I- Nos mystères chrétiens
Le saint Nom
de Marie
Méditation VII
Après avoir médité
sur le mystère de « l’Immaculée Conception
» de Notre Dame, nous ne pouvons pas ne pas nous arrêter
quelques instants à méditer sur le « Saint Nom
de Marie ».
Oui, ici je considérerai que le père et la mère
de Notre Dame, lui donnèrent le nom de Marie : « Et nomen
virginis Maria » « Et le nom de la Vierge était
Marie ».
Divinement inspiré du Ciel, ce
nom de « Marie » aurait plusieurs sens. Il voudrait dire
: « Etoile de la Mer », ou « Mer pleine d’amertumes
», ou encore « Dame », ou « élevé
en dignité » ; encore « celle qui est éclairé
ou celle qui éclaire », ou encore « Maîtresse
du peuple ».
Il est clair que toutes ces qualités, nous les trouvons dans
la Vierge-Marie.
Premièrement : elle est l’Etoile
de la mer.
Comme toute « étoile »,
c’est elle, Marie, qui est la lumière, l’espoir
et le guide de ceux qui naviguent sur la mer de ce monde, battus des
flots et des tempêtes, c’est-à-dire, exposés
aux tentations de l’ennemi et à de continuels dangers
de se perdre. Par ses prières, par ses exemples et par les
grâces qu’elle leur accorde, elle les réjouit,
les encourage et leur fait trouver le droit chemin qui les conduit
heureusement au port du salut. C’est la pensée exprimée
par Saint Bernard dans ses homélies sur le « Missus es
», la deuxième homélie.
On ne peut pas ne pas citer ces paroles
pour élever nos esprits et méditer heureusement :
« Et le nom de la vierge était
Marie. Arrêtons-nous un peu à ce nom qui, dit-on, signifie
« Etoile de la mer » et qui convient parfaitement à
la Vierge Mère.
Rien de plus juste que de la comparer
à un astre qui émet ses rayons sans être altéré,
comme la Vierge enfante son Fils sans aucune lésion de son
corps. Le rayon n’ôte rien à la luminosité
de l’astre, et la naissance du Fils ne diminue pas l’intégrité
de la Vierge. Elle est donc cette magnifique étoile de Jacob,
dont les rayons éclairent l’univers entier, illuminent
le ciel et pénètrent jusqu’aux enfers.
La Vierge, rayonnant sur toute la terre,
réchauffe les âmes plutôt que les corps, favorise
la croissance des vertus et consume les vices. Elle est vraiment cette
étoile la plus belle qui devait nécessairement se lever
au dessus de la mer immense, toute brillante de mérites et
d’exemples éclairants.
Qui que vous soyez, si vous comprenez
que votre vie plutôt qu’un voyage sur la terre ferme,
est une navigation parmi les tempêtes et les tornades, sur les
flots mouvants du temps, ne quittez pas des yeux la lumière
de cette étoile, afin d’éviter le naufrage.
Lorsque vous assaillent les vents des
tentations, lorsque vous voyez paraître les écueils du
malheur, regardez l’étoile, invoquez Marie. Si vous êtes
ballottés sur les vagues de l’orgueil, de l’ambition,
de la calomnie, de la jalousie, regardez l’étoile, invoquez
Marie.
Si la colère, l’avarice,
les séductions charnelles viennent secouer la légère
embarcation de votre âme, levez les yeux vers Marie. Si, troublés
par l’atrocité de vos crimes, honteux des souillures
de votre conscience, épouvantés par la menace du jugement,
vous commencez à vous engloutir dans le gouffre de la tristesse
et l’abîme du désespoir, pensez à Marie.
Dans le péril, l’angoisse,
le doute, pensez à Marie, invoquez Marie. Que son nom ne quitte
pas vos lèvres ni vos cœurs.
Et pour obtenir son intercession, ne
vous détournez pas de son exemple.
En la suivant, vous ne vous égarerez
pas ; en la suppliant, vous ne connaîtrez pas le désespoir
; en pensant à elle, vous éviterez toute erreur. Si
elle vous soutient, vous ne sombrerez pas ; si elle vous protège,
vous n’aurez rien à craindre ; sous sa conduite, vous
ignorez la fatigue ; grâce à sa faveur, vous atteindrez
le but. Et ainsi vous saurez par votre propre expérience tout
ce que signifie ces mots : « Et le nom de la Vierge était
Marie ». .
Mais ici, interrompons-nous un moment
car nous ne saurions nous contenter de regarder en passant l’éclat
d’une si haute lumière. Pour me servir des mots de l’Apôtre,
« il nous est bon d’être en ce lieu » et de
contempler à loisir, en silence, ce qu’un discours laborieux
ne suffira jamais à exprimer. Et la contemplation recueillie
de cette scintillante étoile nous préparera à
aborder avec une ferveur nouvelle le commentaire de la suite du texte
». (St Bernard 2e homélie,“ Missus es ».
Deuxièmement: Elle est une «
Mer pleine d’amertume ».
Elle est une Mer, à cause des
trésors immenses de grâces célestes dont son âme
est remplie, et dont elle est redevable à celui qui l’a
choisie pour Mère.
Elle est « pleine d’amertume » par les douleurs
incompréhensibles dont son cœur fut pénétré
pendant la Passion de son divin Fils. « Un glaive vous transpercera
le cœur », lui dit Saint Siméon. C’est ainsi
que Dieu a coutume d’égaler les joies et les souffrances
; et il en usa de la sorte avec Notre Dame.
Troisièmement. Elle est «
Dame » et « Princesse », parce qu’elle exerça
toujours un empire absolu sur ses appétits, sur son imagination,
sus ses sens, sur les puissances de son âme et élevée
au dessus d’eux tous ; ce qui cessera de nous étonner
quand nous considérerons qu’elle fut en quelque sorte
« Maîtresse » de Dieu, puisqu’elle lui commanda
comme à son Fils, et qu’il lui obéit comme à
sa Mère à qui il était soumis en tant qu’homme.
« Et erat subditus illis » (Lc 2 51)
Quatrièmement. Enfin, «
elle est éclairée et elle éclaire », parce
qu’elle a reçu du ciel de grandes lumières et
un admirable don de sagesse, non seulement pour sa propre conduite,
mais encore pour celle des autres. Aussi fut-elle la Maîtresse
des Apôtres et de tous les fidèles.
Ces courtes considérations doivent
exciter dans nos âmes de vifs sentiments de joie et de confiance,
accompagnée d’une tendre dévotion au nom de Marie
Je la supplierai, dit le Père
Du Pont, d’opérer en moi tout ce que son nom signifie,
lui disant :
« O Vierge très sainte, c’est avec raison que je
puis dire de votre nom qu’il est, comme celui de votre Fils,
une « huile répandue » -oleum effusum nomen tuum
» (Cant,1 2), , puisqu’il a la vertu d’éclairer,
de fortifier, de guérir et de réjouir mon cœur.
Répandez, je vous en conjure, répandez en moi avec abondance
cette huile si précieuse.
Vous êtes « l’Etoile
de la mer » ; conduisez moi donc parmi les écueils des
tentations, délivrez-moi de tous les dangers.
Vous êtes une Mer de grâces
et d’amertumes ; partagez avec moi les unes et les autres, puisque
ce n’est pas une moindre faveur de goûter l’amertume
des souffrances de votre Fils que de recevoir ses dons.
Comme Dame et Maîtresse, dissipez
par votre lumière les ténèbres de mon ignorance
; aidez-moi à être maître des passions ; guidez
mes pas dans les sentiers de la justice, et faites que je parvienne
au comble de la perfection en invoquant votre saint nom. Ainsi soit-il
».
La semaine prochaine, nous méditerons
les progrès spirituels en Marie jusqu’à l’annonciation,
Puis nous parlerons de son vœu de virginité. Ce qui nous
amènera ensuite, à contempler le riche mystère
de l’annonciation, puis de l’Incarnation.
II- Le sacrement de l’Eucharistie
Nous venons de traiter successivement
les 4 premières questions de la Somme de Saint Thomas d’Aquin
sur le sacrement de l’Eucharistie.
La question 73 est consacrée aux généralités
sur ce sacrement
La question 74 est consacrée à la « matière
» de ce sacrement : le pain et le vin
La question 75 est consacrée au mystère de la conversion
substantielle du pain et du vin au corps et au sang de Notre Seigneur
Jésus-Christ, mystère importante, s’il en est,
appelé « Transsubstantiation..
La question 76 est consacrée au mode particulier de cette présence
de NSJC dans ce sacrement. Il s’agit d’une présence
sacramentelle ou par mode de substance.
La question 77 est consacrée à l’étude
de la permanence des accidents du pain et du vin dans ce sacrement.
Nous en arrivons maintenant à
la question 78 qui est toute consacrée à l’étude
de la « forme » de ce sacrement, c’est-à-dire
à l’étude de la formule que le prêtre dit
lors de la consécration : « Ceci est mon Corps »,
« Ceci est mon Sang ». Cette question est traité
dans le Catéchisme du Concile de Trente au §3 du chapitre
18e.
Saint Thomas y consacre six articles.
Les trois premiers de ces articles traitent de ce en quoi consiste
la double forme du sacrement de l’Eucharistie ; les trois autres,
de questions accidentelles relatives à l’efficacité
ou au sens précis de cette double forme.
Voyons, aujourd’hui, l’étude
des deux premiers articles. Je réserve l’article 3 ,
sur la forme de la consécration du vin, pour la semaine prochaine.
Car il y a beaucoup de choses à dire sur cet article. Ce serait
trop long pour aujourd’hui.
Article 1 : Si c’est, là,
la forme de ce sacrement : « Ceci est mon Corps » et :
Ceci est mon Sang.
L’étude de cet article
est importante, non pas tant pour les fidèles, mais pour le
prêtre afin qu’il ne commette pas quelques fautes dans
la consécration. Et sous ce rapport, cela aussi intéresse
le fidèle qui doit être sûr qu’il communie
bien au corps du Christ.
Les Evangélistes Saint Matthieu,
Saint Luc et l’apôtre Saint Paul nous apprennent que cette
forme consiste dans les paroles : « Ceci est mon Corps »,
car voici ce qui est écrit : « pendant qu’ils soupaient,
Jésus prit du pain, le bénit, le rompit et le donna
à ses disciples en disant : « prenez et mangez : ceci
est mon Corps ».
Cette forme, employée par NSJC
Lui-même pour la consécration de son Corps a été
constamment en usage dans l’Eglise catholique.
Mais bornons nous ici à rappeler
ces mots de Notre Seigneur : « Faites ceci en mémoire
de Moi » (Luc 22 19). Ils établissent clairement, dit
le Catéchisme du Concile de Trente, le point que nous traitons.
Cet ordre, en effet, qu’Il donna à ses Apôtres
doit se rapporter non seulement à ce qu’Il avait fait
Lui-même ; mais encore à ce qu’il avait dit, et
spécialement aux paroles qui furent prononcées, autant
pour produire que pour signifier l’effet du Sacrement.
Et Saint Thomas, dans cet article, va
démontrer qu’il en est bien ainsi : « Ceci est
mon Corps », « Ceci est le calice de mon sang »,
ces deux expressions sont bien la forme du Sacrement de l’Eucharistie.
Je résume avant de donner le texte de Saint Thomas.
La forme d’un sacrement consiste
dans les paroles qui expriment l’effet produit par ce Sacrement
. Or les paroles que nous venons de citer indiquent et signifient
très bien ce qui s’opère dans l’Eucharistie,
à savoir le changement du pain au Corps de Notre Seigneur et
du vin en son Sang. Par conséquent elles sont véritablement
la forme.
Dans son article Saint Thomas explique
pourquoi la forme du sacrement de l’Eucharistie diffère
tant des autres formes des autres sacrements.
On peut dire que la forme du sacrement
de l’Eucharistie est une forme tout à fait spéciale.
Elle se distingue de la forme des autres sacrements parce que l’Eucharistie
est un sacrement qui se distingue de tous les autres, ayant des caractères
tout à fait spéciaux, qu’on se retrouve en aucun
des autres sacrements. Ainsi de la forme.
Quelles sont ces différences
?
Saint Thomas nous avertit que « ce sacrement diffère
des autres sacrements en deux choses.
D’abord, en ceci que ce sacrement se parfait dans la consécration
de la matière ; tandis que les autres sacrements se parfont
dans l’usage de la matière » ( ainsi du baptême,
ainsi de la confirmation… Du baptême : le baptême
consiste dans une ablution par l’eau…)
Secondement, parce que dans les autres
sacrements, la consécration de la matière consiste seulement
dans une certaines bénédiction, de laquelle la matière
consacrée reçoit d’une manière instrumentale
une certaine vertu spirituelle, qui, par le ministre, instrument animé,
peut passer aux instruments inanimés.
Dans ce sacrement de l’Eucharistie, au contraire, la consécration
de la matière consiste dans un certain changement miraculeux
qui ne peut être accompli que par Dieu seul. . Aussi bien, le
ministre, dans la réalisation de ce sacrement, n’a point
d’autre acte à poser que de proférer les paroles
». Ainsi n’agit-il pas en son nom propre comme pour le
baptême…
« Et parce que la forme doit convenir à l’être
de la chose », en tant que le sacrement produit ce qu’il
signifie. Il existe, il est ce qui est signifié par la forme
du sacrement - « de là vient que la forme de ce sacrement
diffère de la forme des autres sacrements en deux choses :
Premièrement, parce que les formes
des autres sacrements impliquent l’usage de la matière
: par exemple « l’ablution » qui est l’application
et l’usage de l’eau dans le baptême ; « tandis
que la forme de ce sacrement( de l’Eucharistie) implique la
seule consécration de la matière, qui consiste dans
la transsubstantiation », ce qui est bien signifié quand
il est dit : « Ceci est mon Corps ; ou Ceci est le Calice de
mon Sang »
Secondement, parce que les formes des
autres sacrements sont proférées au nom de la personne
du ministre : soit par mode de sujet qui exerce l’acte, comme
quand il est dit : « Je te baptise ; ou je te confirme ; soit
par mode de sujet qui commande, comme dans le Sacrement de l’(Ordre
où il est dit : « Reçois le pouvoir… ; soit
par mode de sujet qui supplie comme quand il est dit dans le Sacrement
de l’Extême Onction : « Par cette onction et notre
prière….La forme du sacrement de l’Eucharistie,
au contraire, est proférée au nom et en la personne
du Christ qui parle : afin de donner à entendre que le ministre,
dans la réalisation de ce sacrement, ne fait que proférer
les paroles du Christ ».
C’est ainsi que l’on peut
comprendre que les paroles qui se trouvent dans l’Evangile,
prononcées par Notre Seigneur : « Prenez et Mangez »
ne sont pas de la forme du sacrement parce que ces mots regardent
« l’usage de la matière consacrée, lequel
usage n’est point de nécessité pour l’existence
de ce sacrement ». Ces paroles ne sont donc pas de la substance
de la forme du sacrement de l’Eucharistie. Aussi quoique le
Prêtre soit obligé de les prononcer, ne sont-elles pas
nécessaires à l’existence du sacrement ».
Il en est de même de la conjonction
« Car » que l’on prononce néanmoins dans
la consécration du Corps et du Sang de Jésus-Christ.
Elle ne fait pas partie de la substance de la forme. Autrement s’il
n’y avait personne pour recevoir l’Eucharistie, on ne
devrait, et on ne pourrait même pas la consacrer. Et cependant,
il est incontestable que le Prêtre qui prononce les paroles
du Seigneur suivant l ‘usage et la coutume de l’Eglise
sur un pain propre à devenir la matière de l’Eucharistie,
consacre réellement et validement cette matière quand
même il arriverait que l’Eucharistie ne serait administrée
à personne.(Cat du Concile de Trente,p.214)
Article 2 : Si, c’est,
là, la forme qui convient pour la consécration du pain
: « Ceci est mon Corps ».
Saint Thomas dit que c’est bien
là la forme de la consécration du pain : Le Seigneur
a usé de cette forme en consacrant, comme on le voit en Saint
Matthieu 26 26.
C’est l ‘affirmation de
Saint Thomas au début de l’article : « Celle-là
est la forme qui convient pour la consécration du pain ».
Voici son raisonnement :
« Il a été dit,
en effet, en l’article 1 que cette consécration consiste
en la conversion de la substance du pain au Corps du Christ. D’autre
part, il faut que la forme du sacrement exprime ce qui est fait dans
le sacrement. Il faudra donc que la forme de la consécration
du pain signifie la conversion elle-même du pain au corps du
Christ ».
C’est clairement exprimé.
« Or, dans cette conversion, trois
choses se considèrent : la conversion elle-même, le terme
d’où l’on part et le terme où l’on
arrive.
La conversion elle-même peut se
considérer d’une double manière : dans son devenir
et dans son fait d’être réalisée.
Dans la forme dont il s’agit,
elle ne pouvait pas être signifiée comme en son devenir,
mais seulement comme en son fait d’être réalisée.
D’abord parce que cette conversion
n’est pas quelque chose de successif, comme on l’a dit
(Q. 75 a 7) ; elle est instantanée. Or dans ces sortes de mutations,
se faire n’existe que dans l’être fait.
Secondement, parce que les formes sacramentelles
signifient l’effet du sacrement, comme les formes dans la pensée
de l’artiste représentent l’effet de l’art.
Or, la forme qui est dans la pensée de l’artiste est
la similitude de l’effet ultime auquel se porte l’intention
de l’artiste : c’est ainsi que la forme de l’art
ou de l’œuvre qui est dans l’esprit de l’architecte
est principalement la forme de la maison telle qu’elle doit
être une fois construite ; et, par voie de conséquence,
elle est la forme de la construction. Donc dans la forme du sacrement
qui nous occupe, la conversion doit être signifiée comme
étant faite car c’est cela à quoi se porte l’intention.
« Et parce que la conversion elle-même
est exprimée, dans cette forme, comme chose faite, il est nécessaire
que les extrêmes de cette conversion soient signifiés
selon qu’ils se trouvent quand la consécration est chose
faite.
A ce moment, le terme auquel aboutit
le changement a » comme il l’avait, du reste, auparavant,
mais sans aucun rapport à ce qui est sur l’autel, «
la nature propre de sa substance » : le corps du Christ, en
effet, est, ici, après la conversion, ce qu’il était
et ce qu’il demeure toujours absolument inchangé dans
sa substance ou dans sa nature, au ciel où il se trouve depuis
le jour de son Ascension. « Mais le terme point de départ
» dans le changement dont il s’agit, « ne demeure
plus », quand le changement est fait, « selon sa substance
; il ne demeure que selon ses accidents, par lesquels il tombe sous
les sens et qu’il peut être désigné ou montré
aux sens. De là vient que le terme de la conversion point de
départ est exprimé par le pronom démonstratif,
se rapportant aux accidents sensibles qui demeurent. Le terme point
d’arrivée est exprimé, au contraire, par le nom
qui signifie la nature de ce en quoi se fait le changement et qui
est le Corps du Christ dans sa totalité et non pas seulement
sa chair. Cette forme est donc souverainement à propos : Ceci
est mon Corps »
C’est d’une démonstration
très rigoureuse.
Et on remarquera la parfaite harmonie qui existe entre cette justification
de la forme pour la consécration eucharistique donnée
ici par Saint Thomas et tout ce que nous avons dit plus haut, quand
il s’est agi de la transsubstantiation, au sujet de l’effet
produit par cette forme.
III– Le temps de Carême
.
Troisième sermon de
Saint Léon le Grand pour le temps de Carême.
1-C’est certes en tout temps,
bien-aimés, qu’il nous faut vivre sagement et saintement,
et donner pour but à nos vouloirs et à nos actes ce
que nous savons être agréable à la divine justice
; cependant, à l’approche des jours qu’illustrèrent
les sacrements de notre salut, nous devons apporter un soin plus attentif
à purifier nos cœurs et un zèle plus grand à
nous donner aux exercices de la vertu ; ces mystères étant
plus grands qu’une quelconque de leurs parties, de même
notre dévotion doit dépasser en quelque chose ce qu’elle
a accoutumé de faire ; et plus sublime est la fête, mieux
paré doit s’y trouver celui qui la célèbre.
On regarde en effet comme une pratique
raisonnable et en quelque façon religieuse de se produire aux
jours de fête en un vêtement plus beau et manifester par
l’ornement du corps la joie de l’esprit ; alors aussi
nous apportons un soin plus généreux à décorer
la maison même de la prière d’une parure plus magnifique
: n’est-il pas dès lors convenable que l’âme
chrétienne, véritable et vivant temple de Dieu, se pare
elle-même avec mesure et, pour célébrer le mystère
de sa rédemption, prenne jalousement garde qu’aucune
tache d’injustice ne la ternisse, qu’aucune ride de duplicité
ne la défigure ?
A quoi bon, en effet, une recherche
extérieure qui affiche les apparences de l’honorabilité,
si l’intérieur de l’homme est souillé par
l’infection de quelque vice ? Tout ce qui ternit la pureté
de l’âme et le miroir de l’esprit doit donc être
soigneusement effacé et en quelque sorte gratté pour
retrouver l’éclat premier.
A chacun de scruter sa conscience et
de se présenter soi-même devant soi pour un jugement
personnel rigoureux. Qu’il voie si, dans les secret de son cœur,
il trouve cette paix que donne le Christ, si le désir spirituel
n’est combattu en lui par aucune convoitise charnelle, s’il
ne méprise pas ce qui est humble, s’il ne désire
pas les grandeurs, s’il ne se réjouit pas d’un
profit injuste, s’il ne met pas sa satisfaction dans l’accroissement
immodéré de ses richesses, si enfin le bonheur d’autrui
ne le fait pas brûler d’envie ou le malheur d’un
ennemi tressaillir de joie. Si, peut-être, il ne trouve en lui
aucun de ces mouvements déréglés, qu’il
recherche soigneusement, dans un sincère examen, de quelle
nature sont ses pensées habituelles ; ne consent-il jamais
aux représentations des vanités, retire-t-il au plus
tôt son esprit de celles qui flattent dangereusement ?
En vérité, n’être
remué par aucun attrait, chatouillé d’aucun désir,
cela n’appartient pas à la vie présente qui, tout
entière n’est qu’une tentation, et tentation par
laquelle est certainement vaincu quiconque ne redoute pas de l’être.
C’est orgueil que de prétendre
éviter facilement le péché, puisque cette présomption
même est péché, selon la parole du bienheureux
apôtre Jean : « Si nous nous prétendons sans péché,
nous nous trompons nous-même, et la vérité n’est
pas en nous » (Jn 1 8)
2-Que nul donc ne se leurre, bien-aimés,
que nul ne s’abuse ; que personne ne se fit tellement à
la pureté de son cœur qu’il pense n’être
nullement exposé au péril des tentations, alors qu’en
réalité le tentateur toujours en éveil tourmente
plus âprement de ses ruses ceux-là surtout qu’il
voit s’abstenir du péché.
Et de qui tiendra-t-il ses tromperies
éloignées, lui qui a osé tenter de ses habiletés
sournoises jusqu’au Seigneur de majesté ? Il avait vu
sa superbe foulée aux pieds par le Seigneur Jésus dans
l’humilité de son baptême ; il avait compris qu’un
jeûne de quarante jours excluait toute convoitise de la chair
: et pourtant cet esprit tout de perversité ne perdit pas confiance
dans les artifices de sa méchanceté ; il se promit tant
de la versatilité de notre nature qu’il se persuada qu’on
pourrait faire un pécheur de celui dont il avait expérimenté
qu’il était un homme véritable. Si donc le diable
n’a pas écarté de notre Sauveur lui-même
les pièges des ses mensonges, combien plus osera-t-il s’attaquer
à notre faiblesse, à nous qu’il poursuit d’une
haine plus véhémente et d’une jalousie plus farouche
depuis le jour où nous avons renoncé à lui dans
le baptême et sommes passés par la régénération
divine, à la nouvelle créature en quittant la nature
première qu’il dominait !
Aussi longtemps que nous sommes revêtus
d’une chair mortelle, l’antique ennemi ne cesse pas de
nous tendre partout les lacets du péché et de s’acharner
contre les membres du Christ, alors surtout qu’ils ont à
célébrer des mystères plus sacrés ; c’est
donc à bon droit que l’enseignement du Saint-Esprit a
inculqué au peuple chrétien de se préparer à
la fête pascale par une abstinence de quarante jours. La raison
même de cette purification nous invite déjà à
nous attacher à cette salutaire observance et nous indique
quel soin apporter à l’ascèse proposée
: car, plus saintement nous aurons passé ces jours, mieux nous
aurons montré que nous honorons religieusement la Pâque
du Seigneur.
3-En ces jours consacrés aux
saints jeûnes, pratiquons donc plus largement les œuvres
de la charité, qui d’ailleurs doivent faire en tout temps
l’objet de notre zèle : « Soyons miséricordieux
envers tous, principalement pour nos frères dans la foi »
(Gal 6 10). Et pour cela, dans la distribution de nos aumônes
aussi, imitons la bonté du Père céleste «
qui fait lever son soleil sur les bons et les mauvais et tomber la
pluie sur les justes et les injustes « . (Mt 5 45).
Bien que la pauvreté des fidèles
doive être secourue la première, ceux aussi qui n’ont
pas encore reçu l’évangile sont pourtant dignes
de pitié dans leurs nécessités ; car il faut
aimer dans tous les hommes la communion à une même nature,
et cette communion doit nous rendre bienveillants envers ceux aussi
qui nous sont subordonnés en quelque façon, surtout
s’ils ont déjà été régénérés
par la même grâce et racheté au même prix
que nous, par le sang du Christ. Nous avons, en effet, en commun avec
eux que nous avons été créés à
l’image de Dieu et que ni l’origine charnelle ni la naissance
spirituelle ne les séparent de nous ; un même Esprit
nous sanctifie, une même foi nous fait vivre, nous accourons
aux mêmes sacrements ; ne la méprisons pas , cette unité,
ne regardons pas comme peu de chose une telle communion ; mais trouvons
une raison d’être en toutes choses plus bienveillants
dans le fait que, tirant avantage de leur sujétion, nous sommes
nous-mêmes assujettis avec eux au même service d’un
Maître unique. Si donc quelques-uns d’entre eux ont offensé
leurs maîtres par des manquements plus graves, qu’ils
reçoivent leur pardon en ces jours de réconciliation.
Que l’indulgence supprime la sévérité et
que le pardon efface la vengeance. Que nul ne demeure enfermé,
nul gardé en prison : notre Dieu, en effet, a mis cette condition
à sa miséricorde que nous pardonnions les péchés
des autres si nous voulons être sûrs du pardon des nôtres
(Mt 6 14). Brisons, bien-aimés, les motifs de discorde, les
épines d’inimitié ; que cessent les haines, que
disparaissent les brouilles ; que tous les membres du Christ se rencontrent
dans l’unité de l’amour : « Heureux, en effet,
ceux qui font régner la paix, car ils seront appelés
fils de Dieu » ; et non seulement fils, mais héritiers,
« bien plus, cohéritiers du Christ, qui vit et règne
dans les siècles des siècles. Amen ».