Dans le cadre du 150
ème anniversaire des apparitions de Lourdes
Méditation du Rosaire
Les mystères joyeux
Nous poursuivons notre méditation
du Rosaire en suivant les apparitions de Lourdes selon le
récit du R.P. Michel Gasnier, tiré de son livre
: « La divine comédie de Lourdes ».
A- Les mystères Joyeux
4ème apparition de Lourdes
: 19 février 1858
1er épisode du mystère joyeux
: l'annonciation
Il serait malséant de comparer l'enfant qui, le 19
février se rendit à la Grotte pour jouer le
mystère de l'Annonciation, à la Vierge incomparable
qui reçut la visite de l'Ange, ambassadeur de l'An¬nonciation.
Qu'il nous soit permis pourtant de signaler quelques traits
communs entre les deux « élues ».
Marie, au moment de l'Incarnation du Verbe, de¬vait avoir
une quinzaine d'années. Elle était des¬cendante
de la race royale de David, mais cette race depuis longtemps
était déchue, et l'enfant sur qui seule ne pesait
pas la tache originelle vivait ignorée des hommes,
dans une petite ville perdue au milieu des montagnes de Juda.
Cette ville était si mal fa¬mée qu'un dicton
populaire disait : « De Nazareth, que peut-il sortir
de bon ? » Il convenait, disent les Pères de
l'Eglise, que celui qui allait s'incarner pour détruire
le règne de Satan vînt l'attaquer dans son repaire,
dès les premiers jours de son existence.
Semblablement, au moment des Apparitions,
Ber¬nadette venait d'avoir quinze ans. Sa famille, très
ancienne à Lourdes, après avoir joui d'une «
très belle position », était alors «
manifestement déchue ». Elle habitait Lourdes,
petite bourgade per¬due au milieu des montagnes des Pyrénées.
Lourdes avait assez mauvaise réputation, et les roches
Massabielle étaient certainement le coin le plus déshérité
du pays. Ces ronces et ces épines dont il est ques¬tion
au début de l'histoire du monde y foisonnaient. Les
serpents y avaient creusé leur repaire et le por¬cher
de la ville y conduisait son troupeau.
Aussi, l'on disait par mode de mépris : « Une
éducation faite à Massabielle ».
Ce coin de terre, disent les historiens de Lourdes, était
l'image du péché originel.
Ce n'est point d'ailleurs le rôle de
la Sainte Vierge que semble jouer Bernadette le 19 février,
mais celui de l'Archange Gabriel. Dès que Berna¬dette,
par le chemin du bois, fut parvenue au-dessus de la Grotte,
la scène de l'Annonciation se déploya. Et d'abord,
l'envol de l'Archange vers la terre. « Sur la pente
du Rocher, dit un des témoins, où pour descendre
il fallait à chaque pas s'appuyer des mains, faire
du talon, un trou dans le sol, et où l'on glissait
encore, Bernadette prit la volée, et en un clin d'oeil,
arriva en bas comme s'il y eût eu un chemin bien tracé.
Elle descendit comme une hi¬rondelle... Elle alla comme
le vent. Sans un mira¬cle on ne peut marcher ainsi ».
Arrivée devant la Grotte, la voyante
- nous pourrions dire l'Archange Gabriel - se mit à
ge¬noux. Elle prit le cierge allumé d'une main,
le cha¬pelet de l'autre et se mit à prier. Elle
venait de réciter les trois Ave Maria qui précèdent
le Chapelet, quand sur le point de commencer la première
dizaine en l'honneur du mystère de l'An¬nonciation,
la Sainte Vierge lui apparut. Aussitôt son sourire devint
joli et sa physionomie changea. Puis elle salua avec les mains
et la tête : c'était un plaisir de la voir. «
C'était comme si toute sa vie elle n'avait pas fait
autre chose ». Et, tout en saluant, ses lèvres
redisaient la salutation de l'Ange : « Je vous salue
Marie, pleine de grâces, le Seigneur est avec vous ».
Et celle à qui s'adressait cette louange avait, en
apparence, l'âge qu'elle devait avoir quand le Christ
s'incarna en son sein.
« Le corps penché en avant »,
comme Fra An¬gelico nous peint Gabriel dans son «
Annoncia¬tion », Bernadette continua de réciter
son chapelet. Elle l'interrompit plusieurs fois, tandis qu'un
dia¬logue semblait s'engager entre la Vierge et l'enfant.
Que fut, ce dialogue ? Bernadette ne nous l'a pas révélé.
Peut-être rappelait-il le grand dialogue qui précéda
l'Incarnation...
Et, tandis que la scène se déroulait,
le soleil s'était levé et la pluie s'était
mise à tomber, com¬me pour faire écho au
Rorate coeli desuper, et à l'antienne augurale des
premières Vêpres de l'An¬nonciation : Orietur
sicut sol Salvator mundi et des¬cendet in uterum Virginis
sicut imber super gra¬men - le Sauveur du monde va se
lever, semblable au soleil, et il descendra dans le sein d'une
Vierge, comme la pluie sur le gazon.
Durant la vision, un fait étrange se
produisit. Pendant que Bernadette priait, « un tumulte
de voix sinistres, paraissant sortir des entrailles de la
terre, était venu éclater au-dessus des eaux,
du Gave. A ces cris, qui ressemblaient à des menaces,
la Dame avait levé la tête et froncé le
sourcil en re¬gardant vers la rivière. Sur ce simple
mouvement, les voix s'étaient prises d'épouvante
et avaient fui dans toutes les directions ».
Il eût été bien surprenant que le diable
n'inter¬vînt pas à la scène de l'Annonciation,
pour manifester sa rage contre Celle qui, en concevant le
Sauveur du Monde, mettait fin à son règne, et
dont il était écrit qu'elle lui écraserait
la tête de son talon.
A Lourdes, Marie n'a pas même besoin de ce geste triomphant.
Un seul de ses regards, terrible comme une armée rangée
en bataille, suffit pour mettre l'ennemi en déroute.
5ème apparition de Lourdes : 20 février
1858
2ème épisode du mystère
joyeux : la visitation
L'Evangile nous dit qu' « en ces jours-là, Marie
se mit en chemin et s'en alla en grande hâte vers les
montagnes, en une ville de Juda ». L'Eglise s'est plu
à chanter, dans la liturgie de la fête de la
Visitation, cette hâte de Marie qui court donner Jésus
au monde, avant même de l'avoir enfanté : «
J'entends, dit le Livre de la Sagesse, j'entends la voix de
son bien-aimé. Le voici qui vient, bondissant sur les
montagnes, franchissant les collines... Il me voit. Il me
regarde : Lève-toi, ma bien-aimée, me dit-il;
hâte-toi, ma jolie, viens vite... O ma co¬lombe,
de la fente du rocher où tu t'es cachée, montre-moi
enfin ton visage : fais-moi entendre ta voix, car, pour mes
oreilles, ta voix est comme une mu¬sique, et pour mes
yeux, ton visage est éclatant de beauté ».
A Lourdes, ce symbolisme va être au¬jourd'hui
reproduit à la lettre. Bernadette, en effet, a entendu
dans son coeur l'appel mystérieux :
« Viens vite, ma bien-aimée : hâte-toi
! » Et elle court vers Massabielle où, cachée
dans une fente de la roche, la Colombe mystique lui apparaît.
Elle descend la colline en bondissant comme une biche. Elle
est avide d'entendre la voix de la « Dame », qui,
dit-elle, est fine, fine, douce, douce... et de contempler
son visage resplendissant de lumière et de beauté.
La scène de la Visitation, telle que
les artistes se plaisent, depuis dix-neuf siècles,
à la représenter, sans en varier la formule,
telle d'ailleurs que l'Evangile nous la décrit, est
gravée dans tous les esprits. Marie et Elisabeth sont
en présence. Elles se courbent l'une vers l'autre en
une respectueuse salutation, tandis qu'Elisabeth fait entendre
ces paroles : « Vous êtes bénie entre toutes
les femmes et le fruit de votre sein est béni ».
Ce tableau vivant sera figuré à
Massabielle durant tout le temps de la deuxième Apparition.
Ber¬nadette joue le rôle de la Sainte Vierge. Qui
va figurer Elisabeth ? Notre-Dame suggère à
un té¬moin, Rosine Cazenave, d'aller « se
placer vis-à-vis de Bernadette », et de dire
l'Ave Maria, qui renferme la salutation de la cousine de Marie.
Puis tous les incidents du mystère de la Visita¬tion
vont se résumer successivement dans la per¬sonne
de Bernadette.
Et d'abord, on la voit se courber en «
belles salutations » - belles comme du¬rent être
les salutations de Marie et d'Elisabeth. - Puis le choeur
des spectateurs interprète la joie de la voyante, comme
Elisabeth avait chanté le bon¬heur de la Mère
de Dieu. « Une rumeur confuse d'admiration, décrit
Estrade, s'était élevée au milieu de
la foule, et la plupart des assistants se haus¬saient
sur la pointe des pieds pour mieux contem¬pler l'extatique
».
Et c'est aujourd'hui encore que Bernadette
ap¬prendra mot à mot de la Dame du Rocher, et réci¬tera
pour la première fois, une prière personnelle
que nul n'avait dite avant elle. La voyante ne nous a pas
révélé les mots qui composent cette prière.
Mais là n'est pas l'intérêt. Notre-Dame
tenait à nous rappeler que c'est au mystère
de la Visitation qu'el¬le nous a appris sa grande prière
du Magnificat.
Et l'on peut bien soupçonner que la
prière enseignée par Marie à l'humble
enfant était un hymne de reconnaissance, tout comme
le Magnificat, cette prière de Marie que chacun de
nous, quand il la prononce, adapte à sa vie personnelle,
de sorte que la multitude humaine qui l'a répétée
depuis dix¬-neuf siècles ne l'a jamais redite...
Les termes mêmes du Magnificat étaient d'ail¬leurs
si bien appropriés à l'âme de Bernadette
que tous ses panégyristes, pour célébrer
les merveilles que Dieu a faites en elle, n'ont pas cru mieux
faire que de commenter, en lui en appliquant les paroles,
le Cantique de la Visitation.
Enfin, dernier détail évocateur
: pour rappeler que Marie demeura chez sa cousine trois mois,
Ber¬nadette ne retournera pas chez elle, mais elle pren¬dra
pension chez une étrangère, Mme Millet, chez
qui « elle déjeune, dîne et couche »
durant trois jours.
6ème apparition de Lourdes : 21 février
1858
3ème mystère joyeux
: la naissance de Notre Seigneur
D'émouvants parallèles ont été
souvent établis entre Lourdes et Bethléem, ces
deux capitales du monde chrétien.
Leur site, leur histoire, leur des¬tinée ont de
frappantes analogies. Des prophéties les ont de tout
temps désignées à l'espérance
des peuples. « Non, Bethléem, avait dit le prophète
Michée, tu n'es pas l'une des moindres parmi les cités
de Juda, car de toi sortira le chef qui doit régir
mon peuple ».
Et pareillement, l'on annonçait de temps immémorial,
à Lourdes, que des prodiges s'ac¬compliraient à
la rive Massabielle.
A Lourdes comme à Bethléem,
les prodiges prophétisés eurent pour cadre deux
grottes d'aspect identique, jus¬qu'alors fréquentées
par les animaux(1).
Comment ne pas évoquer ces ressemblances tan¬dis
que nous voyons Bernadette se rendre le 21 février
à la Grotte de Massabielle, pour y revivre le troisième
mystère joyeux ?
Ce jour-là, Notre-Dame voulut que son peuple fût
présent, de même que le Christ avait invité
en premier lieu les humbles à venir l'adorer dans sa
crèche.
Un groupe d'ouvriers, profitant des loisirs du dimanche, se
trouvait là.
Bernadette arriva, enveloppée dans
son capulet blanc. Elle traversa simplement la foule, qui
s'écarta avec respect devant elle, commença
la récitation du chapelet et entra soudain en extase.
Voici comment va se répercuter en tout son être
le mystère qu'elle contemple.
Le cierge allumé qu'elle tient à
la main droite, et qui, selon l'interprétation officielle
de la liturgie, signifie la chair immaculée du Verbe
incarné, fruit divin du sein de Marie, ne cessa, au
début de l'Apparition, d'être souffleté
par le courant d'air qui régnait ce matin-là
dans les bas-fonds ténébreux des bords du Gave.
La voyante le livrait chaque fois à la personne la
plus proche pour qu'il fût rallumé. Peut-on rêver
image plus saisissante des refus que le Christ rencontra à
Bethléem quand il demanda une place pour naître
(In propria venit et sui eum non receperunt), ou encore des
humilia¬tions de la crèche, qui viennent comme
narguer sa divinité (Vous trouverez un enfant emmailloté
et couché dans une crèche), ou, plus précisément
en¬core, de la lutte acharnée des ténèbres
contre la Lumière qu'est le Verbe de Dieu (Et lux in
tenebris lucet et tenebrae eum non comprehenderunt).
Le cierge que Bernadette confie successivement aux personnes
qui l'entourent pour qu'elles le rallument, n'est-ce pas l'image
du rôle que Marie a inauguré à Bethléem,
et qu'elle continuera jusqu'à la fin des temps : donner
Jésus au monde et demander à chacun de nous
de reconnaître et d'ado¬rer sa divinité ?
Ces personnes enfin qui reçoivent le cierge des mains
de la voyante (quotquot autem receperunt eum), et qui, en
le rallumant, confessent que le Christ est Dieu, et réparent
ainsi l'oeuvre des ténèbres, représentent
ceux à qui « pouvoir a été donné
de devenir enfants de Dieu », ou, comme saint Paul les
appelle, les « fils de lumière ».
Bientôt, d'ailleurs, Bernadette, toujours en extase,
se lève et se dirige vers la Grotte, où elle
entre.
Il est remarquable que c'est la première fois qu'elle
y pénètre depuis le début de la quinzaine
des Apparitions, et c'est précisément le jour
où se joue le mystère de la Grotte de Bethléem.
Et, tout aussitôt, le mystère de la nuit de Noël
envahit son âme, au point que son visage, nous disent
les témoins, ressemblait à celui « d'un
enfant dans son berceau ».
Puis, pour nous évoquer les pleurs du nouveau-né,
des larmes roulent sur ses joues, et elle s'attriste comme
dut s'affliger la Vierge sainte, en voyant son Jésus
pleurer.
C'est à cause de la malice de nos péchés,
ô Vierge des douleurs, que votre enfant doit souffrir
ainsi, dès son berceau. Il ne faut pas que ces douleurs¬-là
soient perdues. Et c'est pour cela que vous avez dit à
votre confidente, le 21 février, afin qu'elle nous
le répète : « Priez pour les pécheurs
».
Nous répondrons à votre imploration et nous
redirons sans fin sur les grains de notre Rosaire : «
Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous, pauvres
pécheurs... »
L'Apparition terminée, les mêmes événements
qui suivirent la naissance du Christ marquèrent à
Lourdes la journée du 21 février.
Les témoins reviennent de la Grotte « en publiant
leur admiration », et « leurs auditeurs applaudissaient
à leur récit comme à l'annonce d'un événement
patrioti¬que ». On croirait lire saint Luc, qui
clôt ainsi l'Evangile de la Nativité : «
Après avoir vu, les bergers racontèrent ce qui
leur avait été dit au su¬jet de l'enfant.
Tous ceux qui les entendirent fu¬rent dans l'admiration...
»
On sait que les sentiments du roi Hérode furent tout
autres. Peut-être les paroles des bergers étaient¬-elles
parvenues jusqu'à lui ; en tous cas , il n'avait pu
les prendre que pour des racontars, surtout quand on lui eût
affirmé que l'Enfant mystérieux n'était
que le fils d'un pauvre charpentier. Mais la visite qu'il
reçut des rois mages l'impressionna au point de le
troubler. Dès ce moment, la haine pour « le fils
du Charpentier » s'enracina dans son coeur, et des plans
de persécution germèrent en son esprit. Il rassembla
les princes des prêtres et les scribes du peuple, et
on connaît la double politique qu'il adopta. Il feignit
d'abord d'entrer dans les vues des Mages, afin de gagner leur
confiance. Mais quand il vit que les Mages s'étaient
joués de lui, il entra en fureur et ordonna le massacre,
dans Bethléem, des enfants ayant deux ans et au-dessous.
Les événements de Lourdes vont
suivre pas à pas le récit évangélique.
« Les autorités chargées de veiller à
la tranquillité locale, nous dit Estrade, étaient
demeurées à l'écart, pensant que le bon
sens public ferait justice des racontars qui circulaient,
mais, en présence de l'animation bruyante qui mar¬qua
la matinée du 21 février, quand elles apprirent.
qu'une des personnes les plus considérables de Lourdes,
le docteur Dozous(2), avait assisté à l'Apparition
du matin, et que son jugement avait conclu à «
une intervention surnaturelle de Dieu », « elles
se prirent d'inquiétude », (le roi Hérode
se troubla) ; le maire, le procureur impérial, le commissaire
de police se réunirent à l'hôtel de la
mai¬rie (il assembla tous les princes des prêtres
et les scribes du peuple). Ils étaient plutôt
mal disposés en faveur de la voyante, dont ils ne connaissaient
que le nom. Un témoin écrit lui-même :
« Le procureur impérial aurait eu quelque raison
de dire « De la maison Soubirous, que peut-il sortir
de bon ? »
Un incident récent avait jeté le discrédit
sur le père de Bernadette. A tort ou à raison,
quelques mois auparavant, le père Soubirous avait été
accu¬sé d'avoir dérobé une poutre
et, pour ce motif, avait été emprisonné.
De même qu'on alléguait, pour nier le caractère
messianique de Jésus, qu'il était le fils de
Joseph le charpentier, de même on objectait, au caractère
surnaturel des visions de Bernadette, le bois de charpente
de son père.
M. Jacomet, le commissaire de police, celui pré¬cisément
que plusieurs historiens appellent « le nouvel Hérode
», fit appeler secrètement Berna¬dette dans
son cabinet (Hérode fit alors appeler se¬crètement
les Mages). Il lui posa des questions sans nombre et parut
s'intéresser prodigieusement aux Apparitions dont l'enfant
était témoin (il s'enquit d'eux avec soin du
temps où l'étoile leur était «
ap¬parue »...) Mais, s'apercevant bientôt
que ce procédé n'aboutissait qu'à le
confondre lui-même, il changea brusquement d'attitude
(Hérode, voyant qu'il avait été joué
par les Mages, entra dans une grande colère). Il «
se dressa debout » et alla jusqu'à menacer l'enfant
de la main, et l'on ne sait comment la scène se serait
terminée si le père Sou¬birous ne fût
soudain entré. Il réclama sa fille et l'emmena,
la soustrayant ainsi à la fureur du « nou¬vel
Hérode ».
Ainsi fit Joseph, quand l'Ange du Seigneur lui apparut et
lui dit : « Lève-toi, prends l'Enfant et sa mère
et fuis en Egypte, car Hérode cherche l'Enfant pour
le faire mourir ».
Notes
(1) Le Porcatier de l'époque, dit Samson, a déclaré
: « Les ani¬maux que je menais à la rive
Massabielle demeuraient le long de la rive ou près
de la Grotte, et dans l'intérieur même de la
ca¬vité ». Il ajoute même que les porcs,
à force de se frotter contre la grotte, en avaient
poli les parois.
(2) Ce sont précisément les Mages que l'Abbé
Archelet a vus dans la personne du Docteur Dozous. «
C'était, écrit-il, le premier suffrage de la
science en faveur des Apparitions. Tels autrefois les Mages,
savants de l'Orient, étaient venus aux clartés
d'une étoile, à la suite des bergers, adorer
l'enfant Dieu. Ainsi procède le Ciel en ses épiphanies
».
7ème apparition de Lourdes
: 22 février 1858
Les deux épisodes du 4ème
mystère joyeux
Le quatrième mystère joyeux comprend deux épisodes
que l'on énonce distinctement : la Purification de
Marie et la Présentation de Jé¬sus au Temple.
Il fallait que ces deux épisodes fussent représentés
séparément à Lourdes, de ma¬nière
néanmoins à ne comporter qu'une seule Apparition,
puisqu'ils sont médités au cours du Rosaire
sur la même dizaine d'Ave. Rien n'est difficulté
pour la Sagesse divine. L'absence de vision du 22 février
nous dira les leçons du mystère de la Purification,
et l'Apparition du 23 évoquera le mystère de
la Présentation.
I - La Purification de Marie
L'obéissance à la loi et à
l'autorité légitimement constituée, telle
est, si l'on s'en tient au texte ins¬piré, la leçon
primordiale de la Purification de Marie. Elle aurait eu de
bonnes raisons de ne point se rendre à Jérusalem,
comme l'y obligeait « la loi de Moïse ».
L'alternative avait dû certainement se présenter
à son esprit : ou bien se dispenser d'une loi qui n'était
pas faite pour elle - purifie-t-on la neige du sommet des
montagnes ? - ou bien obéir à la loi, mais en
offensant ainsi en quelque sorte les prérogatives que
l'Ange de l'Annonciation avait saluées en elle.
Marie, avec son admirable rectitude de jugement, n'hésite
pas. Elle opte pour la « loi de Moïse »,
contre ses privilèges, ayant en vue l'édification
des Juifs, qui n'auraient rien compris à son abstention,
et, bien plus encore, pour l'édification des chrétiens,
qu'elle engage ainsi à un parfait respect de la loi
de Dieu.
Et Bernadette fut sa parfaite imitatrice le 22 février.
Elle aussi, selon l'expression de l'abbé Archelet,
« opte pour le Décalogue contre la dévo¬tion
». Ce jour-là, en effet, elle reçoit l'ordre
de ses parents « non seulement de ne pas retourner à
Massabielle, mais d'aller à l'école et de ne
dévier ni à droite ni à gauche ».
Cruelle alternative pour l'enfant ! « Elle nous disait,
raconte Basile Casterot : ça me fait bien de la peine.
Il faut que je désobéisse ou à vous ou
à cette Dame ». Elle avait, sem¬ble-t-il,
une raison suffisante pour transgresser l'or¬dre de ses
parents. N'avait-elle pas promis d'aller à la Grotte
durant quinze jours, et cette promesse ne l'avait-elle pas
faite à une Dame mystérieuse dont l'autorité
transcendait celle de ses parents ? Que devait-elle faire
? Si l'on se réfère au mystère de la
Purification, elle devait se soumettre à la loi du
Décalogue, qui veut qu'un enfant obéisse à
ses parents. Et c'est ce qu'elle fit.
C'est plutôt ce qu'elle se proposait de faire, mais
quand, l'après-midi, se rendant à l'école,
elle fut parvenue à quelques pas de la caserne de gendarmerie,
elle est arrêtée par une main mystérieuse
qui l'empêche d'avancer et l'entraîne vers la
Grot¬te. C'est en vain qu'elle résiste. Elle n'est
pas res¬ponsable. Dieu a besoin d'elle pour nous mettre
sous les yeux, dans un saisissant relief, la leçon
du quatrième mystère joyeux.
Les gendarmes, de leurs fenêtres, remarquent
ses hésitations et ses piétinements devant l'obstacle
invisible. Dès qu'ils voient l'enfant faire volte-face,
ils se hâtent de la suivre.
En chemin, Bernadette demande qu'on aille lui chercher le
cierge de sa marraine, dont elle se ser¬vait aux cérémonies
de la Chandeleur. Cette de¬mande trahit son dessein. Bientôt
des enfants et des femmes la rejoignent. Et le « cortège
» se rend à Massabielle. En avant, marche la
voyante « cal¬me, modeste et sereine », son
cierge de Chandeleur à la main. Deux gendarmes, représentants
de la Loi, tels deux acolytes, l'encadrent. Et la foule suit,
composée d'une « cinquantaine de femmes, filles
et pe¬tits garçons ».
Et de ce petit cortège, le symbolisme
se dégage grandiose. Il évoque les processions
qui se font le 2 février... Il évoque Marie,
la mère par excellence, la femme qui a enfanté
la lumière du monde, s'en allant au Temple pour une
Purification dont elle n'a pas besoin, simplement par respect
pour la loi. « La loi reconnaissante, écrit l'abbé
Bonner lui-même, qui semble avoir pénétré
la signification surnaturelle de ces événements,
lui forme un cortège d'honneur, tandis que les femmes
mariées, dont c'est aujourd'hui la fête, lui
crient leur admiration et sont fières de s'affirmer,
publiquement, suivantes de Notre-Dame de la Chandeleur, de
la mère purifiée ».
Bernadette, arrivée devant la niche, se met à
ge¬noux, allume son cierge et récite le chapelet;
mais cette fois, la Dame ne vient pas. Après avoir
prié longtemps, elle comprit qu'il n'y aurait pas vision,
et elle en parut très affligée. « Je ne
sais pas, dit¬-elle, en quoi j'ai manqué à
cette Dame ».
Rassure-toi, Bernadette. Tu n'as point failli. Tu es venue
à la Grotte malgré la défense de tes
parents, mais tu ne leur as pas pourtant désobéi
puis¬que « tu n'as pu faire aller tes jambes que
vers la Grotte ». Une force mystérieuse t'a fait
dévier de ton chemin. Ta volonté demeurait soumise
à l'autorité paternelle. Mais extérieurement
et légalement, aux yeux des hommes, tu n'étais
pas dans l'ordre. La Dame céleste, responsable pourtant
de cet apparent désordre, se gardera néanmoins
de le couvrir de ses faveurs. Elle veut faire entendre aux
hommes la leçon du mystère de la Purification.
Comme Marie, aimons passionnément la loi de Dieu, sans
croire jamais que rien puisse nous en dispenser.
II - La Présentation de Jésus au Temple
Le mystère de la Présentation
est, avant tout, le mystère de la vocation de Jésus.
C'est aujourd'hui qu'il se donne à son Père,
sans réserve et sans re¬tour. C'est aujourd'hui
qu'il prononce les paroles qui résument tout le mystère
de son Incarnation. « Vous n'avez voulu ni sacrifice
ni offrande, mais vous m'avez formé un corps. Alors
j'ai dit : Voici, je viens pour faire, ô Dieu, votre
volonté ».
Et c'est aujourd'hui que Bernadette entend
le même appel et qu'elle y répond pareillement.
« Tandis que je priais, raconte-t-elle elle-même,
la Dame m'appela, je répondis : me voici ! »
L'état d'obéissance, de soumission, de totale
oblation de Jésus à son Père va être
exprimé par l'attitude d'absorption qui va caractériser
plus spécia¬lement aujourd'hui l'extase de Bernadette.
Tout son être est comme suspendu à sa chère
vision. « On aurait dit, déclare Estrade, qu'elle
craignait de bais¬ser les paupières, de peur de
perdre de vue l'objet ravissant de ses contemplations. C'était
un de ces êtres privilégiés, à
figure céleste, que l'apôtre des grandes visions
nous représente en extase devant ¬le Trône
de Dieu... »
Divers incidents marquèrent, à
Jérusalem, la Présentation de Jésus.
On va les voir se renouveler dans la quatrième Apparition
joyeuse.
Un homme « juste et craignant Dieu », du nom de
Siméon, fut poussé par l'Esprit-Saint à
venir dans le Temple, à Jérusalem, à
l'heure où les pa¬rents de Jésus y arrivaient
eux-mêmes. Dès qu'il aperçut l'Enfant
dans les bras de sa Mère, une se¬crète intuition
lui révéla que c'était là le Messie
attendu. Et c'est alors qu'il prononça l'émouvant
cantique du Nunc dimittis.
Pareillement, l'Esprit-Saint, en la personne du Curé
de Lourdes, poussa, le 23 février, M. Estrade, «
homme juste et craignant Dieu », à se rendre
à Massabielle. Immédiatement il fut sous le
charme. Son émoi fut identique à celui de Siméon.
Il publia son témoignage. « Je ne pouvais, a-t-il
écrit, retenir mon émotion... La Dame avait
eu beau se voiler, j'avais senti sa présence... O heure
solennelle de ma vie ! »
Et c'est à l'occasion du récit de cette Apparition
qu'il entonne un cantique dont la contexture et les sentiments
sont ceux du Nunc Dimittis : « O Mère, mes cheveux
ont blanchi et je suis près de la tombe. Je n'ose arrêter
mes regards sur mes iniquités et plus que jamais j'ai
besoin de me réfugier sous le manteau de vos miséricordes.
Quand, à l'heure suprême, je paraîtrai
devant votre auguste Fils, daignez vous faire ma protectrice
et vous souvenir que vous m'avez vu, aux jours de vos manifestations,
à genoux et croyant, sous la voûte sacrée
de votre Grotte de Lourdes ».
Le vieillard Siméon ne se contenta
pas de chan¬ter son propre bonheur, mais, se tournant
vers la Mère de l'Enfant, il lui confia, concernant
sa vo¬cation, trois douloureux secrets : « Cet enfant
est au monde pour la chute et le relèvement de beaucoup
en Israël. - Il sera un signe de contradiction. -Pour
toi, ton âme sera transpercée par un glaive à
deux tranchants ».
Et c'est aujourd'hui, pour continuer le parallè¬le,
que trois secrets sont confiés à Bernadette.
Des indiscrets ont cherché plus tard, par tous les
moyens, à lui arracher les révélations
de la Vierge. Peine perdue ! La fidèle enfant a emporté
avec elle ses secrets dans la tombe. Mais ceux qui ont vécu
en son intimité s'accordent à penser qu'ils
avaient trait à sa vocation et à son existence,
qui ne lui épargnera ni douleurs ni contradictions.
Quoi qu'il en soit, le vieillard Siméon avait annoncé
à Marie qu' « un glaive à deux tranchants
transpercerait son âme ». Or il est remarquable
que le ler mars, jour où se jouera à la Grotte
le mystère du Crucifie¬ment, un témoin lira
sur le visage de Bernadette « une tristesse vive comme
un glaive à deux tran¬chants, profonde comme un
abîme ».
Le 23 février, les spectateurs des Apparitions no¬teront
seulement sur sa physionomie des sentiments « d'admiration,
de joie, de crainte et de tristesse ». Ce sont bien
là les émotions qui durent se faire jour dans
l'âme de Marie, au jour de la Présentation :
L'admiration : Le Père et la Mère de l'Enfant
étaient, dans l'admiration des choses qu'on disait
de lui.
La joie et la tristesse : Cet Enfant a été établi
pour la chute et le relèvement d'un grand nombre ,en
Israël.
La crainte : Un glaive transpercera votre âme.
Signalons enfin que c'est encore aujourd'hui que Bernadette
trace sur elle, « par intervalles, ces si¬gnes de
Croix si pieux et si nobles, comme on ne peut les faire qu'au
Ciel », ces signes de Croix qui résument toute
la Passion - cette Passion qui point déjà lugubrement
au matin de la Présentation de Jésus au Temple...
8ème apparition de Lourdes : 24 février
1858
Le recouvrement de Jésus au
Temple
Lorsque Jésus eut douze ans, ses parents l'emmenèrent
avec eux, célébrer la Pâque à Jérusalem.
Les solennités terminées, ils s'en retournèrent,
mais Jé¬sus resta à Jérusalem et
ils ne s'en aperçurent point. Pensant qu'il était
avec quelqu'un de leur compagnie, ils marchèrent durant
un jour, puis ils le cher¬chèrent parmi leurs parents
et connaissances. Mais ils ne le trouvèrent pas. -
Leur anxiété devint alors très vive.
Le chagrin de Marie devait surtout faire peine à voir.
Il gagna sans doute les gens de Nazareth. La désolation
fut générale. Marie et Jo¬seph revinrent
à Jérusalem, à la recherche de Jésus.
Ce n'est qu'au troisième jour que Marie, pénétrant
dans les cours du Temple, pousse un cri. Elle vient d'apercevoir
son enfant assis au milieu d'un groupe. Dieu soit béni
! Ses larmes soudain se transforment en éclair de joie.
On va voir comment tout l'essentiel de cette
scène va se retrouver le 24 février, adapté
en jeu scénique, devant le rocher de Massabielle. Notre-¬Dame
va pousser la condescendance jusqu'à se faire actrice.
Elle tiendra le rôle de Jésus, tandis qu'elle
confiera son propre rôle à Bernadette. Elle se
ca¬chera et sa voyante entreprendra pour la retrouver
une recherche « anxieuse » et « gémissante
».
Après un moment d'extase, en effet,
les spectateurs la voient qui se lève et qui se rend
à pas lents vers l'intérieur de la Grotte, donnant
l'impression très nette d'être à la recherche
de Notre-Dame. « J'entendis, dit un témoin, à
trois ou quatre re¬prises, des gémissements...
Elle était allée voir sous le rocher si la Dame
n'était pas venue à la cavité de la voûte;
ne l'y trouvant pas, elle est redescen¬due avec deux larmes
sur les joues, comme pla¬quées ». D'autres
témoins affirment qu'elle « pleurait à
chaudes larmes ».
Et voilà que son chagrin se communique à la
foule. Les hommes eux-mêmes sont tellement pris par
l'émotion que pour la mieux cacher, ils quittent la
Grotte.
« Tout à coup, nous dit Dominiquette Cazenave,
la figure de Bernadette s'éclaira. On entendit sortir
de sa bouche un ah ! doux, à peine articulé,
comme si elle eût dit : « Ah ! quel bonheur !
la voilà ! »
« Pendant une heure de temps que dura l'Ap¬parition,
raconte Fanny Nicolau, cela se reproduisit quatre ou cinq
fois ». Les témoins eurent donc tout le loisir
pour observer les transformations qui se produisirent sur
le visage de la voyante, suivant les péripéties
du jeu divin. Et les observations qu'ils nous ont rapportées
sont du plus haut intérêt. L'on sait en effet
les leçons que tous les auteurs mystiques tirent de
la méditation du cinquième mystère joyeux.
« Jésus, dit par exemple le R. P. Roupain, aime
à se dérober. Il fait alors comme une mère
qui se soustrait aux caresses de son enfant, pour voir com¬bien
elle en est aimée ».
C'est exactement ce que disent les témoins du 24 février.
« Il semblait, dit Fanny Nicolau, que la Sainte Vierge
faisait comme une mère à son en¬fant, quand
elle se cache pour se faire chercher ».
Le pire malheur pour une âme, continuent
les exégètes mystiques, c'est d'avoir perdu
Jésus par le péché ou la négligence
coupable. « Etre sans Jésus, dit l'auteur de
l'Imitation, c'est un enfer intolé¬rable. Etre
avec Jésus, c'est un doux paradis ». Les changements
de physionomie de Bernadette vont illustrer cette doctrine.
Quand la Sainte Vierge disparaissait - quand Jésus
n'est plus là - les larmes. coulaient le long de ses
joues, « une sorte de nuage lui descendait du front
jusqu'au menton... sa figure s'assombrissait comme la terre
quand le soleil se cache ».
Quand la vision lui réapparaissait - quand Jé¬sus
est présent à l'âme ou quand on le retrouve
- « il y avait comme un mouvement doux de tout son corps
en avant, puis venaient un beau sourire et de beaux saluts,
qu'elle faisait sans détacher le regard d'en haut.
Son visage se tranfigurait et de¬venait d'une blancheur
merveilleuse. Ou aurait dit que la lumière qui environnait
la Vierge Marie se reflétait sur son angélique
figure... »
De longues dissertations ont été faites pour
expli¬quer comment le mystère du Recouvrement prend
place, malgré les inexprimables douleurs qui en sont
la préparation, parmi les mystères joyeux du
Rosaire.
L'Apparition du 24 février va nous le révéler
en quelques mots, aussi brefs que suggestifs. « Les
yeux encore tout mouillés de larmes, Bernadette se
mit à rire avec une grâce charmante. Après
l'Ap¬parition, elle ne se rappelle plus d'avoir pleuré
».
Le Mystère du Recouvrement, c'est une joie après
des larmes. On oublie les larmes versées pour ne se
rappeler que la joie que l'on a d'avoir retrouvé Jésus...