Les lettres pastorales de Saint Paul
Nous publions ci-dessous le texte intégral
du discours prononcée le mercredi 28 janvier 2009 par
le pape Benoît XVI au cours de l'audience générale,
dans la salle Paul VI du Vatican. Ainsi que les trois communications.
La première concernait l'élection du nouveau
patriarche orthodoxe de Moscou, la deuxième la levée
de l'excommunication des quatre évêques ordonnés
sans mandat pontifical par Mgr Lefebvre en 1988 et la troisième,
le souvenir de la Shoah.
A- Discours de Benoît XVI
Chers frères et sœurs,
Les dernières Lettres des écrits épistolaires
pauliniens, dont je voudrais parler aujourd'hui, sont appelées
Lettres pastorales, car elles ont été envoyées
à des figures individuelles de pasteurs de l'Eglise
: deux à Timothée, et une à Tite, collaborateurs
étroits de saint Paul. Chez Timothée, l'apôtre
voyait presque un alter ego ; en effet, il lui confia des
missions importantes (en Macédoine : cf. Ac 19, 22
; à Thessalonique : cf. 1 Ts 3, 6-7 ; à Corinthe
: cf. 1 Co 4, 17 ; 16, 10-11), puis il écrivit à
son propos un éloge flatteur : « Je n'ai vraiment
personne qui saura comme lui s'intéresser d'un cœur
sincère à votre situation » (Ph 2, 20).
Selon l'Histoire ecclésiastique d'Eusèbe de
Césarée, du IVe siècle, Timothée
fut ensuite le premier évêque d'Ephèse
(cf. 3, 4). Quant à Tite, lui aussi devait avoir été
très cher à l'apôtre, qui le définit
explicitement « plus empressé que jamais... mon
associé et coopérateur » (2 Co 8 ; 17.23),
et même « mon véritable enfant en notre
foi commune » (Tt 1, 4). Il avait été
chargé de quelques missions très délicates
dans l'Eglise de Corinthe, dont le résultat réconforta
Paul (cf. 2 Co 7, 6-7.13 ; 8, 6). Par la suite, selon ce qui
nous a été transmis, Tite rejoignit Paul à
Nicopolis, en Epire, en Grèce (cf. Tt 3, 12) puis fut
envoyé par lui en Dalmatie (cf. 2 Tm 4, 10). Selon
la Lettre qui lui est adressée, il résulte ensuite
avoir été Evêque de Crête (cf. Tt
1, 5).
Les Lettres adressées à ces
deux pasteurs occupent une place tout à fait particulière
au sein du Nouveau Testament. La majorité des exégètes
est aujourd'hui d'avis que les Lettres n'auraient pas été
écrites par Paul lui-même, mais que leur origine
se trouverait dans l'« école de Paul »,
et refléterait son héritage pour une nouvelle
génération, en intégrant sans doute quelque
bref écrit, ou parole de l'Apôtre lui-même.
Par exemple, certaines paroles de la seconde Lettre à
Timothée apparaissent tellement authentiques qu'elles
ne peuvent venir que du cœur et de la bouche de l'Apôtre.
La situation ecclésiale qui ressort de ces Lettres
est sans aucun doute différente de celle des années
centrales de la vie de Paul. A présent, rétrospectivement,
celui-ci se définit lui-même comme « héraut,
apôtre et maître » des païens dans
la foi et dans la vérité (cf. 1 Tm 2, 7 ; 2
Tm 1, 11) ; il se présente comme quelqu'un qui a obtenu
la miséricorde, car - ainsi écrit-t-il - «
en moi le premier, Jésus Christ manifestât toute
sa patience faisant de moi un exemple pour ceux qui doivent
croire en lui en vue de la vie éternelle » (1
Tm 1, 16). Il est donc essentiel que ce soit réellement
en Paul, persécuteur converti par la présence
du Ressuscité, qu'apparaisse la magnanimité
du Seigneur pour nous encourager, pour nous pousser à
espérer et à avoir confiance dans la miséricorde
du Seigneur qui, en dépit de notre petitesse, peut
faire de grandes choses. Outre les années centrales
de la vie de Paul, il faut également considérer
les nouveaux contextes culturels présupposés
ici. En effet, on fait allusion à l'apparition d'enseignements
qu'il faut considérer entièrement erronés
et faux (cf. 1 Tm 4, 1-2 ; 2 Tm 3, 1-5), comme ceux des personnes
qui prétendaient que le mariage n'était pas
bon (cf. 1 Tm 4, 3a). Nous voyons combien cette préoccupation
est moderne, car aujourd'hui aussi, on lit parfois l'Ecriture
comme un objet de curiosité historique et non pas comme
la parole de l'Esprit Saint, dans laquelle nous pouvons entendre
la voix même du Seigneur et connaître sa présence
dans l'histoire. Nous pourrions dire que, avec cette brève
liste d'erreurs présentes dans les trois Lettres, sont
anticipés certains traits de l'orientation successive
erronée qui est connue sous le nom de gnosticisme (cf.
1 Tm 2, 5-6 ; 2 Tm 3, 6-8).
L'auteur répond à ces doctrines par deux rappels
fondamentaux. L'un consiste à renvoyer à une
lecture spirituelle des Saintes Ecritures (cf. 2 Tm 3, 14-17),
c'est-à-dire à une lecture qui les considère
réellement comme « inspirées » et
provenant de l'Esprit Saint, pour qu'elles puissent «
procurer la sagesse qui conduit au salut ». On lit l'Ecriture
de manière juste en se plaçant dans un dialogue
avec l'Esprit Saint, afin d'en tirer une lumière «
pour enseigner, réfuter, redresser, former à
la justice » (2 Tm 3, 16). En ce sens la Lettre ajoute
: « ainsi l'homme de Dieu se trouve-t-il accompli, équipé
pour toute œuvre bonne » (2 Tm 3, 17). L'autre
appel consiste à évoquer le bon « dépôt
» (parathéke) : c'est un mot spécifique
des Lettres pastorales par lequel est indiquée la tradition
de la foi apostolique qu'il faut conserver avec l'aide de
l'Esprit Saint qui habite en nous. Ce « dépôt
» doit donc être considéré comme
la somme de la Tradition apostolique et comme le critère
de fidélité à l'annonce de l'Evangile.
Et nous devons ici avoir à l'esprit que dans les Lettres
pastorales comme dans tout le Nouveau Testament, le terme
« Ecritures » signifie explicitement l'Ancien
Testament, parce que les écrits du Nouveau Testament,
ou bien n'existaient pas encore, ou ne faisaient pas encore
partie d'un canon des Ecritures. Donc, la Tradition de l'annonce
apostolique, ce « dépôt », est la
clé de lecture pour comprendre l'Ecriture, le Nouveau
Testament. En ce sens, Ecriture et Tradition, Ecriture et
annonce apostolique comme clé de lecture sont rapprochées
et se confondent presque, pour former ensemble les «
solides fondations posées par Dieu » (2 Tm 2,
19). L'annonce apostolique, c'est-à-dire la Tradition,
est nécessaire pour entrer dans la compréhension
de l'Ecriture et y saisir la voix du Christ. Il faut en effet
être « attaché à l'enseignement
sûr, conforme à la doctrine » (Tt 1, 9).
A la base de tout, il y a justement la foi dans la révélation
historique de la bonté de Dieu, qui en Jésus
Christ a manifesté concrètement son «
amour pour les hommes », un amour qui dans le texte
original grec est qualifié de manière significative
comme filanthropía (Tt 3, 4 ; cf. 2 Tm 1, 9-10) ; Dieu
aime l'humanité.
Dans l'ensemble, on voit bien que la communauté
chrétienne se configure progressivement en termes très
nets, selon une identité qui non seulement prend ses
distances avec des interprétations incongrues, mais
surtout affirme son propre ancrage sur les points essentiels
de la foi, qui est ici synonyme de « vérité
» (1 Tm 2, 4.7 ; 4, 3 ; 6, 5 ; 2 Tm 2, 15.18.25 ; 3,
7.8 ; 4, 4 ; Tt 1, 1.14). Dans la foi apparaît la vérité
essentielle de qui nous sommes, de qui est Dieu, de comment
nous devons vivre. Et de cette vérité (la vérité
de la foi) l'Eglise est définie comme la « colonne
et support » (1 Tm 3, 15). Quoi qu'il en soit, elle
reste une communauté ouverte, au souffle universel,
qui prie pour tous les hommes de tout ordre et degré,
pour qu'ils parviennent à la connaissance de la vérité
: Dieu « veut que tous les hommes soient sauvés
et parviennent à la connaissance de la vérité
», parce que « le Christ Jésus s'est livré
en rançon pour tous » (1 Tm 2, 4-5). Par conséquent,
le sens de l'universalité, même si les communautés
sont encore petites, est fort et déterminant pour ces
Lettres. En outre cette communauté chrétienne
« n'outrage personne » et « témoigne
à tous les hommes une parfaite douceur » (Tt
3, 2). Telle est la première composante importante
de ces Lettres : l'universalité et la foi comme vérité,
comme clé de lecture de l'Ecriture Sainte, de l'Ancien
Testament et ainsi se dessine une unité d'annonce et
d'Ecriture et une foi vivante ouverte à tous et témoin
de l'amour de Dieu pour tous.
Une autre composante typique de ces Lettres est leur réflexion
sur la structure ministérielle de l'Eglise. Ce sont
elles qui pour la première fois présentent la
triple subdivision d'épiscopes, presbytres et diacres
(cf. 1 Tm 3, 1-13 ; 4, 13 ; 2 Tm 1, 6 ; Tt 1, 5-9). Nous pouvons
observer dans les Lettres pastorales la confluence de deux
structures ministérielles différentes et ainsi
la constitution de la forme définitive du ministère
de l'Eglise. Dans les Lettres pauliniennes des années
centrales de sa vie, Paul parle d'« épiscopes
» (Ph 1, 1), et de « diacres » ; c'est la
structure typique de l'Eglise qui s'est formée à
l'époque dans le monde païen. Mais la figure de
l'apôtre lui-même demeure toutefois dominante
et ce n'est donc que peu à peu que se développent
les autres ministères.
Si, comme on l'a dit, dans les Eglises formées
dans le monde païen nous avons des épiscopes et
des diacres, et non des prêtres, dans les Eglises formées
dans le monde judéo-chrétien les prêtres
sont la structure dominante. A la fin, dans les Lettres pastorales,
les deux structures s'unissent : à présent apparaît
« l'épiscope », (l'évêque)
(cf. 1 Tm 3, 2 ; Tt 1, 7), toujours au singulier, accompagné
par l'article déterminatif « l'épiscope
». Et à côté de « l'épiscope
», nous trouvons les prêtres et les diacres. La
figure de l'Apôtre est toujours encore déterminante,
mais les trois Lettres, comme je l'ai déjà dit,
ne sont plus adressées à une communauté,
mais à des personnes : Timothée et Tite, qui,
d'une part, apparaissent comme des évêques et,
de l'autre, commencent à prendre la place de l'Apôtre.
On remarque ainsi, à son début, la réalité
qui, plus tard, s'appellera « succession apostolique
». Paul dit sur un ton d'une grande solennité
à Timothée : « Ne néglige pas le
don de Dieu qui est en toi, ce don que tu as reçu grâce
à l'intervention des prophètes, quand l'assemblée
des Anciens a imposé les mains sur toi » (1 Tm
4, 14). Nous pouvons dire que dans ces mots apparaît
également à son début le caractère
sacramentel du ministère. Et ainsi, nous avons l'essentiel
de la structure catholique : Ecriture et Tradition, Ecriture
et annonce, forment un ensemble, mais à cette structure,
pour ainsi dire doctrinale, doit s'ajouter la structure personnelle,
les successeurs des Apôtres, comme témoins de
l'annonce apostolique.
Il est enfin important de noter que dans ces Lettres, l'Eglise
se comprend elle-même en termes très humains,
en analogie avec la maison et la famille. En particulier,
dans 1 Tm 3, 2-7, on peut lire des instructions très
détaillées sur l'épiscope, comme celles-ci
: il doit être « irréprochable, époux
d'une seule femme, homme mesuré, raisonnable et réfléchi,
ouvrant sa maison à tous, capable d'enseigner, ni buveur
ni violent, mais plein de sérénité, pacifique
et désintéressé. Il faut qu'il mène
bien sa propre famille, qu'il se fasse écouter et respecter
par ses enfants. Car un homme qui ne sait pas mener sa propre
famille, comment pourrait-il prendre en charge une Eglise
de Dieu ? [...] Il faut aussi que les gens du dehors portent
sur lui un bon témoignage ». On doit ici surtout
remarquer l'aptitude importante à l'enseignement (cf.
aussi 1 Tm 5, 17), dont on trouve également des échos
dans d'autres passages (cf. 1 Tm 6, 2c ; 2 Tm 3, 10 ; Tt 2,
1), et ensuite une caractéristique personnelle particulière,
celle de la « paternité ». L'épiscope
est en effet considéré comme le père
de la communauté chrétienne (cf. également
1 Tm 3, 15). Du reste, l'idée de l'Eglise comme «
maison de Dieu » plonge ses racines dans l'Ancien Testament
(cf. Nb 12, 7) et se trouve reformulée dans He 3, 2.6,
alors qu'ailleurs on peut lire que tous les chrétiens
ne sont plus des étrangers ni des invités, mais
des concitoyens des saints et des membres de la maison de
Dieu (cf. Ep 2, 19).
Prions le Seigneur et saint Paul pour que nous aussi, en tant
que chrétiens, nous puissions toujours plus nous caractériser,
en relation avec la société dans laquelle nous
vivons, comme des membres de la « famille de Dieu ».
Et prions également afin que les pasteurs de l'Eglise
acquièrent toujours plus des sentiments paternels,
à la fois tendres et forts, dans l'édification
de la maison de Dieu, de la communauté, de l'Eglise.
B- COMMUNICATIONS DE BENOIT XVI
Première communication :
J'ai appris avec joie la nouvelle de l'élection
du métropolite Kirill comme nouveau patriarche de Moscou
et de toutes les Russies. J'invoque sur lui la lumière
de l'Esprit Saint pour un généreux service à
l'Eglise orthodoxe russe, en le confiant à la protection
spéciale de la Mère de Dieu.
Deuxième communication :
Dans l'homélie prononcée à
l'occasion de l'inauguration solennelle de mon pontificat,
je disais que l'« appel à l'unité »
est la tâche « explicite » du pasteur, et
en commentant les paroles évangéliques relatives
à la pêche miraculeuse, j'ai dit : « bien
que les poissons furent si nombreux, le filet ne se déchira
pas », et je poursuivais après ces paroles évangéliques
: « Hélas, bien-aimé Seigneur, celui-ci
- le filet - s'est à présent déchiré,
dirions-nous pleins de douleur ». Et je poursuivais
: « Mais non, nous ne devons pas être tristes
! Réjouissons-nous pour ta promesse qui ne déçoit
pas et faisons tout notre possible pour parcourir la route
vers l'unité que tu nous as promise... Ne permets pas,
Seigneur, que ton filet se déchire et aide-nous à
être les serviteurs de l'unité ».
Précisément pour accomplir ce service à
l'unité, qui caractérise de manière spécifique
mon ministère de Successeur de Pierre, j'ai décidé
il y a quelques jours d'accorder la levée de l'excommunication
dont avaient fait l'objet les quatre évêques
ordonnés en 1988 par Mgr Lefebvre sans mandat pontifical.
J'ai accompli cet acte de miséricorde paternelle, car
à plusieurs reprises ces prélats m'ont manifesté
leur vive souffrance pour la situation dans laquelle ils se
trouvaient. Je souhaite que mon geste soit suivi par un prompt
engagement de leur part à accomplir les pas supplémentaires
nécessaires pour réaliser la pleine communion
avec l'Eglise, en témoignant ainsi de la véritable
fidélité et de la véritable reconnaissance
du magistère et de l'autorité du Pape et du
Concile Vatican II.
Troisième communication :
En ces jours où nous rappelons la Shoah,
me reviennent en mémoire les images recueillies lors
de mes visites répétées à Auschwitz,
l'un des camps dans lesquels a eu lieu le massacre atroce
de millions de juifs, victimes innocentes d'une haine raciale
et religieuse aveugle. Alors que je renouvelle avec affection
l'expression de ma pleine et indiscutable solidarité
avec nos frères destinataires de la Première
Alliance, je souhaite que la mémoire de la shoah incite
l'humanité à réfléchir sur la
puissance imprévisible du mal lorsqu'il conquiert le
cœur de l'homme. Que la Shoah soit pour tous un avertissement
contre l'oubli, contre la négation ou le réductionnisme,
car la violence contre un seul être humain est une violence
contre tous. Aucun homme n'est une île, a écrit
un poète célèbre. Que la Shoah enseigne
en particulier aux anciennes et aux nouvelles générations
que seul le chemin difficile de l'écoute et du dialogue,
de l'amour et du pardon conduit les peuples, les cultures
et le religions du monde à l'objectif souhaité
de la fraternité et de la paix dans la vérité.
Que jamais plus la violence n'humilie la dignité de
l'homme!