Paroisse saint Michel.
Semaine du 31 mai au 6 juin
2009
L’affaire de la petite fille
brésilienne
Avortement, excommunication,
bien commun de l’Eglise
Mgr Cardoso Sobrinho répond
aux questions de “Présent”(28/05/09)
Propos
recueillis par Jeanne Smits
—
Après l’affaire de la petite fille violée d’Alagoinha, et le désaveu par
L’Osservatore Romano de vos déclarations sur l’excommunication automatique de
ceux qui ont décidé ou pratiqué son avortement, une tendance se dessine dans
les médias pour dire que la doctrine de l’Eglise a changé sur la question de
savoir si l’avortement en cas de danger de mort ou d’autres circonstances
particulières est un mal, est un péché. D’un autre côté, les mensonges
médiatiques qui ont entouré cette affaire ont été particulièrement nombreux et
graves, même si beaucoup de personnes vous ont exprimé leur admiration.
Voudriez-vous nous expliquer ce qui s’est réellement passé ?
—
Je tiens avant tout à remercier, et dire ma profonde gratitude, à ceux qui
m’ont soutenu. J’ai reçu des messages, des centaines de messages de solidarité,
du monde entier : de prêtres, d’évêques, de laïcs, qui approuvent mon choix
d’avoir parlé clair sur la loi actuelle de l’Eglise. J’ai reçu un prix de Human
Life International, et tout récemment encore un autre prix de l’association Pro
Vida de São Paolo. Grâce à Dieu, donc, beaucoup de personnes approuvent ma
démarche.
Cependant
il y a quelques personnes, en France, au Canada, y compris des évêques, qui ont
écrit des articles pour dire leur désaccord. Dans un esprit de dialogue, je
voudrais d’abord dire qu’il n’est pas vrai de dire que nous – c’est-à-dire
moi-même, mais aussi le curé de la petite fille – n’avons pas fait preuve d’une
particulière attention à son égard. Nous avons donné toute notre attention et
tous nos soins à la fillette enceinte. Ce qui a été malheureusement publié
n’est tout simplement pas vrai : nous avons fait tout ce qui dépendait de nous
pour l’aider.
Certains,
lorsqu’ils parlent de la publicité donnée à cette affaire, affirment qu’il
n’était pas « opportun » de parler d’excommunication. Je ne suis pas d’accord
avec ce point de vue. On me dit presque qu’il aurait fallu oublier ce que dit
le Droit canon à propos de l’excommunication. Mon opinion est différente. Je
dis que cette loi existe pour le bien de l’Eglise. Et ce n’est pas moi qui ai
excommunié quiconque, comme je l’ai répété maintes fois. Ceux qui m’accusent
affirment que c’est moi qui ai « excommunié », et c’est totalement faux : j’ai
simplement attiré l’attention sur une loi qui existe dans l’Eglise, le canon
1398. Et je me demande : convient-il de faire silence, comme beaucoup le
prétendent ? Aurait-il mieux valu que je ne parle pas du tout d’excommunication
? Eh bien, je réponds que je ne suis pas d’accord. C’est une loi de l’Eglise,
pour le bien de l’Eglise. Elle existe depuis plusieurs siècles. Le nouveau Code
de droit canonique, promulgué en 1983 par le serviteur de Dieu Jean-Paul II,
réitère cette loi, tout comme le Catéchisme de l’Eglise catholique, publié par
le même pape en 1992, répète cette loi et la commente. Vaudrait-il donc mieux
se taire ? Eh bien, à mon avis, il est de la plus haute importance d’attirer
l’attention de tous et surtout des fidèles catholiques sur la gravité du crime
de l’avortement. C’est pour cela que la loi existe. Nous autres, dans notre
diocèse, avons reçu tant de messages de tant de personnes qui me disent : «
Aujourd’hui, je comprends mieux la gravité de l’avortement, et je vais changer
ma conscience. » A mon avis, le fait d’attirer l’attention sur l’existence de
cette excommunication produit un bien spirituel chez les fidèles catholiques,
mais aussi chez les autres qui réalisent en apparence tranquillement des
avortements et qui vont désormais, je le crois, peser dans leur conscience la
gravité de ce qu’ils font. Et telle est la finalité de cette loi de l’Eglise,
de cette pénalité d’excommunication : elle est médicinale. C’est un
remède en vue de la conversion de tous. Et pour la personne qui l’encourt, un
moyen de lui faire comprendre qu’elle va devoir répondre de son acte devant
Dieu. Avec l’Eglise, nous désirons que tous, même ceux qui suivent aujourd’hui
un chemin d’erreur, se remettent à vivre en accord avec la loi de Dieu. Nous ne
voulons la condamnation éternelle de personne. A mon avis, le silence – ne pas
parler d’excommunication – causerait un grave tort à l’Eglise.
Plus
encore, j’ai l’impression que certains parmi ceux qui s’expriment contre moi
sont quasiment en train d’insinuer qu’il vaudrait mieux abroger le canon de
l’excommunication. Mais l’Eglise ne pense pas cela. L’Eglise maintient cette
loi, parce que pour le bien commun de l’Eglise, il est nécessaire, quand il
s’agit de délits gravissimes, qu’il y ait une loi claire, et que cette pénalité
soit appliquée. Ce sont des principes d’une très grande importance. Pour moi,
le silence équivaudrait à de la complicité. Nous savons – les journaux du monde
entier l’affirment – qu’il se pratique chaque année dans le monde quelque 50
millions d’avortements. Ici au Brésil, on parle d’environ un million
d’avortements tous les ans. J’ai dans ma conscience la conviction qu’il faut
parler, réveiller la conscience de tous, parce que le silence peut être
interprété comme une approbation.
—
Dans une conversation avec le professeur Joseph Seifert, qui s’est exprimé dans
les médias pour prendre votre défense, celui-ci a décrit l’excommunication
comme une « charité » à l’égard de celui qu’elle vise, pour lui faire prendre
conscience du tort qu’il subit dans sa vie spirituelle. Emploieriez-vous cette
expression ?
—
C’est un remède spirituel. L’Eglise est investie d’une mission, qui est de
mener tous les hommes au salut éternel, et de les faire vivre dans la grâce de
Dieu. De fait, il est des personnes qui font « tranquillement » des
avortements, et qui disent tout aussi tranquillement qu’elles vont continuer.
Nous autres, en tant que catholiques, et surtout les pasteurs de l’Eglise, ne
pouvons rester silencieux, comme si tout cela était très bien. C’est pourquoi
je répète que ne pas parler, ne pas attirer l’attention sur la gravité, sur le
sérieux de ce problème, et surtout sur le fait que l’Eglise, pour le bien
commun, applique cette pénalité, serait de la complicité. Cela reviendrait
quasiment à accepter cette situation si grave.
Ici
au Brésil, on est en train de préparer une loi de légalisation de l’avortement.
Nous, les catholiques, devons parler en premier lieu de la responsabilité
morale. Il y a évidemment des catholiques dans notre Parlement qui défendent la
loi de Dieu, mais il y en a d’autres qui soutiennent ce projet, à commencer par
le président de
—
Lorsque vous avez parlé d’excommunication automatique de la mère de la fillette
et des médecins participant à l’avortement, l’avez-vous fait avant ou après le
moment où celui-ci fut accompli ?
—
J’en ai parlé avant et après, comme cela a été clairement exprimé dans la note
publiée par l’archidiocèse de Recife en réponse à l’article de Mgr Fisichella :
dès le 3 mars, veille du jour où l’avortement fut accompli, j’évoquai devant
des journalistes la « peine médicinale » du canon 1398. Malheureusement,
l’article de Mgr Fisichella affirme que la première fois où je m’exprimai
devant la presse sur cette affaire, je n’ai parlé que d’excommunication. Cela
est totalement faux. J’ai parlé plusieurs fois parce que cette affaire d’une
fillette de neuf ans enceinte avait attiré l’attention de toute la presse. Et
surtout, nous avons fait tout ce qui dépendait de nous pour sauver trois vies :
pas seulement celle de la petite fille, mais les trois vies. Lorsque pour finir
l’avortement a eu lieu, j’ai rappelé simplement une nouvelle fois quelle est la
loi de l’Eglise. Toute personne qui – en pleine conscience évidemment – commet
des avortements est excommuniée : voilà le sens de ma déclaration.
—
Est-il vrai que la petite fille était rachitique, ou dénutrie ?
—
Pas du tout ! Cette petite fille enceinte, même lorsqu’elle fut hospitalisée,
vivait avec d’autres enfants et jouait avec eux ; elle vivait une vie normale
d’enfant.
—
Savait-elle qu’elle attendait deux enfants ?
—
Oui, évidemment ! Non seulement elle le savait, mais elle disait qu’un de ses
enfants serait pour un membre de sa famille, et l’autre pour elle pour qu’ils
puissent jouer ensemble. On a su par la suite qu’il s’agissait de deux petites
filles…
—
On dit que le père légitime de la petite fille, qui était opposé à
l’avortement, est un chrétien évangélique. Est-ce vrai ?
—
Oui, c’est vrai, il n’est pas catholique. Cela dit, il était totalement avec
nous. Je l’ai reçu ici dans ma maison toute une journée ; il n’acceptait pas
l’avortement.
—
Il y a eu beaucoup d’émotion…
—
Oui. Il est venu de sa petite ville d’Alagoinha qui est à
—
Y a-t-il eu des manifestations contre l’avortement à proximité de la clinique
où se trouvait initialement la fillette ?
—
Non, dans les rues pas du tout. En revanche, dans les journaux et à la
télévision il y eut beaucoup de pressions pour l’avortement, et des
associations « féministes », comme vous le savez, sont intervenues pour
promouvoir l’avortement de la fillette.
—
La fillette a-t-elle été à aucun moment en danger de mort ?
—
Non, jamais. Les médecins me l’ont affirmé explicitement.
—
Mais si elle avait été en danger de mort, l’avortement n’aurait pas été
justifié pour autant…
—
Cette éventualité a été clairement envisagée par les médecins. Ils espéraient
qu’à six mois de grossesse, il serait possible de pratiquer une césarienne.
Mais comme ce groupe de « féministes » voulait l’avortement, ils sont venus à
l’IMIP (Institut maternel et infantile de Pernambuco) où la fillette était
hospitalisée pour l’emmener vers l’autre « centre de santé » et l’avortement a
été pratiqué dans les heures suivant son arrivée. Ils l’ont embarquée le soir
et dès le lendemain, l’intervention s’est achevée vers 10 heures du matin. C’est
une clinique dont on sait très bien par ici qu’elle pratique habituellement des
avortements.
Il
m’importe beaucoup de rappeler que les médecins qui ont réalisé l’avortement
ont déclaré qu’ils pratiquent des avortements depuis longtemps, et avec « fierté
». Et ils affirment qu’ils continueront. Nous ne pouvons rester silencieux face
à cela. Et nous pouvons encore moins affirmer qu’il y avait un « doute », comme
l’a malheureusement écrit Mgr Fisichella. Il affirmait que nul ne sait si au
moment d’agir le médecin n’avait pas eu des doutes sur ce qu’il devait faire ou
ne pas faire : nous savons au contraire que ces médecins ont déclaré
publiquement qu’ils vivent en pratiquant des avortements et qu’ils n’ont aucun
« doute » à ce sujet. Ils veulent continuer à le faire.
Il
y a évidemment ici d’autres médecins catholiques qui affirment à l’inverse
qu’ils ne pratiquent pas l’avortement parce qu’ils croient en Dieu et
respectent sa loi.
—
Monseigneur, auriez-vous réagi autrement si la petite fille avait véritablement
été en péril de mort ?
—
Non, pas du tout. Nous savons que même en cas de danger de mort, l’avortement
n’est jamais licite. C’est la loi de Dieu telle que l’Eglise la proclame. Même
en cas de danger de mort, il fallait attendre l’évolution naturelle des choses,
et tenter de sauver les trois vies. C’est un principe fondamental de la loi de
Dieu et aussi de la loi naturelle : la fin ne justifie pas les moyens. Je peux
avoir un objectif excellent : sauver la vie de la petite fille enceinte ; mais
le moyen pour parvenir à cette fin ne peut en aucun cas être la suppression de
deux vies innocentes. C’est un principe naturel que la logique humaine peut
comprendre. Pour évoquer un exemple que je donne ici au Brésil pour me faire
comprendre : si je veux trouver de la nourriture pour la donner aux pauvres, et
nous en avons tant ici, je n’ai pas le droit pour cela de braquer une banque,
de prendre l’argent des autres pour faire une œuvre bonne.
Et
comme l’a dit mon équipe d’assesseurs – le vicaire général, mon avocat
catholique et les autres signataires de la note que j’évoquais plus haut – il
ne nous appartient pas de changer la loi de Dieu, même si l’opinion publique
suit un autre chemin. Notre mission, si importante, est de la proclamer pour
tous, même dans les cas comme celui-ci où cela n’est pas facile.
Il
faut bien le comprendre : dès les tout premiers siècles, il y a eu des lois
d’excommunication dans l’Eglise. Elles visent à protéger le bien commun de la
société ecclésiale : c’est pour cela qu’il faut un droit canonique, l’aspect
juridique de l’Eglise en tant que société humaine est indispensable. Nous ne
pouvons espérer simplement que chacun suive sa conscience. L’Eglise doit
évidemment d’abord prendre soin de la vie spirituelle de chacun, mais le bien
commun, au sens technique, est très important aussi : il s’agit d’un
environnement adéquat où chacun puisse vivre tranquillement. Les pénalités
prévues par le Code de droit canonique ont aussi cette finalité.
—
Avez-vous eu connaissance de ce qui se dit à propos de Mgr Fisichella : qu’il a
écrit cette note « trompé et forcé » ?
—
Cette information m’est arrivée indirectement. Certaines personnes au Brésil, y
compris des évêques, ont appelé Mgr Fisichella, et elles me disent qu’il leur a
répondu cela : qu’il aurait suivi les indications de supérieurs hiérarchiques.
—
Le fait est qu’aujourd’hui la presse internationale en arrive à dire que
l’Eglise est d’accord avec les avortements thérapeutiques. Cela me paraît très
grave : comment peut-on lutter contre cette impression ?
—
C’est notre mission que de proclamer toujours la loi de Dieu. Vous savez qu’en
Afrique Benoît XVI a parlé clairement sur des questions morales et que la
presse, notamment en France, ne l’a pas accepté. C’est pourtant la mission de
l’Eglise : nous ne pouvons pas nous taire pour des raisons de convenance
sociale. Dans la liberté démocratique, qui est une bonne chose, il y a abus à
vouloir légitimer, même dans le cadre de la loi, des usages ou des actes qui
vont contre la loi de Dieu. Notre mission, celle de l’Eglise, est de proclamer
la loi de Dieu et l’Evangile de Jésus-Christ, même si ce n’est pas facile.
—
Et vos relations avec les autres évêques du Brésil ?
—
Elles sont très bonnes. Il y a deux semaines nous étions réunis en Assemblée
nationale des évêques à São Paolo : tous les évêques avec qui j’ai parlé
m’approuvent ; aucun n’est contre moi. En revanche, j’ai lu ce qu’ont écrit
certains évêques français. Il me semble qu’ils ne connaissaient pas toutes les
circonstances. Ils ont lu l’article de Mgr Fisichella et ils ont pensé que
c’était la vérité.
—
Ils sont peut-être aujourd’hui en mesure de constater qu’ils ont réagi sur des
informations fausses… Mais comment réparer ?
—
Il me semblerait important que L’Osservatore Romano publie mes réponses. C’est
ce que nous essayons d’obtenir, et c’est ce que nous avons fait depuis le
début. Nous avons envoyé à Rome la réponse de l’archidiocèse à l’article de Mgr
Fisichella. C’est un droit naturel que de répondre si quelqu’un publie des choses
fausses, pour on ne sait quels motifs : il faut que les lecteurs du journal
romain puissent connaître aussi l’autre point de vue.
J’ai
quant à moi la conscience tranquille. Je n’attendais pas et je ne souhaitais
pas ces répercussions qui ont atteint des dimensions internationales. Je répète
que le bien commun de l’Eglise a besoin de ces lois latae sententiae, qui
servent d’alerte permanente et qu’elle n’abrogera jamais. Elle a toujours
condamné l’avortement et elle a toujours expliqué pourquoi : parce qu’il ne
fait pas seulement du tort à la personne mais aussi à toute la société.
Aujourd’hui, je le répète, nous en sommes à 1 million d’avortements tous les
ans au Brésil, 50 millions dans le monde, et notre silence serait connivence.
Je
tiens à vous remercier de m’avoir permis d’exposer ces choses qui me paraissent
importantes pour le bien spirituel des âmes. Et je vous prie de dire aux
lecteurs de Présent que je les bénis très volontiers.
Propos
recueillis par Jeanne Smits