A- Quelques explications sur les textes qui composent
la messe du premier dimanche de Carême.
Le choix des textes de cette messe
est, au premier abord, un peu mystérieux. On ne voit
pas immédiatement le lien qu’ils peuvent avoir
entre eux.
L’évangile nous parle
de la tentation du Christ au désert, à l’orée
de sa vie publique.
« Jésus fut conduit
au désert par l’Esprit pour être mis à
l’épreuve par le diable ».
L’évangéliste
nous décrit les tentations auxquelles il fut soumis,
les épreuves qu’il dut subir. A chaque épreuve
le Christ sort vainqueur. C’est alors que les anges magnifient
sa gloire, sa victoire et pour le manifester, viennent à
ses pieds, le servir. Et comment triomphe-t-il ? En s’en
remettant à la sagesse divine, en mettant sa confiance
en Dieu, son Père.
« Alors le diable le laissa
et voici que des anges s’approchèrent et le servaient
». « Et ecce angeli accesserunt et ministrabant
ei ».
L’épître prend
un texte de saint Paul, tiré de la 2ème lettre
de saint Paul aux Corinthiens. Et ce texte débute par
des paroles de confiance et d’abandon au Seigneur. Saint
Paul utilise même un texte d’Isaïe : «
au moment favorable, je t’exauce. Au jour du salut, je
te viens en aide ». « C’est maintenant le
temps vraiment favorable, c’est maintenant le temps du
salut ». Ce qui veut dire qu’en ce temps de salut,
plus qu’en tout autre temps, doit régner la confiance,
l’abandon dans les mains du Seigneur. « Car, en
ce temps, je te viens en aide », « et in die salutis,
adjuvi te ».
Or tous les autres textes de cette
messe, l’Introït, le Graduel, le Trait, le long Trait,
l’Offertoire et même la Communion citent la totalité
du psaume 90 qui est le psaume par excellence de la confiance.
Il faut remarquer que ce psaume
90 est cité expressément par le Christ dans le
récit de la tentation.
Mais quel lien peut-on établir
entre tout cela, entre tous ces textes ?
A première vue, cela n’est
pas évident.
Mais après réflexion
il y a une profonde unité dans cette messe et, comme
à l’accoutumer, c’est l’Introït
qui nous met sur le chemin de la solution.
L’introït nous parle
de la confiance, du saint abandon que le fidèle doit
mettre en son Dieu, toujours attentif.
« Je l’exaucerai s’il
m’invoque.
Je le délivrerai, je le glorifierai
De longs jours, je le rassasierai
Heureux celui qui demeure à l’abri du Très
Haut, qui repose à l’ombre du Tout Puissant ».
Ce sont bien, à la vérité,
des paroles de confiance : « aie confiance », «
Sois en paix au milieu de la tribulation, des tentations qui
sont nombreuses dans cette vie et de tout genre, et invoque
le Seigneur, il écoutera ta prière et t’exaucera,
il te délivrera et même il te fera triompher te
donnant toute gloire, la gloire de la vie éternelle…Il
te donnera longue vie - la vie éternelle - « de
longs jours, je le rassasierai ».
Voilà de belle paroles du
psalmiste qui évoque la confiance de celui qui se confie
en Dieu, au « Très Haut » : « S’il
t’écoute dans la tribulation et les gémissements
de ton âme, s’il t’exauce et te délivre,
s’il te fait triompher…Heureux es-tu si tu demeures
en lui, à l’abri du Très Haut ». «
Heureux celui qui demeure à l’abri du Très
Haut qui repose à l’ombre du Tout Puissant ».
Cette confiance du fidèle,
l’Introït l’explique et la justifie.
Et saint Paul, dans son Epître,
la recommande lui aussi en utilisant, non pas le psaume 90,
mais un texte d’Isaïe au chapitre 49.
Or ces deux textes, celui du psalmiste
et celui d’Isaïe, utilisent le même mot : l’un
parle d’ « aide » : « beatus qui habitat
in adjutorio Altissimi », l’autre, celui d’Isaïe,
parle également d’aide : « in die salutis
adjuvi te ». « Adjuvare », « adjutorium
», l’un utilise le nom, l’autre utilise le
verbe, tous deux expriment la même idée : «
mets ta confiance en Dieu puisqu’il est ton aide, puisqu’il
veut t’aider ». « Au moment favorable, je
t’exauce, Au jour du salut, je te viens en aide, nous
dit saint Paul usant du texte d’Isaïe. C’est
bien la même pensée exprimée dans l’Introït
: « Je l’exaucerai s’il m’invoque. Je
le délivrerai ». C’est le même verbe
« exaudire » et dans l’Introït et dans
l’Epître de saint Paul.
« Heureux celui qui demeure à l’abri du très
Haut », « qui habitat in adjutorio Altissimi ».
C’est le même mot que l’on retrouve ici et
là : « adjuvare ».
Ainsi cette messe nous appelle
à méditer sur la confiance en Dieu, sur la confiance
que l’on doit mettre en Dieu notre Sauveur. Et cela est
d’autant plus nécessaire que nous vivons au milieu
des tentations, au milieux des épreuves…comme notre
Maître qui, lui aussi, connut la tentation, les tentations
et en triompha, dans le désert, en s’en remettant
à Dieu son Père, en interpellant son Père,
en invoquant la puissance divine, la sagesse divine.
Comme le dit Saint Augustin, commentant
ce psaume 90 : « Le Christ fut tenté afin de nous
laisser l’exemple. Imitons-le…Qu’il soit notre
refuge dans les persécutions des hommes et dans les attaques
invisibles de l’ennemi ».
« Habitare in adjutorio Altissimi
». Demeure dans le secours de Dieu. C’est imiter
le Christ, continue-t-il, de manière à n’être
ni séduit ni intimidé par le monde. C’est
compter sur lui et non sur nous, sur lui qui nous délivrera
des pièges si nous marchons en lui et de la parole amère
ou des insultes des méchants…Ne présumons
donc point de nos forces et il sera pour nous un bouclier car
il discerne le pécheur qui s’humilie du pécheur
orgueilleux… Ecoutons le afin de pouvoir résister
au tentateur sans compter sur nous-mêmes, mais sur celui
qui fut tenté le premier afin que nous ne fussions point
vaincu dans la tentation…Pour lui la tentation n’était
point nécessaire et la tentation du Christ est une leçon
pour nous. Considérer ce qu’il répondit
au diable afin de faire les même réponses aux mêmes
assauts…Homme, il s’est confié dans le secours
du Très Haut », - comme le dit notre Psaume 90
et le prophète Isaïe cité par Saint Paul
dans son Epître. « Mais si tu dédaignes ce
secours et cet exemple, impuissant à te secourir toi-même,
tu tomberas…Alors cherchons en Dieu un refuge…il
nous donnera « de longs jours », c’est-à-dire
la vie éternelle si nous mettons en lui nos cœurs.
Ne mettons pas notre confiance en nous même mais bien
en celui qui est pour nous toute la force. La victoire nous
vient en effet de son secours et non de notre présomption.
Le Seigneur du ciel nous protégera si nous lui disons
: « Vous êtes mon appui, mon refuge et mon Dieu
; en lui je veux espérer. Car c’est lui qui me
délivrera des pièges des chasseurs et de la parole
amère »
(Saint Augustin)
Ainsi cette messe m’apparaît
finalement d’une grande unité. Les textes sont
parfaitement en situation. Ils s’expliquent et se justifient
les uns les autres. L’évangile nous parle de la
tentation, celle du Christ. Il s’en remit à la
Sagesse du Seigneur. Nous-mêmes, sommes soumis aux mêmes
tentations du monde et de sa gloire. Nous devons imiter le Christ
dans sa tentation et invoquer la même confiance en la
sagesse divine. D’où la citation du psaume 90 et
le choix du texte de saint Paul qui parle, lui aussi de la confiance
en citant le texte d’Isaïe.
Il me paraît intéressant
pour compléter cette explication de lire le commentaire
de Saint Augustin sur le psaume 90. Il donna sur ce psaume deux
commentaires qui se suivirent de quelques jours. Je vous donne
son deuxième commentaire. Il analyse le psaume 90, verset
par verset.
B- Discours
de saint Augustin sur le psaume 90 : les Tentations.
« En Jésus-Christ
il y a la tête ou l’homme parfait né de Marie,
et le corps ou l’Eglise, qui commence en Abel pour embrasser
dans son unité tous ceux qui croiront au Christ. Le roi
de cette Eglise s’est fait notre voie, afin que nous marchions
en lui. C’est pour cela qu’une prophétie
passe souvent, sans transition, du Christ à l’Eglise,
de la tête au corps. Résumons ce que nous avons
dit hier, et parlons de ce refuge placé bien haut, et
que le mal n’atteindra point, c’est-à-dire
du Seigneur qui est ressuscité pour ne plus mourir, et
afin de nous prêcher la résurrection. Le mal ne
t’atteint pas dans son tabernacle ou dans sa chair, puisqu’il
a combattu pour nous en cette chair; une fois ressuscité
il n’est plus assujetti à la douleur, ni à
la sort. Si donc il voulut être baptisé, s’il
jeûna, c’est pour nous qui sommes ses membres. Il
pouvait faire ce que lui proposa le démon, changer les
pierres en pain, lui qui multiplia les pains au désert,
et qui avec des pierres fait des enfants d’Abraham. D’une
part donc il nous instruit par la tentation qu’il subit,
et d’autre part il réserve à notre fidélité
une récompense. Le diable te dira Si tu étais
chrétien, Dieu ne te laisserait point si pauvre. —
J’ai pour pain la parole de Dieu. — Tu ferais des
miracles ; ce fut le piège de Simon. Arrière l’orgueil
et l’hypocrisie, le Christ n’y repose point sa tête.
Soyons humbles d’abord et souffrons ensuite avec patience.
Les Anges portèrent le Seigneur à l’ascension;
il envoya ensuite l’Esprit-Saint qui abrogea la loi gravée
sur la pierre, alla que les pieds du Sauveur ou ses Apôtres
ne heurtassent contre celte pierre en allant prêcher aux
nations. Trois fois le Christ demanda une protestation d’amour
au disciple qui l’avait renié par crainte. Le diable
est tantôt lion, quand il sévit contre les martyrs;
tantôt dragon, quand il séduit par l’hérésie.
Cherchons en Dieu un refuge, et nous marcherons sur l’un
et sur l’autre. Et il nous donnera de longs jours, ou
la vie éternelle, si nous mettions en lui nos coeurs.
1. Vous vous souvenez, je n’en doute nullement, mes frères,
qui assistiez au sermon d’hier, que le temps trop court
nous empêcha de terminer le psaume dont nous avions commencé
l’explication, et que le reste fut remis pour aujourd’hui.
Voilà ce que vous savez, vous qui assistiez hier; et
ce qu’il vous faut apprendre, vous qui n’y assistiez
pas. C’est dans ce dessein que nous avons fait lire le
passage de l’Evangile qui rapporte la tentation du Sauveur,
et les paroles du psaume que vous avez entendues 1. Le Christ
a donc passé par la tentation, afin que le chrétien
ne fût point vaincu par le tentateur. Lui, notre maître,
a voulu passer par toutes les tentations auxquelles nous sommes
assujettis; comme il a voulu mourir parce que nous sommes tributaires
de la mort, et ressusciter, parce que nous devons ressusciter,Car,
tout ce qu’a montré dans son humanité celui
qui étant ce même Dieu par qui nous avons été
faits, est devenu homme à cause de nous, il l’a
fait pour nous instruire. Souvent je l’ai dit à
votre charité, et je ne rougis point de vous le répéter,
afin qu’un si grand nombre d’entre vous, qui ne
peuvent lire, ou qui n’en ont pas le loisir, suppléent
à leur impuissance en nous écoutant et n’oublient
point la foi qui doit les sauver. Que plusieurs se fatiguent
de nos répétitions, pourvu que les autres en soient
édifiés. Il en est beaucoup, nous le savons, qui,
doués d’une heureuse mémoire, et lecteurs
assidus des saintes Ecritures, savent ce que nous allons dire,
et peut-être exigent-ils de nous ce qu’ils ne savent
point encore. En dépit de leur promptitude, ils doivent
se souvenir que la marche des autres est plus lente. Quand deux
voyageurs marchent ensemble, et que l’un d’eux est
plus prompt, l’autre plus lent, c’est le plus prompt
qui doit s’accommoder à l’autre, et non le
plus lent; car si le plus léger déployait toute
son agilité, l’autre ne saurait le suivre. C’est
donc au plus prompt à ralentir sa marche, afin de ne
laisser point son compagnon en arrière. Voilà,
dis-je, ce que je vous ai répété souvent;
et je vous le répète encore: comme l’a dit
saint Paul : « Vous écrire les mêmes choses
n’est point pénible pour moi, mais avantageux pour
vous 1 ». Or, en Notre-Seigneur, il y a l’homme
parfait, la tête et le corps. La tête est cet homme
qui est né de la vierge Marie, qui a souffert sous Ponce-Pilate,
a été enseveli, est ressuscité, est monté
aux cieux pour s’asseoir à la droite du Père,
d’où nous l’attendons comme juge des vivants
et des morts: voilà le chef de l’Eglise 1. Cette
tête a pour corps l’Eglise, non celle qui est en
ces lieux, mais bien celle qui est en ces lieux et dans l’univers
entier: non celle qui existe maintenant, mais celle qui commence
en Abel pour aller jusqu’à la fin des siècles,
et embrasser tous ceux qui croiront au Christ, pour n’en
former qu’un seul peuple, appartenant à une seule
cité, laquelle cité est le corps du Christ, et
dont le Christ est la tête. Là sont les anges,
nos concitoyens. Pour nous, qui sommes étrangers, nous
sommes dans la souffrance; et pour eux ils attendent dans la
cité bienheureuse notre arrivée. Mais de cette
cité d’où nous sommes exilés, des
lettres nous sontvenues, ce sont les saintes Ecritures, qui
nous engagent à vivre saintement. Que dis-je, il nous
est venu des lettres? Le roi lui-même est descendu, il
s’est fait notre voie dans notre pèlerinage, afin
que marchant dans cette voie nous ne puissions nous égarer,
ni manquer de force, ni tomber entre les mains des voleurs,
ou dans les pièges qui bordent les chemins. Connaissons
donc le Christ tel qu’il est tout entier avec l’Eglise;
lui seul né d’une vierge, chef de l’Eglise,
médiateur entre Dieu et les hommes 2, Jésus-Christ
est médiateur pour réconcilier en lui tous ceux
qui se sont éloignés; car il n’y a de médiateur
que entre deux. Nous nous étions éloignés
de la majesté de Dieu, en l’offensant par nos crimes;
et le Fils a été envoyé, afin d’effacer
par son sang nos péchés qui nous séparaient
de lui, et de nous rendre à Dieu en s’interposant,
et nous réconciliant à son Père, dont nos
péchés et nos désordres nous tenaient éloignés.
C’est donc lui qui est notre chef, lui Dieu égal
au Père, Verbe de Dieu par qui tout a été
fait 3: qui, Dieu a tout créé, homme a tout restau
ré; Dieu afin de tout faire, homme afin de refaire. Voilà
ce qu’il nous faut considérer en lisant le psaume.
Que votre charité soit attentive. C’est un point
des plus importants que nous ayons à étudier,
non-seulement pour comprendre notre psaume, mais pour en comprendre
beaucoup d’autres, si vous vous attachez à cette
règle. Quelquefois un psaume, et non-seulement un psaume,
mais une prophétie quelconque parle du Christ seulement
comme chef, et quelquefois passe du chef au corps ou à
l’Eglise, sans qu’il paraisse avoir changé
de personne; car la tête ne se sépare point du
corps, mais il en est parlé comme d’un seul homme.
Que votre charité fasse donc attention à mes paroles.
Chacun en effet connaît ce psaume relatif à la
passion du Sauveur, et où il est dit: « Ils ont
percé mes mains et mes pieds, ils ont compté tous
mes os: ils se sont partagé mes vêtements, et ont
jeté le sort sur ma robe 1». Voilà ce que
les Juifs ne peuvent entendre sans rougir; et il est de la dernière
évidence que c’est là une prophétie
de la passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Or, Notre-Seigneur
Jésus-Christ n’avait point de péchés,
et néanmoins il commence le psaume en s’écriant:
« O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné?
Les cris de mes péchés éloignent de moi
tout salut 2 ». Vous le voyez donc, il y a des paroles
qui se disent du chef, et d’autres qui se disent du corps.
Pécher, voilà ce qui est notre apanage; mais souffrir
pour nous, voilà ce qui appartient à notre chef
: or, comme il a souffert pour nous, il a effacé les
dettes que nous devions acquitter pour nos péchés.
Ainsi en est-il dans notre psaume.
2. Hier déjà nous avons expliqué ces versets
: n’en disons qu’un mot aujourd’hui. «
Celui qui habite sous l’appui du Tout-Puissant, demeure
sous la protection du Dieu du ciel 3». A propos de ces
versets, nous l’avons dit à votre charité,
ne mettons point notre confiance en nous-mêmes, mais bien
en celui qui est pour nous toute la force, La victoire nous
vient en effet de son secours, et non de notre présomption.
Le Dieu du ciel nous protégera donc si nous lui disons
ce qui suit : « Il dira au Seigneur: Vous êtes mon
appui, mon refuge et mon Dieu; en lui je veux espérer.
Car c’est lui qui me délivrera des pièges
des chasseurs, et de la parole amère 4 ». Nous
avons dit que la crainte des paroles amères en fait tomber
un grand nombre dans Je filet des chasseurs. On insulte un homme
parce qu’il est chrétien; et il se repent de s’être
fait chrétien, et la parole amère le fait tomber
dans le piége du diable, en sorte qu’il ne demeure
point comme le froment dans la grange, mais qu’il s’envole
avec la paille. Quant à celui qui espère en Dieu,
il échappe au piège des chasseurs et à
la parole amère. Mais quelle est alors la protection
de Dieu? « Il te fera un ombrage de ses épaules
1 » ; c’est-à-dire qu’il te placera
sur son coeur, afin de te couvrir de ses ailes : pourvu que
tu reconnaisses ta faiblesse, et que, semblable au faible poussin,
lu veuilles échapper au vautour en cherchant un refuge
sous les ailes de ta mère. Ces vautours sont les puissances
de l’air, le diable et ses anges, qui cherchent à
profiter de notre faiblesse. Fuyons sous les ailes de la sagesse
notre mère, car la sagesse est devenue faiblesse à
cause de nous, quand le Verbe s’est fait chair 2. Comme
une poule devient faible avec ses poussins 3, afin de les couvrir
de ses ailes; ainsi Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui,
ayant la nature de Dieu, n’a point cru que ce fût
une usurpation de s’éga1er à Dieu, afin
de participer à nos faiblesses, et de nous protéger
sous ses ailes , s’est anéanti jusqu’à
prendre la forme de l’esclave, en se rendant semblable
aux hommes, et reconnu pour homme par tout ce qui a paru en
lui 4. « Et vous espérerez sous ses ailes. Sa vérité
vous couvrira d’un bouclier, et vous ne craindrez point
la frayeur de la nuit 5 ». Les tentations de l’ignorance
sont les craintes nocturnes, et les péchés commis
sciemment, la flèche qui vole pendant le jour. Car la
nuit est l’image de l’ignorance, comme le jour le
symbole de la manifestation. Or, les uns pèchent dans
l’ignorance, et les autres sciemment. Pécher dans
l’ignorance, c’est être supplanté par
la frayeur de la nuit; pécher sciemment, c’est
être percé par la flèche qui noie en plein
jour. Or, quand ces chutes ont lieu dans de grandes persécutions,
qui sont comme le grand jour, celui qui succombe alors, tombe
sous le démon de midi. Plusieurs sont tombés sous
la violence de ces feux, comme nous le disions hier, parce que
dans ces persécutions cruelles, il était dit que
les chrétiens seraient tourmentés jusqu’à
ce qu’ils eussent abjuré le christianisme. Tandis
qu’auparavant on les frappait à cause de leurs
aveux, on les tourmenta ensuite jusqu’à l’abjuration.
Pour un criminel, on le torture tant qu’il nie; pour les
chrétiens, c’était l’aveu qu’on
torturait, la négation qu’on renvoyait libre. La
persécution était donc comme une fournaise ardente,
et alors quiconque succombait, était la proie du démon
de midi. Or, combien succombèrent? Beaucoup qui espéraient
s’asseoir parmi les juges auprès du Christ, tombèrent
à côté, ainsi que beaucoup d’autres
qui comptaient sur une place à sa droite, comme ces fournisseurs
de la sainte milice qui préparent des vivres, et à
qui on doit dire : « J’ai eu faim, et vous m’avez
donné à manger 1 »; car il y en aura beaucoup
à la droite; ceux-là ont vu leur espérance
trompée; et comme ils sont là en grand nombre,
c’est de là que le plus grand nombre est tombé;
ceux, en effet, qui doivent siéger avec le Seigneur pour
le jugement, sont moins nombreux que ceux qui se tiendront devant
lui, mais dont la condition sera bien différente. Les
uns seront à gauche, les autres à droite: les
uns devront régner, les autres subir le châtiment;
les uns entendre : « Venez, bénis de mon Père,
recevez le royaume »; les autres : « Allez au feu
éternel, qui a été préparé
au diable et à ses anges». Donc « le démon
de midi en fera tomber mille à côté de vous,
et dix mille à votre droite; mais le mal n’approchera
point de vous 2 ». Qu’est-ce à dire? Le démon
du midi ne vous renversera point. Quelle merveille, qu’il
ne renverse pas le chef? Mais il ne renverse pas non plus ceux
qui adhèrent au chef, ainsi que l’a dit l’Apôtre:
« Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui
» ». Il en est que Dieu a prédestinés
de telle sorte qu’il connaît qu’ils appartiennent
à son corps; et dès lors que la tentation ne les
approche point de manière à les faire tomber,
on comprend que c’est d’eux qu’il est dit
: « Le mal n’approchera point de vous ». Mais
de peur que les faibles ne viennent à considérer
les pécheurs, à qui Dieu a laissé une telle
puissance contre les chrétiens, et qu’ils ne disent:
Telle est la volonté de Dieu qui laisse aux impies et
aux scélérats un tel empire sur les serviteurs
de Dieu; considère quelque peu de tes yeux, des yeux
de la foi, et tu verras ce qui est réservé pour
le dernier jour à ces impies, qui ont tant de pouvoir
pour te mettre à l’épreuve. Voici la suite
en effet: « Toutefois tu considéreras de tes yeux,
et tu verras le sort des pécheurs 4 ».
3. « Car c’est vous, Seigneur, qui êtes mon
espérance, vous avez élevé bien haut votre
asile, et le trial n’approchera point de vous ».
C’est au Seigneur que le Prophète adresse ces paroles:
« C’est vous, Seigneur, qui êtes mon espérance;
vous avez placé bien haut votre asile; le mal n’approchera
point de vous, et le fléau n’abordera point votre
tente ». Viennent ensuite ces paroles que cita le démon,
comme vous l’avez entendu 1: « Car le Seigneur a
ordonné à ses anges de prendre soin de vous et
de vous garder dans toutes vos démarches. Ils vous porteront
dans leurs mains, de peur que vous ne heurtiez votre pied contre
la pierre 2 ». A qui parle-t-il ainsi? A celui à
qui il a dit : « C’est vous, Seigneur, qui êtes
mon espérance ». Il n’est pas nécessaire
d’expliquer à des chrétiens quel est ce
Seigneur. Si leur pensée se porte sur Dieu le Père,
comment les anges le prendront-ils dans leurs mains, de peur
que son pied ne heurte contre la pierre ? Vous le voyez donc,
le Christ Notre-Seigneur, parlant au nom de son corps, parle
tout à coup de la tête. Car c’est à
votre tête que s’adresse cette parole : «
C’est vous, Seigneur, qui êtes mon espérance,
et vous avez placé bien haut votre asile.— Et vous
avez placé bien haut votre asile, parce que vous êtes
mon espérance ». Qu’est-ce à dire
? Que votre charité veuille bien écouter: «
Car c’est vous, Seigneur, qui êtes mon espérance
: vous avez placé bien haut votre refuge ». Ne
nous étonnons point alors des paroles qui suivent : «
Le mal n’approchera point de vous, puisque vous avez élevé
bien haut votre asile; et parce que cet asile est placé
bien haut, le fléau non plus ne l’atteindra point
». Mais nulle part, dans l’Evangile, nous ne lisons
que les anges aient porté le Seigneur, de peur que son
pied ne heurtât contre la pierre. Et toutefois, c’est
de lui que nous entendons ces paroles, qui sont accomplies et
que le Prophète n’eût pas jetées en
avant si elles n’eussent dû s’accomplir. Nous
ne pouvons dire non plus que le Christ viendra de nouveau, de
manière que son pied ne heurte point contre la pierre
; car il viendra pour juger. Où donc cette parole s’est-elle
accomplie? Que votre charité veuille bien écouter.
4. Entendons d’abord ces versets : « C’est
vous, Seigneur, qui êtes mon refuge, vous avez élevé
bien haut votre asile ». Le genre humain savait que l’homme
mourrait, mais non qu’il ressusciterait ; il savait ce
qu’il fallait craindre, et non ce qu’il fallait
espérer. Celui dès lors qui nous avait infligé
un châtiment dans la crainte de la mort, voulut nous donner
ensuite l’espérance de la résurrection comme
un gage de la vie éternelle, et Notre-Seigneur Jésus-Christ
ressuscita le premier. Il mourut après beaucoup d’autres,
et ressuscita avant tous. Il souffrit en mourant ce que beaucoup
d’autres avaient souffert; et il fit en ressuscitant ce
que nul n’avait fait avant lui. Quand est-ce en effet
que l’Eglise recevra cette grâce, sinon à
la fin ? Le chef a fait voir ce que doivent espérer les
membres : et votre charité comprend ce qu’ils se
disent mutuellement. Que 1’Eglise donc dise à Jésus-Christ
son Seigneur, qu’elle dise alors à la tête:
« Parce que j’ai mis en vous mon espérance,
ô mon Dieu, vous avez placé bien haut votre asile
» : c’est-à-dire, vous êtes ressuscité,
vous êtes monté au ciel, afin d’élever
bien haut votre refuge, et de devenir ainsi mon espérance,
quand je n’espérais que dans la terre et ne croyais
point à ma résurrection: je crois maintenant que
ma tête est montée au ciel, et que les membres
doivent la suivre un jour. Il me semble que la lumière
se fait dans ces paroles: « Parce que vous êtes
mon espérance, ô mon Dieu, vous avez élevé
bien haut votre refuge». Plus clairement encore: Afin
de me donner à la résurrection une espérance
que je n’avais pas, vous êtes ressuscité
le premier, pour me faire espérer de vous suivre où
vous m’avez précédé. C’est
le langage de l’Eglise à son Seigneur, la voix
du corps à la tête.
5. Ne nous étonnons donc point que «les maux n’approchent
point de vous, que les fléaux n’arrivent point
à votre tente ». La tente du Christ est sa chair.
Le Verbe a habité dans la chair 1, et la chair est devenue
une tente pour Dieu. C’est dans ce tabernacle que notre
Chef a combattu pour nous; dans ce tabernacle qu’il a
subi la tentation de l’ennemi, afin de raffermir le soldat.
Et comme il a rendu sa chair visible pour nos yeux, puisque
nos yeux se plaisent à voir le jour, et qu’ils
trouvent leur joie dans cette lumière sensible, comme
il a mis sa chair en évidence, de manière que
chacun pût la voir; voilà que le Psalmiste s’écrie
: « Il a placé son tabernacle dans le soleil ».
Qu’est-ce à dire « dans le soleil? »
Il l’a manifestée; il l’a mise en évidence,
et dans cette lumière terrestre, dans cette lumière
qui du ciel se répand sur la terre; c’est là
qu’il a placé son tabernacle. Mais comment y mettrait-il
sa tente, s’il ne sortait comme le jeune époux
de son lit nuptial? Car voilà ce qui vient après
ces paroles : « Il a placé son tabernacle dans
le soleil ». Et comme si on lui demandait comment? «
Semblable au jeune époux », répond-il, «
qui sort du lit nuptial, il a bondi comme un géant pour
parcourir sa carrière 1». Le tabernacle est donc
le même que l’épouse. Le Verbe est l’Epoux,
la chair l’Epouse, et le lit nuptial est le sein de la
Vierge. Et que dit l’Apôtre? « Ils seront
deux dans une même chair: c’est là un grand
sacrement, ce que j’entends du Christ et de l’Eglise
2». Que dit lui-même le Seigneur dans l’Evangile
? « Ils ne sont donc plus deux, mais une seule chair 3»
: de deux choses une seule, du Verbe et de la chair, un seul
homme, un seul Dieu. Sur la terre les fléaux se sont
approchés de ce tabernacle, car il est évident
que le Seigneur fut flagellé 4. Mais a-t-il subi la flagellation
dans le ciel? Pourquoi non ? Parce qu’il a placé
bien haut son refuge, afin d’être notre espérance;
et le mal n’approchera point de lui, et le fléau
n’abordera point son tabernacle. Il est bien haut dans
les cieux, mais il a les pieds sur la terre. La tête est
dans les cieux, le corps ici-bas. Or, quand Saul foulait et
meurtrissait les pieds, la tête cria : « Saul, Saul,
pourquoi me persécuter 5? » Voilà que nul
ne persécute la tête, que la tête est dans
le ciel : « et le Christ, une fois ressuscité ne
meurt plus, la mort n’aura plus d’empire sur lui
6: le mal n’approchera plus de vous, le fléau n’atteindra
point votre tente ». Mais gardons-nous de croire que la
tête est séparée du corps ; séparée
quant aux lieux, ils sont unis par la charité: et c’est
la tendresse de cette charité qui cria du ciel: «
Saul, Saul, pourquoi me persécuter? » Sa voix tonnante
renversa le persécuteur que relevait une main miséricordieuse.
Et alors le persécuteur du Christ devint membre du Christ,
afin d’endurer ce qu’il faisait souffrir.
6. Quoi donc! mes frères, qu’est-il dit de notre
chef? « C’est vous, Seigneur, qui êtes mon
espérance, vous avez placé bien haut votre asile.
Le mal n’approchera point de vous, et le fléau
n’abordera point votre tabernacle ». Voilà
ce qui est dit : « Car Dieu a commandé à
ses anges de prendre soin de vous, de vous garder dans toutes
vos voies ». Vous l’avez entendu à la lecture
de l’Evangile 1; écoutez encore: Notre-Seigneur
fut baptisé, et il jeûna. Pourquoi baptisé?
Afin que nous ne pussions dédaigner le baptême.
Quand Jean lui-même disait au Seigneur: « Vous venez
à moi pour être baptisé, et c’est
moi qui dois être baptisé par vous»; et que
le Seigneur lui répondait : « Laissez-moi, car
il nous faut accomplir toute justice 2» ; il voulait donc
passer par l’humilité, être purifié
de souillures qu’il n’avait point. Pourquoi? pour
confondre l’orgueil de ceux qui devaient venir. On trouve
quelquefois, en effet, un catéchumène plus instruit
et plus vertueux que beaucoup de fidèles; il voit beaucoup
de baptisés qui sont ignorants, qui ne vivent pas aussi
bien que lui, avec moins de continence et moins de chasteté;
il voit que lui-même renonce au mariage, quand quelque
fidèle use du mariage avec intempérance, s’il
ne devient fornicateur : il peut alors lever la tête avec
orgueil, et dire . Qu’ai-je besoin d’être
baptisé, d’avoir ce qu’a ce fidèle,
bien moins avancé que moi en science et en vertu? Le
Seigneur lui répond : En quoi le devances-tu? de combien
le devances-tu? Autant que moi même je suis au-dessus
de toi? « Le serviteur n’est point au-dessus de
son Seigneur, ni le disciple au-dessus de son maître;
qu’il suffise au serviteur d’être comme son
Seigneur, et au disciple comme son maître 3 ». Ne
t’élève pas au point de dédaigner
le baptême. Tu recevras le baptême de ton maître,
et moi j’ai recherché le baptême du serviteur.
Le Seigneur fut donc baptisé, puis tenté après
son baptême, et il jeûna pendant ces quarante jours
mystérieux dont je vous ai parlé souvent. On ne
saurait tout dire en une seule fois, et user ainsi un temps
nécessaire. Après quarante jours il eut faim,
lui qui pouvait n’avoir jamais faim ; mais comment eût-il
pu être tenté? Et s’il n’eût
pas triomphé du tentateur, comment apprendrais-tu à
le combattre? Il eut donc faim, et alors le tentateur : «
Dis que ces pierres deviennent du pain, si tu es Fils de Dieu
4 ». Etait-il si difficile à Notre-Seigneur Jésus-Christ
de changer des pierres en pain, lui qui rassasia tant de milliers
de personnes avec cinq pains seulement 1? Ce pain, il le fit
de rien. D’où vint en effet celte nourriture qui
suffit à soutenir tant de milliers de personnes? Le Seigneur
avait dans ses mains une source de pain, et il n’y a là
rien d’étonnant; car celui qui, avec cinq pains,
put nourrir tant de milliers d’hommes, est aussi celui
qui, avec quelques grains, fait naître chaque jour d’abondantes
moissons. Ce sont là les miracles du Seigneur, que l’on
ne considère point parce qu’ils sont ordinaires.
Comment donc, mes frères, eût-il été
impossible au Seigneur de faire du pain avec des pierres, quand
avec des pierres il fait des hommes? Jean-Baptiste l’a
dit : « Dieu peut de ces pierres mêmes susciter
des enfants d’Abraham ». Pourquoi donc ne le fit-il
pas alors? Afin de t’apprendre à riposter au tentateur,
lorsque dans certaines angoisses, il te fait des suggestions:
situ étais chrétien, si tu étais vraiment
l’homme du Christ, t’abandonnerait-il en cette occasion?
Ne t’enverrait-il pas du secours? Médecin il tranche,
puis il délaisse, mais ce n’est point là
uni abandon. De même il n’exauce point Paul lui-même,
parce qu’il l’exauçait alors. Car Paul nous
dit qu’il ne fut point exaucé, au sujet de cet
aiguillon de la chair, de cet ange de Satan qui le souffletait
: « J’ai prié trois fois le Seigneur »,
nous dit-il, « afin qu’il l’éloignât
de moi; et il m’a répondu : Ma grâce te suffit,
car c’est dans l’infirmité que la vertu se
fortifie 3 ». C’est connue si l’on disait
à un médecin qui vient de nous appliquer un remède
violent : cet emplâtre me gêne, ôtez-le, s’il
vous plaît. Non, dit le médecin, il doit demeurer
là longtemps, autrement point de guérison pour
vous. Le médecin n’agit point selon la volonté
du malade, mais dans le sens de sa guérison. Courage
donc, mes frères! surtout quand le Seigneur vous éprouve
par la pauvreté, afin de vous affliger et de vous instruire,
pendant qu’il vous prépare et vous réserve
l’héritage éternel; ne laissez point alors
le diable vous faire ces suggestions : Si tu étais juste,
ne t’enverrait-il point comme à Eue du pain par
un corbeau 4? Où est la vérité de cette
parole:
« Je n’ai jamais vu le juste abandonné, ni
ses enfants mendier leur pain 5? » Réponds à
Satan : L’Ecriture a dit vrai : « Je n’ai
jamais vu le juste abandonné, ni ses enfants mendier
leur pain »; j’ai mon pain que tu ne connais pas.
Quel pain? Ecoute le Seigneur: « L’homme ne vit
pas seulement de pain, mais de toute parole de Dieu 1».
Penses-tu que la parole de Dieu n’est pas un pain? Si
ce Verbe de Dieu, par qui tout a été fait, n’était
pas un pain, il ne dirait pas : « Je suis le pain vivant
descendu du ciel 2 ». Tu sais donc maintenant ce que tu
répondras au tentateur dans l’épreuve de
la faim.
7. Mais s’il te suggère une autre tentation, et
te dit : Si tu étais chrétien, tu ferais des miracles
comme en ont fait d’autres chrétiens; que feras-tu?
Sous l’empire de cette pensée, tu en viendrais
à tenter le Seigneur ton Dieu, et à dire à
ce Dieu Notre-Seigneur: Si je suis chrétien, et si je
suis agréable à vos yeux, si vous daigniez me
compter au nombre de vos serviteurs, que je fasse donc quelque
miracle comme vos saints en ont tant fait si souvent? C’est
là tenter Dieu, comme si tu n’étais chrétien
qu’à la condition de faire des prodiges. Ce désir
en a fait tomber beaucoup d’autres : c’est là
ce que Simon demandait aux Apôtres, quand il voulait à
prix d’argent acheter le Saint-Esprit 3. Il fut ambitieux
de cette puissance des prodiges, mais non ambitieux de marcher
dans leur humilité. De là vient qu’un des
disciples, ou un homme de la foule voulant suivre le Sauveur,
à la suite des miracles qu’il opérait, le
Sauveur vit que cet orgueilleux recherchait le faste de l’orgueil,
plutôt que la voie de l’humilité , et lui
répondit : « Les renards ont des tanières
et les oiseaux du ciel ont des nids; mais le Fils de l’homme
n’a point où reposer sa tête ». C’est
en vous que les oiseaux du ciel ont des nids, en vous encore
que les renards ont des tanières. Car si les oiseaux
s’élèvent dans les airs, ainsi font les
orgueilleux; si les renards creusent des cavernes trompeuses,
ainsi font les hypocrites. Que répond donc le Seigneur?
L’orgueil et l’hypocrisie peuvent trouver place
chez vous, mais le Christ ne saurait habiter en vous, ni même
y reposer sa tête. Car reposer sa tête est une marque
d’humilité. Les disciples avaient de semblables
désirs, ils convoitaient une place dans son royaume avant
d’avoir pris le chemin de l’humilité, quand
la mère de ces disciples lui disait : « Commandez
que l’un d’eux soit assis à votre droite
et l’autre à votre gauche 1 »; ils aspiraient
à la puissance, mais c’est par les souffrances
de l’humilité que l’on arrive à la
gloire du royaume. « Pouvez-vous», leur dit le Seigneur,
« boire le calice que je boirai 2 ? » Pourquoi aspirer
aux grandeurs de mon royaume, et n’imiter point mon humilité
? Que faut-il donc répondre au démon, s’il
te dit pour te tenter: Fais des miracles? Que dois-tu répondre,
afin de ne point tenter Dieu à ton tour? Ce que répondit
le Seigneur. Le diable lui dit: « Jetez-vous en bas, car
il est écrit: Dieu a fait à votre sujet des prescriptions
à ses anges; ils vous porteront dans leurs mains de peur
que vous ne heurtiez votre pied contre la pierre 3». Si
vous vous précipitez en bas, les anges vous recevront.
Il eût pu arriver, nies frères, que si le Seigneur
se fût précipité, les anges eussent porté
le corps du Seigneur. Mais que répondit-il? «Il
est écrit aussi : Tu ne tenteras point le Seigneur ton
Dieu 4». Tu me crois un homme. Le diable en effet ne s’était
approché que pour découvrir s’il était
le Fils de Dieu. Il voyait une chair, il est vrai, mais sa majesté
se reflétait dans ses oeuvres, et les anges lui avaient
rendu témoignage. Le diable donc ne voyait en lui qu’un
homme mortel à tenter; et le Christ voulait être
tenté pour instruire ses disciples. Qu’est-ce donc
qui est écrit? « Tu ne tenteras point le Seigneur
ton Dieu ». Ainsi ne tentons point le Seigneur, et ne
lui disons point: Si nous vous appartenons, faites-nous taire
un miracle.
8. Revenons aux paroles du psaume. « Il a fait à
ses anges des prescriptions à votre sujet, afin qu’ils
vous gardent dans vos démarches. Ils vous porteront dans
leurs mains, de peur que vous ne heurtiez votre pied contre
la pierre ». Le Christ fut porté dans les mains
des anges, quand il monta au ciel 5: non point qu’il dût
tomber si les anges ne l’eussent porté; mais parce
qu’ils rendaient ce devoir à leur Souverain. Et
gardez vous de dire: Ceux qui portaient étaient supérieurs
à celui qui était porté. Les chevaux ont-ils
une supériorité sur les hommes? Bien qu’ils
subviennent à notre faiblesse, il ne nous est pas permis
de l’affirmer; bien aussi qu’il nous faille tomber,
s’ils parviennent à se soustraire au cavalier.
Mais comment nous faudra-t-il parler? Car il est dit aussi de
Dieu: « Le ciel est mon trône1 ». Parce que
c’est le ciel qui porte, et Dieu qui est assis, le ciel
est-il supérieur à Dieu? Ainsi pouvons-nous comprendre
le bon office des anges dans notre psaume : ils ne voulaient
point subvenir à sa faiblesse, mais lui donner une marque
de leur respect et de leur obéissance. Or, Notre-Seigneur
Jésus-Christ est ressuscité : pourquoi? Ecoutez
l’Apôtre : « Il est mort à cause de
nos péchés, il est ressuscité pour notre
justification 2 ». L’Evangile a dit de même
du Saint-Esprit : « L’Esprit n’était
pas encore donné, parce que Jésus n’avait
pas encore été glorifié 3 ». Quelle
est cette glorification de Jésus? Il est ressuscité
et il est monté au ciel. Dieu l’a glorifié
en le faisant monter au ciel, et il a envoyé son Esprit-Saint
le jour de la Pentecôte. Or, dans la loi de Moïse,
dans le livre de l’Exode, on compte cinquante jours depuis
que l’on avait immolé et mangé l’agneau,
jusqu’au jour où fut donnée la loi écrite
par le doigt de Dieu sur des tables de pierre 4. Or, qu’est-ce
que le doigt de Dieu? L’Evangile nous répond que
le doigt de Dieu c’est l’Esprit-Saint. Comment le
prouver? Le Seigneur répondant à ceux qui l’accusaient
de chasser le démon au nom de Béelzébub,
leur dit: « Si je chasse les démons par l’Esprit
de Dieu 5 ». Or, un autre Evangéliste, dans la
même narration, a dit : « Si je chasse les démons
par le doigt de Dieu 6 ». Ce que l’un dit clairement,
l’autre l’a dit d’une manière plus
obscure. Tu ne comprenais pas ce qu’est le doigt de Dieu,
et un autre Evangéliste nous l’apprend en disant
que c’est l’Esprit de Dieu. Donc la loi écrite
par Je doigt de Dieu fut donnée le cinquantième
jour après l’immolation de l’agneau, et le
Saint-Esprit est descendu le cinquantième jour après
la passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ. L’agneau
fut donc immolé, on fit la pâque, et après
cinquante jours la loi fut donnée. Mais c’était
une loi de crainte et non une loi d’amour; or, pour changer
cette crainte en amour, le juste a été réellement
mis à mort, et l’agneau immolé par les Juifs
en était la figure. Il est ressuscité, et de la
pâque du Seigneur, comme de la pâque de l’agneau
immolé, on compte cinquante jours, jusqu’à
la descente du Saint-Esprit 1, qui est venu dans la plénitude
de l’amour, et non dans la crainte des menaces. Pourquoi
m’étendre à ce sujet? C’est pour nous
envoyer l’Esprit-Saint que le Seigneur est ressuscité
et a été glorifié. Je vous l’ai déjà
dit, la tête est dans le ciel, et les pieds sont sur la
terre. Si la tête est dans le ciel, et les pieds sur la
terre, quels sont ces pieds du Seigneur sur la terre? Les saints
du Seigneur qui sont ici-bas. Quels sont les pieds du Seigneur?
Les Apôtres envoyés dans l’univers entier.
Quels sont les pieds du Seigneur? Tous les évangélistes,
par qui Notre-Seigneur parcourt les nations, il était
à craindre que les Evangélistes ne heurtassent
contre la pierre. Dès lors que la tête est dans
les cieux, les pieds qui sont ici-bas dans le labeur pouvaient
aisément heurter la pierre. Quelle pierre? La loi donnée
sur des tables de pierre. Donc afin qu’ils ne fussent
point coupables envers la loi, avant d’avoir reçu
la grâce, et qu’ils rie fussent point astreints
à la loi, car alors la violer eût été
un crime; le Seigneur rendit libres ceux que la loi tenait dans
l’esclavage, afin qu’ils ne pussent se heurter contre
cette loi. La tête pour empêcher les pieds de violer
cette loi en la heurtant, envoya l’Esprit-Saint, afin
de bannir la crainte et de donner l’amour. La crainte
n’accomplissait point la loi, l’amour l’a
accomplie. Sous le poids de la crainte, les hommes n’ont
rien accompli; embrasés d’amour, ils ont tout accompli.
Comment n’ont-ils rien accompli avec la crainte, et ont-ils
tout accompli avec l’amour? Sous l’empire de la
crainte, ils dérobaient le bien des autres; sous l’empire
de l’amour, ils ont donné leur bien propre. Il
ne faut donc pas s’étonner que le Seigneur ait
été porté au ciel sur les mains des anges,
de peur qu’il ne heurtât son pied contre la pierre
: et afin que les membres de son corps qui travaillaient ici-bas,
qui parcouraient l’univers entier, ne devinssent point
coupables d’infractions à la loi, il leur ôta
la crainte et les remplit d’amour. Trois fois sous le
coup de la crainte, Pierre avait renié son maître
2 : il n’avait point encore reçu le Saint-Esprit.
Mais quand il l’eut reçu, il prêcha sous
le fouet des princes celui qu’il avait renié 3.
Il n’y a là rien d’étonnant, puisque
le Seigneur avait banni sa triple crainte par un triple amour.
Après sa résurrection, en effet, « Pierre,
m’aimez-vous? » lui dit-il. Non pas:
Me craignez-vous? La crainte chez lui laisserait heurter encore
son pied contre la pierre. « M’aimez-vous? »
lui dit-il. Et Pierre : «Je vous aime ». Une fois
suffisait. Une seule fois me suffirait, à moi qui ne
vois point le coeur; à combien plus forte raison devait.
elle suffire au Seigneur, qui voyait combien c’était
du fond de ses entrailles que Pierre lui disait : « Je
vous aime? » Et pourtant il ne se contente point qu’il
lui réponde une fois; il l’interroge une seconde
fois, et Pierre répond encore: «Je vous aime».
Il l’interroge une troisième fois, et Pierre attristé
de ce que le Seigneur semblait mettre en doute son amour, «
Seigneur », lui dit-il, « vous savez que je vous
aime ».Le Seigneur en agit avec lui, comme pour lui dire
: Trois fois tu m’as renié par crainte, et trois
fois tu me contes. ses par amour. C’est de cet amour et
de cette charité que le Seigneur remplit ses disciples.
Pourquoi? Parce qu’il a porté son asile dans un
lieu élevé, qu’après avoir été
glorifié, il a envoyé son Esprit-Saint, et qu’il
a délivré de la violation de la loi ceux qui croyaient
en lui, afin que leur pied ne heurtât point contre la
pierre.
9. Le reste du psaume devient facile, mes frères, et
je vous en ai parlé souvent. « Vous marcherez sur
l’aspic et le basilic; et vous foulerez le lion et le
dragon 2 ». Vous connaissez le serpent, et comment il
est foulé sous le pied de cette Eglise, qui est invincible,
parce qu’elle déjoue ses ruses. Votre charité,
je pense, n’ignore pas comment il est tantôt lion
et tantôt dragon. Lion, il attaque à force ouverte;
dragon, il dresse des embûches. C’est là
pour le diable une double force, une double puissance. Quand
on égorgeait les martyrs, c’était le lion
qui sévissait, et le dragon se glissait sans bruit, quand
les hérétiques dressaient des embûches.
Tu as vaincu le lion, il faut vaincre aussi le dragon : le lion
ne t’a pas abattu, que le dragon ne te surprenne point.
Montrons qu’il était un lion quand il sévissait
ouvertement. Pierre exhortant les martyrs,leur dit : «
Ne savez-vous point que le diable, votre adversaire, rôde
autour de vous comme un lion qui cherche sa proie 3? »
Le lion qui sévissait ouvertement cherchait donc quelqu’un
à dévorer : comment le dragon dresse-t-il des
embûches? Au moyen des hérétiques. C’étaient
eux que redoutait saint Paul, lorsqu’il craignait de voir
quelque tache dans la pureté de cette foi que l’Eglise
porte en son coeur, et qu’il disait: « Je vous ai
fiancés à cet unique époux Jésus-Christ,
pour vous présenter à lui comme une vierge pure;
mais je crains que comme Eve fut séduite par les artifices
du serpent, vos esprits ne se corrompent et ne dégénèrent
de la chasteté qui est dans le Chris 1 ». C’est
le petit nombre des femmes, dans 1’Eglise, qui garde ta
virginité de corps; mais la pureté du coeur est
l’apanage de tous les fidèles. C’était
au sujet de la toi que l’Apôtre craignait des taches
sur la pureté du coeur, car avec une foi altérée
la pureté de la chair ne sert de rien. Quand le coeur
est corrompu, quelle peut être la pureté de la
chair? C’est à ce point qu’une femme catholique
est supérieure à une vierge hérétique.
L’une, il est vrai, n’est plus vierge de corps,
l’autre est femme par le coeur, et femme qui n’a
point conçu de Dieu, son époux légitime,
mais du serpent adultère. Or, que dit l’Eglise?
« Tu marcheras sur l’aspic et sur le basilic ».
Le basilic est le roi des serpents, comme le diable est le roi
des démons. « Et tu fouleras au pied le lion et
le dragon».
10. Ecoutons les paroles de Dieu à son Eglise: «
Parce qu’il a espéré en moi, je le délivrerai
2». Non-seulement alors il a délivré le
chef qui est maintenant assis dans les cieux, où il a
placé bien haut son asile, où les maux n’approchent
point de lui; et où le fléau n’aborde point
sa tente : mais nous qui travaillons sur la terre, qui vivons
encore au milieu des tentations, qui avons à craindre
pour nos pieds de tomber dans les embûches, écoutons
la voix du Seigneur notre Dieu qui nous console, et qui nous
dit: « Parce qu’il a espéré en moi
je le délivrerai : je le protègerai parce qu’il
a connu mon nom ».
11. « Il m’invoquera, et je l’exaucerai; je
suis avec lui dans la tribulation 3».Ne crains donc point
quand tu es affligé, comme si Dieu n’était
point avec toi. Que la foi soit avec toi, et Dieu sera avec
toi dans l’affliction. La mer soulève ses flots,
et tu es troublé dans ton navire 4, parce que le Christ
est endormi. Le Christ aussi dormait sur la barque, et les hommes
périssaient. Si la foi dort dans ton coeur, c’est
le Christ qui dort dans ta barque: puisque le Christ habite
en toi par la foi. Si donc tu ressens quelque agitation, réveille
le Christ endormi, stimule ta foi, et tu sauras qu’il
ne t’a point abandonné. Mais tu te crois abandonné,
parce qu’il ne te délivre point aussitôt
que tu le voudrais. Il délivra de la fournaise les trois
jeunes hébreux 1. Lui qui avait délivré
ces trois enfants abandonna-t-il les Macchabées 2? Loin
delà. Il délivra les uns et les autres; les uns
d’une manière corporelle, afin de confondre les
incroyants; les autres d’une manière spirituelle,
afin de les donner aux fidèles pour exemple. «
Je suis avec lui dans la tribulation; je le délivrerai
et le glorifierai».
12. « Je le rassasierai de la longueur des jours 3».
Quels sont ces longs jours.? La vie éternelle. Ne vous
imaginez point, mes frères, qu’il soit ici question
de jours d’une certaine durée, comme on dit qu’ils
sont plus courts en hiver, plus longs en été.
Dieu vous promettait-il de ces jours? Non, cette longueur est
celle qui n’a point de fin; ces jours sont la vie éternelle.
Et comme nous serons alors satisfaits, ce n’est pas sans
raison que le Prophète nous dit: « Je le rassasierai
». Quelque longueur que l’on donne au temps, rien
ne suffit dès qu’il y aune fin, et par conséquent
ne saurait s’appeler longueur. Si nous sommes avares,
nous devons être avares de la vie éternelle: désirons
cette vie qui n’a point de fin. Voilà pour notre
avarice de quoi se dilater. Veux-tu des richesses sans fin?
Désires plutôt une vie sans fin. Tu veux des possessions
sans bornes? Cherche la vie éternelle. « Je le
rassasierai de la longueur des jours ».
13. « Et je lui montrerai mon salut ». Ne passons
point légèrement sur ces paroles : « Je
lui montrerai mon salut » ; c’est-à-dire,
je lui montrerai le Christ lui-même. Pourquoi? N’a-t-il
pas été vu sur la terre? Que veut nous montrer
de si grand le Seigneur? Nul n’a vu le Seigneur comme
nous le verrons. Comme il s’est montré, ceux qui
l’ont vu, l’ont crucifié. Ceux donc qui l’ont
vu l’ont crucifié, et nous, nous croyons en lui
sans l’avoir vu. Avaient-ils donc des yeux que nous n’avons
point? Nous avons, nous, les yeux du coeur; mais nous voyons
par la foi, et non par la claire vue. Quand viendra la claire
vue? « Quand nous le verrons face à face 4 »,
ainsi que dit l’Apôtre : c’est ce que Dieu
nous promet comme la grande récompense de tous nos labeurs.
Tout ce que tu endures ici-bas, tu l’endures afin de voir.
Nous verrons je ne sais quoi de grand, puisque c’est la
grande récompense qui nous est promise, et cette grande
vision sera la vision de Jésus-Christ même. Celui
que l’on a vu dans son humilité sera vu dans sa
grandeur, et il sera notre joie, comme il est aujourd’hui
la joie des anges. « Au commencement était la Verbe,
et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu
1». Celui qui nous a fait cette promesse, remarquez-le
bien, c’est Notre-Seigneur qui nous dit dans l’Evangile:
« Celui qui m’aime, sera aimé de mon Père,
et moi aussi je l’aimerai ». Et comme si on lui
demandait: Que lui donnerez-vous ? « Je me montrerai à
lui 2 », répond-il: désirons-le, aimons-le,
brûlons d’amour, si nous sommes l’épouse.
L’époux est absent, attendons-le: il viendra enfin,
celui que nous désirons. Il nous a donné de tels
gages, que l’Epouse ne doit pas craindre d’être
abandonnée de son Epoux: il n’abandonnera point
ses gages. Quels gages a-t-il donnés? Il a répandu
son sang. Quels gages a-t-il donnés? Il a envoyé
l’Esprit-Saint. Et l’Epoux abandonnerait de tels
gages? Les eût-il donnés, s’il ne nous aimait
point? Il nous aime donc. Oh ! si nous l’aimions de cet
amour. Nul ne peut aimer davantage, que de mourir pour ceux
qu’il aime . Mais nous, comment pouvons-nous mourir pour
lui? De quoi lui servirait notre mort, depuis qu’il a
mis si haut son asile, et que le fléau ne saurait atteindre
son tabernacle? Que dit pourtant saint Jean? « Si le Christ
a donné sa vie pour nous, nous devons à son exemple
donner notre vie pour nos frères 1 ». Quiconque
dès lors meurt pour ses frères, meurt pour le
Christ; de même que nourrir un frère, c’est
nourrir le Christ : « Ce que vous avez fait au moindre
des miens, c’est à moi que vous l’avez fait
2 ». Aimons le Christ, mes frères, imitons son
amour, courons après ses parfums, comme il est dit dans
le Cantique des cantiques : « Nous courrons à l’odeur
de vos parfums 3 ». Il est venu, il a exhalé ses
baumes, et cette odeur s’est répandue par le monde,
D’où cette odeur ? Du ciel. Suis-le donc jusqu’au
ciel, si toutefois tu ne réponds point en parjure quand
on dit : En haut les coeurs, en haut les pensées, en
haut l’amour, en haut l’espérance, qui se
corromprait sur la terre, Tu n’oses mettre ton blé
dans un endroit humide; tu crains la pourriture pour ce froment
que tu as cultivé, que tu as moissonné, que tuas
battu, que tu as vanné. Tu veux un lieu convenable pour
ton blé, et tu n’en cherches pas un à ton
coeur? tu ne cherches point pour ton trésor un lieu de
sûreté? Fais donc sur la terre ce qui est en ton
pouvoir; donne, et tu ne perdras rien, tu mettras en dépôt.
Et qui donc gardera ce dépôt? Le Christ qui te
garde toi-même. Il sait te garder, et il ne saurait garder
ton trésor? Pourquoi te demander de changer ton trésor,
sinon afin que tu changes ton coeur? Nul en effet ne s’occupe
que de son trésor. Combien en est-il qui m’écoutent
maintenant, et qui n’ont le coeur que dans leur coffre-fort
? Vous êtes sur la terre, parce que l’objet de votre
amour est sur la terre: envoyez-le dans le ciel, et votre coeur
sera dans le ciel. Où sera votre trésor, là
aussi sera votre coeur 4.
C-Message de Benoît XVI pour le
carême 2006
« Pèlerinage intérieur
vers … la source de la miséricorde »
Nous publions ci-dessous le Message de Benoît XVI pour
le Carême 2006.
Mgr Karel Kasteel, secrétaire
du conseil pontifical Cor Unum, a confié à Zenit
que ce message a été écrit par le pape
l’été dernier, alors qu’il écrivait
aussi son encyclique: c’est en quelque sorte un «
résumé » par le pape lui-même de l’encyclique
« Deus caritas est ».
Dans ce message pour le carême
qui commence aujourd’hui, mercredi 1er mars, mercredi
des Cendres, Benoît XVI invite les fidèles à
ce « pèlerinage intérieur vers Celui qui
est la source de la miséricorde ».
MESSAGE DE SA SAINTETÉ LE
PAPE BENOÎT XVI POUR LE CARÊME 2006
« Voyant les foules, Jésus
eut pitié d’elles » (Mt 9, 36)
Chers frères et sœurs
!
Le Carême est le temps privilégié
du pèlerinage intérieur vers Celui qui est la
source de la miséricorde. C’est un pèlerinage
au cours duquel Lui-même nous accompagne à travers
le désert de notre pauvreté, nous soutenant sur
le chemin vers la joie profonde de Pâques. Même
dans les «ravins de la mort» dont parle le Psalmiste
(Ps 22 [23], 4), tandis que le tentateur nous pousse à
désespérer ou à mettre une espérance
illusoire dans l’œuvre de nos mains, Dieu nous garde
et nous soutient. Oui, aujourd’hui encore le Seigneur
écoute le cri des multitudes affamées de joie,
de paix, d’amour. Comme à chaque époque,
elles se sentent abandonnées. Cependant, même dans
la désolation de la misère, de la solitude, de
la violence et de la faim, qui frappent sans distinction personnes
âgées, adultes et enfants, Dieu ne permet pas que
l’obscurité de l’horreur l’emporte.
Comme l’a en effet écrit mon bien-aimé Prédécesseur
Jean-Paul II, il y a une «limite divine imposée
au mal», c’est la miséricorde (Mémoire
et identité, 4, Paris, 2005, pp. 35 ss.). C’est
dans cette perspective que j’ai voulu placer au début
de ce Message l’annotation évangélique selon
laquelle, «voyant les foules, Jésus eut pitié
d’elles» (Mt 9, 36). Dans cet esprit, je voudrais
m’arrêter pour réfléchir sur une question
très débattue parmi nos contemporains : la question
du développement. Aujourd’hui encore le «regard»
de compassion du Christ ne cesse de se poser sur les hommes
et sur les peuples. Il les regarde sachant que le «projet»
divin prévoit l’appel au salut. Jésus connaît
les embûches qui s’opposent à ce projet et
il est pris de compassion pour les foules : il décide
de les défendre des loups, même au prix de sa vie.
Par ce regard, Jésus embrasse les personnes et les multitudes,
et il les remet toutes au Père, s’offrant lui-même
en sacrifice d’expiation.
Éclairée par cette
vérité pascale, l’Église sait que,
pour promouvoir un développement plénier, il est
nécessaire que notre «regard» sur l’homme
soit à la mesure de celui du Christ. En effet, il n’est
en aucune manière possible de dissocier la réponse
aux besoins matériels et sociaux des hommes de la réponse
aux désirs profonds de leur cœur. Il convient d’autant
plus de souligner cela à notre époque de grandes
transformations, où nous percevons de manière
toujours plus vive et plus urgente notre responsabilité
envers les pauvres du monde. Mon vénéré
Prédécesseur, le Pape Paul VI, identifiait déjà
avec précision les dommages du sous-développement
comme étant un amoindrissement d’humanité.
Dans cet esprit, il dénonçait dans l’Encyclique
Populorum progressio «les carences matérielles
de ceux qui sont privés du minimum vital, et les carences
morales de ceux qui sont mutilés par l'égoïsme,
[…] les structures oppressives, qu'elles proviennent des
abus de la possession ou des abus du pouvoir, de l'exploitation
des travailleurs ou de l'injustice des transactions» (n.
21). Comme antidote à de tels maux, Paul VI suggérait
non seulement «la considération accrue de la dignité
d'autrui, l'orientation vers l'esprit de pauvreté, la
coopération au bien commun, la volonté de paix»,
mais aussi, «la reconnaissance par l’homme des valeurs
suprêmes et de Dieu, qui en est la source et le terme»
(ibid.). Dans cette ligne le Pape n’hésitait pas
à proposer «la foi, don de Dieu accueilli par la
bonne volonté de l'homme, et l'unité dans la charité
du Christ» (ibid.). Donc, le «regard» du Christ
sur la foule nous incite à affirmer le véritable
contenu de «l’humanisme intégral» qui,
toujours selon Paul VI, consiste dans le «développement
intégral de tout l'homme et de tous les hommes»
(ibid., n. 42). C’est pourquoi la première contribution
que l’Église offre au développement de l’homme
et des peuples ne se concrétise pas en moyens matériels
ou en solutions techniques, mais dans l’annonce de la
vérité du Christ qui éduque les consciences
et enseigne l’authentique dignité de la personne
et du travail, en promouvant la formation d’une culture
qui réponde vraiment à toutes les interrogations
de l’homme.
Face aux terribles défis
de la pauvreté d’une si grande part de l’humanité,
l’indifférence et le repli sur son propre égoïsme
se situent dans une opposition intolérable avec le «regard»
du Christ. Avec la prière, le jeûne et l’aumône,
que l’Église propose de manière spéciale
dans le temps du Carême, sont des occasions propices pour
se conformer à ce «regard». Les exemples
des saints et les multiples expériences missionnaires
qui caractérisent l’histoire de l’Église
constituent des indications précieuses sur le meilleur
moyen de soutenir le développement. Aujourd’hui
encore, au temps de l’interdépendance globale,
on peut constater qu’aucun projet économique, social
ou politique ne remplace le don de soi à autrui, dans
lequel s’exprime la charité. Celui qui agit selon
cette logique évangélique vit la foi comme amitié
avec le Dieu incarné et, comme Lui, se charge des besoins
matériels et spirituels du prochain. Il le regarde comme
un mystère incommensurable, digne d’une attention
et d’un soin infinis. Il sait que celui qui ne donne pas
Dieu donne trop peu, comme le disait la bienheureuse Teresa
de Calcutta : «La première pauvreté des
peuples est de ne pas connaître le Christ». Pour
cela il faut faire découvrir Dieu dans le visage miséricordieux
du Christ : hors de cette perspective, une civilisation ne se
construit pas sur des bases solides.
Grâce à des hommes
et à des femmes obéissant à l’Esprit
Saint, sont nées dans l’Église de nombreuses
œuvres de charité, destinées à promouvoir
le développement : hôpitaux, universités,
écoles de formation professionnelle, micro-réalisations.
Ce sont des initiatives qui, bien avant celles de la société
civile, ont montré que des personnes poussées
par le message évangélique avaient une préoccupation
sincère pour l’homme. Ces œuvres indiquent
une voie pour guider encore aujourd’hui l’humanité
vers une mondialisation dont le centre soit le bien véritable
de l’homme et conduise ainsi à la paix authentique.
Avec la même compassion que Jésus avait pour les
foules, l’Église ressent aujourd’hui encore
comme son devoir de demander à ceux qui détiennent
des responsabilités politiques et qui ont entre leurs
mains les leviers du pouvoir économique et financier
de promouvoir un développement fondé sur le respect
de la dignité de tout homme. Une importante authentification
de cet effort consistera dans la liberté religieuse effective,
entendue non pas simplement comme possibilité d’annoncer
et de célébrer le Christ, mais aussi comme contribution
à l’édification d’un monde animé
par la charité. Dans cet effort, s’inscrit également
la considération effective du rôle central que
les valeurs religieuses authentiques jouent dans la vie de l’homme,
en tant que réponse à ses interrogations les plus
profondes et motivation éthique par rapport à
ses responsabilités personnelles et sociales. Tels sont
les critères sur la base desquels les chrétiens
devront aussi apprendre à évaluer avec sagesse
les programmes de ceux qui les gouvernent.
Nous ne pouvons pas ignorer que
des erreurs ont été commises au cours de l’histoire
par nombre de ceux qui se disaient disciples de Jésus.
Souvent, face aux graves problèmes qui se posaient, ils
ont pensé qu’il valait mieux d’abord améliorer
la terre et ensuite penser au ciel. La tentation a été
de croire que devant les urgences pressantes on devait en premier
lieu pourvoir au changement des structures extérieures.
Cela eut comme conséquence pour certains la transformation
du christianisme en un moralisme, la substitution du croire
par le faire. C’est pourquoi, mon Prédécesseur
de vénérée mémoire, Jean-Paul II,
observait avec raison : «Aujourd'hui, la tentation existe
de réduire le christianisme à une sagesse purement
humaine, en quelque sorte une science pour bien vivre. En un
monde fortement sécularisé, est apparue une ‘sécularisation
progressive du salut’, ce pourquoi on se bat pour l'homme,
certes, mais pour un homme mutilé, ramené à
sa seule dimension horizontale. Nous savons au contraire que
Jésus est venu apporter le salut intégral»
(Encyclique Redemptoris missio, n. 11).
C’est justement à
ce salut intégral que le Carême veut nous conduire
en vue de la victoire du Christ sur tout mal qui opprime l’homme.
En nous tournant vers le divin Maître, en nous convertissant
à Lui, en faisant l’expérience de sa miséricorde
grâce au sacrement de la Réconciliation, nous découvrirons
un «regard» qui nous scrute dans les profondeurs
et qui peut animer de nouveau les foules et chacun d’entre
nous. Ce «regard» redonne confiance à ceux
qui ne se renferment pas dans le scepticisme, en leur ouvrant
la perspective de l’éternité bienheureuse.
En fait, déjà dans l’histoire, même
lorsque la haine semble dominer, le Seigneur ne manque jamais
de manifester le témoignage lumineux de son amour. À
Marie, «fontaine vive d’espérance»
(Dante Alighieri, Le Paradis, XXXIII, 12), je confie notre chemin
du Carême, pour qu’Elle nous conduise à son
Fils. Je Lui confie spécialement les multitudes qui,
aujourd’hui encore, éprouvées par la pauvreté,
invoquent aide, soutien, compréhension. Dans ces sentiments,
de grand cœur, j’accorde à tous une particulière
Bénédiction apostolique.
Du Vatican, le 29 septembre 2005.
BENEDICTUS PP. XVI