Le voyage
du Pape en Bavière.
A- Audience générale du
20 septembre.
Le pape est revenu sur son voyage
ressent en Bavière, lors de son audience générale
du 20 septembre :
Il en fait la synthèse et
revient tout particulièrement sur son discours à
Ratisbonne.
Chers frères et sœurs,
Je voudrais aujourd'hui revenir
en pensée aux divers moments du voyage pastoral que le
Seigneur m'a permis d'accomplir, la semaine dernière,
en Bavière. En partageant avec vous les émotions
et les sentiments vécus en revoyant les lieux qui me
sont chers, je ressens tout d'abord le besoin de rendre grâce
à Dieu pour avoir rendu possible cette deuxième
visite en Allemagne et pour la première fois en Bavière,
ma terre d'origine. Je suis également sincèrement
reconnaissant à tous ceux — pasteurs, prêtres,
agents de pastorale, autorités publiques, organisateurs,
forces de l'ordre et volontaires — qui ont travaillé
avec dévouement et patience, afin que chaque événement
se déroule le mieux possible.
Comme je l'ai dit à mon arrivée à l'aéroport
de Munich, le samedi 9 septembre, le but de mon voyage était,
dans le souvenir de ceux qui ont contribué à former
ma personnalité, de réaffirmer et confirmer, comme
Successeur de l'Apôtre Pierre, les liens étroits
qui unissent le Siège de Rome à l'Eglise qui est
en Allemagne. Ce voyage n'a donc pas été un simple
« retour » au passé, mais également
une occasion providentielle pour regarder avec espérance
vers l'avenir. « Celui qui croit n'est jamais seul »
: la devise de la visite voulait être une invitation à
réfléchir sur l'appartenance de chaque baptisé
à l'unique Eglise du Christ, au sein de laquelle on n'est
jamais seul, mais en communion constante avec Dieu et avec tous
nos frères.
Première étape : la ville de Munich
La première étape a été la ville
de Munich, appelée « la Métropole avec un
cœur » (Weltstadt mit Herz). Dans son centre historique
se trouve la Marienplatz, la place de Marie, où s'élève
la « Mariensaüle », la Colonne de la Vierge,
qui porte à son sommet une statue de la Vierge Marie,
en bronze doré. J'ai voulu commencer mon séjour
bavarois par l'hommage à la Patronne de la Bavière,
qui revêt pour moi une valeur hautement significative
: là, sur cette place et face à cette image mariale,
il y a environ trente ans j'ai été accueilli comme
Archevêque, et j'ai commencé ma mission épiscopale
par une prière à Marie ; c'est là que je
suis revenu, au terme de mon mandat, avant de partir pour Rome.
Cette fois-ci, j'ai voulu m'arrêter encore au pied de
la Mariensaüle pour implorer l'intercession et la bénédiction
de la Mère de Dieu non seulement pour la ville de Munich
et la Bavière, mais pour toute l'Eglise et pour le monde
entier.
Deuxième étape : sur l’esplanade de Neue
Messe
Le lendemain, dimanche, j'ai célébré l'Eucharistie
sur l'esplanade de la « Neue Messe » (Nouvelle Foire)
de Munich, parmi les fidèles venus nombreux de différents
lieux : m'appuyant sur l'Evangile du jour, j'ai rappelé
à tous qu'il existe un « affaiblissement de la
capacité auditive » à l'égard de
Dieu, dont on souffre particulièrement aujourd'hui. C'est
à nous, chrétiens dans un monde sécularisé,
que revient la tâche de proclamer et de témoigner
à tous le message d'espérance que la foi nous
offre: dans Jésus crucifié, Dieu, Père
miséricordieux, nous appelle à être ses
fils et à surmonter toute forme de haine et de violence
pour contribuer au triomphe définitif de l'amour.
Troisième étape : la rencontre avec les enfants
de la première communion du diocèse, dans la cathédrale
« Rends-nous forts dans la
foi »: tel a été le thème du rendez-vous
de l'après-midi de dimanche, avec les enfants de la première
communion et avec leurs jeunes familles, avec les catéchistes,
les autres agents pastoraux et ceux qui coopèrent à
l'évangélisation dans le diocèse de Munich.
Ensemble, nous avons célébré les Vêpres
dans la cathédrale historique, connue comme « cathédrale
de Notre-Dame », où sont conservées les
reliques de Saint Benno, patron de la ville, et où, en
1977, je fus ordonné Evêque. J'ai rappelé
aux enfants et aux adultes que Dieu n'est pas loin de nous,
dans un lieu de l'univers que l'on ne peut atteindre ; au contraire,
en Jésus, Il s'est approché de nous pour établir
avec chacun une relation d'amitié. Chaque communauté
chrétienne, et en particulier la paroisse, grâce
à l'engagement constant de chacun de ses membres, est
appelée à devenir une grande famille, capable
d'avancer unie sur le sentier de la vie véritable.
Quatrième étape : à Altötting, haut
lieu de pèlerinage marial.
La journée du lundi 11 septembre
a été en grande partie consacrée à
la halte à Altötting, dans le diocèse de
Passau. Cette petite ville est connue comme « Herz Bayerns
» (le cœur de la Bavière), et c'est là
qu'est conservée la « Vierge Noire », vénérée
dans la Gnadenkapelle (Chapelle des Grâces), but de nombreux
pèlerins provenant d'Allemagne et des pays d'Europe centrale.
Dans les environs se trouve le couvent capucin de Sainte-Anne,
où vécut saint Konrad Birndorfer, canonisé
par mon vénéré prédécesseur,
le Pape Pie XI, en 1934. Avec les nombreux fidèles présents
à la messe, célébrée sur la place
devant le sanctuaire, nous avons réfléchi ensemble
sur le rôle de Marie dans l'œuvre du salut, pour
apprendre d'Elle la bonté serviable, l'humilité
et la généreuse acceptation de la volonté
divine. Marie nous conduit à Jésus : cette vérité
a été rendue encore plus visible, au terme du
divin Sacrifice, par la pieuse procession lors de laquelle,
portant avec nous la statue de la Vierge, nous nous sommes rendus
dans la nouvelle chapelle de l'Adoration eucharistique (Anbetungskapelle),
inaugurée pour l'occasion. La journée s'est terminée
par les Vêpres mariales solennelles dans la basilique
Sainte-Anne d'Altötting, en présence des religieux
et des séminaristes de Bavière, ainsi qu'avec
les membres de l'Œuvre pour les Vocations.
Cinquième étape : la conférence à
Ratisbonne.
Le lendemain, mardi, à Ratisbonne,
diocèse érigé par saint Boniface en 739
et dont le Patron est l'Evêque saint Wolfgang, se sont
déroulés trois rendez-vous importants. Le matin,
la messe dans l'Islinger Feld, au cours de laquelle, reprenant
le thème de la visite pastorale « Celui qui croit
n'est jamais seul », nous avons réfléchi
sur le contenu du Symbole de la foi. Dieu, qui est Père,
veut recueillir, à travers Jésus Christ, toute
l'humanité dans une unique famille, l'Eglise. C'est pourquoi
celui qui croit n'est jamais seul ; celui qui croit ne doit
pas avoir peur de finir dans une voie sans issue. Dans l'après-midi,
je me suis ensuite rendu dans la cathédrale de Ratisbonne,
également célèbre pour son chœur de
voix blanches, les « Domspatzen » (passereaux de
la cathédrale), qui s'enorgueillit de mille années
d'activités et qui, pendant trente ans, a été
dirigé par mon frère Georg. C'est là que
s'est tenue la célébration œcuménique
des Vêpres, à laquelle ont pris part de nombreux
représentants des diverses Eglises et communautés
ecclésiales en Bavière et les membres de la Commission
œcuménique de la Conférence épiscopale
allemande. Cela a été une occasion providentielle
pour prier ensemble, afin qu'arrive au plus tôt la pleine
unité entre tous les disciples du Christ et pour réaffirmer
le devoir de proclamer notre foi en Jésus sans atténuation,
mais de manière intégrale et claire, et surtout
pour notre comportement d'amour sincère.
Une expérience particulièrement
belle a été pour moi ce jour-là de tenir
un discours devant un grand auditoire de professeurs et d'étudiants
de l'Université de Ratisbonne, où j'ai enseigné
comme professeur pendant de nombreuses années. J'ai pu
rencontrer encore une fois avec joie le monde universitaire
qui, pendant une longue période de ma vie, a été
ma patrie spirituelle. J'avais choisi pour thème la question
du rapport entre foi et raison. Pour présenter à
l'auditoire le caractère dramatique et actuel du thème,
j'ai cité quelques paroles d'un dialogue chrétien-musulman
du XIVe siècle, avec lesquelles l'interlocuteur chrétien
— l'empereur byzantin Manuel II Paléologue —
d'une manière pour nous étonnamment abrupte —
présenta à son interlocuteur musulman le problème
du rapport entre la religion et la violence. Cette citation
a malheureusement pu se prêter à un malentendu.
Pour un lecteur attentif à mon texte, il apparaît
cependant clairement que je ne voulais en aucune façon
faire miennes les paroles négatives prononcées
par l'empereur médiéval dans ce dialogue et que
leur contenu polémique n'exprime pas ma conviction personnelle.
Mon intention était bien différente : en partant
de ce que Manuel II dit ensuite de manière positive,
avec une très belle phrase, à propos de la raison
qui doit guider dans la transmission de la foi, je voulais expliquer
que ce n'est pas la religion et la violence, mais la religion
et la raison qui vont de pair. Le thème de ma conférence
— répondant à la mission de l'Université
— fut donc la relation entre la foi et la raison : je
voulais inviter au dialogue de la foi chrétienne avec
le monde moderne et au dialogue de toutes les cultures et religions.
J'espère qu'en divers moments de ma visite — par
exemple, lorsque j'ai souligné à Munich combien
il est important de respecter profondément ce qui est
sacré pour les autres — est apparu clairement mon
profond respect pour les grandes religions et, en particulier,
pour les musulmans, qui « adorent le Dieu unique »
et avec lesquels nous sommes engagés à «
protéger et à promouvoir ensemble, pour tous les
hommes, la justice sociale, les valeurs morales, la paix et
la liberté » (Nostra Aetate, 3). Je suis donc certain
que, après les réactions du premier moment, mes
paroles à l'Université de Ratisbonne pourront
constituer une impulsion et un encouragement à un dialogue
positif, même autocritique, aussi bien entre les religions
qu’entre la raison moderne et la foi des chrétiens.
Sixième étape : dans la Alte Kapelle de Ratsibonne
: Bénédiction des orgues.
Le lendemain matin, mercredi 13
septembre, dans la « Alte Kapelle » (Vieille Chapelle)
de Ratisbonne, dans laquelle est conservée une image
miraculeuse de Marie, peinte selon la tradition locale de l'évangéliste
Luc, j'ai présidé une brève liturgie pour
la bénédiction du nouvel orgue. A partir de la
structure de cet instrument musical formé de nombreux
tuyaux de diverses dimensions, cependant tous en harmonie entre
eux, j'ai rappelé aux personnes présentes la nécessité
que les divers ministères, dons et charismes en œuvre
dans la communauté ecclésiale convergent tous,
sous la direction de l'Esprit Saint, pour former l'unique harmonie
de la louange à Dieu et de l'amour pour nos frères.
La dernière étape : a Freising.
La dernière étape,
le jeudi 14 septembre, a été la ville de Freising.
Je me sens particulièrement lié à cette
ville, car je fus ordonné prêtre précisément
dans sa cathédrale consacrée à la Très
Sainte Vierge Marie et à saint Corbinien, l'évangélisateur
de la Bavière. C'est précisément dans la
cathédrale que s'est tenue la dernière rencontre
prévue, celle avec les prêtres et les diacres permanents.
En revivant les émotions de mon ordination sacerdotale,
j'ai rappelé aux personnes présentes le devoir
de collaborer avec le Seigneur en suscitant de nouvelles vocations
au service de la « moisson » qui aujourd'hui aussi,
est très « abondante », et j'ai exhorté
à cultiver la vie intérieure comme priorité
pastorale, pour ne pas perdre le contact avec le Christ, source
de joie dans le labeur quotidien du ministère.
Message final
Lors de la cérémonie
de congé, en remerciant encore une fois ceux qui avaient
collaboré à la réalisation de la visite,
j'en ai à nouveau affirmé la finalité principale
: reproposer à mes concitoyens les vérités
éternelles de l'Evangile et confirmer les croyants dans
l'adhésion au Christ, Fils de Dieu incarné, mort
et ressuscité pour nous. Que Marie, Mère de l'Eglise,
nous aide à ouvrir notre cœur et notre esprit à
Celui qui est « le Chemin, la Vérité et
la Vie » (Jn 14, 16). C'est pour cela que j'ai prié
et c'est pour cela que je vous invite tous, chers frères
et sœurs, à continuer de prier, en vous remerciant
cordialement de l'affection avec laquelle vous m'accompagnez
dans mon ministère pastoral quotidien. Je vous remercie
tous.
B- Homélie du
pape prononcée au cours de la messe à Altötting
Nous publions ci-dessous le texte
intégral de l’homélie que le pape Benoît
XVI a prononcée au cours de la messe qu’il a présidée
le 11 septembre dernier sur la place du Sanctuaire d’Altötting.
* * *
Chers confrères dans le ministère épiscopal
et sacerdotal !
Chers frères et sœurs !
Dans la première lecture,
dans le Psaume responsorial et dans le passage de l'Evangile
de ce jour nous rencontrons trois fois, de manière toujours
différente, Marie, la Mère du Seigneur, comme
une personne qui prie. Dans le Livre des Actes, nous la rencontrons
au milieu de la communauté des Apôtres, qui se
sont réunis au Cénacle et qui invoquent le Seigneur
qui est monté au Père, afin qu'il accomplisse
sa promesse : « Mais vous, c'est dans l'Esprit Saint que
vous serez baptisés sous peu de jours » (Ac 1,
5). Marie guide l'Eglise naissante dans la prière ; elle
est presque l'Eglise priante en personne. Et ainsi, avec la
grande communauté des saints et comme leur coeur, elle
se trouve encore aujourd'hui devant Dieu et intercède
pour nous, demandant à son fils d'envoyer à nouveau
son Esprit dans l'Eglise et dans le monde et de renouveler la
face de la terre.
Nous avons répondu à
cette lecture en chantant avec Marie la grande louange qu'elle
avait entonnée, quand Elisabeth l'appela bienheureuse
en raison de sa foi. C'est une prière d'action de grâce,
de joie en Dieu, de bénédiction pour ses grandes
œuvres. La teneur de ce chant apparaît immédiatement
dans la première parole : « Mon âme magnifie
— c'est-à-dire rend grand — le Seigneur ».
Rendre Dieu grand signifie lui faire de la place dans le monde,
dans sa propre vie, le laisser entrer dans notre temps et dans
notre action : telle est l'essence la plus profonde de la véritable
prière. Là où Dieu devient grand, l'homme
ne devient pas petit : là, l'homme aussi devient grand
et le monde lumineux.
Enfin, dans le passage de l’Evangile
Marie adresse à son Fils une demande en faveur de ses
amis qui se trouvent en difficulté. A première
vue, cela peut sembler une conversation tout à fait humaine
entre une Mère et son Fils ; et, en effet, c'est également
un dialogue rempli d’une profonde humanité. Toutefois,
Marie ne s'adresse pas simplement à Jésus comme
à un homme, en comptant sur son initiative et sa disponibilité
à porter secours. Elle confie une nécessité
humaine à son pouvoir — à un pouvoir qui
va au-delà de l'habileté et de la capacité
humaine. Et ainsi, dans le dialogue avec Jésus, nous
la voyons réellement comme une Mère qui demande,
qui intercède. Cela vaut la peine d'approfondir un peu
plus la compréhension de ce passage de l’Evangile
: pour mieux comprendre Jésus et Marie, mais précisément
aussi pour apprendre de Marie à prier de manière
juste. Marie n'adresse pas une véritable demande à
Jésus. Elle dit simplement : « Ils n'ont pas de
vin » (Jn 2, 3). En Terre Sainte, les noces étaient
fêtées pendant une semaine entière ; tout
le village y participait, et l'on consommait donc de grandes
quantités de vin. Or, les époux se trouvent en
difficulté, et Marie le dit simplement à Jésus.
Elle ne demande pas une chose précise, et encore moins
que Jésus exerce son pouvoir, accomplisse un miracle,
produise du vin. Elle confie simplement le fait à Jésus
et Lui laisse la décision sur la façon de réagir.
Nous constatons ainsi deux choses dans les simples paroles de
la Mère de Jésus : d'une part, sa sollicitude
affectueuse pour les hommes, l'attention maternelle avec laquelle
elle ressent la situation difficile d'autrui ; nous voyons sa
bonté cordiale et sa disponibilité à aider.
Telle est la Mère vers laquelle les fidèles se
mettent en pèlerinage depuis des générations,
ici à Altötting. C'est à Elle que nous confions
nos préoccupations, les nécessités et les
situations douloureuses. Cette bonté prête à
aider de la Mère, à laquelle nous nous confions,
c'est ici, dans l'Ecriture Sainte, que nous la voyons pour la
première fois. Mais à ce premier aspect très
familier à tous s'en ajoute un autre, qui nous échappe
facilement : Marie remet tout au jugement du Seigneur. A Nazareth,
elle a remis sa volonté, la plongeant dans celle de Dieu
: « Je suis la servante du Seigneur ; qu'il m'advienne
selon ta parole ! » (Lc 1, 38). Telle est son attitude
permanente de fond. Ainsi, elle nous enseigne à prier
: ne pas vouloir affirmer face à Dieu notre volonté
et nos désirs, puissent-ils nous paraître importants,
raisonnables ; mais les apporter devant Lui et le laisser décider
ce qu'il veut faire. De Marie nous apprenons la bonté
prête à aider, mais également l'humilité
et la générosité d'accepter la volonté
de Dieu, en ayant confiance en Lui, certains que sa réponse,
quelle qu'elle soit, sera notre bien, mon bien véritable.
Je crois que nous pouvons très
bien comprendre l'attitude et les paroles de Marie ; il nous
est cependant d'autant plus difficile de comprendre la réponse
de Jésus. Déjà, l'appellation ne nous plaît
pas : « Femme » — pourquoi ne dit-il pas :
mère ? En réalité, ce titre exprime la
position de Marie dans l'histoire du salut. Il renvoie à
l'avenir, à l'heure de la crucifixion, où Jésus
lui dira : « Femme, voici ton fils — Fils, voici
ta mère » (cf. Jn 19, 26-27). Il indique donc à
l'avance l'heure où Il rendra la femme, sa mère,
mère de tous ses disciples. D'autre part, ce titre évoque
le récit de la création d'Eve : Adam, au milieu
de la création et de toute sa richesse, se sent seul
comme être humain. Eve est alors créée,
et en elle il trouve la compagne qu'il attendait et qu'il appelle
du nom de « femme ». Ainsi, dans l'Evangile de Jean,
Marie représente la femme nouvelle, définitive,
la compagne du Rédempteur, notre Mère : l'appellation
apparemment peu affectueuse exprime en revanche la grandeur
de sa mission éternelle.
Mais ce que Jésus dit ensuite
à Marie, à Cana, nous plaît encore moins
: « Que me veux-tu, femme ? Mon heure n'est pas encore
arrivée » (Jn 2, 4). Nous serions tentés
de dire : Tu as beaucoup à voir avec elle ! C'est elle
qui t'a fait chair et sang, qui t’a donné ton corps.
Et pas seulement ton corps : avec son « oui », provenant
du plus profond de son cœur, elle t'a porté dans
son sein et avec amour maternel elle t'a donné le jour
et introduit dans la communauté du peuple d'Israël.
Mais si nous parlons ainsi avec Jésus, nous sommes déjà
sur la bonne voie pour comprendre sa réponse. Car tout
cela doit rappeler à notre esprit que lors de l'incarnation
de Jésus, il existe deux dialogues qui vont de pair et
se fondent l'un avec l'autre, et deviennent une seule chose.
Il y a tout d'abord le dialogue que Marie entretient avec l'Archange
Gabriel, et dans lequel elle dit : « Qu'il m'advienne
selon ta parole ! » (Lc 1, 38). Mais il existe un texte
parallèle à celui-ci, un dialogue, pour ainsi
dire, à l'intérieur de Dieu, qui nous est rapporté
par la Lettre aux Hébreux, quand il est dit que les paroles
du Psaume 40 sont devenues comme un dialogue entre le Père
et le Fils — un dialogue dans lequel commence l'incarnation.
Le Fils éternel dit au Père : « Tu n'as
voulu ni sacrifice ni oblation ; mais tu m'as façonné
un corps... Voici je viens... pour faire [...] ta volonté
» (He 10, 5-7 ; cf. Ps 40, 6-8). Le « oui »
du Fils : « Je viens pour faire ta volonté »,
et le « oui » de Marie : « Qu'il m'advienne
selon ta parole » — ce double « oui »
devient un unique « oui », et ainsi le Verbe devient
chair en Marie. Dans ce double « oui », l'obéissance
du Fils prend corps ; Marie, avec son « oui » lui
donne un corps. « Que me veux-tu, femme ? ». Ce
qu'au plus profond ils ont à voir l'un avec l'autre,
est ce double « oui », dans la concomitance duquel
a eu lieu l'incarnation. C'est ce point de leur très
profonde unité que le Seigneur vise avec sa réponse.
C'est précisément là que renvoie la Mère.
Là, dans ce « oui » commun à la volonté
du Père, se trouve la solution. Nous devons nous aussi
apprendre toujours à nouveau à nous acheminer
vers ce point ; là apparaît la réponse à
nos interrogations.
A partir de là, nous comprenons
à présent également la deuxième
phrase de la réponse de Jésus : « Mon heure
n'est pas encore venue ». Jésus n'agit jamais seulement
de lui-même ; jamais pour plaire aux autres. Il agit toujours
en partant du Père, et c'est précisément
cela qui l'unit à Marie, car là, dans cette unité
de volonté avec le Père, elle a voulu elle aussi
déposer sa demande. C'est pourquoi, après la réponse
de Jésus, qui semble repousser la demande, elle peut
dire de manière surprenante aux serviteurs avec simplicité
: « Tout ce qu'il vous dira, faites-le » (Jn 2,
5). Jésus n'accomplit pas un prodige, il ne joue pas
de son pouvoir dans un événement qui est au fond
entièrement privé. Non, Il accomplit un signe,
avec lequel il annonce son heure, l'heure des noces, l'heure
de l'union entre Dieu et l'homme. Il ne « produit »
pas simplement du vin, mais il transforme les noces humaines
en une image des noces divines, auxquelles le Père invite
à travers le Fils et dans lesquelles Il donne la plénitude
du bien, représentée dans l'abondance du vin.
Les noces deviennent l'image de ce moment, où Jésus
pousse l'amour jusqu'à l'extrême, laisse déchirer
son corps et se donne ainsi à nous pour toujours, devient
une seule chose avec nous — noces entre Dieu et l'homme.
L'heure de la Croix, l'heure à laquelle naît le
Sacrement dans lequel il se donne réellement à
nous avec sa chair et son sang, où il place son Corps
entre nos mains et dans notre cœur, telle est l'heure des
noces. Ainsi, de manière véritablement divine,
est également résolue la nécessité
du moment et la demande initiale largement dépassée.
L'heure de Jésus n'est pas encore arrivée, mais
dans le signe de la transformation de l'eau en vin, dans le
signe du don de fête, il anticipe déjà son
heure à ce moment.
Son « heure » est la
Croix ; son heure définitive sera son retour à
la fin des temps. Il anticipe également sans cesse précisément
cette heure définitive dans l'Eucharistie, dans laquelle
il vient toujours déjà maintenant. Et il le fait
toujours à nouveau par l'intercession de sa Mère,
par l'intercession de l'Eglise, qui l'invoque dans les prières
eucharistiques : « Viens, Seigneur Jésus ! ».
Dans le Canon, l'Eglise implore toujours à nouveau cette
anticipation de l'« heure », elle demande qu'il
vienne déjà à présent et qu'il se
donne à nous. Ainsi, nous voulons nous laisser guider
par Marie, par la Mère des grâces d'Altötting,
par la Mère de tous les fidèles, vers l'«
heure » de Jésus. Nous Lui demandons le don de
le reconnaître et de le comprendre toujours davantage.
Et faisons en sorte que le moment où l'on reçoit
ne soit pas seulement limité à celui de la Communion.
Il reste présent dans l'Hostie sainte et nous attend
sans cesse. L'adoration du Seigneur dans l'Eucharistie a trouvé
à Altötting, dans l'antique salle du trésor,
un lieu nouveau. Marie et Jésus vont de pair. A travers
Elle nous voulons continuer à dialoguer avec le Seigneur,
en apprenant ainsi à mieux le recevoir. Sainte Mère
de Dieu, prie pour nous, comme à Cana tu as prié
pour les époux ! Guide-nous vers Jésus —
toujours à nouveau ! Amen !
C- Homélie
du pape lors des Vêpres dans la cathédrale de Munich
Nous publions ci-dessous le texte
intégral de l’homélie que le pape Benoît
XVI a prononcée au cours des Vêpres qu’il
a présidées dans la cathédrale de Munich
le 10 septembre dernier.
* * *
Chers enfants de la Première Communion !
Chers parents et éducateurs !
Chers frères et sœurs !
La lecture que nous venons d'entendre
est un passage du dernier livre des écrits du Nouveau
Testament, que l'on appelle l'Apocalypse. Il est permis au voyant
de jeter un regard vers le haut, dans le ciel, et en avant,
vers l'avenir. Mais, précisément ainsi, il parle
également de la terre et du présent, de notre
vie. En effet, au cours de notre vie nous sommes tous en chemin,
progressant vers l'avenir. Et nous voulons trouver la bonne
voie : découvrir la vie véritable, non pas finir
dans une voie sans issue ou dans le désert. Nous ne voulons
pas avoir à dire, à la fin : j'ai pris la mauvaise
route, ma vie est un échec, elle s'est mal passée.
Nous voulons nous réjouir de la vie ; nous voulons, comme
l'a dit une fois Jésus, « avoir la vie en abondance
».
Mais écoutons à présent
le voyant de l'Apocalypse. Que nous a-t-il dit dans ce passage
qui vient de nous être lu ? Il nous parle d'un monde réconcilié.
D'un monde dans lequel les hommes « de toutes nations,
races, peuples et langues » (7, 9), sont réunis
dans la joie. Alors, nous nous demandons : « Comment cela
peut-il se produire ? Quelle est la route qui y conduit ? ».
Et bien, la première chose, la plus importante, est :
ces personnes vivent avec Dieu ; Il a dressé «
sur eux sa tente » (7, 15), dit notre Lecture. Et nous
nous demandons encore : « Quelle est cette “tente
de Dieu” ? Où se trouve-t-elle ? Comment pouvons-nous
y arriver ? » Le voyant fait peut-être allusion
au premier chapitre de l'Evangile de Jean, où l'on lit
: « Et le Verbe s'est fait chair et il a habité
parmi nous » (1, 14). Dieu n'est pas loin de nous, dans
un lieu très éloigné de l'univers, où
personne ne peut arriver. Il a placé sa tente parmi nous
: en Jésus il est devenu l'un de nous, de chair et de
sang, comme nous. Telle est sa tente. Et lors de l'Ascension,
il n'est pas allé dans un lieu éloigné
de nous. Sa tente, Lui-même avec son Corps, reste parmi
nous comme l'un de nous. Nous pouvons le tutoyer et parler avec
Lui. Il nous écoute et, si nous sommes attentifs, nous
l’entendons également nous répondre.
Je répète : en Jésus
c'est Dieu qui « place sa tente » parmi nous. Mais
je répète également : Où cela se
passe-t-il précisément ? Notre Lecture apporte
deux réponses à cette question. Elle dit à
propos des hommes réconciliés qu'« ils ont
lavé leurs robes et les ont blanchies dans le sang de
l'Agneau » (7, 14). Cela retentit de façon très
étrange pour nous. Dans le langage codé du voyant,
il s’agit d’une allusion au Baptême. La parole
à propos du « sang de l'Agneau » fait allusion
à l'amour de Jésus qu'Il a conservé jusqu'à
sa mort sanglante. Cet amour divin et en même temps humain
est le bain dans lequel Il nous plonge par le Baptême
— le bain dans lequel il nous lave, nous rendant propres
au point d'être dignes de Dieu, de pouvoir vivre en sa
compagnie. Cependant, l'acte du Baptême n'est qu'un début.
En marchant avec Jésus, dans la foi et dans la vie avec
Lui, son amour nous touche pour nous purifier et nous rendre
lumineux. Nous avons entendu que, dans le bain de l'amour, les
vêtements sont devenus blancs. Dans l'esprit du monde
antique, le blanc était la couleur de la lumière.
Les vêtements blancs signifient que, dans la foi, nous
devenons lumière, nous effaçons les ténèbres,
le mensonge, la fausseté, le mal en général,
nous devenons des personnes claires, dignes de Dieu. L'habit
baptismal, ainsi que celui de la Première communion que
vous portez, veulent nous le rappeler et nous dire : grâce
à la coexistence avec Jésus et avec la communauté
des croyants, avec l'Eglise, deviens toi aussi une personne
lumineuse, une personne de vérité et de bonté
— une personne dans laquelle transparaît la splendeur
du bien, de la bonté de Dieu lui-même.
La deuxième réponse
à la question « où trouvons-nous Jésus
? », nous est à nouveau donnée par le voyant
dans son langage codé. Il dit que l'Agneau guide la multitude
de personnes de chaque culture et nation aux sources d'eau vive.
Sans eau, il n'y a pas de vie. Les personnes dont la patrie
côtoyait le désert le savaient bien. Ainsi, l'eau
de la source est devenue pour elles le symbole de la vie par
excellence. L'Agneau, c'est-à-dire Jésus, guide
les hommes aux sources de la vie. L'Ecriture Sainte, à
travers laquelle Dieu nous parle et nous dit comment vivre de
manière juste, fait partie de ces sources. Mais ces sources
possèdent davantage encore : en vérité,
la source authentique est Jésus lui-même, en qui
Dieu se donne à nous. Et il accomplit cela en particulier
dans la sainte Communion, dans laquelle nous pouvons, pour ainsi
dire, boire directement à la source de la vie : Il vient
à nous et s'unit à chacun de nous. Nous pouvons
le constater : à travers l'Eucharistie, le Sacrement
de la Communion, se forme une communauté qui dépasse
toutes les frontières et embrasse toutes les langues
— nous le voyons ici : des évêques de toutes
les langues et de toutes les parties du monde sont présents
— à travers la communion se forme l'Eglise universelle,
dans laquelle Dieu parle et vit avec nous. C'est de cette façon
que nous devons recevoir la Communion : comme une rencontre
avec Jésus, avec Dieu lui-même, qui nous guide
aux sources de la vie véritable.
Chers parents ! Je voudrais vous
inviter vivement à aider vos enfants à croire,
vous inviter à les accompagner dans leur chemin vers
la Première Communion, un chemin qui se poursuit ensuite,
à les accompagner sur leur chemin vers Jésus et
avec Jésus. Je vous en prie, allez avec vos enfants à
l'église pour participer à la célébration
eucharistique du dimanche ! Vous verrez que cela n'est pas du
temps perdu ; c'est en revanche ce qui garde la famille véritablement
unie, en lui donnant son centre. Le dimanche devient plus beau,
toute la semaine devient plus belle, si vous participez ensemble
à la liturgie dominicale. Et, s'il vous plaît,
priez aussi ensemble à la maison : à table et
avant d'aller vous coucher. La prière nous conduit non
seulement vers Dieu, mais également l'un vers l'autre.
C'est une force de paix et de joie. La vie en famille devient
plus joyeuse et acquiert un plus grand souffle si Dieu y est
présent et que l'on ressent sa proximité dans
la prière.
Chers professeurs de religion et
chers éducateurs ! Je vous prie de tout cœur de
garder vivante à l'école la recherche de Dieu,
de ce Dieu qui en Jésus Christ s'est rendu visible à
nous. Je sais que dans notre monde pluraliste il est difficile
d'établir un discours sur la foi à l'école.
Mais il n'est absolument pas suffisant que les enfants et les
jeunes n'acquièrent à l'école que des connaissances
et des capacités techniques, et non les critères
qui donnent aux connaissances et aux capacités une orientation
et un sens. Stimulez les élèves pour qu'ils posent
des questions non seulement sur telle ou telle chose —
ce qui est également positif — , mais qu'ils interrogent
en particulier pour savoir « d'où » et «
vers où » va notre vie. Aidez-les à se rendre
compte que toutes les réponses qui ne parviennent pas
jusqu'à Dieu sont trop courtes.
Chers pasteurs d'âmes et
vous tous qui exercez des activités d'assistance dans
les paroisses, je vous demande de faire tout votre possible
pour rendre la paroisse une patrie intérieure pour les
hommes — une grande famille, dans laquelle nous vivons
en même temps l'expérience de la famille encore
plus grande qu'est l'Eglise universelle, en apprenant à
travers la liturgie, la catéchèse et toutes les
manifestations de la vie paroissiale à marcher ensemble
sur le chemin de la vie véritable.
Les trois lieux de la formation
— famille, école et paroisse — vont de pair
et nous aident à trouver la route vers les sources de
la vie ; en vérité, chers enfants, chers parents,
chers éducateurs, nous tous désirons « la
vie en abondance ».
D- Homélie du pape prononcée
au cours de la messe à Munich
Nous publions ci-dessous le texte
intégral de l’homélie que le pape Benoît
XVI a prononcée au cours de la messe qu’il a présidée
le 10 septembre dernier sur l’esplanade de la Nouvelle
Foire de Munich.
* * *
Chers frères et soeurs !
Avant tout, je voudrais, une fois
de plus, vous saluer tous avec affection : je suis heureux,
et je l'ai déjà dit, de pouvoir me trouver à
nouveau parmi vous et de célébrer la Messe avec
vous. Je suis heureux de pouvoir visiter une fois de plus les
lieux qui me sont familiers, qui ont eu une influence déterminante
sur ma vie, formant ma pensée et mes sentiments : les
lieux dans lesquels j'ai appris à croire et à
vivre. C'est l'occasion pour moi de remercier tous ceux —
vivants et morts — qui m'ont guidé et m'ont accompagné.
Je rends grâce à Dieu pour cette belle patrie et
pour les personnes qui l'ont faite devenir ma patrie.
Nous venons d'écouter les
trois lectures bibliques que la liturgie de l'Eglise a choisies
pour ce dimanche. Toutes trois développent un double
thème, qui, au fond, demeure un thème unique,
qui en accentue — selon les circonstances — tel
ou tel aspect. Les trois lectures parlent de Dieu comme centre
de la réalité et comme centre de notre vie personnelle.
« Voici votre Dieu ! » crie le prophète Isaïe
dans la première lecture (35, 4). La Lettre de Jacques
et le passage de l’Evangile disent à leur façon
la même chose. Ils veulent nous guider vers Dieu, nous
conduisant ainsi sur le droit chemin de la vie. Mais le thème
de « Dieu » est lié au thème social
: notre responsabilité réciproque, notre responsabilité
pour la suprématie de la justice et de l'amour dans le
monde. Cela est exprimé de façon dramatique dans
la seconde lecture, dans laquelle Jacques, un proche parent
de Jésus, nous parle. Il s'adresse à une communauté
dans laquelle commence à apparaître l'orgueil,
car dans celle-ci se trouvent également des personnes
aisées et distinguées, tandis que l'attention
au droit des pauvres court le risque de disparaisse. Dans ses
paroles, Jacques laisse entrevoir l'image de Jésus, de
ce Dieu qui se fit homme et, tout en étant d'origine
davidique, c'est-à-dire royale, devint un homme simple
parmi les hommes simples ; il ne s'assit pas sur un trône
et à la fin, mourut dans la pauvreté extrême
de la Croix. L'amour du prochain, qui est en premier lieu sollicitude
pour la justice, est la pierre angulaire de la foi et de l'amour
de Dieu. Jacques l'appelle « la loi royale » (cf.
2, 8) laissant entrevoir la parole préférée
de Jésus : la royauté de Dieu, la domination de
Dieu. Cela n'indique pas un royaume quelconque qui arrivera
un jour ou l'autre, mais cela signifie que Dieu doit devenir
à présent la force déterminante de notre
vie et de nos actions. C'est ce que nous demandons lorsque nous
prions : « Que ton Règne vienne ». Nous ne
demandons pas quelque chose d'éloigné, dont nous-mêmes
ne voulons pas même au fond faire l'expérience.
Nous prions au contraire pour que la volonté de Dieu
détermine à présent notre volonté
et qu'ainsi, Dieu règne dans le monde ; nous prions donc
afin que la justice et l'amour deviennent des forces décisives
dans l'ordre du monde. Une telle prière s'adresse naturellement
en premier lieu à Dieu, mais ébranle également
notre cœur lui-même. Au fond, le voulons-nous vraiment
? Sommes-nous en train d'orienter notre vie dans cette direction
? Jacques appelle la « loi royale » la loi de la
royauté de Dieu, également « loi de la liberté
» : si tous pensent et vivent selon Dieu, alors, nous
devenons tous égaux, nous devenons libres et ainsi naît
la véritable fraternité. Isaïe, dans la première
lecture, en parlant de Dieu — « Voici votre Dieu
! » — parle dans le même temps du salut pour
les personnes qui souffrent, et Jacques, en parlant de l'ordre
social comme expression incontournable de notre foi, parle logiquement
également de Dieu, dont nous sommes les fils.
Mais nous devons à présent
tourner notre attention vers l'Evangile qui rapporte la guérison
d'un sourd-muet par Jésus. Là aussi, nous rencontrons
à nouveau les deux aspects du thème unique. Jésus
se consacre aux personnes souffrantes, à celles qui sont
exclues de la société. Il les guérit, et,
leur ouvrant ainsi la possibilité de vivre et de décider
ensemble, les introduit dans l'égalité et la fraternité.
Cela nous concerne évidemment tous : Jésus nous
indique à tous la direction de nos actions, la façon
dont nous devons agir. Tout cela, cependant, revêt également
une autre dimension, que les Pères de l'Eglise ont mise
en lumière de façon particulière, et qui
nous concerne également aujourd'hui de façon spéciale.
Les Pères parlent des hommes et pour les hommes de leur
temps. Mais ce qu'ils disent nous concerne d'une façon
nouvelle également nous, hommes modernes. Il n'existe
pas que la surdité physique, qui isole l'homme en grande
partie de la vie sociale. Il existe également un affaiblissement
de la capacité auditive à l'égard de Dieu,
dont nous souffrons en particulier à notre époque.
Tout simplement, nous n'arrivons plus à l'entendre —
trop de fréquences différentes parasitent nos
oreilles. Ce que l'on dit de Lui nous semble pré-scientifique,
plus adapté à notre temps. Avec le manque de capacité
auditive ou même la surdité à l'égard
de Dieu, nous perdons naturellement également notre capacité
de parler avec Lui ou à Lui. De cette façon, toutefois,
nous perdons une perception décisive. Nos sens intérieurs
courent le risque de s'éteindre. Avec la disparition
de cette perception, l'étendue de notre rapport avec
la réalité en général est également
limitée de façon drastique et dangereuse. L'horizon
de notre vie se réduit de façon préoccupante.
L'Evangile nous raconte que Jésus
posa les doigts dans les oreilles du sourd-muet, il mit un peu
de sa salive sur la langue du malade, et dit : « Effatà
» — « Ouvre-toi ! ». L'évangéliste
a conservé pour nous la parole araméenne originale
que Jésus prononça alors, nous ramenant ainsi
directement dans cette époque. Ce qui y est raconté
est une chose unique, et toutefois, n'appartient pas à
un passé lointain : Jésus réalise la même
chose de façon nouvelle et répétée
aujourd'hui aussi. Dans notre Baptême, Il a réalisé
sur nous ce geste du toucher et a dit : « Effatà
» — « Ouvre-toi ! » pour nous rendre
ainsi capables d'entendre Dieu et pour nous redonner ainsi la
possibilité de Lui parler. Mais cet événement,
le Sacrement du Baptême, ne possède rien de magique.
Le Baptême ouvre un chemin. Il nous introduit dans la
communauté de ceux qui sont capables d'écouter
et de parler ; il nous introduit dans la communion avec Jésus
lui-même qui, lui seul, a vu Dieu et a donc pu parler
de Lui (cf. Jn, 1, 18) : à travers la foi, Jésus
veut partager avec nous sa vision de Dieu, son écoute
du Père et son dialogue avec Lui. Le chemin du baptisé
doit devenir un processus de développement progressif,
dans lequel nous mûrissons dans la vie de communion avec
Dieu, parvenant ainsi également à avoir un regard
différent sur l'homme et sur la création.
L'Evangile nous invite à
nous rendre compte qu'il existe en nous un déficit en
ce qui concerne notre capacité de perception —
une carence qu'au début nous ne ressentons pas comme
telle, car tout le reste s'impose précisément
par son urgence et sa nécessité ; car apparemment,
tout procède normalement, même si nous n'avons
plus d'oreilles et d'yeux pour Dieu et que nous vivons sans
Lui. Mais est-il vrai que tout est simple, lorsque Dieu est
absent de notre vie et de notre monde ? Avant de poser d'autres
questions, je voudrais vous faire part de quelques-unes de mes
expériences au cours de mes rencontres avec les évêques
du monde entier. L'Eglise catholique d'Allemagne fait preuve
de générosité dans ses activités
sociales, et sa disponibilité à aider partout
où cela apparaît nécessaire. Au cours de
leur visite ad limina, les évêques, et ces derniers
temps ceux d'Afrique, me parlent toujours à nouveau avec
gratitude de la générosité des catholiques
allemands, et me chargent de me faire l'interprète de
leur gratitude — c'est ce que je voudrais faire à
présent publiquement. Même les évêques
des pays baltes, venus avant les vacances, m'ont parlé
de la façon grandiose dont les catholiques allemands
les ont aidés dans la reconstruction de leurs églises
gravement détériorées à cause des
décennies de domination communiste. Parfois, cependant,
certains évêques africains me disent : «
Si je présente en Allemagne des projets sociaux, je trouve
immédiatement les portes ouvertes. Mais si je viens avec
un projet d'évangélisation, je me heurte plutôt
à des réserves ». Il existe à l'évidence
chez certains l'idée que les projets sociaux doivent
être promus avec la plus grande urgence, tandis que les
affaires qui concernent Dieu ou même la foi catholique
sont des choses plutôt particulières et moins prioritaires.
Toutefois, l'expérience de ces évêques est
précisément que l'évangélisation
doit avoir la priorité, que le Dieu de Jésus Christ
doit être connu, cru et aimé, qu’il doit
convertir les cœurs, afin que les affaires sociales puissent
progresser pour que commence la réconciliation, afin
que — par exemple — le SIDA puisse être combattu
en affrontant véritablement ses causes profondes et en
soignant les malades avec toute l'attention et l'amour nécessaires.
Le fait social et l'Evangile sont tout simplement indissociables.
Là où nous n'apportons aux hommes que des connaissances,
le savoir-faire des capacités techniques et des instruments,
nous apportons trop peu. Alors apparaissent très tôt
les mécanismes de la violence, et la capacité
de détruire et de tuer devient prédominante, elle
devient une capacité d'atteindre le pouvoir — un
pouvoir qui, un jour ou l'autre, devrait apporter le droit,
mais qui n'en sera jamais capable. De cette façon, nous
nous éloignons toujours plus de la réconciliation,
de l'engament commun pour la justice et l'amour. Les critères,
selon lesquels la technique entre au service du droit et de
l'amour disparaissent alors ; mais c'est précisément
de ces critères que tout dépend : des critères
qui ne sont pas seulement des théories, mais qui illuminent
le cœur, conduisant ainsi la raison et l'action sur le
droit chemin.
Les populations d'Afrique et d'Asie
admirent certes les prestations technologiques de l'Occident,
ainsi que notre science, mais elles sont effrayées face
à un type de raisonnement qui exclut totalement Dieu
de la vision de l'homme, en considérant qu'il s'agit
de la forme la plus sublime de la raison, qu'il faut enseigner
également à leur culture. La véritable
menace pour leur identité n'est pas selon eux la foi
chrétienne, mais le mépris de Dieu et le cynisme
qui considère la dérision du sacré comme
un droit de la liberté et élève l'utilité
au rang de critère suprême pour les futures victoires
de la recherche. Chers amis, ce cynisme n'est pas le type de
tolérance et d'ouverture culturelle que les peuples attendent
et que nous désirons tous ! La tolérance dont
nous avons un besoin urgent comprend la crainte de Dieu —
le respect de ce qui est sacré pour l'autre. Mais ce
respect pour ce que les autres considèrent comme sacré
présuppose que nous aussi apprenions à nouveau
la crainte de Dieu. Ce sens du respect ne peut être régénéré
dans le monde occidental que si la foi en Dieu grandit à
nouveau, si Dieu est à nouveau présent pour nous
et en nous.
Nous n'imposons notre foi à
personne. Ce genre de prosélytisme est contraire au christianisme.
La foi ne peut se développer que dans la liberté.
Mais c'est la liberté des hommes, que nous appelons à
s'ouvrir à Dieu, à le chercher, à lui prêter
attention. Nous tous ici réunis demandons au Seigneur
de tout notre cœur de prononcer à nouveau son «
Effatà ! », de guérir notre manque d'écoute
à l'égard de Dieu, de son action et de sa parole,
et de nous rendre capables de voir et d'écouter. Nous
lui demandons de nous aider à retrouver la parole de
la prière, à laquelle nous invite la Liturgie
et dont il nous a enseigné la formule essentielle dans
le Notre Père.
Le monde a besoin de Dieu. Nous
avons besoin de Dieu. De quel Dieu avons-nous besoin ? Dans
la première lecture, le prophète s'adresse à
un peuple opprimé en disant : « La vengeance de
Dieu viendra » (Ev. 35, 4). Nous pouvons facilement deviner
comment les personnes s'imaginaient cette vengeance. Mais le
prophète lui-même révèle ensuite
ce en quoi elle consiste : dans la bonté de Dieu qui
guérit. Et nous trouvons l'explication définitive
de la parole du prophète dans Celui qui est mort pour
nous sur la Croix : en Jésus, le Fils de Dieu incarné
qui nous regarde avec tant d'insistance. Sa « vengeance
» est la Croix : le « Non » à la violence,
« l'amour jusqu'au bout ». Tel est le Dieu dont
nous avons besoin. Nous ne manquons pas de respect à
l'égard des autres religions et cultures, nous n'offensons
pas le profond respect pour leur foi, si nous confessons à
haute voix et sans demi-mesures le Dieu qui a opposé
sa souffrance à la violence, qui, face au mal et à
son pouvoir, élève sa miséricorde comme
limite et dépassement. C'est à Lui que nous adressons
notre supplique, afin qu'Il soit parmi nous et qu'il nous aide
à être ses témoins crédibles. Amen
!