Deuxième raison, tout
aussi fondamentale que la première :
Rome nous donne
tout ; nous n’en voulons pas. Pourquoi ?
On pourrait là aussi
parler latin, renvoyer nos lecteurs aux pages roses du dictionnaire et s’écrier
comme Laocoon devant le cheval de Troie : Timeo Danaeos et dona ferentes… Mais ce
ne serait pas respectueux ! Ce ne serait pas correct de douter ainsi de la
maternité de notre Mère l’Eglise ! Telle n’est
donc pas notre attitude.
ON NE FERA PAS L’ECONOMIE DE LA CLARTE FACE AU CONCILE
VATICAN II
Nous disons simplement
qu’aujourd’hui, lorsque Rome promet, elle n’a pas forcément les moyens de tenir
ses promesses. Regardez les directives pratiques, qui devaient faire suite à l’Encyclique Ecclesia de eucharistia. Publiées avant l’heure par tel membre trop
zélé de la Curie, elles risquent bien de ne pas voir le jour. C’est au moins ce
que nous prédit l’Agence Apic…
Et si elles finissent par être promulguées, qui nous dit qu’elles n’auront pas
été amputées de tout ce qui pourrait provoquer trop directement l’ire du clan progressiste. Et, en admettant
qu’elles aient été publiées, quelle autorité les fera respecter ? Et puis,
une question évidemment nous brûle les lèvres : comment comprendre que
dans les éléments que reprend indiscrètement le mensuel progressiste jesus, pour
les publier avant l’heure, il n’y ait rien sur la messe traditionnelle ?
L’Eglise appelle simplement les fidèles de Vatican II
à respecter leur propre discipline, et cela crée déjà un tollé. Quelle levée de
bouclier est à prévoir, si l’on essaie, en douce, de rétablir ce que le
cardinal Hoyos nomme très bien « le droit de
citoyenneté » de la messe dans l’Eglise de
Rome ! Les dysfonctionnements de la structure ecclésiale qui s’étalent au
grand jour à propos de filles enfants de chœur ou d’applaudissements dans
l’église, parait-il (désormais officiellement prohibés) risquent d’être
multipliés par dix lorsqu’il sera question de revenir sur le monopole pastoral
de la messe de Paul VI, dispositif essentiel dans l’Eglise
de l’Après Concile, tout le monde l’a bien compris.
Tout ce charivari nous
montre qu’on ne fera pas l’économie de la clarté face au Concile Vatican II. Il
faut le lire, il faudra le relire ! M l’abbé, vous nous dites qu’après les
accords, on pourra continuer à « critiquer sans polémique » ce texte
mortifère… Vous nous certifiez que cela se trouve déjà dans les accords établis
entre Rome et les traditionalistes du diocèse de Campos. Mais que signifie
« critiquer sans polémique » ? Pour moi, la polémique, c’est la
critique, lorsqu’elle s’en prend à des personnes. Il faudrait donc nous
abstenir de critiquer tout dignitaire de l’Eglise
Conciliaire… C’est difficile. Admettons que nos critiques se tiennent
rigoureusement à la lettre des documents post-conciliaires, qu’elle soit donc
exempte de toute « polémique » au sens où nous venons de définir ce
mot … Je ne crois pas qu’une telle critique soit envisageable, sans entraîner
quelques vigoureux coups de crosses épiscopaux. Alors… Que Rome commence !
Que le Curie donne l’exemple ! Qu’une repentance ait lieu, si c’est si
facile dans le contexte actuel de critiquer le concile à l’intérieur de l’Eglise conciliaire !
Si ce n’est pas encore
réalisable, il faudra bien nous contenter du rôle que nous tenons depuis trente
ans, un rôle où il y a, c’est vrai, autant d’honneur à recevoir que de coups à
prendre.
D’abord, la Fraternité
Saint Pie X représente, qu’elle le veuille ou non, la seule instance critique
vraiment libre face aux déviances conciliaires. L’Eglise,
pour se sortir du pétrin, a besoin de cette liberté-là, même si personne encore
n’ose nous le dire en face. Nous sommes fiers de pouvoir contribuer ainsi à
notre place (la plus active, la plus franche et donc la plus sereine) au
relèvement de l’Eglise dans la vérité.
Nous sommes les seuls à
pratiquer la Tradition catholique librement, dans toutes ses dimensions,
« intégralement », à la fois en liturgie, en théologie et au catéchisme
et cela, dans des structures paroissiales. Nous montrons ainsi que cette
tradition n’est pas un objet de musée, voire un vulgaire magot de brocante,
mais qu’elle constitue un recours pour tout ceux qui ne se résignent pas à la
disparition de la catholicité… Nous avons l’exemple de Bordeaux. Depuis un an,
700 personnes assistent à la messe traditionnelle en l’église st Eloi, tandis
qu’à deux cent mètres, 70 personnes entourent l’évêque dans sa cathédrale, et
que quelques dizaines d’autres vont honteusement célébrer la liturgie de St Pie
V, dans la réserve d’indiens que leur a concédée la générosité de leur pasteur,
en dehors de la ville, du côté de la Barrière saint Gènes… Cette géographie
bordelaise de la messe montre bien que la tradition n’est pas un conservatoire
du passé mais un laboratoire de l’avenir.
LA SEULE INSTANCE CRITIQUE VRAIMENT LIBRE
Qu’en est-il enfin –
c’est votre dernier argument M l’abbé – de l’esprit schismatique qui pourrait
se glisser dans notre combat et des divisions qui pourraient affecter la
Fraternité St Pie X, l’attente se prolongeant ? Je répondrais d’une phrase : il me semble que la
généralisation des accords pratiques créerait en notre sein infiniment plus de
divisions, de tensions, de tentatives multiformes de récupération, de réactions
violentes, de risques de schisme que le statu-quo
d’aujourd’hui.
Il faut bien peser cela,
et non jouer, en signant trop vite, les apprentis sorciers avec un stylo à
bille !
M l’abbé, je serai
heureux de savoir comment vous répondez à tout cela. J’ai essayé de tenir
compte de l’ensemble de votre propos, sans le réduire, comme fait Présent du 24 septembre, à ses éléments
les plus négatifs, sans déformer non plus telle ou telle pointe, comme le font
certains « confrères »…Je crois que pour vivre « sans
peur », il nous faut tâcher d’être « sans reproches ». C’est
dans cet esprit que j’ai tenu à vous parler franchement…
Abbé Guillaume de Tanouarn