Méditation sur
les apparitions de Notre Dame à Lourdes.
Première apparition,
le 11 février
1858
Puisque nous fêtons le 150ème
anniversaire des apparitions de Notre Dame à Lourdes
et que le pape Benoît XVI a ouvert, à cette occasion,
les trésors de l’Eglise, en permettant de gagner
l’indulgence plénière, je pense qu’il
faut s’intéresser, ces prochains mois, tout particulièrement,
à Lourdes et à cette doctrine sur les indulgences.
Le district de France, sur un de ses sites, « La porte
Latine », publie le récit de ces apparitions
en proposant les méditations du R.P. Michel Gasnier,
tirées de son livre : « La divine comédie
de Lourdes ». Ce travail est remarquable. Nous aurions
tord de ne pas en profiter.
On parle d’Indulgence plénière ! Qu’est-ce
à dire ? Le Pape Paul VI a publié, en son temps,
en 1967, un très beau texte sur ce point de doctrine
catholique. Vous le trouverez dans « Les Nouvelles de
Chrétienté » de cette semaine (LNDC)
Commençons ici tout d’abord par le récit
de la première des apparitions, le 11 février
1858.
Le R.P. Gasnier la fait précéder d’une
explication du Rosaire. Nous savons que le Rosaire est composé
de trois premiers Ave, suivis des 15 mystères de la
vie de NSJC. Il en sera ainsi des apparitions de Notre Dame
à Lourdes. Là aussi nous avons I8 apparitions,
les trois premières sont comme les trois premiers Ave
du Rosaire, suivies des quinze autres apparitions que le R.Père
va étudier dans leurs relations aux mystères
divins.
La dévotion des trois Ave Maria
La dévotion du Rosaire que Notre-Dame
est venue nous enseigner sur les bords du Gave, comprend la
méditation des quinze grands mystères de la
vie de Jésus et de Marie, au cours de laquelle on redit
150 fois la salutation de l'Ange, et que précède
la récitation préliminaire de trois Ave Maria
que l'on fait monter vers la Vierge déipare, pour la
féliciter d'avoir été revêtue de
la Puissance du Père, de la Sagesse du Fils et de la
Miséricorde du Saint-Esprit : La disposition des prières
de cette dévotion - quinze mystères précédés
de trois Ave - nous livre la clef explicative des Apparitions
de Lourdes, composées de ce qu'on appelle les trois
« Apparitions-prélude », suivies de la
« quinzaine » réclamée par Notre-Dame
au terme de sa troisième visite.
Le « prélude » des trois
Ave Maria - c'est également le mot qui sert à
caractériser les trois premiers grains du Rosaire -
n'est pas, à vrai dire, indispensable à la dévotion.
Le Rosaire dominicain ne les prescrit pas. Mais l'usage quasi
universel les requiert. Le chapelet de la Dame de la Grotte
les comportait et Bernadette n'avait garde de les omettre,
quand elle priait avec la Dame. Cette pratique des trois Ave
Maria que le Bienheureux Grignon de Montfort a accolée
très sagement au Rosaire en guise de prologue est fort
ancienne dans l'Eglise. Et c'est toujours la même intention
qui l'a inspirée.
De tout temps, les chrétiens ont discerné les
liens intimes qui unissent Marie aux trois Personnes de la
Sainte Trinité. Elle est entrée dans la famille
divine, parée des titres incomparables de Fille, de
Mère et d'Epouse. Elle est la Fille du Père,
elle est la Mère du Fils et l'Epouse de l'Esprit-Saint.
La théologie, s'appuyant sur le sens commun des fidèles,
s'est appliquée à pénétrer plus
intimement le mystère de cette incomparable parenté,
et elle a découvert comment chacune des divines Personnes
s'est plu à privilégier Marie en la faisant
participer à sa propre perfection. Or, on le sait,
- et depuis Ahailard surtout, ce fut d'enseignement universel
dans l'Eglise - au Père on attribuait la Puissance,
au Fils, la Sagesse, au Saint-Esprit, la Miséricorde.
« Nous révélons davantage
le Père, principe de la Trinité, écrit
le P. Hugon, en lui réservant la Puissance, principe
de l'opération ; nous manifestons le Fils, idée
du Père, en lui réservant la Sagesse qui se
rapporte à la procession d'intelligence ; nous mani¬festons
le Saint-Esprit en lui réservant l'Amour, qui est le
terme de la procession de volonté ».
Mais, Puissance, Sagesse et Miséricorde, ne sont-ce
pas là les trois privilèges qui résument
les grandeurs de Marie ? Ne l'appelle-t-on pas la Vierge Puissante,
le Trône de la Sagesse et la Mère des Miséricordes
? Et dès lors, ne devons-nous pas rendre grâce
à Dieu pour ces dons incomparables dont elle a été
comblée ? Ne convient-il pas de s'unir à elle
pour l'aider à chanter son Magnificat de reconnaissance
?
Et c'est là précisément le but de la
dévotion des Trois Ave Maria, telle qu'elle a été
révélée à sainte Mechtilde au
XIIIème siècle, et telle qu'elle est prêchée
et répandue avec un incroyable succès par les
Fils de saint François.
Or, c'est cette dévotion, d'une richesse d'évocation
inépuisable, que Notre-Dame de Lourdes va commencer
par nous commenter dans les trois premières Apparitions.
Et pour nous en avertir, c'est exactement au moment où
sonnera l'Angélus à l'église de Lourdes
qu'elle se montrera pour la première fois : l'Angelus
qui fut primitivement et qui demeure essentiellement, malgré
les versets et l'oraison dont on l'a surchargé, la
dévotion des trois Ave Maria.
Pour mieux nous signifier qu'il s'agit, dans ses trois premières
visites, du mystère de la Trinité, elle les
enfermera dans un cycle de sept jours - ce chiffre symbolique
de toute perfection. - Et pour nous mieux laisser entendre
qu'après avoir été comblée, elle
se plaît à déverser sur nous de sa plénitude,
elle communiquera successivement les dons de force, de sagesse
et de miséricorde à sa voyante. - Et finalement,
afin de nous assurer que nous ne l'invoquons jamais en vain
- car la grâce d'une bonne mort est le fruit très
spécial de la dévotion des trois Ave Maria -
elle clôturera sa troisième Apparition, en disant
à sa voyante :
« Je ne vous promets pas de vous rendre heureuse dans
ce monde, mais dans l'autre ».
Apparition du 11 février 1858
Le premier "Ave" du prélude
: la puissance de Marie
C'est le signe habituel de la puissance que
d'accomplir de grandes choses avec de maigres moyens. Dieu
ne connaît pas d'autres manières d'agir. Tout
ce qu'il fait est tiré du néant, et plus les
oeuvres qu'il opère doivent dénoncer sa grandeur,
plus les instruments qu'il choisit sont remplis de faiblesse.
Marie elle-même, quand elle vint à Lourdes, appela
sous son regard, pour mieux manifester qu'elle est la Fille
de la Puissance divine, tout ce qu'il y avait dans la ville
de plus chétif et de plus débile. Qu'elle était
petite, Bernadette Soubirous, qui, le 11 février 1858,
fut conviée au rendez-vous de Massabielle ! On peut
dire qu'elle cumulait toutes les petitesses.
Petitesse de l'extraction. Elle est de famille manifestement
déchue. Les tares morales de sa parenté sont
de notoriété publique. « De chez les Soubirous,
que peut-il sortir de bon ? » murmurait-on dans le voisinage.
Petitesse de la maison familiale. Un ancien cachot, étroit,
sans air et sans lumière, où l'on s'entassait
vaille que vaille.
Petitesse d'une ultime indigence. Il n'y a pas de bois au
logis pour préparer le repas, et l'enfant est venue
sur les bords du Gave ramasser quelques brindilles.
Petitesse de l'ignorance. Elle sait tout juste le Notre Père,
le Je vous salue Marie et le Credo, et pas un mot de catéchisme,
car sa mémoire rétive ne retient rien.
Petitesse d'une santé fragile. Elle est née
frêle et souffreteuse. Elle a quinze ans, mais on lui
en donnerait à peine douze. Garder un petit troupeau
de moutons, c'est tout le travail qu'on a pu lui confier.
Petitesse des vêtements rapiécés et qui
crient misère : robe raccomodée, capulet aux
couleurs passées, bas troués, sabots usés.
C'est pourtant cette petitesse qui fut agréée
et appelée pour paraître devant la plus puissante
des Reines.
Elle est venue à la fin d'une matinée d'hiver,
avec deux compagnes, sa soeur Toinette et son amie Jeanne
Abadie, cherchant du bois sur les rives du Gave, et des os
à travers les galets. « Ces os, dit Jeanne Abadie,
nous avions le projet de les vendre, un ou deux sous, pour
acheter des sardines ». Parvenues en face de la Grotte,
Toinette et Jeanne se sont déchaussées et ont
passé le canal. L'eau est très froide. Bernadette
a craint pour son asthme et elle a demandé à
la robuste Jeanne de la prendre sur son dos « Tu n'as
qu'à faire comme nous », lui a-t-on répondu.
Alors Bernadette s'est résignée. Elle a retiré
ses sabots et ses bas, et elle s'apprête à mettre
un pied dans l'eau, quand soudain la rumeur d'un vent violent,
comme celle qui annonce les orages, agite un buisson de ronces
et d'églantiers qui font claire-voie devant l'ouverture
d'une sorte de niche creusée au flanc du Mont Massabielle.
Au Sinaï, Dieu, pour mieux faire éclater
sa puissance, s'était montré au milieu des éclairs
et du tonnerre. Mais Marie n'est que le souffle véhément
qui précède l'ouragan, de même qu'elle
n'est que l'aurore qui annonce le soleil. C'est elle qui apparut
soudain dans la niche, faisant signe à l'enfant d'approcher.
Et ce qui va suivre n'est que le déroulement parallèle
d'une autre Apparition dont fut témoin Moïse au
pied de la montagne de l'Horeb, quand le Seigneur révéla
sa puissance sans limite.
« L'ange de Yahveh, nous dit la Bible,
apparut à Moïse, en flammes de feu, au milieu
du buisson. Et Moïse vit, et voici, le buisson était
tout en feu et le buisson ne se consumait pas ». C'est
très exactement ce que vit Bernadette, car les documents
précisent que « la fille de Yahveh » se
montra au milieu du buisson de la niche, toute éblouissante
de lumière.
Stupéfaction de Moïse, qui fait un détour
pour mieux regarder. « Yahveh vit que Moïse se
détournait, et il l'appela du milieu du buisson et
dit « Moïse, Moïse ! ». Le premier geste
de Bernadette est pareillement un mouvement de recul. Elle
se frotte les yeux tandis que la vision la rassure et lui
fait signe d'approcher.
Cependant, Moïse n'aura le droit de demeurer en présence
de Yahveh que dans l'attitude du su¬prême respect.
« N'approche pas d'ici. Ote les sandales de tes pieds,
car le lieu sur lequel tu te tiens, est une terre sainte ».
Pieds nus devant sa vision se tiendra également Bernadette.
Il ne lui a pas été permis de franchir la barrière
qui la sépare du domaine de la Grotte, car c'est au
moment même où, après s'être déchaussée,
elle se préparait à passer le canal, que la
Vierge puissante apparut.
Yahveh continue : « Je suis le Dieu
de ton père, le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et
le Dieu de Jacob... J'ai vu la souffrance de mon peuple...
Je suis descendu pour le délivrer de la main des Egyptiens
et le faire monter de ce pays dans une terre fertile et spacieuse,
dans une terre où coulent le lait et le miel. Je sais
que le roi d'Egypte ne vous permettra pas d'aller, si ce n'est
forcé par une main puissante. J'étendrai ma
main... »
La Dame que Bernadette avait sous les yeux est Celle-là
même dont l'Evangile ne nous rapporte que sept paroles.
A Lourdes, comme jadis, elle demeure silencieuse. Mais elle
parle par gestes. A nous de pénétrer la signification
de ses attitudes.
Or, la Mère de Celui à qui nous
adressons avant Noël cette suppliante invocation : «
O Adonaï, chef de la Maison d'Israël, qui êtes
apparu à Moïse dans la flamme du buisson ardent,
venez nous racheter dans la force de votre bras déployé
» (in brachio extento). Celle-là a voulu elle-même
exprimer à la lettre ce symbolisme, et c'est «
les bras étendus vers la terre et les mains déployées
» qu'elle se manifesta au premier instant de l'Apparition.
Reprenant le langage de Yahveh, déclinant sa parenté,
elle aurait pu dire : « Je suis la Fille du Père,
la Mère du Fils, l'Epouse du Saint-Esprit. Regardez
mes mains ouvertes et mes bras étendus. Dieu me délègue
sa puissance. Je suis descendue pour vous inviter à
venir vers ce lieu, désormais capitale des manifestations
de Dieu, terre promise où couleront à flots,
pour vos âmes captives du mal, le lait et, le miel de
la Miséricorde divine ».
Moïse dit à Dieu : « Qui suis-je pour aller
vers Pharaon et pour faire sortir d'Egypte les enfants d'Israël
? » Dieu dit : « Je serai avec toi, et ceci sera
pour toi le signe que c'est moi qui t'ai envoyé Quand
tu auras fait sortir le peuple d'Egypte, vous servirez Dieu
sur cette montagne ». Le même signe se manifeste
aujourd'hui d'une manière éblouissante au Mont
Massabielle.
« Quand j'irai, reprend Moïse,
vers les enfants d'Israël, et que je leur dirai : le
Dieu de vos pères m'envoie vers vous, s'ils me demandent
quel est son nom, que leur répondrai-je ? » Et
Dieu dit à Moïse : « Je suis Celui qui est.
C'est ainsi que tu répondras aux enfants d'Israël
: Celui qui est m'envoie vers vous ».
Ce n'est pas dès la première Appa¬rition
que Bernadette connaîtra l'identité de la Belle
Dame.
Il lui faudra attendre le 25 mars.
Effectivement, on l'a harcelée de questions. On lui
a, dit : « Quel est donc ce personnage qui nous prie
d'aller en procession à la Grotte ? » Et la petite
messagère va pouvoir satisfaire la curiosité
et répondre : « C'est l'Immaculée Conception
qui m'envoie vers vous ».
Je suis Celui qui est. Je suis l'Immaculée Conception.
Deux révélations également étonnantes,
dans une forme inaccoutumée, de noms que les lèvres
humaines n'avaient pas encore prononcés. Deux noms
pareillement incommunicables. Dieu seul peut porter le premier.
Marie seule peut se parer du second. Dieu seul est Celui qui
est. Marie seule est immaculée.
Ces noms tirent jalousement à eux tout ce que le terme
contient. Nul ne peut songer à se les attribuer. Moïse
et Bernadette ont entendu les noms que répercute sans
fin, et sans altération possible, l'écho des
collines éternelles. Mais voici que Moïse insiste
- et c'est bien le même langage que tenait Bernadette
- : « Ils ne me croiront pas et ils n'écouteront
pas ma voix ; mais ils diront : Yahveh ne t'est point apparu.
Yahveh lui dit :
1er Signe. - « Qu'y a-t-il dans ta main ? » Il
répondit : « Un bâton ». Et Yahveh
dit : « Jette-le à terre. » Il le jeta
à terre et ce bâton devint un serpent, et Moïse
s'enfuyait devant lui. Yahveh dit à Moïse : «
Etends la main, et saisis-le par la queue ». Et il étendit
la main, le saisit, et le serpent redevint un bâton
dans sa main.
2ème Signe. - Yahveh lui dit encore : « Mets
ta main dans ton sein ». Il mit sa main dans son sein,
puis il l'en retira, et voici qu'elle était couverte
de lèpre, blanche comme la neige. Yahveh dit : «
Remets ta main dans ton sein ». Et il remit sa main
dans son sein et il la retira de son sein, et voici qu'elle
était redevenue semblable à sa chair.
3ème Signe. - « S'ils ne te croient pas, et s'ils
n'écoutent pas la voix du premier signe, ils croiront
à la voix du second. Et s'ils ne croient même
pas à ces deux signes et n'écoutent pas ta voix,
tu prendras de l'eau du fleuve et tu la répandras sur
le sol, et l'eau que tu auras prise du fleuve deviendra du
sang sur le sol...
« Quant au bâton, prends-le dans ta main. C'est
avec quoi tu feras les signes ».
Encore une fois, la Fille du Père Eternel ne prononcera
pas pareil discours. Le langage verbal semble lui être
étranger. Mais les trois signes donnés à
Moïse par Yahveh, elle va, pour mieux manifester la puissance
que Dieu lui a conférée, les reprendre à
son compte, dépouillés de leur aspect étrange
et adaptés à la révélation du
Nouveau Testament.
1er Le signe du bâton. - La Dame du Rocher ne va pas
dire à sa voyante : « Qu'y a-t-il dans ta main
? », mais elle va lui inspirer de prendre en main ce
que la liturgie elle-même, évoquant le bâton
de Moïse, appelle « Virgam Rosarii », la
verge du Rosaire (1).
Ce modeste instrument de prière qui,
quand il est jeté à terre, comme le bâton
de Moïse, figurerait assez bien, avec ses grains enfilés,
l'image des anneaux enroulés du serpent, quand on le
prend entre les mains pour en dévider les prières
auxquelles il invite, devient, pour le chrétien, ainsi
que le pape Léon XIII n'a cessé de l'enseigner,
son bâton de combat, son arme défensive. Qui
pourrait dire les prodiges que cette étonnante prière
a opérés dans le monde et surtout sur les bords
du Gave, qui sont par excellence la capitale du Rosaire ?
Ce n'est plus par la puissance d'un bâton que doivent
s'accomplir au sein du peuple chrétien les merveilles
de la miséricorde divine, mais par le pouvoir souverainement
efficace de la prière par Marie.
« Blasphème ! s'écrieront les hérétiques.
Comment osez-vous dépouiller la Toute-Puissance divine
en faveur d'une créature ? »
A Lourdes, Notre-Dame se charge de nous répondre. La
puissance dont elle est investie, et qu'elle communique à
la prière du Rosaire, elle ne la possède pas
en propre, elle la reçoit et elle l'exerce «
au nom du Père ». La voyante, en effet, ne pourra
se servir de son chapelet que lorsque la Vierge puissante,
ayant élevé la main à son front, aura
prononcé la première invocation du signe de
Croix : « Au nom du Père... »
Ecoutons Bernadette : « Dans ma frayeur, je prends mon
chapelet que je portais habituellement sur moi, je veux faire
le signe de Croix, mais je sens ma main paralysée,
je ne puis la porter à mon front. La Dame prend alors
elle-même son chapelet et se signe. Sentant mon bras
dégagé, je peux faire comme elle et en même
temps qu'elle le signe de Croix ».
2 ème Le signe de la lèpre guérie. -
C'est le si¬gne que le Christ lui-même a donné
de sa divine mission : leprosi mundentur. C'est aussi le signe
de Lourdes. En un clin d'oeil, le temps d'un simple geste,
sans que le regard puisse distinguer les étapes de
la transformation, les lèpres de toutes les maladies
- celles que l'on voit, celles aussi que l'on cache «
en son sein » - sont guéries, et les chairs et
les coeurs redeviennent comme des chairs de nouveau-né
et des coeurs d'enfants.
3 ème Le signe de l’eau changée en sang.
– Le prodige consiste en ceci, que de l'eau, élément
inerte, se transforme en sang, principe de vie. Or, de quelle
manière saisissante ce signe va se retrouver à
Lourdes ! Sous les doigts de Bernadette, par ordre de la Vierge,
une eau miraculeuse va jaillir du rocher de Massabielle, comme
jadis, par la vertu du bâton de Moise, du rocher d'Horeb
(qui plus tard sera dénommé Massa). Et cette
eau de Lourdes deviendra comme un talisman de vie, qui régénère
et rend la santé. Les pèlerins le savent bien
qui, avec foi y puisent et s'y plongent qui l'emportent précieusement,
la font boire à leurs malades et à leurs infirmes.
Il a suffi à tant de malheureux d'en prendre quelques
gouttes pour sentir en leurs veines - et en leur âme
- un sang nouveau.
Qui pourrait prétendre qu'une correspondance aussi
étroite entre la vision d'Horeb et celle de Massabielle
puisse être le simple effet du hasard ?
Il est sage d'y voir un dessein de Dieu. Lequel ?
Pour mieux souligner la puissance de Marie, il a voulu que
la grande manifestation dans laquelle elle déclinerait
le privilège qui lui constitue un nom incommunicable,
fût calquée sur sa propre Apparition où
pour la première fois, se montrant à un homme,
il avait nommé son entité.
Par ailleurs, il fallait que l'Apparition de Dieu se révélant
comme Tout-Puissant renfermât en annonce prophétique,
la douce et formidable figure de la Vierge Marie par qui,
quand viendrait l'ère de la miséricorde, s'accompliraient
les grands prodiges de la grâce. Le bâton prestigieux
de Moïse n'était que l'image anticipée
de l'intercession de Marie, que nous obtient infailliblement
l'invocation de sa puissance. Le Tout-Puissant continue de
régner. Mais, depuis le Calvaire, il règne et
ne veut régner que par Marie.
Nous nous en voudrions de viser à l'originalité
en une question aussi grave. Ce sont les Pères de l'Eglise
eux-mêmes qui ont pressenti, dans la vision de Moïse,
une évocation du mystère de Marie. Dans ce buisson
qui brûle sans se consommer, et qui laisse entrevoir
au milieu des flammes Celui que la Bible nomme « l'ange
de Yahveh », ils avaient vu comme une image de celle
qui avait reçu dans son sein la flamme divine sans
en être consumée. La liturgie nous fait chanter,
au jour de la Purification : « Rubum quem viderat Moyses
incom¬bustum conservatam agnovimus tuam laudabilem virginitatem.
Dans le buisson enflammé mais non consumé qui
apparut à Moïse, nous avons reconnu votre virginité
admirablement conservée ».
La vision de Bernadette vient donc confirmer les intuitions
mystiques de nos Pères. Et quoi de plus émouvant
de penser qu'en contemplant Yahveh, Celui qui s'était
fait connaître à Abraham comme le Tout-Puissant,
Moïse avait déjà sous les yeux l'image
de « la Vierge puissante ».
Voici maintenant l'épilogue de la première Apparition.
Quand Bernadette eut terminé son chapelet, la vision
s'évanouit soudain. Alors elle passa le canal pour
aller rejoindre ses compagnes. Tout à l'heure, ayant
entendu ses deux compagnes dire, en remettant leurs sabots
: « Comme l'eau est froide ! », « Pauvre
de moi ! s'était-elle écriée, comment
ferai-je pour traverser, moi qui suis malade ? » En
entrant dans l'eau, elle fut surprise de la trouver «
chaude comme l'eau de vaisselle... comme si on l'avait chauffée
».
Avec sa sœur Toinette et Jeanne Abadie, elle reprit le
chemin de Lourdes, chacune chargée de son fagot. Mais
le fagot de Toinette était trop lourd et elle ne put
monter le chemin de la colline. Bernadette vint le prendre
et le porta aisément. Etonnement de Toinette : «
Je suis pourtant plus forte que toi, dit-elle. Comment peux-tu
porter ce fagot ? »
La Dame du Rocher voulait nous enseigner, par ces deux scènes
combien touchantes, comment elle se plaît à faire
intervenir sa puissance près des petits et des faibles,
au nombre desquels il importe que nous nous rangions si nous
voulons bénéficier de son ineffable protection.
Notes
(1) Dum novus hic Moyses... extendit virgam Rosarii. Office
de S. Pie V