La palombière

Ce 24 mai à Rome

 

Que s'est-il passé ce samedi après-midi ? Un cardinal - responsable d'un dicastère à la Curie - a célébré la messe traditionnelle, en présence de cinq autres Eminences (toutes émérites et donc à la retraite - il faut avoir la cruauté de le souligner). Trois mille personnes ont assisté à la cérémonie, dont une majorité de Français. Les bruits les plus saugrenus ont couru à cette occasion - ralliement de la Fraternité Saint Pie X, création d'une administration apostolique pour la mouvance Ecclesia Dei unifiée et prise en main... Internet a bruissé de toutes les attentes du peuple catholique. Rome a-t-elle déçu à nouveau l'espérance des fidèles ?
Soyons justes : pas tout à fait. Les raisons de notre satisfaction tiennent à deux phrases : « L'ancien rite romain conserve dans l'Eglise son droit de citoyenneté au sein de la multiformité des rites catholiques, tant latins qu'orientaux. Ce qui unit la diversité de ces rites, c'est la même foi dans le mystère eucharistique, dont la profession a toujours assuré l'unité de l'Eglise... ».
Si nous voulons en produire un commentaire rigoureux, il faut ajouter un petit mot : donc. : L'ancien rite conserve donc dans l'Eglise son droit de citoyenneté... Ce "donc" se raccroche à une longue citation du concile Vatican II, dont la formule du cardinal Hoyos sur le droit de citoyenneté apparaît comme une conséquence et qu'il faut donc soupeser au préalable. La voici : « La sainte Eglise tient pour égaux en droit et en dignité tous les rites légitimement reconnus, et elle veut qu'à l'avenir, ils soient conservés et favorisés de toutes façons. Le Concile désire que, là où c'est nécessaire, ils soient intégralement révisés avec prudence, dans l'esprit de la saine tradition, pour leur donner une nouvelle vigueur en fonction des circonstances et des besoins de l'époque » (Sacrosanctum concilium n°4).
Cette citation du Concile semble légitimer en même temps l'ancien et le nouveau rite à des titres divers. L'ancien rite est égal au nouveau puisque c'est un rite reconnu ; le nouveau correspond mieux aux circonstances et aux nécessités de l'époque, il est le fruit (béni par le cardinal et par le concile) de cette "révision intégrale" qui, "avec prudence", "reste dans l'esprit de la saine tradition". Il est évident que, prise au pied de la lettre, cette position consensuelle ne l'est pas tant qu'on pourrait le croire. Reprenons-la, sans craindre la paraphrase : il existe deux rites latins : l'un réformé et merveilleusement adapté aux nécessités de l'époque (il a d'ailleurs vidé toutes les églises de la vieille chrétienté). Quant à l'autre rite latin, la tradition nous l'a légué, on ne peut pas faire autrement que de le reconnaître comme tel. Comme disait le cardinal Ratzinger en privé : le rite traditionnel est un élément de communion incontournable...
Voilà, c'est tout. D'une certaine façon, c'est beaucoup, car les dignitaires romains avaient toujours considéré le droit liturgique comme purement positif et prenant vigueur par sa promulgation. Dans ce cas de figure, si la liturgie est vraiment et simplement une loi positive, un rite chasse l'autre. Comme au billard ! La nouvelle messe annule l'ancienne.
Le cardinal Hoyos n'a pas voulu prendre en compte cette thématique juridique du droit positif, qui était pourtant celle de tous les services du Vatican jusqu'au 24 mai. Sacré courage, c'est le cas de l'écrire !
Il s'est situé dans un autre discours, celui du droit subjectif, qui a dominé la rédaction du nouveau code de droit canonique : « l'ancien rite romain conserve dans l'Eglise son droit de citoyenneté », en vertu de l'égalité de tous les rites approuvés. Il faut retenir cet aveu. Il a une importance considérable, ne serait-ce que parce qu'il montre bien que le rite traditionnel n'a besoin d'aucun texte, d'aucune autorisation, d'aucune permission pour être légitime et légal. C'est le leit-motiv des traditionalistes depuis trente ans. cela fait du bien de voir qu'un cardinal accepte de valider cette considération. Notre résistance s'en trouve confortée, notre amour de l'Eglise encouragé. Merci Eminence !

 

Abbé Guillaume de Tanouarn