Paroisse catholique Saint Michel

Dirigée par

 Monsieur l'abbé Paul Aulagnier

 

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Du 27 au 2 avril

Premier dimanche de la Passion

 

 

A- Homélie

C’est le paume 42 que l’Eglise nous fait lire dans l’Introït de la messe du premier dimanche de la Passion.

Nous lisons particulièrement ce verset : « Envoie ta lumière, ta vérité. Elles me guideront et me conduiront à ta sainte montagne, en ta demeure…De l’homme pervers et fourbe, délivre-moi car tu es mon Dieu, mon rempart ». « Fortitudo mea », ma force, ma puissance, ma solidité.
Dans le psaume 41 qui le précède et qui est uni par le même refrain, le psalmiste invoque Dieu comme étant « le rocher ». « Firmamentum », c'est-à-dire mon soutien, mon appui, mon support, mon renfort. Le refrain de ces deux psaumes est cette belle pensée : « Pourquoi es-tu abattue, O mon âme et t’agites-tu en moi ? Espère en Dieu, car je le louerai encore, lui le salut de ma face et mon âme ».

Vous le voyez, ce psaume 41-42 est un psaume de confiance en Dieu qui est ma lumière, ma vérité, mon guide, celui « qui me conduit à la sainte montagne, en ta demeure ». « Confie toi O mon âme en Lui. Il est la force même ». « Fortitudo mea ». « Il est ton rocher, « firmamentum. Il est ton salut ».

Merveilleuse contemplation de Dieu en ce temps de la Passion qui commence et qui, en ce premier dimanche, va nous montrer le Christ, à la fois dans sa majesté et dans son anéantissement.

Et tout d’abord dans sa grandeur.

C’est la raison du récit de cet Evangile. Il est la « Vérité de Dieu », la « Lumière de Dieu ». L’Evangile nous le fait contempler dans sa divinité, comme Celui qui domine le temps parce qu’il est éternel. C’est tout le sens du dialogue de NSJC de cet Evangile : « Avant qu’Abraham fut, Je suis ». « Antequam Abraham fieret, ego sum ».


« Ego sum »
« Abraham fieret », de « fieri ».

« Fieri »...Tout est éphémère. Tout passe…même les grandeurs de ce monde. Tout meurt. Les patriarches sont morts…Abraham aussi… « Abraham fieret ». Ce verbe « fieri » connote le « devenir », la « naissance », l’existence passagère, la créature, la dépendance, la contingence…Ainsi d’Abraham. Ainsi des patriarches. Ainsi de toute créature, même les plus nobles. Le « fieri » est le domaine du temps, de la contingence, c’est-à-dire un être qui peut être mais qui peut ne pas être, un être qui n’est pas de soi nécessaire…qui passe , qui est fugitif…et donc fragile, faible… Voilà tout le sens de ce « Abraham fieret ».

Mais le Christ, lui, « est ». « Ego sum ». Il y a un contraste merveilleux entre ce « fieri » d’Abraham, qui caractérise Abraham, le patriarche par excellence et le « esse » du Christ, « Je suis ». Cette expression connote la stabilité, la majesté, la force, le rocher, la constance, l’immutabilité, l’existence nécessaire : « Je suis ». Ce « Je suis » nous rappelle la définition même de Dieu à Moïse : « Je suis celui qui suis ». Je suis l’existence même, l’être même subsistant, substantiel, subsistant en Lui-même, par lui-même, le principe de tout être…La majesté même.

Il faut garder ce sens la grandeur de Notre Seigneur Jésus-Christ en ce premier dimanche de la Passion qui va nous conduire à travers l’œuvre de la Rédemption…qui va nous faire vivre cette rédemption et son mode, l’anéantissement du Christ. Il faut garder devant nos yeux « la réalité du Christ ». Il est celui qui est. « Ego sum ». Il est le roc, le rocher, la stabilité…Parce qu’il est ce qu’il est, Dieu, je peux me confier en Lui…me reposer sur Lui, avoir confiance…Cet Evangile, qui manifeste la grandeur de NSJC, vraie « Lumière de la Lumière », « vrai Dieu né du Vrai Dieu », est parfaitement en situation avec l’Introït qui m’encourage à mettre ma confiance en Dieu : « Envoie ta lumière et ta vérité… ». Mais elle est là cette Lumière, cette Vérité. C’est le Christ. C’est lui la Lumière de Dieu, sa Vérité qui vient accomplir toute justice. C’est lui qui me guide et me conduit à « ta sainte montagne, en ta demeure » O Dieu, c’est-à-dire en la Jérusalem céleste et éternelle. C’est lui qui est le salut de « ma face », de mon âme. Il le peut. Il est Dieu. Il est la majesté même. L’Evangile de ce jour me donne la raison de ma confiance en Dieu. Il est mon salut. Il est Dieu. Il est la majesté même. Rien ne peut lui résister, ni la vie ni la mort. Il est le Maître et de la vie et de la mort.

« Es-tu donc plus grand que notre Père Abraham qui est mort ? Et les prophètes sont morts aussi. Qui prétends-tu être ? »… « Abraham votre Père, exulta à la pensée de voir mon jour et il l’a vu et il s’est réjoui ». Les Juifs lui dirent alors : « tu n’as pas encore cinquante ans et tu as vu Abraham ? Jésus leur répondit : « En vérité, en vérité, je vous le dis, avant qu’Abraham fut, je suis ». Il est Dieu dans le temps mais Il est aussi au-delà du temps.

Ne sentez-vous pas la Majesté dans ce dialogue.

Gardez cette idée, gardez cette vérité dans le cœur pour ne pas être déroutés par la Passion que nous allons revivre, par l’anéantissement du Maître.

L’anéantissement du Maître !

Mais c’est ainsi et seulement ainsi que s’accomplit, que peut s’accomplir toute justice, cette œuvre rédemptrice.

Elle suppose un acte théandrique, un acte à la fois divin et humain.

Divin pour donner toute puissance à cet acte et compenser la malice infinie du péché originel, infini en malice en raison de la majesté infinie qu’il lèse.

Humain pour pouvoir offrir à Dieu une réparation au nom du genre humain. Réparer au nom du genre humain, le rejet de Dieu, rejet, refus de Dieu qui est l’essence de tout péché.

Or la nature humaine est, de soi, par essence, fragile, éphémère, finie. Oui ! Il n’y aurait pas de Rédemption sans un acte théandrique, sans cet acte théandrique…sans cet acte de Celui, qui, majestueux, de soi, parce qu’il est Dieu, donne l’infinité de bonté et de justice à cet anéantissement qu’il pose et qu’il peut poser, en notre nom, parce qu’il est aussi vrai homme, satisfaisant ainsi surabondamment l’infinie justice de Dieu, justice qui réclame de sa créature cette soumission, cet accomplissement de sa Volonté, de la volonté de Dieu.

Et voilà pourquoi l’Eglise nous fait lire ce beau passage de l’Epître aux Hébreux de Saint Paul…Ce beau passage qui exalte le Seigneur dans son œuvre rédemptrice. Grandeur et humiliation. Ce sont les deux composants nécessaires à l’œuvre rédemptrice.

Saint Paul en effet, multiplie les notes de grandeur, de majesté dans ce sacrifice rédempteur , sacrifice rédempteur qui dit, lui, en tant que sacrifice, anéantissement. C’est une rédemption par le sang, par l’anéantissement de la victime, dans son sacrifice. Mais saint Paul nous le montre comme « Grand Prêtre »… Il est majestueux en Lui-même, mais aussi en sa qualité sacerdotale. Il est le prêtre par excellence, « le Grand Prêtre »…Mais il n’est pas seulement cela ! Il est le grand prêtre « des biens à venir ». Son rôle, la finalité de son sacerdoce est magnifique, majestueuse aussi : les « biens à venir », les biens célestes, le Ciel qu’Il nous donne. Par son action sacerdotale, il nous donne ces « biens célestes… Peut-il y avoir plus belle grandeur… « Courage mon âme… ». On retrouve la raison de notre Introït portant sur la confiance.

… « Il est entré une fois pour toutes dans le sanctuaire » comme le Grand Prêtre de l’ancienne Alliance entrant une fois l’an dans le Saint des Saints du Temple de Jérusalem. Action noble, sainte, entre toutes. O combien ! Mais qu’il fallait répéter tous les ans. Et donc, sous ce rapport, action éphémère, fragile…Allons ! Disons le mot : « inefficace ». Alors que Lui, le Christ, le grand prêtre de la Nouvelle Alliance entre « une fois pour toutes »….Son action, son sacrifice, à Lui, est unique parce que totalement, absolument efficace.

« O mon âme, mets ta confiance en Lui. Il est ton salut… » nous dira l’Introït.

En cette action unique, il a pourtant « acquis une rédemption éternelle ». Son œuvre rédemptrice est majestueuse, grandiose …parce qu’éternelle : « une rédemption éternelle » i.e. définitive, absolue. Elle est unique.
Car c’est lui-même qui s’est immolé, son propre sang…Etant Dieu et Homme tout ensemble…son acte est toute puissance. Il réalise efficacement les figures sacrificielles de l’Ancien Testament qui n’étaient riches que de la réalité sacrificielle à venir. Elles les annonçaient. Et c’est en ce sens qu’elles réjouissaient dans la foi, Abraham qui attendait le seul sacrifice rédempteur, celui qui était, qui serait posé dans « l’Esprit éternel » c’est-à-dire avec toute la puissance divine : le Sacrifice du Christ.

« Si le sang des boucs et des taureaux, poursuit saint Paul, si la cendre des génisses dont on asperge ceux qui sont souillés, les sanctifient en purifiant la chair, combien plus - C’est solennel. C’est un a fortiori – combien plus le sang du Christ qui, par l’Esprit éternel ( qui l’anime) s’est offert sans tache…- encore une note de grandeur et de noblesse…à Dieu purifiera-t-il notre conscience des œuvres mortes afin que nous servions le Dieu vivant ». C’est majestueux.

Mais ce n’est pas tout ! Saint Paul ne cesse pas de faire les éloges magnanimes de l’œuvre du Christ :

« Voilà pourquoi il est le médiateur d’une Alliance Nouvelle - Le médiateur, c’est aussi solennel, c’est l’unique médiateur - afin que, sa mort étant intervenue pour racheter les fautes commises sous la première alliance, ceux qui sont appelés reçoivent l’héritage éternel, objet de la promesse, dans le Christ Jésus, notre Seigneur »

Oui ! Saint Paul magnifie le Seigneur dans cette œuvre rédemptrice : « …par cette mort…ceux qui sont appelés, reçoivent l’héritage éternel ». « L’héritage éternel…dans le Christ Jésus… »

« Aie confiance mon âme. Il est ta lumière, ta vérité. Il est aussi ton salut, le salut de ta face… »

Cette grandeur, cette majesté, sa majesté dans cette œuvre rédemptrice qui le réduit comme à néant, est comme la caution, la certitude, le principe de toute confiance. Cette action rédemptrice est vraiment le bel acte théandrique nécessaire, la raison de l’obtention du Royaume éternel. Voilà toute la raison de ma confiance en le Seigneur…

Et tout cela, MBCF, - cette confiance, cette majesté du Seigneur en lui-même (l’Evangile de ce dimanche) et dans son œuvre rédemptrice ( la raison de l’Epître) - est magnifiquement expliqué par l’Eglise dans son hymne de la Passion. L’Eglise, vraiment, à la science de Dieu, la connaissance des mystères de Dieu. Ecoutez :

Les étendards du Roi s’avancent,
C’est le mystère de la Croix
Où la vie a subi la mort
Produisant, par la mort, la vie.

C’est majestueux. C’est royal. C’est grand !

Par le fer cruel de la lance
Le divin cœur fut transpercé ;
Et pour laver nos vils péchés,
En jaillirent l’eau et le sang.

C’est l’anéantissement, la soumission de la Saint Victime aux fruits si abondants !

Voici donc fait ce que chanté
David en son chant prophétique,
Quand il disait à tous les peuples :
Du haut du bois, Dieu va régner.

La grandeur est de nouveau affirmée : « Dieu va régner » mystérieusement : par le bois de la Croix, son trône royal !

Arbre merveilleux, tout brillant,
Paré de la pourpre royale,
Bois de noble race, seul digne
De toucher les membres très saints.

C’est de nouveau la majesté de la Victime sainte qui est ici évoquée !

Croix bienheureuse, dont les bras
Ont soutenu le prix du monde !
Balance où fut pesé le corps
Qui ravit à l’enfer sa proie !

Ce sang, cette croix sera la rançon, le prix du rachat, « le prix du monde » ! Pas moins que le sang de la divine victime.

O Croix, salut, seule espérance
En ce temps de la Passion,
Fais croître la grâce des justes,
Lave les péchés des coupables.

Cette croix du Seigneur est vraiment le seul principe de la confiance du pécheur : O Croix salut, seule espérance »

Source du Salut, Trinité,
Que toute âme vous rende gloire !
Par la croix vous nous fîtes vaincre,
Donnez-nous aussi la couronne Amen.

La Croix, seule espérance parce que seule source du Salut, parce que c’est un Dieu et tout autant un homme qui y fut suspendu. A Lui, A Elle, A la Trinité Sainte mon action de grâce !

B- Un point de doctrine :

Congélation, implantation, adoption d’embryons : réflexions du P. Mattheeuws, sj


Vous avez lu, je pense, la semaine dernière mon commentaire sur l’affaire Evans. Nous avons exposé la doctrine de l’Eglise sur le problème moderne de la « fécondation artificielle (in vitro) » et sur les embryons, leurs conservations par congélation et leurs implantations. J’ai pu exposer à cette occasion la pensée de Pie XII.

Il se trouve que Zenit, au même moment, donnait sur ces sujets la pensée du professeur le Père Alain Mattheeuws, jésuite, docteur en théologie morale et sacramentaire de l’Institut Catholique de Toulouse. Zenit nous présentait le P. Mattheeuws de cette manière : Il est actuellement professeur à l’Institut d’Etudes Théologiques de Bruxelles. Il donne également des cours au « Studium » du diocèse de Paris et dans d’autres facultés. Il aborde un thème délicat de la recherche bioéthique en théologie morale. Il a participé au dernier synode des évêques.

Il répondra entre autres à la question : « Condamner l’adoption des embryons, n’est-ce pas incohérent avec le message de l’Eglise concernant le respect de la vie et son caractère sacré ? »

Cet exposé est intéressant.

Je vous le donne in extenso, ici.

Sur ces problèmes modernes, sans cesse évoqués, il faut que les fidèles de l’Eglise sachent la doctrine de l’Eglise pour la proposer à l’occasion et les occasions sont aujourd’hui nombreuses.

Congélation, implantation, adoption d’embryons : réflexions du P. Mattheeuws, sj
Le respect de la vie humaine, mais comment, concrètement ?


Q : Est-il normal et acceptable de congeler des embryons humains ?

P. Mattheeuws : C’est pour augmenter l’efficacité des diverses techniques de reproduction médicalement assistée que l’on a commencé à congeler des embryons humains. Cela permet de ne pas « obliger » les femmes à subir des prélèvement répétés d’ovocytes, au cas où la première implantation n’aurait pas réussi ou lorsqu’elles désirent une nouvelle fécondation.

Si l’on ne considère ces cellules embryonnaires que comme un matériau biologique, un embryon potentiel, la congélation ne pose que des problèmes techniques ou juridiques (à qui appartiennent ces embryons confiés à la clinique, abandonnés ou oubliés dans un hôpital ?). Par contre, si l’on considère qu’il faut respecter l’être humain dès sa conception, la congélation d’embryon est inacceptable. Elle est moralement illicite. En effet, de quel droit plonger l’enfant embryonnaire dans une « prison de froid » ? Donum vitae, en 1987, s’exprimait ainsi : « La congélation des embryons, même si elle est réalisée pour garantir une conservation de l’embryon en vie (« cryoconservation ») constitue une offense au respect dû aux êtres humains, car elle les expose à de graves risques de mort ou d’atteinte à leur intégrité ; elle les prive au moins temporairement de l’accueil et de la gestation maternelle, et les place dans une situation susceptible d’offenses et de manipulations ultérieures » (Intro n°6).

Q : Des couples de plus en plus nombreux, affrontés à la stérilité, ont recours aux Procréations médicalement assistées. Quelle est leur responsabilité dans ce domaine ?

P. Mattheeuws : Avant tout, il faut rappeler le caractère illicite (c’est-à-dire immoral) des procréations médicalement assistées. Si les parents posent la question de la valeur de leur acte, gardons-nous de les juger. Mais par contre, il convient d’être vrai et ne pas cacher le caractère illicite de ce qu’ils ont fait, parfois de bonne foi. Eclairer la conscience avec délicatesse et amour, c’est toujours respecter la dignité d’autrui.

Ils ont le droit de connaître les conditions bio-médicales qui ont accompagné leur démarche. Si ces informations ne leur sont pas fournies, ils doivent les demander. En particulier, quelle est leur responsabilité actuelle vis-à-vis des enfants embryonnaires congelés qui sont les leurs ? Qu’ont-ils signé ? Que vont-ils faire de ces enfants embryonnaires congelés ? Les premiers et derniers responsables sur la terre de leurs enfants embryonnaires, ce sont eux.

Il arrive que dans certaines situations familiales, l’Etat défasse juridiquement la responsabilité parentale, mais en a-t-il le droit dans ce cas ? Particulièrement à l’origine de l’enfant ? Serait-il le propriétaire ultime de ces embryons ? Il ne nous semble pas. Les centres de PMA font en général signer certains documents aux parents. Cette signature est un engagement civil : il ne correspond pas toujours à la loi inscrite dans les cœurs. Par exemple, même comme parents, ils ne peuvent pas moralement signer « une décharge totale » des embryons issus de leur corps et de leurs personnes. Les parents ont à la fois un « premier droit », mais pas un droit absolu sur leurs enfants. Ainsi pour les enfants embryonnaires, les parents ne sont pas habilités à les donner comme des « objets » et à s’en décharger. Il est normal et moralement bon que les parents de ces embryons prennent soin d’eux. Un lien les unit. Une décision doit être prise. Elle leur revient. Ils ne peuvent pas se débarrasser de la responsabilité qu’ils ont prise en concevant ces embryons, même avec l’aide de médecins.

Q : Mais que peuvent-ils faire alors ?

P. Mattheeuws : L’existence de leurs enfants embryonnaires est un fait incontournable. S’ils prennent conscience du statut et de la dignité de ces enfants, il est bon qu’ils fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour les respecter et leur donner la possibilité de continuer à vivre. Ce qui me paraît décisif pour les parents est le fait suivant : qu’ils rendent à leurs enfants embryonnaires la dimension du temps et les sortent de leur état congelé. Il leur revient d’éviter qu’on ajoute un mal à un autre mal : créer des embryons surnuméraires et les congeler est un mal, les maintenir dans cet état en est un autre. Prendre la décision de faire d’eux un matériau pour la science est aussi un mal. Les parents doivent veiller à protéger la dignité de ces enfants embryonnaires congelés. Ce lien entre eux et les enfants embryonnaires ne peut pas être dissous. Mais sont-ils tenus de les implanter tous dans le corps de la maman en vue de les mettre au monde ? Je ne crois pas que ce soit pour eux une « obligation morale ». Qu’ils accomplissent « au mieux » leur responsabilité d’engendrement jusqu’au bout. Qu’ils les confient à la bonté divine après les avoir délivrés de leur prison de froid.

Q : Qui est interpellé par cette problématique ?

P. Mattheeuws : La question prend une dimension mondiale car la production et la conservation cryogène d’embryons humains n’est pas un phénomène localisé. Le nombre d’embryons humains congelés dans le monde n’est pas connu avec précision, mais il augmente chaque jour et se compte en effet par milliers. Aux Etats-Unis, on dénombre 400.000 embryons congelés dont 11.000 surnuméraires ne feraient plus l’objet d’un projet parental. En France, ils seraient 80.000. En Belgique, 24.000. Les questions juridiques, scientifiques et éthiques ne font que s’amplifier. Pour une conscience humaine ouverte au respect des origines, la question n’est pas facile à régler.

Q : Vous parlez du respect des origines. Selon vous, quels sont les points clefs de cette problématique ?

P. Mattheeuws : L’enfant embryonnaire a droit au respect de ce qu’il est et de ce qu’il peut devenir. Dans l’état de congélation, il est en dépendance et en souffrance. Son développement est arrêté. On lui enlève une qualité inhérente à ce qu’il est : son temps, son devenir. Il court un risque réel de « mourir », en demeurant congelé, en étant décongelé également. Il est pour ainsi dire « enlevé » à tout univers relationnel et à tout projet symbolique humain : il pourrait être implanté un jour ; il pourrait être utilisé comme matériau biologique de recherche ; il pourrait être « jeté à la poubelle ». Il est dans l’hypothétique. Son statut par nature « fragile » est fixé dans la fragilité.

Q : Les faits et les chiffres sont là. Que peut-on faire actuellement pour sauver les embryons congelés ?

P. Mattheeuws : La seule possibilité ouverte est l’implantation et la gestation dans l’utérus d’une femme. Cette possibilité n’assure d’ailleurs pas automatiquement leur survie. Blessés par la congélation, blessés par la décongélation, beaucoup d’enfants embryonnaires ne peuvent plus s’implanter et grandir normalement. L’implantation reste problématique, risquée : l’enfant embryonnaire congelé peut en mourir. Après l’implantation, la gestation elle-même n’est pas toujours couronnée de succès. Des projets d’utérus artificiels (ectogenèse) existent, mais la recherche est peu avancée dans ce domaine. Une question éthique reste posée sur ces projets eux-mêmes.

Q : Peut-on envisager dès lors l’« adoption » d’enfants embryonnaires comme une solution éthique ?

P. Mattheeuws :Ethique, c’est-à-dire bonne et licite ? D’ailleurs peut-on parler vraiment d’adoption au sens strict ? C’est un problème délicat. Je ne crois pas que ce soit une « réponse » réaliste car la production et la congélation d’embryons continuent. Elles prennent des proportions à la fois inhumaines, absurdes et dépassant les initiatives de protection ou de sauvetage par l’adoption par exemple. Il vaudrait mieux affronter cette question à la racine. Certains moralistes considèrent qu’adopter des enfants embryonnaires consiste uniquement à ajouter une pièce au puzzle complexe et aberrant d’un système qui ne respecte pas l’origine de la vie humaine. Question délicate d’une coopération matérielle à une technique qui, en soi, est un moyen non respectueux de l’homme. D’autres pensent qu’une adoption massive et visible de ces enfants embryonnaires témoignerait du respect qu’on leur doit et favoriserait à long terme une prise de conscience du mal qui leur a été fait, et donc du caractère mortifère de ces diverses techniques. Mais d’autres arguments doivent aussi être considérés : l’accord commun des époux, le statut du corps de la femme, le droit de l’embryon à être conçu, porté et mis au monde par sa mère et l’amour de ses parents…

Q : Pourriez-vous préciser votre position ?

P. Mattheeuws : Distinguons d’abord deux modalités de l’acte que nous cherchons à qualifier moralement. Pour certains, l’objet de l’acte consiste à sauver la vie d’un embryon congelé en lui offrant la possibilité d’une gestation au sein d’un utérus féminin jusqu’à ce qu’il soit viable. Pour d’autres, l’objet de l’acte consiste en une véritable adoption d’un enfant embryonnaire : un couple désire adopter dans sa famille un embryon ou plusieurs embryons congelés, ou plusieurs enfants aux premiers stades de leur vie. Le mari et la femme (de commun accord) désirent qu’ils soient portés, mis au monde et accueillis comme leurs propres enfants. Dans le premier cas, l’acte peut être posé par une femme seule. Dans le deuxième cas, il s’agit d’un couple que nous supposons marié et stable (une femme seule pourrait cependant désirer une telle adoption).

Quelques moralistes envisagent donc soit le « sauvetage d’embryon », soit « l’adoption d’embryon ». Du point de vue de l’embryon, il s’agit toujours de lui donner une possibilité de poursuivre son développement et donc son existence sur la terre. Du point de vue du moyen, c’est le corps de la femme (son utérus) qui est l’instrument de ce sauvetage. Les conditions personnelles de celle-ci (sa condition de femme, de mère, d’épouse) semblent peu considérées. Dans l’option de « sauvetage », l’illusion éthique est profonde : un signe en est que même en dehors du lien conjugal, le corps de la femme peut servir à ce but.

Q : L’adoption d’embryons n’implique-t-elle pas, au moins de manière tacite, l’approbation du processus par lequel ces embryons sont venus à la vie ?

P. Mattheeuws :Non. Au niveau personnel, un couple qui adopte un enfant issu de la fivete, n’est pas nécessairement complice et responsable de l’acte qui a permis cette conception. Si un couple adopte un enfant issu d’un viol, il n’approuve pas pour autant cet acte et n’en est pas complice. Du point de vue de la conscience personnelle, il est vraiment possible de distinguer ces actes.

Q : La société et les chrétiens en particulier s’occupent-ils assez de ces embryons congelés ?

P. Mattheeuws :Je le répète : dès le moment où nous reconnaissons leur statut d’enfant embryonnaire, nous devons chercher à les respecter pour ce qu’ils sont. Cette situation est un « appel éthique ». Tout être humain a une dignité intrinsèque dont il nous faut prendre conscience et qu’il convient de respecter dans la mesure de nos forces et de nos moyens. Ce que nous pouvons faire de bon pour ces enfants embryonnaires, par des moyens licites, nous devons le faire. L’adoption-gestation ne me semble pas un moyen respectueux. Est-ce d’ailleurs une « adoption » ? Elle ne rejoint pas la perfection d’un acte moralement bon. L’intention est généreuse, mais l’objet de l’acte contredit le respect qui est du à tout être humain, particulièrement à la femme.

Q : Que vient faire cet argument concernant la femme qui s’est proposée généreusement à adopter ?

P. Mattheeuws :Ne soupçonnons pas l’intention généreuse de ces femmes ni le désir des couples de faire le bien en adoptant un embryon congelé. Cependant, il nous faut considérer l’acte en lui-même et pas seulement la bonne intention. Au-delà de cette intention personnelle, il convient de réfléchir à la symbolique propre qui y est engagée. N’y a-t-il pas une « unité insécable » entre la conception et la gestation ? La réflexion doctrinale de l’Eglise s’est déjà engagée dans cette question. La femme ne peut accueillir au plus intime d’elle-même le fruit d’une conception qui n’est pas le fait de son mari et d’elle-même. La maternité de « substitution » n’est pas moralement licite, nous dit Donum vitae (II A 3). Elle est contraire « à l’unité du mariage et à la dignité de la procréation de la personne humaine ».

Q : Mais il ne s’agit pas d’une maternité de substitution, mais bien plutôt de suppléance : l’enfant d’ailleurs est déjà là, déjà disponible à être « adopté » et désireux d’être sauvé de la congélation…


P. Mattheeuws : Il est vrai que la femme qui « adopte », accueille l’enfant pour le porter et le mettre au monde. Cet embryon, qui lui est génétiquement étranger parce que « venant d’ailleurs » ne sera pas « porté » par ou pour une autre femme. Il est « accueilli » pour lui-même. Il ne s’agit pas identiquement du même cas que celui d’une mère de « substitution ». Elle n’est pas, au niveau de l’intention, de ces « mères porteuses » qui portent l’enfant pour une autre, pour de l’argent, pour un membre de la famille. Mais le terme de « suppléance » ne doit pas faire illusion et nous tromper sur le caractère « objectif et personnel » de l’acte d’une femme qui accepte ce type de maternité. C’est l’enfant issu d’une autre « relation » qu’elle accepte dans l’intimité de son corps.

La perfection de l’accueil d’un enfant est inscrite au cœur de l’acte conjugal, dans l’écrin de la fidélité conjugale et de la maternité responsable. Donum vitae nous dit que tout enfant a droit « à être conçu et mis au monde dans le mariage et par le mariage » (II,2). Par ailleurs, quand cette Instruction refuse la maternité de « substitution », elle affirme qu’est liée à la dignité de l’enfant le droit « d’être conçu, porté, mis au monde et éduqué par ses propres parents » (II,3 : je souligne). On pressent l’enjeu moral et le développement théologique quand on note qu’ici l’Instruction admet aussi une participation du père à la gestation et à la mise au monde… Cela signifie que les valeurs conjugales et parentales sont en cause ensemble. A l’horizon de cette problématique se trouve encore et toujours cette compréhension neuve et exigeante du « lien indissoluble des deux significations de l’acte conjugal ». Cette exigence morale et spirituelle n’est pas toujours comprise ni vécue dans l’accueil de l’enfant. Mais ce qui n’arrive pas dans l’accueil d’un enfant à cause des événements ou d’un manque de conscience ou d’amour des parents, ne doit pas être provoqué sous l’apparence d’un bien à obtenir.

Q : L’enjeu ne se situe-t-il pas au niveau de la paternité/maternité, mais aussi de la signification du terme « procréation » ?

P. Mattheeuws : Selon certains « le respect réciproque du droit de devenir père et mère seulement l’un par l’autre » (Donum vitae II A 1) concerne uniquement l’acte de procréer un nouvel être humain. Cette « loi », disent-ils, mise en évidence par l’Instruction, ne concerne pas l’accueil dans son foyer d’un enfant qui existe déjà. Il est bien clair que l’adoption d’un enfant est un acte positif en soi. La question est de savoir si la méthode « invasive » qui consiste à placer des embryons congelés dans le corps de la femme peut être qualifiée d’acte d’adoption. Une comparaison phénoménologique montre que ce n’est pas le cas. La relation au corps chez la femme (mère) et chez l’homme n’est pas la même. Qu’est-ce qu’être père et mère sinon coopérer non seulement en son corps, mais aussi en son cœur, à l’avènement à l’existence d’un être nouveau, l’accueillir et le porter tel qu’il est pour l’enfanter à la vie et à la vraie vie ? Si l’on restreint la paternité ou la maternité à un acte purement ponctuel, on ne rend pas compte de l’ensemble de la tradition catholique sur le bonum prolis et educationis ou la finis procreationis et educationis. La maternité engage le corps, non seulement dans l’instant de l’acte conjugal, mais dans la grossesse, l’enfantement et l’éducation. La paternité y est associée également de par le lien conjugal. C’est l’unité du couple, le « une seule chair » (Gn 2,24), qui accueille ensemble le don de Dieu qu’est tout enfant. L’engagement des parents l’un vis à vis de l’autre consiste à concevoir, porter, mettre au monde. Cet engagement assume l’enfant dans la « durée ». On ne peut parler d’adoption, c’est-à-dire de suppléance parentale, qu’après l’enfantement.

Q : Vous semblez accorder beaucoup d’importance à la femme, à son corps : sa liberté consciente et désireuse de sauver des enfants congelés ne peut-elle s’engager dans un tel acte positif ?

P. Mattheeuws : Comment sauver ces enfants ? A quel prix ? J’entends bien la question. On peut donner sa vie pour autrui et pour Dieu : la mort alors n’est pas un suicide. Elle est un don de soi qui apparaît nécessaire, juste et bon. Des situations héroïques ont toujours existé dans la vie des hommes et dans l’histoire de l’Eglise. Mais ce dont nous discutons, c’est de la portée d’un acte à promouvoir ou non à l’intérieur de la vie d’un couple et plus particulièrement de la vie d’une femme. Nous sommes appelés à prendre soin de notre prochain et à le sauver dans la mesure de nos moyens : mais toujours par un acte de don de soi qui soit bon, digne et juste. Adopter des enfants correspond-il à la volonté bonne de Dieu ? Devons-nous promouvoir cet acte, dire qu’il est moralement « bon » ? Peut-on demander ou proposer à des femmes le « sacrifice » de porter un enfant embryonnaire pour le sauver ?

La femme, davantage si elle est mariée, n’a pas un droit absolu sur son corps. Personne d’entre nous d’ailleurs. Son être est essentiellement personnel, corps, cœur et esprit. Cette unité personnelle ne peut devenir un pur « instrument » de « survie pour l’embryon congelé ». Le corps de la femme, dans son unité personnelle, ne peut être une « solution médicale » à une question délicate. Je ne suis pas favorable à l’ectogenèse, mais je note ce paradoxe : tant qu’un « utérus artificiel » n’existe pas, la rationalité scientifique et la générosité sincère s’accommodent rapidement ou facilement d’une solution qui « instrumentalise », qu’elle le veuille ou pas, la femme. Le berceau anthropologique de tout être humain est l’acte conjugal qui lui permet, dans le phrasé unitif de ses parents, d’advenir à l’existence et d’y faire ses premiers pas. L’acte conjugal est le symbole corporel et prégnant de ce qui soutient tout enfant embryonnaire dans l’être. Le lien de tout enfant embryonnaire avec le corps conjugal de sa mère, de ses parents, appartient à la dignité de son être. On ne peut le « remplacer », s’y substituer. Corporellement, la femme qui accueille en elle un enfant embryonnaire congelé pose un acte qui n’est pas le sien : l’acte d’une autre, d’un couple. Cet acte n’est pas délégable.

Q : Vous semblez condamner l’adoption des embryons : n’est-ce pas incohérent avec le message de l’Eglise concernant le respect de la vie et son caractère sacré ?

P. Mattheeuws : Je ne condamne personne. J’essaie d’évaluer en raison la signification morale d’un tel acte et d’en préciser la valeur, sans juger les personnes. Il ne s’agit pas de condamner les personnes, mais pourquoi faut-il promouvoir une pratique qui ne soit pas juste ? Pourquoi faut-il chercher des mères de suppléance sur les sites internet et entrer dans un militantisme peu opportun ? Aux Etats-Unis, ces programmes sont très développés : l’adoption d’enfants embryonnaires y est promue dans des sites chrétiens. Elle n’a rien d’anonyme ni de gratuit. Quel est le sens de cette promotion ?

Notre vie – toute vie humaine – est dans les mains de Dieu. Le caractère sacré de la vie surgit de la relation immédiate que toute créature a, de fait et en acte, avec son Créateur. Prendre conscience de ce « sacré » là reste un impératif moral en toutes circonstances. Mais aucun homme n’est appelé à se mettre à la place de Dieu et à devenir le sauveur des autres. L’aveu d’une impuissance humaine n’est pas toujours une « faiblesse » ou un « péché » ou un « manque de générosité » : il peut être le signe d’une humilité vraie. Celle qui cherche à trouver la vérité de toute vie et à respecter le plan de Dieu dans l’histoire. Nous ne sauverons jamais tous les enfants qui meurent dans le sein de leur mère, ni tous les enfants embryonnaires congelés. Manifester leur destinée éternelle, c’est montrer le vrai « sacré » de toute vie personnelle.

Q : Ne faudrait-il pas les laisser dans le froid comme « témoins » d’options criminelles et absurdes de nos sociétés ?

P. Mattheeuws : J’ai entendu certaines personnalités réfléchir et prôner cette attitude. Pour ceux et celles qui sont opposés aux méthodes de procréation assistée, l’accumulation de ces embryons congelés est un signe de l’absurdité de ces techniques et de ces options éthiques. Garder les embryons dans le froid, puisque nous sommes dans l’impasse, c’est au moins « faire mémoire et garder en mémoire » ce qui a été un « non-sens ». Gardons-les comme témoins, nous implorant de ne plus poser les actes qui sont à l’origine de tels bouleversements et de tels maux. Cette position a une certaine noblesse. Elle représente, pour certains humanistes ou religieux, un « appel éthique » adressé à tout homme de bonne volonté et à nos sociétés. Elle ne me semble pas respecter jusqu’au bout les embryons congelés ni leur offrir la paix qui leur est due.

Q : Si la porte de l’adoption ne semble ni « bonne » ni à promouvoir, que peut-on proposer actuellement comme autre solution ?

P. Mattheeuws : Il nous reste à faire le bien possible en assumant la condition absurde dans laquelle se trouvent ces embryons congelés. Je conseille de les retirer du « froid » où ils sont emprisonnés, de les rendre aux conditions temporelles qui sont les leurs, de ne pas utiliser de moyens disproportionnés pour les sauver (l’enseignement du Magistère au sujet du refus de l’acharnement thérapeutique acquiert ici une nouvelle actualité), ou des moyens qui ne respectent ni leur dignité ni la dignité des personnes désireuses de les aider. Faire cela, ce n’est pas les tuer : il ne s’agit pas d’une euthanasie, mais du refus de prendre un moyen disproportionné et inadapté pour tenter de les faire survivre. Ils mourront ! Bien sûr, comme croyants, nous pensons qu’ils passeront à la vraie vie. La mort leur permettra de rejoindre leur Créateur et leur Sauveur. Laissons ces enfants rejoindre le cœur de Celui qui est leur Créateur et leur Père ».

NB Le Père pourrait envisager leur baptême par immersion…Comme l’a proposé Mgr Tissier de Mallerais dans son article publié dans le livre « Le respect de la vie » aux Editions Fideliter.