L’enseignement
de saint Paul.
Benoît XVI , dans les deux
dernières audiences générales, a poursuivi
sa le thème du Christ : Saint Paul et le Christ et celle
du mercredi 15 novembre sur le thème du saint Esprit.
: Saint Paul et le Saint Esprit.
Nous donnons en cette paroisse les deux homélies.
A- Saint Paul et le Christ.
Chers frères et sœurs,
Dans la catéchèse
précédente, il y a quinze jours, je me suis efforcé
de tracer les lignes essentielles de la biographie de l'Apôtre
Paul. Nous avons vu de quelle manière la rencontre avec
le Christ sur le chemin de Damas a littéralement révolutionné
sa vie. Le Christ devint sa raison d'être et la motivation
profonde de tout son travail apostolique. Dans ses lettres,
après le nom de Dieu, qui apparaît plus de cinq
cents fois, le nom qui est mentionné le plus souvent
est celui du Christ (trois cent quatre-vingt fois). Il est donc
important que nous nous rendions compte à quel point
Jésus Christ peut influencer la vie d'un homme et donc
également notre vie elle-même. En réalité,
Jésus Christ est le sommet de l'histoire salvifique et
donc la véritable marque de distinction dans le dialogue
avec les autres religions.
En considérant Paul, nous
pourrions formuler ainsi l'interrogation de fond : comment se
produit la rencontre d'un être humain avec le Christ ?
Et en quoi consiste la relation qui en découle ? La réponse
donnée par Paul peut être divisée en deux
temps. En premier lieu, Paul nous aide à comprendre la
valeur absolument fondatrice et irremplaçable de la foi.
Voilà ce qu'il écrit dans la Lettre aux Romains
: « En effet, nous estimons que l'homme devient juste
par la foi, indépendamment des actes prescrits par la
loi de Moïse » (3, 28). Et il écrit ainsi
dans la Lettre aux Galates : « Cependant nous le savons
bien, ce n'est pas en observant la Loi que l'homme devient juste
devant Dieu, mais seulement par la foi en Jésus Christ
; c'est pourquoi nous avons cru en Jésus Christ pour
devenir des justes par la foi au Christ, mais non par la pratique
de la loi de Moïse, car personne ne devient juste en pratiquant
la Loi » (2, 16). « Etre justifiés »
signifie être rendus justes, c'est-à-dire accueillis
par la justice miséricordieuse de Dieu, et entrer en
communion avec Lui, et en conséquence, pouvoir établir
une relation beaucoup plus authentique avec tous nos frères
: et cela sur la base d'un pardon total de nos péchés.
Eh bien, de manière tout à fait claire, Paul dit
que cette condition de vie ne dépend pas des éventuelles
bonnes œuvres, mais d'une pure grâce de Dieu : «
Lui qui leur donne [aux hommes] d'être des justes par
sa seule grâce, en vertu de la rédemption accomplie
dans le Christ Jésus » (Rm 3, 24).
A travers ces paroles, saint Paul
exprime le contenu fondamental de sa conversion, la nouvelle
direction de sa vie, qui résulte de sa rencontre avec
le Christ Ressuscité. Paul, avant sa conversion, n'avait
pas été un homme éloigné de Dieu
et de sa Loi. Au contraire, il était observant, d'une
observance fidèle jusqu'au fanatisme. A la lumière
de la rencontre avec le Christ, il comprit cependant que de
cette manière, il avait cherché à se construire
lui-même, à construire sa propre justice, et qu'avec
toute cette justice, il avait vécu pour lui-même.
Il comprit qu'une nouvelle orientation de sa vie était
absolument nécessaire. Et nous trouvons cette nouvelle
orientation exprimée dans ces paroles : « Ma vie
aujourd'hui dans la condition humaine, je la vis dans la foi
au Fils de Dieu qui m'a aimé et qui s'est livré
pour moi » (Ga 2, 20). Paul ne vit donc plus pour lui,
pour sa propre justice. Il vit du Christ et avec le Christ :
en se donnant lui-même, non plus en se cherchant et en
se construisant lui-même. Telle est la nouvelle justice,
la nouvelle orientation donnée par le Seigneur, donnée
par la foi. Devant la croix du Christ, expression extrême
de son don de soi, personne ne peut s'enorgueillir de sa propre
justice faite par lui, pour lui ! Ailleurs, Paul, faisant écho
à Jérémie, explicite cette pensée
en écrivant : « Celui qui veut s'enorgueillir,
qu'il mette son orgueil dans le Seigneur » (1 Co 1, 31
= Jr 9, 22sq); ou bien : « Mais pour moi, que la croix
de notre Seigneur Jésus Christ reste mon seul orgueil.
Par elle, le monde est à jamais crucifié pour
moi, et moi pour le monde » (Ga 6, 14).
En réfléchissant
sur ce que signifie la justification non par les œuvres,
mais par la foi, nous en sommes ainsi arrivés à
la deuxième composante, qui définit l'identité
chrétienne décrite par saint Paul dans sa propre
vie. Identité chrétienne, qui se compose précisément
de deux éléments : le fait de ne pas se chercher
soi-même, mais de se recevoir du Christ, et se donner
avec le Christ, et ainsi participer personnellement à
l'histoire du Christ lui-même, jusqu'à se plonger
en Lui, et partager aussi bien sa mort que sa vie. C'est ce
que Paul écrit dans la Lettre aux Romains : « C'est
dans sa mort que nous avons été baptisés...
nous avons été mis au tombeau avec lui... nous
sommes déjà en communion avec lui... De même
vous aussi : pensez que vous êtes morts au péché,
et vivants pour Dieu en Jésus Christ » (Rm 6, 3.4.5.11).
Cette dernière expression, précisément,
est symptomatique : en effet, pour Paul, il ne suffit pas de
dire que les chrétiens sont des baptisés ou des
croyants ; pour lui, il est tout aussi important de dire qu'ils
sont « en Jésus Christ » (cf. également
Rm 8, 1.2.39; 12, 5; 16, 3.7.10; 1 Co 1, 2.3, etc.). Ailleurs,
il inverse les termes et écrit que « le Christ
est en nous/vous » (Rm 8, 10; 2 Co 13, 5) ou « en
moi » (Gal 2, 20). Cette compénétration
mutuelle entre le Christ et le chrétien, caractéristique
de l'enseignement de Paul, complète son discours sur
la foi. La foi, en effet, bien que nous unissant intimement
au Christ, souligne la distinction entre nous et Lui. Mais,
selon Paul, la vie du chrétien possède également
une composante que nous pourrions appeler « mystique »,
dans la mesure où elle comporte une identification de
notre personne avec le Christ et du Christ avec nous. Dans ce
sens, l'Apôtre arrive même à dire que «
nous avons largement part aux souffrances du Christ »
(2 Co 1, 5), si bien que « partout et toujours, nous subissons
dans notre corps la mort de Jésus, afin que la vie de
Jésus, elle aussi, soit manifestée dans notre
corps » (2 Co 4, 10).
Nous devons appliquer tout cela
à notre vie quotidienne en suivant l'exemple de Paul
qui a toujours vécu avec ce grand souffle spirituel.
D'une part, la foi doit nous maintenir dans une attitude d'humilité
constante face à Dieu, et même d'admiration et
de louange à son égard. En effet, ce que nous
sommes en tant que chrétiens, nous le devons uniquement
à Lui et à sa grâce. Etant donné
que rien ni personne ne peut prendre sa place, il faut donc
que nous ne rendions à rien d'autre ni à personne
d'autre l'hommage que nous Lui rendons. Aucune idole ne doit
contaminer notre univers spirituel, autrement, au lieu de jouir
de la liberté acquise nous retomberions dans une forme
d'esclavage humiliant. D'autre part, notre appartenance radicale
au Christ et le fait que « nous sommes en Lui »
doit susciter en nous une attitude de confiance totale et de
joie immense. En définitive, en effet, nous devons nous
exclamer avec saint Paul : « Si Dieu est pour nous, qui
sera contre nous ? » (Rm 8, 31). Et la réponse
est que rien ni personne « ne pourra nous séparer
de l'amour de Dieu qui est en Jésus Christ notre Seigneur
» (Rm 8, 39). Notre vie chrétienne repose donc
sur le roc le plus stable et le plus sûr que l'on puisse
imaginer. Et de celui-ci nous tirons toute notre énergie,
comme l'écrit précisément l'Apôtre
: « Je peux tout supporter avec celui qui me donne la
force » (Ph 4, 13).
Affrontons donc notre existence,
avec ses joies et ses peines, soutenus par ces grands sentiments
que Paul nous offre. En vivant cette expérience, nous
pourrons comprendre à quel point est vrai ce que l'Apôtre
lui-même écrit : « Je sais en qui j'ai mis
ma foi, et je suis sûr qu'il est assez puissant pour sauvegarder
jusqu'au jour de sa venue l'Evangile dont je suis le dépositaire
», c'est à dire jusqu'au jour définitif
(2 Tm 1, 12) de notre rencontre avec le Christ Juge, Sauveur
du monde et notre Sauveur.
B- Saint Paul et l’Esprit
Saint...
Chers frères et sœurs,
Aujourd'hui aussi, comme dans
les deux catéchèses précédentes,
nous revenons à saint Paul et à sa pensée.
Nous nous trouvons devant un géant non seulement du point
de vue de l'apostolat concret, mais également de celui
de la doctrine théologique, extraordinairement profonde
et stimulante. Après avoir médité la dernière
fois sur ce que Paul a écrit à propos de la place
centrale que Jésus Christ occupe dans notre vie de foi,
nous examinons aujourd'hui ce qu'il dit sur l'Esprit Saint et
sur sa présence en nous, car ici aussi, l'Apôtre
a quelque chose d'une grande importance à nous enseigner.
Nous connaissons ce que saint
Luc nous dit de l'Esprit Saint dans les Actes des Apôtres,
en décrivant l'événement de la Pentecôte.
L'Esprit de Pentecôte apporte avec lui une impulsion vigoureuse
à assumer l'engagement de la mission pour témoigner
de l'Evangile sur les routes du monde. De fait, le Livre des
Actes rapporte toute une série de missions accomplies
par les Apôtres, tout d'abord en Samarie, puis sur la
bande côtière de la Palestine, et enfin vers la
Syrie. Ce sont surtout les trois grands voyages missionnaires
accomplis par Paul qui sont rapportés, comme je l'ai
déjà rappelé dans une précédente
rencontre du mercredi. Cependant, dans ses Lettres, saint Paul
nous parle de l'Esprit d'un autre point de vue également.
Il n'illustre pas uniquement la dimension dynamique et active
de la troisième Personne de la Très Sainte Trinité,
mais il en analyse également la présence dans
la vie du chrétien, dont l'identité en reste marquée.
En d'autres termes, Paul réfléchit sur l'Esprit
en exposant son influence non seulement sur l'agir du chrétien,
mais également sur son être. En effet, c'est lui
qui dit que l'Esprit de Dieu habite en nous (cf. Rm 8, 9; 1
Co 3, 16) et que « envoyé par Dieu, l'Esprit de
son Fils est dans nos cœurs » (Ga 4, 6). Pour Paul
donc, l'Esprit nous modèle jusque dans nos profondeurs
personnelles les plus intimes. A ce propos, voilà quelques-unes
de ses paroles d'une importance significative: « En me
faisant passer sous sa loi, l'Esprit qui donne la vie dans le
Christ Jésus m'a libéré, moi qui étais
sous la loi du péché et de la mort... L'Esprit
que vous avez reçu ne fait pas de vous des esclaves,
des gens qui ont encore peur; c'est un Esprit qui fait de vous
des fils; poussés par cet Esprit, nous crions vers le
Père en l'appelant: “Abba!” » (Rm 8,
2.15). On voit donc bien que le chrétien, avant même
d'agir, possède déjà une intériorité
riche et féconde, qui lui a été donnée
dans le Sacrement du Baptême et de la Confirmation, une
intériorité qui l'établit dans une relation
de filiation objective et originale à l'égard
de Dieu. Voilà notre grande dignité: celle de
ne pas être seulement des images, mais des fils de Dieu.
Et cela est une invitation à vivre notre filiation, à
être toujours plus conscients que nous sommes des fils
adoptifs dans la grande famille de Dieu. Il s'agit d'une invitation
à transformer ce don objectif en une réalité
subjective, déterminante pour notre penser, notre agir,
et notre être. Dieu nous considère comme ses fils,
nous ayant élevés à une dignité
semblable, bien que n'étant pas égale, à
celle de Jésus lui-même, l'unique véritable
Fils au sens plein. En lui nous est donnée, ou restituée,
la condition filiale et la liberté confiante en relation
au Père.
Nous découvrons ainsi que
pour le chrétien, l'Esprit n'est plus seulement l' «
Esprit de Dieu », comme on le dit normalement dans l'Ancien
Testament et comme l’on continue à répéter
dans le langage chrétien (cf. Gn 41, 38; Ex 31, 3; 1
Co 2, 11.12; Ph 3, 3; etc.). Et ce n'est pas non plus un «
Esprit Saint » au sens large, selon la manière
de s'exprimer de l'Ancien Testament (cf. Is 63, 10.11; Ps 51,
13), et du Judaïsme lui-même dans ses écrits
(Qumràn, rabbinisme). En effet, à la spécificité
de la foi chrétienne appartient la confession d'un partage
original de cet Esprit de la part du Seigneur ressuscité,
qui est devenu Lui-même « l'être spirituel
qui donne la vie » (1 Co 15, 45). C'est précisément
pour cela que saint Paul parle directement de l' « Esprit
du Christ » (Rm 8, 9), de l' « Esprit de Fils »
(Ga 4, 6) ou de l' « Esprit de Jésus Christ »
(Ph 1, 19). C'est comme s'il voulait dire que non seulement
Dieu le Père est visible dans le Fils (cf. Jn 14, 9),
mais que l'Esprit de Dieu s'exprime aussi dans la vie et dans
l'action du Seigneur crucifié et ressuscité!
Paul nous enseigne également
une autre chose importante: il dit qu'il n'existe pas de véritable
prière sans la présence de l'Esprit en nous. Il
écrit en effet: « Bien plus, l'Esprit vient au
secours de notre faiblesse, car nous ne savons pas prier comme
il faut. L'Esprit lui-même intervient pour nous par des
cris inexprimables. Et Dieu, qui voit le fond des cœurs,
connaît les intentions de l'Esprit: il sait qu'en intervenant
pour les fidèles, l'Esprit veut ce que Dieu veut »
(Rm 8, 26-27). C'est comme dire que l'Esprit Saint, c'est-à-dire
l'Esprit du Père et du Fils, est désormais comme
l'âme de notre âme, la partie la plus secrète
de notre être, d'où s'élève incessamment
vers Dieu un mouvement de prière, dont nous ne pouvons
pas même préciser les termes. En effet, l'Esprit,
toujours éveillé en nous, supplée à
nos carences et offre au Père notre adoration, avec nos
aspirations les plus profondes. Cela demande naturellement un
niveau de grande communion vitale avec l'Esprit. C'est une invitation
à être toujours plus sensibles, plus attentifs
à cette présence de l'Esprit en nous, à
la transformer en prière, à ressentir cette présence
et à apprendre ainsi à prier, à parler
avec le Père en tant que fils dans l'Esprit Saint.
Il existe également un
autre aspect typique de l'Esprit que nous enseigne saint Paul:
il s'agit de son lien avec l'amour. En effet, l'Apôtre
écrit: « Et l'espérance ne trompe pas, puisque
l'amour de Dieu a été répandu dans nos
cœurs par l'Esprit Saint qui nous a été donné
» (Rm 5, 5). Dans ma Lettre encyclique Deus caritas est,
je citais une phrase très éloquente de saint Augustin:
« Tu vois la Trinité quand tu vois la charité
» (n. 19), et je poursuivais en expliquant: « En
effet, l'Esprit est la puissance intérieure qui met leur
cœur [des croyants] au diapason du cœur du Christ,
et qui les pousse à aimer leurs frères comme Lui
les a aimés » (ibid.). L'Esprit nous introduit
dans le rythme même de la vie divine, qui est vie d'amour,
en nous faisant personnellement participer aux relations qui
existent entre le Père et le Fils. Le fait que Paul,
lorsqu'il énumère les divers fruits de l'Esprit,
place l'amour à la première place, a une signification
: «Mais voici ce que produit l'Esprit: amour, joie, paix,
etc.» (Ga 5, 22). Et puisque par définition l'amour
unit, cela signifie tout d'abord que l'Esprit est Créateur
de communion au sein de la communauté chrétienne,
comme nous le disons au début de la Messe selon une expression
paulinienne: « Que la communion de l'Esprit Saint [c'est-à-dire
celle qu'Il opère] soit avec vous tous » (2 Co
13, 13). D'autre part, cependant, il est également vrai
que l'Esprit nous incite à nouer des relations de charité
avec tous les hommes. C'est pourquoi, lorsque nous aimons, nous
donnons de l'espace à l'Esprit, nous lui permettons de
s'exprimer en plénitude. On comprend ainsi pourquoi Paul
rapproche dans la même page de la Lettre aux Romains les
deux exhortations: « Laissez jaillir l'Esprit »
et « Ne rendez à personne le mal pour le mal »
(Rm 12, 11.17).
Enfin, l'Esprit constitue selon
saint Paul des arrhes généreuses qui nous ont
été données par Dieu lui-même, comme
avance et comme garantie de notre héritage futur (cf.
2 Co 1, 22); 5, 5; Ep 1, 13-14). Nous apprenons ainsi de Paul
que l'action de l'Esprit oriente notre vie vers les grandes
valeurs de l'amour, de la joie, de la communion et de l'espérance.
C'est à nous qu'il revient d'en faire chaque jour l'expérience,
en suivant les suggestions intérieures de l'Esprit, aidés
dans notre discernement par la direction éclairante de
l'Apôtre.