Qu’est-ce que
la liberté ?
Nous publions ci-dessous le texte intégral du discours
improvisé du pape Benoît XVI à la communauté
du grand séminaire pontifical romain à qui il
a rendu visite dans la soirée du vendredi 20 février,
fête de la Vierge de la Confiance.
Les jeunes de la Paroisse Saint Michel doivent
lire ce texte très profond et éclairant.
Je ferais remarquer que c’est la deuxième
fois que le pape revient sur l’humilité dans
la défense de la vérité : « Nous
voyons bien qu'aujourd'hui encore, il y a des cas semblables
où, au lieu de s'insérer dans la communion avec
le Christ, dans le Corps du Christ qui est l'Eglise, chacun
veut être supérieur à l'autre et avec
une arrogance intellectuelle, veut faire croire qu'il est
meilleur. C'est ainsi que naissent les polémiques qui
sont destructrices, que naît une caricature de l'Eglise
qui devrait être une seule âme et un seul cœur.
Dans cet avertissement de saint Paul, nous devons trouver
aujourd'hui également un motif d'examen de conscience
: ne pas penser être supérieur à l'autre,
mais nous trouver dans l'humilité du Christ, nous trouver
dans l'humilité de la Vierge, entrer dans l'obéissance
de la foi. C'est précisément ainsi que s'ouvre
réellement aussi à nous le grand espace de la
vérité et de la liberté dans l'amour.
»
Prépare-t-il ainsi le début des colloques avec
les membres de la FSSPX ? Peut être ! de toute façon
c’est un juste rappel.
Monsieur le cardinal, chers amis,
C'est toujours une grande joie pour moi d'être
dans mon séminaire, de voir les futurs prêtres
de mon diocèse, d'être avec vous sous le signe
de la Vierge de la Confiance. En nous aidant et en nous accompagnant,
Elle nous donne réellement la certitude d'être
toujours aidés par la grâce divine, et ainsi
nous allons de l'avant !
Voyons à présent ce que nous dit saint Paul
avec ce texte : « Vous avez été appelés
à la liberté ». De tout temps, la liberté
a été le grand rêve de l'humanité,
dès le début, mais particulièrement à
l'époque moderne. Nous savons que Luther s'est inspiré
du texte de la Lettre aux Galates et il en a conclu que la
Règle monastique, la hiérarchie et le magistère
lui apparaissaient comme un lien d'esclavage dont il fallait
se libérer. Par la suite, la période du Siècle
des Lumières a été totalement guidée,
pénétrée par ce désir de liberté,
que l'on considérait avoir finalement atteint. Mais
le marxisme s'est lui aussi présenté comme la
voie vers la liberté.
Nous nous demandons ce soir : qu'est-ce que la liberté
? Comment pouvons-nous être libres ? Saint Paul nous
aide à comprendre cette réalité compliquée
qu'est la liberté en inscrivant ce concept dans un
contexte de visions anthropologiques et théologiques
fondamentales. Il dit : « Que cette liberté ne
se tourne pas en prétexte pour la chair ; mais par
la charité, mettez-vous au service les uns des autres
». Le Recteur nous a dit que la « chair »
n'est pas le corps, mais la « chair » - dans le
langage de saint Paul - est l'expression du moi rendu absolu,
qui veut être tout et prendre tout pour soi. Le moi
absolu, qui ne dépend de rien ni de personne, semble
posséder réellement, en définitive, la
liberté. Je suis libre si je ne dépends de personne,
si je peux faire tout ce que je veux. Mais ce moi rendu absolu
est précisément « chair », c'est-à-dire
dégradation de l'homme ; il n'est pas une conquête
de la liberté : le libertinisme, ce n'est pas la liberté,
mais plutôt l'échec de la liberté.
Mais Paul ose proposer un paradoxe fort : « Par la charité,
mettez-vous au service » (en grec : douléuete)
; c'est-à-dire que la liberté se réalise
paradoxalement à travers le service ; nous devenons
libres, si nous devenons serviteurs les uns des autres. Et
ainsi, Paul place tout le problème de la liberté
à la lumière de la vérité de l'homme.
Se réduire à la chair, en s'élevant en
apparence au rang de divinité - « Moi seul suis
l'homme » - introduit au mensonge. Car en réalité,
il n'en est pas ainsi : l'homme n'est pas un absolu, comme
si le moi pouvait s'isoler et se comporter selon sa propre
volonté. Cela est contre la vérité de
notre être. Notre vérité est que nous
sommes avant tout des créatures, des créatures
de Dieu et que nous vivons dans la relation avec le Créateur.
Nous sommes des êtres relationnels. Ce n'est qu'en acceptant
notre nature relationnelle que nous entrons dans la vérité,
sinon nous tombons dans le mensonge et en lui, à la
fin, nous nous détruisons.
Nous sommes des créatures et donc dépendantes
du Créateur. Au cours de la période du siècle
des Lumières, en particulier pour les athées,
cela apparaissait comme une dépendance dont il fallait
se libérer. Toutefois, en réalité, la
dépendance fatale ne serait telle que si ce Dieu Créateur
était un tyran, et non pas un Etre bon, uniquement
s'il était comme le sont les tyrans humains. Si, au
contraire, ce Créateur nous aime et que notre dépendance
signifie être dans l'espace de son amour, dans ce cas,
la dépendance signifie précisément liberté.
De cette façon, en effet, nous sommes dans la charité
du Créateur, nous sommes unis à Lui, à
toute sa réalité, à tout son pouvoir.
Cela est donc le premier point : être créature
signifie être aimés du Créateur, être
dans cette relation d'amour qu'Il nous donne, avec laquelle
il nous entoure. C'est de là que dérive avant
tout notre vérité, qui est, dans le même
temps, appelée à la charité.
C'est pourquoi voir Dieu, s'orienter vers Dieu, connaître
Dieu, connaître la volonté de Dieu, s'inscrire
dans la volonté, c'est-à-dire dans l'amour de
Dieu, signifie entrer toujours plus dans l'espace de la vérité.
Et ce chemin de la connaissance de Dieu, de la relation d'amour
avec Dieu est l'aventure extraordinaire de notre vie chrétienne
: dans le Christ, nous connaissons le visage de Dieu, le visage
de Dieu qui nous aime jusqu'à la Croix, jusqu'au don
de lui-même.
Mais la nature relationnelle des créatures implique
également un deuxième type de relation : nous
sommes en relation avec Dieu mais ensemble, comme famille
humaine, nous sommes également en relation les uns
avec les autres. En d'autres termes, la liberté humaine
signifie, d'une part, être dans la joie et dans le vaste
espace de l'amour de Dieu, mais elle implique également
être un avec l'autre et pour l'autre. Il n'existe pas
de liberté contre l'autre. Si je me rends absolu, je
deviens ennemi de l'autre, nous ne pouvons plus coexister
et toute la vie devient cruelle, devient un échec.
Seule une liberté partagée est une liberté
humaine ; dans le fait d'être ensemble, nous pouvons
entrer dans la symphonie de la liberté.
Et cela est un autre point d'une grande importance : ce n'est
qu'en acceptant l'autre, en acceptant également la
limitation apparente de ma liberté qui découle
du respect pour celle de l'autre, ce n'est qu'en m'inscrivant
dans ce réseau de dépendance qui fait de nous,
en fin de compte, une unique famille, que je me mets en chemin
vers la libération commune.
Ici apparaît un élément très important
: quelle est la mesure du partage de la liberté ? Nous
voyons que l'homme a besoin d'ordre, de droit, afin que puisse
ainsi se réaliser sa liberté, qui est une liberté
vécue en commun. Et comment pouvons-nous trouver cet
ordre juste, dans lequel personne n'est opprimé, mais
chacun peut apporter sa contribution pour former cette sorte
de concert des libertés ? S'il n'existe pas de vérité
commune sur l'homme telle qu'elle apparaît dans la vision
de Dieu, il ne reste que le positivisme et on a l'impression
de quelque chose d'imposé même de manière
violente. D'où cette rébellion contre l'ordre
et le droit comme s'il s'agissait d'un esclavage.
Mais si nous pouvons trouver l'ordre du Créateur dans
notre nature, l'ordre de la vérité qui donne
à chacun sa place, l'ordre et le droit peuvent être
précisément des instruments de liberté
contre l'esclavage de l'égoïsme. Se servir les
uns les autres devient un instrument de la liberté
et sur ce point, nous pourrions parler de toute une philosophie
de la politique selon la Doctrine sociale de l'Eglise, qui
nous aide à trouver cet ordre commun qui donne à
chacun sa place dans la vie commune de l'humanité.
La première réalité à respecter
est donc la vérité : la liberté contre
la vérité n'est pas la liberté. Se servir
l'un l'autre crée l'espace commun de la liberté.
Puis Paul poursuit en disant : « Une seule formule contient
toute la Loi en sa plénitude : "tu aimeras ton
prochain comme toi-même" ». Derrière
cette affirmation apparaît le mystère du Dieu
incarné, le mystère du Christ qui dans sa vie,
dans sa mort, dans sa résurrection, devient la loi
vivante. Les premières paroles de notre lecture «
vous avez été appelés à la liberté
» - évoquent immédiatement ce mystère.
Nous avons été appelés par l'Evangile,
nous avons été appelés réellement
dans le Baptême, dans la participation à la mort
et à la résurrection du Christ, et de cette
façon, nous sommes passés de la « chair
», de l'égoïsme, à la communion avec
le Christ. Et ainsi, nous sommes dans la plénitude
de la loi.
Vous connaissez probablement tous les belles paroles de saint
Augustin : « Dilige et fac quod vis » - aime et
fais ce que tu veux ». Ce que dit saint Augustin est
la vérité, si nous avons bien compris le sens
du terme « amour ». « Aime et fais ce que
tu veux », mais nous devons réellement être
introduits dans la communion avec le Christ, nous être
identifiés avec sa mort et sa résurrection,
être unis à Lui dans la communion de son Corps.
Dans la participation aux sacrements, dans l'écoute
de la Parole de Dieu, la volonté divine, la Loi divine
entre réellement dans notre volonté, notre volonté
s'identifie avec la sienne, elles ne deviennent qu'une seule
volonté et ainsi nous sommes réellement libres,
nous pouvons réellement faire ce que nous voulons,
car nous voulons avec le Christ, nous voulons dans la vérité
et avec la vérité.
Prions donc le Seigneur pour qu'il nous aide sur ce chemin
commencé avec le Baptême, un chemin d'identification
avec le Christ, qui se réalise toujours à nouveau
dans l'Eucharistie. Dans la troisième prière
eucharistique, nous disons : « Dans le Christ, nous
devenons un seul corps et un seul esprit ». C'est un
moment dans lequel, à travers l'Eucharistie et à
travers notre véritable participation au mystère
de la mort et de la résurrection du Christ, nous devenons
un seul esprit avec Lui, nous sommes dans cette identité
de la volonté et ainsi, nous arrivons réellement
à la liberté.
Derrière ce terme - la loi s'est accomplie - derrière
cette unique parole qui devient réalité dans
la communion avec le Christ, apparaissent derrière
le Seigneur toutes les figures des saints qui sont entrés
en communion avec le Christ, dans cette unité avec
sa volonté. Et surtout apparaît la Vierge, dans
son humilité, dans sa bonté, dans son amour.
La Vierge nous donne cette confiance, nous prend par la main,
nous guide, nous aide sur le chemin de l'union à la
volonté de Dieu, comme Elle l'a été dès
le premier moment et a exprimé cette union dans son
« Fiat ».
Et enfin, après ces belles choses, encore une fois
dans la Lettre, il y a une évocation de la situation
un peu triste de la communauté des Galates, lorsque
Paul dit : « Mais si vous vous mordez et vous dévorez
les uns les autres, prenez garde que vous allez vous entre-détruire...
Laissez-vous mener par l'Esprit ». Il me semble que
dans cette communauté - qui n'était plus sur
la voie de la communion avec le Christ, mais de la loi extérieure
de la « chair » - ressortent naturellement également
des polémiques et Paul dit : « Vous devenez comme
des bêtes sauvages, l'un mord l'autre ». Il évoque
ainsi les polémiques qui naissent là où
la foi dégénère en un intellectualisme
et l'humilité est remplacée par l'arrogance
d'être meilleur que l'autre.
Nous voyons bien qu'aujourd'hui encore, il y a des cas semblables
où, au lieu de s'insérer dans la communion avec
le Christ, dans le Corps du Christ qui est l'Eglise, chacun
veut être supérieur à l'autre et avec
une arrogance intellectuelle, veut faire croire qu'il est
meilleur. C'est ainsi que naissent les polémiques qui
sont destructrices, que naît une caricature de l'Eglise
qui devrait être une seule âme et un seul cœur.
Dans cet avertissement de saint Paul, nous devons trouver
aujourd'hui également un motif d'examen de conscience
: ne pas penser être supérieur à l'autre,
mais nous trouver dans l'humilité du Christ, nous trouver
dans l'humilité de la Vierge, entrer dans l'obéissance
de la foi. C'est précisément ainsi que s'ouvre
réellement aussi à nous le grand espace de la
vérité et de la liberté dans l'amour.
Enfin, nous voulons rendre grâce à Dieu car il
nous a montré son visage dans le Christ, parce qu'il
nous a donné la Vierge, il nous a donné les
saints, il nous a appelés à être un seul
corps, un seul esprit avec Lui. Et nous prions pour qu'il
nous aide à être toujours plus introduits dans
cette communion avec sa volonté, pour trouver ainsi,
avec la liberté, l'amour et la joie.