LA SANCTIFICATION DES
PRETRES
Par le card. Hummes
Voici le texte intégral du Message
du cardinal Claudio Hummes, préfet de la congrégation
pour le Clergé, en vue de la prochaine Journée
mondiale de prière pour la sanctification des prêtres,
célébrée chaque année en la fête
du sacré Cœur de Jésus, depuis sa création
par Jean-Paul II. Une solennité qui tombe cette année
le 30 mai.
JOURNEE MONDIALE DE PRIERE POUR LA SANCTIFICATION
DES PRETRES
Chers confrères dans le sacerdoce,
En la Fête du Très Saint Cœur de Jésus,
nous fixons les yeux de notre esprit et de notre cœur,
avec un regard d'amour constant, sur le Christ, unique Sauveur
de nos existences et du monde. Rappeler le Christ signifie
rappeler ce Visage que chaque homme, consciemment ou non,
cherche comme unique réponse adaptée à
sa soif irrépressible de bonheur.
Ce Visage, nous l'avons rencontré et, en ce jour, en
cet instant, Son Amour a tellement blessé notre cœur,
que nous n'avons pu faire autrement que demander sans cesse
de nous trouver en sa Présence. «Au matin, tu
écoutes ma voix; au matin, je me prépare pour
toi et je reste en éveil» (Psaume 5).
La Sainte Liturgie nous conduit à nouveau et encore
à contempler le mystère de l'Incarnation du
Verbe, origine et réalité profonde de cette
compagnie qu'est l'Eglise: le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de
Jacob se révèle en Jésus Christ. «Sa
Gloire, personne n'aurait pu la voir à moins d'être
guéri par l'humilité de sa chair. La poussière
t'avait aveuglé, la poussière te guérit;
ton aveuglement était venu de la chair, de la chair
est venue ta guérison» (SAINT AUGUSTIN, Traité
sur l'Evangile de Jean, Homélie, 2, 16).
Ce n'est qu'en regardant à nouveau l'humanité
parfaite et fascinante de Jésus Christ, Vivant et agissant
en ce moment, qui s'est révélé à
nous et qui à présent se penche encore sur chacun
de nous avec cet amour de totale prédilection qui Lui
est propre, qu'il est possible de le laisser illuminer et
combler l'abîme de besoin qu'est notre humanité,
certains de l'Espérance rencontrée, certains
de la Miséricorde qui embrasse nos limites, en nous
enseignant à pardonner ce que nous ne parvenions même
pas à apercevoir de nous-mêmes. «L'abîme
appelant l'abîme à la voix de tes cataractes»
(Psaume 41).
Je voudrais, à l'occasion de la traditionnelle Journée
de Prière pour la Sanctification des Prêtres,
qui est célébrée en la Fête du
Très Saint Cœur de Jésus, rappeler la priorité
de la prière par rapport à l'action, dans la
mesure où c'est de celle-ci que dépend la profondeur
de l'action. De la relation personnelle de chacun avec le
Seigneur Jésus dépend grandement la mission
de l'Eglise. La mission doit donc être nourrie par la
prière: «Le moment est venu de réaffirmer
l'importance de la prière face à l'activisme
et au sécularisme dominant» (BENOIT XVI, Deus
Caritas est, n. 37). Ne nous lassons pas de puiser à
sa Miséricorde, de le laisser examiner et guérir
les plaies douloureuses de notre péché pour
nous émerveiller face au miracle, toujours nouveau,
de notre humanité rachetée.
Très chers confrères, nous sommes les experts
de la Miséricorde de Dieu en nous et, uniquement ainsi,
ses instruments lorsque nous embrassons, de manière
toujours nouvelle, l'humanité blessée. «Le
Christ ne nous sauve pas de notre humanité, mais à
travers celle-ci; il ne nous sauve pas du monde, mais il est
venu dans le monde pour que le monde se sauve grâce
à Lui (cf. Jn 3, 17)» (BENOIT XVI, Message Urbi
et Orbi, 25 décembre 2006). Enfin, nous sommes prêtres
pour l'Acte le plus élevé de la Miséricorde
de Dieu et, dans le même temps, de sa prédilection,
le Sacrement de l'Ordre.
En deuxième lieu, dans la soif ardente et irrépressible
que nous avons de Lui, la dimension la plus authentique de
notre Sacerdoce est la mendicité, la prière
simple et continue, que l'on apprend dans l'oraison silencieuse;
celle-ci a toujours caractérisé la vie des saints
et elle doit être demandée avec insistance. Cette
conscience de la relation avec Lui est quotidiennement soumise
à la purification de l'épreuve. Chaque jour,
à nouveau, nous nous apercevons que ce drame ne nous
est pas non plus épargné, nous Ministres qui
agissons in Persona Christi Capitis: nous ne pouvons pas vivre
un seul instant en sa présence, sans le doux désir
de Le reconnaître, Le connaître et adhérer
encore à Lui. Ne cédons pas à la tentation
de considérer notre être Prêtres comme
une charge inévitable et ne pouvant être déléguée,
désormais assumée, que l'on peut «mécaniquement»
exercer en suivant simplement un programme pastoral articulé
et cohérent. Le Sacerdoce est la vocation, la route,
la manière à travers laquelle le Christ nous
sauve, avec laquelle il nous a appelés, et nous appelle
à présent, à vivre avec Lui.
L'unique mesure adaptée, face à notre sainte
Vocation, est la radicalité. Ce dévouement total,
dans la conscience de notre infidélité, ne peut
avoir lieu que comme une décision renouvelée
dans la prière que le Christ réalise ensuite
jour après jour. Le don même du célibat
sacerdotal est à accueillir et à vivre dans
cette dimension de radicalité et de pleine configuration
au Christ. Toute autre position, par rapport à la réalité
de la relation avec Lui, risque de devenir idéologique.
Même la quantité de travail, parfois extraordinairement
grande, que les conditions actuelles du ministère nous
demandent de soutenir, au lieu de nous décourager,
doit nous pousser à avoir soin, avec encore plus d'attention,
de notre identité sacerdotale, qui a une racine irréductiblement
divine. En ce sens, selon une logique opposée à
celle du monde, ce sont précisément les conditions
du ministère qui doivent nous pousser à «élever
le degré» de notre vie spirituelle, en témoignant
avec une plus grande conviction et efficacité de notre
appartenance exclusive au Seigneur.
Nous sommes éduqués au dévouement total
par Celui qui nous a aimés le premier. «Je me
fis trouver par celui qui ne me cherchait pas. Je dis: "Me
voici" à celui qui n'invoquait pas mon Nom».
Le lieu de la totalité par excellence est l'Eucharistie,
car: «Jésus, dans l'Eucharistie, donne non pas
"quelque chose" mais se donne lui-même; il
offre son corps et il verse son sang. De cette manière,
il donne la totalité de son existence, révélant
la source originaire de cet amour» (Sacramentum caritatis,
n. 7).
Nous sommes fidèles, très chers confrères,
à la célébration quotidienne de la Très
Sainte Eucharistie, non seulement pour remplir un engagement
pastoral ou répondre à une exigence de la communauté
qui nous est confiée, mais en raison du besoin personnel
absolu que nous en ressentons, comme de l'air, comme de la
lumière pour notre vie, comme l'unique raison appropriée
à une existence accomplie de prêtre.
Le Saint-Père, dans l'Exhortation post-synodale Sacramentum
caritatis, nous repropose avec force l'affirmation de saint
Augustin: «Que personne ne mange cette chair sans d'abord
l'adorer; nous pécherions si nous ne l'adorions pas»
(SAINT AUGUSTIN, Enarrationes in Psalmos, 98, 9). Nous ne
pouvons pas vivre, nous ne pouvons pas regarder la vérité
sur nous-mêmes, sans nous laisser regarder et engendrer
par le Christ dans l'Adoration eucharistique quotidienne,
et le «Stabat» de Marie, «Femme eucharistique»,
sous la Croix de son Fils, est l'exemple le plus significatif
qui nous est donné de la contemplation et de l'adoration
du Sacrifice divin.
De même que la dimension missionnaire est intrinsèque
à la nature même de l'Eglise, notre mission est
contenue dans l'identité sacerdotale, c'est pourquoi
l'urgence missionnaire est une question de conscience de nous-mêmes.
Notre identité sacerdotale est édifiée
et renouvelée jour après jour dans le «dialogue»
avec notre Seigneur. La relation avec Lui, sans cesse nourrie
dans la priére permanente, a pour conséquence
immédiate la nécessité d'y faire participer
ceux qui nous entourent. La sainteté que nous demandons
quotidiennement, en effet, ne peut pas être conçue
selon une acception individualiste stérile et abstraite,
mais elle est nécessairement la sainteté du
Christ, qui est contagieuse pour tous: «Le fait d'être
en communion avec Jésus Christ nous implique dans son
être "pour tous", il en fait notre façon
d'être» (BENOIT XVI, Spe salvi, n. 28).
Cet «être pour tous» du Christ se réalise,
pour nous, dans les Tria Munera dont nous sommes revêtus
par la nature même du sacerdoce. Ces derniers, qui constituent
la totalité de notre Ministère, ne sont pas
le lieu d'aliénation, ou pire encore, d'un pur réductionnisme
fonctionnaliste de notre personne, mais l'expression la plus
véritable de notre être du Christ; ils sont le
lieu de la relation avec Lui. Le Peuple qui nous est confié
afin que nous l'éduquions, le sanctifions et le gouvernions,
n'est pas une réalité qui nous distrait de «notre
vie», mais il est le visage du Christ que nous contemplons
quotidiennement, comme l'époux contemple le visage
de sa bien-aimée, comme le Christ contemple l'Eglise,
son Epouse. Le peuple qui nous est confié est la voie
incontournable de notre sainteté, c'est-à-dire
la voie par laquelle le Christ manifeste la gloire du Père
à travers nous.
«Si pour la personne qui en scandalise une seule autre
et la plus petite il faut qu'il lui soit suspendue au cou
une meule et qu'elle soit précipitée dans la
mer [...] ceux qui en revanche conduisent à la perdition
[...] tout un peuple comment devront-ils souffrir quel châtiment
devront-ils recevoir?» (SAINT JEAN CHRYSOSTOME, De Sacerdotio
VI, 1.498). Face à la conscience d'une tâche
aussi grave et d'une responsabilité si grande pour
notre vie et notre salut, où la fidélité
au Christ coïncide avec l'«obéissance»
aux exigences dictées par la rédemption de ces
âmes, on ne doit pas laisser le moindre espace pour
douter de la grâce reçue. Nous pouvons seulement
demander de céder le plus possible à Son Amour,
afin qu'il agisse à travers nous, car ou nous laissons
le Christ sauver le monde, en agissant en nous ou bien nous
risquons de trahir la nature même de notre vocation.
La mesure du dévouement, chers confrères, est
à nouveau et encore la totalité. «Cinq
pains et deux poissons» ce n'est pas beaucoup, oui,
mais cela est tout! La Grâce de Dieu fait de toute notre
petitesse, la Communion qui nourrit le Peuple. A ce «dévouement
total», participent de manière particulière
les prêtres âgés ou malades qui, quotidiennement,
en exerçant le divin ministère, en s'unissant
à la passion du Christ et en offrant leur existence
presbytérale, pour le vrai bien de l'Eglise et le salut
des âmes.
Enfin, le fondement incontournable de toute la vie sacerdotale
demeure la Sainte Mère de Dieu. La relation avec Elle
ne peut pas se résoudre en une pratique de piété
et de dévotion mais elle est nourrie par le dévouement
constant, entre les bras de la toujours Vierge, de toute notre
vie, de notre ministère dans sa totalité. La
Très Sainte Vierge Marie nous reconduit nous aussi
à nouveau, comme Jean, sous la Croix de Son Fils et
notre Seigneur, pour contempler, avec Elle, l'Amour infini
de Dieu: «Elle est descendue ici-bas, notre Vie, la
vraie Vie, elle s'est chargée de notre mort pour la
tuer avec la surabondance de Sa Vie» (SAINT AUGUSTIN,
Confessions IV, 12).
Dieu le Père a choisi, comme condition pour notre rédemption,
pour l'accomplissement de notre humanité, pour l'Avènement
de l'Incarnation du Fils, d'attendre le «Fiat»
d'une Vierge devant l'annonce de l'ange. Le Christ a décidé
de confier, pour ainsi dire, sa Vie à la liberté
pleine d'amour de la Mère: «En concevant le Christ,
en le mettant au monde, en le nourrissant, en le présentant
dans le Temple à son Père, en souffrant avec
son Fils qui mourait sur la croix, elle apporta à l'œuvre
du Sauveur une coopération absolument sans pareille
par son obéissance, sa foi, son espérance, son
ardente charité, pour que soit rendue aux âmes
la vie surnaturelle. C'est pourquoi elle est devenue pour
nous, dans l'ordre de la grâce, notre Mère»
(Lumen gentium, n.61).
Le Pape Saint Pie X affirmait: «Toute vocation sacerdotale
vient du cœur de Dieu, mais elle passe à travers
le cœur d'une mère». Cela est vrai par rapport
à l'évidente maternité biologique mais
aussi par rapport à l'«accouchement» de
toute fidélité à la Vocation du Christ.
Nous ne pouvons nous passer d'une maternité spirituelle
pour notre vie sacerdotale: en nous en remettant plein de
confiance à la prière de toute la Sainte Mère
Eglise, à la maternité du Peuple, dont nous
sommes les pasteurs, mais auquel est confiée également
notre garde et notre sainteté; nous demandons ce soutien
fondamental.
Il se fait jour, chers confrères, l'urgence d'«un
mouvement de prière qui place en son centre l'Adoration
eucharistique continue sur la durée de vingt-quatre
heures, de manière à ce que de tout angle de
la terre, s'élève toujours à Dieu une
prière d'adoration, d'action de grâce, de demande
et de réparation, avec le but principal de susciter
un nombre suffisant de saintes vocations au sacerdoce et,
également, d'accompagner spirituellement - au niveau
du Corps mystique -, avec une sorte de maternité spirituelle
ce qui sont déjà appelés au sacerdoce
ministériel et sont ontologiquement conformés
à l'unique Souverain et Eternel Prêtre, afin
qu'ils Le servent toujours mieux Lui ainsi que les frères,
comme ceux qui , dans le même temps sont "dans"
l'Eglise mais aussi "devant" l'Eglise (cf. JEAN-PAUL
II, Pastores dabo vobis, n. 16) en représentant le
Christ et, le représentant, comme tête, pasteur
et époux de l'Eglise» (Lettre de la congrégation
pour le Clergé, 8 décembre 2007).
Ainsi se dessine, en fin de compte, une forme supplémentaire
de maternité spirituelle, qui a toujours accompagné
silencieusement, dans l'histoire de l'Eglise, la famille élue
des prêtres: il s'agit de confier concrètement
notre ministère à un visage déterminé,
à une âme consacrée, qui soit appelée
par le Christ et, donc, choisisse d'offrir sa propre personne,
les souffrances nécessaires et les difficultés
inévitables de la vie, pour intercéder en faveur
de notre existence sacerdotale, en vivant, de cette manière,
en la douce présence du Christ.
Cette maternité, dans laquelle s'incarne le visage
amoureux de Marie, doit être demandée dans la
prière, car seul Dieu peut la susciter et la soutenir.
D'admirables exemples en ce sens ne manquent pas; pensons
aux larmes bénéfiques de sainte Monique pour
son fils Augustin, pour lequel elle pleure «plus que
ne pleurent les mères pour la mort physique de leurs
enfants» (SAINT AUGUSTIN, Confessions III, 11). Un autre
exemple fascinant est celui d'Eliza Vaughan, qui donna le
jour et confia au Seigneur treize enfants; sur les huit fils,
six devinrent prêtres, et sur les cinq filles, quatre
devinrent religieuses. Car il n'est pas possible d'être
véritablement mendiants devant le Christ, merveilleusement
caché dans le Mystère eucharistique, sans savoir
concrètement demander l'aide effective et la prière
de ceux qu'Il place à nos côtés, et sans
craindre de nous en remettre aux maternités qu'assurément
l'Esprit suscite pour nous.
Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus, consciente
du besoin extrême de prière pour tous les prêtres
surtout pour ceux qui sont tièdes, écrit dans
une lettre adressée à sa sœur Céline:
«Vivons pour les âmes, soyons des apôtres,
Sauvons surtout les âmes des prêtres [...]. Prions,
souffrons pour eux et, le dernier jour, Jésus sera
reconnaissant» (SAINTE THERESE DE LISIEUX, Lettre 94).
Confions-nous à l'intercession de la Sainte Vierge
Reine des Apôtres, très douce Mère, tournons
avec Elle notre regard vers le Christ, en tendant continuellement
à être totalement, radicalement à Lui;
telle est notre identité!
Nous nous souvenons des paroles du saint Curé d'Ars,
Patron des Curés: «Si j'avais déjà
un pied au ciel, et que l'on venait me dire de retourner sur
la terre pour travailler à la conversion des pécheurs,
j'y retournerais bien volontiers. Et s'il était pour
cela nécessaire de rester sur la terre jusqu'à
la fin du monde, en me levant toujours à minuit, et
que je souffrais comme je souffre, je consentirais de tout
cœur» (FRERE ATHANASE, Procès de l'Ordinaire,
p. 883).
Puisse le Seigneur guider et protéger tous et chacun,
en particulier les malades et les plus souffrants, dans l'offrande
constante de notre vie par amour.
Cláudio Card. Hummes
Préfet
S.Exc. Mgr Mauro Piacenza
Archevêque titulaire de Vittoriana
Secrétaire